Project Gutenberg's La reine Margot - Tome I, by Alexandre Dumas, Pere This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net Title: La reine Margot - Tome I Author: Alexandre Dumas, Pere Release Date: October 25, 2004 [EBook #13856] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA REINE MARGOT - TOME I *** This Etext was prepared by Ebooks libres et gratuits and is available at http://www.ebooksgratuits.com in Word format, Mobipocket Reader format, eReader format and Acrobat Reader format. Alexandre Dumas LA REINE MARGOT Tome I (1845) Table des matieres I Le latin de M. de Guise II La chambre de la reine de Navarre III Un roi poete IV La soiree du 24 aout 1572 V Du Louvre en particulier et de la vertu en general VI La dette payee VII La nuit du 24 aout 1572 VIII Les massacres IX Les massacreurs X Mort, messe ou Bastille XI L'aubepine du cimetiere des Innocents XII Les confidences XIII Comme il y a des clefs qui ouvrent les portes auxquelles elles ne sont pas destinees XIV Seconde nuit de noces XV Ce que femme veut Dieu le veut XVI Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon XVII Le confrere de maitre Ambroise Pare XVIII Les revenants XIX Le logis de maitre Rene, le parfumeur de la reine mere XX Les poules noires XXI L'appartement de Madame de Sauve XXII Sire, vous serez roi XXIII Un nouveau converti XXIV La rue Tizon et la rue Cloche-Percee XXV Le manteau cerise XXVI Margarita XXVII La main de Dieu XXVIII La lettre de Rome XXIX Le depart XXX Maurevel XXXI La chasse a courre PREMIERE PARTIE I Le latin de M. de Guise Le lundi, dix-huitieme jour du mois d'aout 1572, il y avait grande fete au Louvre. Les fenetres de la vieille demeure royale, ordinairement si sombres, etaient ardemment eclairees; les places et les rues attenantes, habituellement si solitaires, des que neuf heures sonnaient a Saint-Germain-l'Auxerrois, etaient, quoiqu'il fut minuit, encombrees de populaire. Tout ce concours menacant, presse, bruyant, ressemblait, dans l'obscurite, a une mer sombre et houleuse dont chaque flot faisait une vague grondante; cette mer, epandue sur le quai, ou elle se degorgeait par la rue des Fosses-Saint-Germain et par la rue de l'Astruce, venait battre de son flux le pied des murs du Louvre et de son reflux la base de l'hotel de Bourbon qui s'elevait en face. Il y avait, malgre la fete royale, et meme peut-etre a cause de la fete royale, quelque chose de menacant dans ce peuple, car il ne se doutait pas que cette solennite, a laquelle il assistait comme spectateur, n'etait que le prelude d'une autre remise a huitaine, et a laquelle il serait convie et s'ebattrait de tout son coeur. La cour celebrait les noces de madame Marguerite de Valois, fille du roi Henri II et soeur du roi Charles IX, avec Henri de Bourbon, roi de Navarre. En effet, le matin meme, le cardinal de Bourbon avait uni les deux epoux avec le ceremonial usite pour les noces des filles de France, sur un theatre dresse a la porte de Notre- Dame. Ce mariage avait etonne tout le monde et avait fort donne a songer a quelques-uns qui voyaient plus clair que les autres; on comprenait peu le rapprochement de deux partis aussi haineux que l'etaient a cette heure le parti protestant et le parti catholique: on se demandait comment le jeune prince de Conde pardonnerait au duc d'Anjou, frere du roi, la mort de son pere assassine a Jarnac par Montesquiou. On se demandait comment le jeune duc de Guise pardonnerait a l'amiral de Coligny la mort du sien assassine a Orleans par Poltrot du Mere. Il y a plus: Jeanne de Navarre, la courageuse epouse du faible Antoine de Bourbon, qui avait amene son fils Henri aux royales fiancailles qui l'attendaient, etait morte il y avait deux mois a peine, et de singuliers bruits s'etaient repandus sur cette mort subite. Partout on disait tout bas, et en quelques lieux tout haut, qu'un secret terrible avait ete surpris par elle, et que Catherine de Medicis, craignant la revelation de ce secret, l'avait empoisonnee avec des gants de senteur qui avaient ete confectionnes par un nomme Rene, Florentin fort habile dans ces sortes de matieres. Ce bruit s'etait d'autant plus repandu et confirme, qu'apres la mort de cette grande reine, sur la demande de son fils, deux medecins, desquels etait le fameux Ambroise Pare, avaient ete autorises a ouvrir et a etudier le corps, mais non le cerveau. Or, comme c'etait par l'odorat qu'avait ete empoisonnee Jeanne de Navarre, c'etait le cerveau, seule partie du corps exclue de l'autopsie, qui devait offrir les traces du crime. Nous disons crime, car personne ne doutait qu'un crime n'eut ete commis. Ce n'etait pas tout: le roi Charles, particulierement, avait mis a ce mariage, qui non seulement retablissait la paix dans son royaume, mais encore attirait a Paris les principaux huguenots de France, une persistance qui ressemblait a de l'entetement. Comme les deux fiances appartenaient, l'un a la religion catholique, l'autre a la religion reformee, on avait ete oblige de s'adresser pour la dispense a Gregoire XIII, qui tenait alors le siege de Rome. La dispense tardait, et ce retard inquietait fort la feue reine de Navarre; elle avait un jour exprime a Charles IX ses craintes que cette dispense n'arrivat point, ce a quoi le roi avait repondu: -- N'ayez souci, ma bonne tante, je vous honore plus que le pape, et aime plus ma soeur que je ne le crains. Je ne suis pas huguenot, mais je ne suis pas sot non plus, et si monsieur le pape fait trop la bete, je prendrai moi-meme Margot par la main, et je la menerai epouser votre fils en plein preche. Ces paroles s'etaient repandues du Louvre dans la ville, et, tout en rejouissant fort les huguenots, avaient considerablement donne a penser aux catholiques, qui se demandaient tout bas si le roi les trahissait reellement, ou bien ne jouait pas quelque comedie qui aurait un beau matin ou un beau soir son denouement inattendu. C'etait vis-a-vis de l'amiral de Coligny surtout, qui depuis cinq ou six ans faisait une guerre acharnee au roi, que la conduite de Charles IX paraissait inexplicable: apres avoir mis sa tete a prix a cent cinquante mille ecus d'or, le roi ne jurait plus que par lui, l'appelant son pere et declarant tout haut qu'il allait confier desormais a lui seul la conduite de la guerre; c'est au point que Catherine de Medicis, elle-meme, qui jusqu'alors avait regle les actions, les volontes et jusqu'aux desirs du jeune prince, paraissait commencer a s'inquieter tout de bon, et ce n'etait pas sans sujet, car, dans un moment d'epanchement Charles IX avait dit a l'amiral a propos de la guerre de Flandre: -- Mon pere, il y a encore une chose en ceci a laquelle il faut bien prendre garde: c'est que la reine mere, qui veut mettre le nez partout comme vous savez, ne connaisse rien de cette entreprise; que nous la tenions si secrete qu'elle n'y voie goutte, car, brouillonne comme je la connais, elle nous gaterait tout. Or, tout sage et experimente qu'il etait, Coligny n'avait pu tenir secrete une si entiere confiance; et quoiqu'il fut arrive a Paris avec de grands soupcons, quoique a son depart de Chatillon une paysanne se fut jetee a ses pieds, en criant: "Oh! monsieur, notre bon maitre, n'allez pas a Paris, car si vous y allez vous mourrez, vous et tous ceux qui iront avec vous"; ces soupcons s'etaient peu a peu eteints dans son coeur et dans celui de Teligny, son gendre, auquel le roi de son cote faisait de grandes amities, l'appelant son frere comme il appelait l'amiral son pere, et le tutoyant, ainsi qu'il faisait pour ses meilleurs amis. Les huguenots, a part quelques esprits chagrins et defiants, etaient donc entierement rassures: la mort de la reine de Navarre passait pour avoir ete causee par une pleuresie, et les vastes salles du Louvre s'etaient emplies de tous ces braves protestants auxquels le mariage de leur jeune chef Henri promettait un retour de fortune bien inespere. L'amiral de Coligny, La Rochefoucault, le prince de Conde fils, Teligny, enfin tous les principaux du parti, triomphaient de voir tout-puissants au Louvre et si bien venus a Paris ceux-la memes que trois mois auparavant le roi Charles et la reine Catherine voulaient faire pendre a des potences plus hautes que celles des assassins. Il n'y avait que le marechal de Montmorency que l'on cherchait vainement parmi tous ses freres, car aucune promesse n'avait pu le seduire, aucun semblant n'avait pu le tromper, et il restait retire en son chateau de l'Isle-Adam, donnant pour excuse de sa retraite la douleur que lui causait encore la mort de son pere le connetable Anne de Montmorency, tue d'un coup de pistolet par Robert Stuart, a la bataille de Saint-Denis. Mais comme cet evenement etait arrive depuis plus de trois ans et que la sensibilite etait une vertu assez peu a la mode a cette epoque, on n'avait cru de ce deuil prolonge outre mesure que ce qu'on avait bien voulu en croire. Au reste, tout donnait tort au marechal de Montmorency; le roi, la reine, le duc d'Anjou et le duc d'Alencon faisaient a merveille les honneurs de la royale fete. Le duc d'Anjou recevait des huguenots eux-memes des compliments bien merites sur les deux batailles de Jarnac et de Moncontour, qu'il avait gagnees avant d'avoir atteint l'age de dix-huit ans, plus precoce en cela que n'avaient ete Cesar et Alexandre, auxquels on le comparait en donnant, bien entendu, l'inferiorite aux vainqueurs d'Issus et de Pharsale; le duc d'Alencon regardait tout cela de son oeil caressant et faux; la reine Catherine rayonnait de joie et, toute confite en gracieusetes, complimentait le prince Henri de Conde sur son recent mariage avec Marie de Cleves; enfin MM. de Guise eux-memes souriaient aux formidables ennemis de leur maison, et le duc de Mayenne discourait avec M. de Tavannes et l'amiral sur la prochaine guerre qu'il etait plus que jamais question de declarer a Philippe II. Au milieu de ces groupes allait et venait, la tete legerement inclinee et l'oreille ouverte a tous les propos, un jeune homme de dix-neuf ans, a l'oeil fin, aux cheveux noirs coupes tres court, aux sourcils epais, au nez recourbe comme un bec d'aigle, au sourire narquois, a la moustache et a la barbe naissantes. Ce jeune homme, qui ne s'etait fait remarquer encore qu'au combat d'Arnay-le-Duc ou il avait bravement paye de sa personne, et qui recevait compliments sur compliments, etait l'eleve bien-aime de Coligny et le heros du jour; trois mois auparavant, c'est-a-dire a l'epoque ou sa mere vivait encore, on l'avait appele le prince de Bearn; on l'appelait maintenant le roi de Navarre, en attendant qu'on l'appelat Henri IV. De temps en temps un nuage sombre et rapide passait sur son front; sans doute il se rappelait qu'il y avait deux mois a peine que sa mere etait morte, et moins que personne il doutait qu'elle ne fut morte empoisonnee. Mais le nuage etait passager et disparaissait comme une ombre flottante; car ceux qui lui parlaient, ceux qui le felicitaient, ceux qui le coudoyaient, etaient ceux-la memes qui avaient assassine la courageuse Jeanne d'Albret. A quelques pas du roi de Navarre, presque aussi pensif, presque aussi soucieux que le premier affectait d'etre joyeux et ouvert, le jeune duc de Guise causait avec Teligny. Plus heureux que le Bearnais, a vingt-deux ans sa renommee avait presque atteint celle de son pere, le grand Francois de Guise. C'etait un elegant seigneur, de haute taille, au regard fier et orgueilleux, et doue de cette majeste naturelle qui faisait dire, quand il passait, que pres de lui les autres princes paraissaient peuple. Tout jeune qu'il etait, les catholiques voyaient en lui le chef de leur parti, comme les huguenots voyaient le leur dans ce jeune Henri de Navarre dont nous venons de tracer le portrait. Il avait d'abord porte le titre de prince de Joinville, et avait fait, au siege d'Orleans, ses premieres armes sous son pere, qui etait mort dans ses bras en lui designant l'amiral Coligny pour son assassin. Alors le jeune duc, comme Annibal, avait fait un serment solennel: c'etait de venger la mort de son pere sur l'amiral et sur sa famille, et de poursuivre ceux de sa religion sans treve ni relache, ayant promis a Dieu d'etre son ange exterminateur sur la terre jusqu'au jour ou le dernier heretique serait extermine. Ce n'etait donc pas sans un profond etonnement qu'on voyait ce prince, ordinairement si fidele a sa parole, tendre la main a ceux qu'il avait jure de tenir pour ses eternels ennemis et causer familierement avec le gendre de celui dont il avait promis la mort a son pere mourant. Mais, nous l'avons dit, cette soiree etait celle des etonnements. En effet, avec cette connaissance de l'avenir qui manque heureusement aux hommes, avec cette faculte de lire dans les coeurs qui n'appartient malheureusement qu'a Dieu, l'observateur privilegie auquel il eut ete donne d'assister a cette fete, eut joui certainement du plus curieux spectacle que fournissent les annales de la triste comedie humaine. Mais cet observateur qui manquait aux galeries interieures du Louvre, continuait dans la rue a regarder de ses yeux flamboyants et a gronder de sa voix menacante: cet observateur c'etait le peuple, qui, avec son instinct merveilleusement aiguise par la haine, suivait de loin les ombres de ses ennemis implacables et traduisait leurs impressions aussi nettement que peut le faire le curieux devant les fenetres d'une salle de bal hermetiquement fermee. La musique enivre et regle le danseur, tandis que le curieux voit le mouvement seul et rit de ce pantin qui s'agite sans raison, car le curieux, lui, n'entend pas la musique. La musique qui enivrait les huguenots, c'etait la voix de leur orgueil. Ces lueurs qui passaient aux yeux des Parisiens au milieu de la nuit, c'etaient les eclairs de leur haine qui illuminaient l'avenir. Et cependant tout continuait d'etre riant a l'interieur, et meme un murmure plus doux et plus flatteur que jamais courait en ce moment par tout le Louvre: c'est que la jeune fiancee, apres etre allee deposer sa toilette d'apparat, son manteau trainant et son long voile, venait de rentrer dans la salle de bal, accompagnee de la belle duchesse de Nevers, sa meilleure amie, et menee par son frere Charles IX, qui la presentait aux principaux de ses hotes. Cette fiancee, c'etait la fille de Henri II, c'etait la perle de la couronne de France, c'etait Marguerite de Valois, que, dans sa familiere tendresse pour elle, le roi Charles IX n'appelait jamais que _ma soeur Margot._ Certes jamais accueil, si flatteur qu'il fut, n'avait ete mieux merite que celui qu'on faisait en ce moment a la nouvelle reine de Navarre. Marguerite a cette epoque avait vingt ans a peine, et deja elle etait l'objet des louanges de tous les poetes, qui la comparaient les uns a l'Aurore, les autres a Cytheree. C'etait en effet la beaute sans rivale de cette cour ou Catherine de Medicis avait reuni, pour en faire ses sirenes, les plus belles femmes qu'elle avait pu trouver. Elle avait les cheveux noirs, le teint brillant, l'oeil voluptueux et voile de longs cils, la bouche vermeille et fine, le cou elegant, la taille riche et souple, et, perdu dans une mule de satin, un pied d'enfant. Les Francais, qui la possedaient, etaient fiers de voir eclore sur leur sol une si magnifique fleur, et les etrangers qui passaient par la France s'en retournaient eblouis de sa beaute s'ils l'avaient vue seulement, etourdis de sa science s'ils avaient cause avec elle. C'est que Marguerite etait non seulement la plus belle, mais encore la plus lettree des femmes de son temps, et l'on citait le mot d'un savant italien qui lui avait ete presente, et qui, apres avoir cause avec elle une heure en italien, en espagnol, en latin et en grec, l'avait quittee en disant dans son enthousiasme: "Voir la cour sans voir Marguerite de Valois, c'est ne voir ni la France ni la cour." Aussi les harangues ne manquaient pas au roi Charles IX et a la reine de Navarre; on sait combien les huguenots etaient harangueurs. Force allusions au passe, force demandes pour l'avenir furent adroitement glissees au roi au milieu de ces harangues; mais a toutes ces allusions, il repondait avec ses levres pales et son sourire ruse: -- En donnant ma soeur Margot a Henri de Navarre, je donne mon coeur a tous les protestants du royaume. Mot qui rassurait les uns et faisait sourire les autres, car il avait reellement deux sens: l'un paternel, et dont en bonne conscience Charles IX ne voulait pas surcharger sa pensee; l'autre injurieux pour l'epousee, pour son mari et pour celui-la meme qui le disait, car il rappelait quelques sourds scandales dont la chronique de la cour avait deja trouve moyen de souiller la robe nuptiale de Marguerite de Valois. Cependant M. de Guise causait, comme nous l'avons dit, avec Teligny; mais il ne donnait pas a l'entretien une attention si soutenue qu'il ne se detournat parfois pour lancer un regard sur le groupe de dames au centre duquel resplendissait la reine de Navarre. Si le regard de la princesse rencontrait alors celui du jeune duc, un nuage semblait obscurcir ce front charmant autour duquel des etoiles de diamants formaient une tremblante aureole, et quelque vague dessein percait dans son attitude impatiente et agitee. La princesse Claude, soeur ainee de Marguerite, qui depuis quelques annees deja avait epouse le duc de Lorraine, avait remarque cette inquietude, et elle s'approchait d'elle pour lui en demander la cause, lorsque chacun s'ecartant devant la reine mere, qui s'avancait appuyee au bras du jeune prince de Conde, la princesse se trouva refoulee loin de sa soeur. Il y eut alors un mouvement general dont le duc de Guise profita pour se rapprocher de madame de Nevers, sa belle-soeur, et par consequent de Marguerite. Madame de Lorraine, qui n'avait pas perdu la jeune reine des yeux, vit alors, au lieu de ce nuage qu'elle avait remarque sur son front, une flamme ardente passer sur ses joues. Cependant le duc s'approchait toujours, et quand il ne fut plus qu'a deux pas de Marguerite, celle-ci, qui semblait plutot le sentir que le voir, se retourna en faisant un effort violent pour donner a son visage le calme et l'insouciance; alors le duc salua respectueusement, et, tout en s'inclinant devant elle, murmura a demi-voix: -- _Ipse attuli._ Ce qui voulait dire: "Je l'ai_ apporte_, ou _apporte moi-meme_." Marguerite rendit sa reverence au jeune duc, et, en se relevant, laissa tomber cette reponse: -- _Noctu pro more. _Ce qui signifiait: "Cette nuit comme d'habitude." Ces douces paroles, absorbees par l'enorme collet goudronne de la princesse comme par l'enroulement d'un porte-voix, ne furent entendues que de la personne a laquelle on les adressait; mais si court qu'eut ete le dialogue, sans doute il embrassait tout ce que les deux jeunes gens avaient a se dire, car apres cet echange de deux mots contre trois, ils se separerent, Marguerite le front plus reveur, et le duc le front plus radieux qu'avant qu'ils se fussent rapproches. Cette petite scene avait eu lieu sans que l'homme le plus interesse a la remarquer eut paru y faire la moindre attention, car, de son cote, le roi de Navarre n'avait d'yeux que pour une seule personne qui rassemblait autour d'elle une cour presque aussi nombreuse que Marguerite de Valois, cette personne etait la belle madame de Sauve. Charlotte de Beaune-Semblancay, petite-fille du malheureux Semblancay et femme de Simon de Fizes, baron de Sauve, etait une des dames d'atours de Catherine de Medicis, et l'une des plus redoutables auxiliaires de cette reine, qui versait a ses ennemis le philtre de l'amour quand elle n'osait leur verser le poison florentin; petite, blonde, tour a tour petillante de vivacite ou languissante de melancolie, toujours prete a l'amour et a l'intrigue, les deux grandes affaires qui, depuis cinquante ans, occupaient la cour des trois rois qui s'etaient succede; femme dans toute l'acception du mot et dans tout le charme de la chose, depuis l'oeil bleu languissant ou brillant de flammes jusqu'aux petits pieds mutins et cambres dans leurs mules de velours, madame de Sauve s'etait, depuis quelques mois deja, emparee de toutes les facultes du roi de Navarre, qui debutait alors dans la carriere amoureuse comme dans la carriere politique; si bien que Marguerite de Navarre, beaute magnifique et royale, n'avait meme plus trouve l'admiration au fond du coeur de son epoux; et, chose etrange et qui etonnait tout le monde, meme de la part de cette ame pleine de tenebres et de mysteres, c'est que Catherine de Medicis, tout en poursuivant son projet d'union entre sa fille et le roi de Navarre, n'avait pas discontinue de favoriser presque ouvertement les amours de celui-ci avec madame de Sauve. Mais malgre cette aide puissante et en depit des moeurs faciles de l'epoque, la belle Charlotte avait resiste jusque-la; et de cette resistance inconnue, incroyable, inouie, plus encore que de la beaute et de l'esprit de celle qui resistait, etait nee dans le coeur du Bearnais une passion qui, ne pouvant se satisfaire, s'etait repliee sur elle-meme et avait devore dans le coeur du jeune roi la timidite, l'orgueil et jusqu'a cette insouciance, moitie philosophique, moitie paresseuse, qui faisait le fond de son caractere. Madame de Sauve venait d'entrer depuis quelques minutes seulement dans la salle de bal: soit depit, soit douleur, elle avait resolu d'abord de ne point assister au triomphe de sa rivale, et, sous le pretexte d'une indisposition, elle avait laisse son mari, secretaire d'Etat depuis cinq ans, venir seul au Louvre. Mais en apercevant le baron de Sauve sans sa femme, Catherine de Medicis s'etait informee des causes qui tenaient sa bien-aimee Charlotte eloignee; et, apprenant que ce n'etait qu'une legere indisposition, elle lui avait ecrit quelques mots d'appel, auxquels la jeune femme s'etait empressee d'obeir. Henri, tout attriste qu'il avait ete d'abord de son absence, avait cependant respire plus librement lorsqu'il avait vu M. de Sauve entrer seul; mais au moment ou, ne s'attendant aucunement a cette apparition, il allait en soupirant se rapprocher de l'aimable creature qu'il etait condamne, sinon a aimer, du moins a traiter en epouse, il avait vu au bout de la galerie surgir madame de Sauve; alors il etait demeure cloue a sa place, les yeux fixes sur cette Circe qui l'enchainait a elle comme un lien magique, et, au lieu de continuer sa marche vers sa femme, par un mouvement d'hesitation qui tenait bien plus a l'etonnement qu'a la crainte, il s'avanca vers madame de Sauve. De leur cote les courtisans, voyant que le roi de Navarre, dont on connaissait deja le coeur inflammable, se rapprochait de la belle Charlotte, n'eurent point le courage de s'opposer a leur reunion; ils s'eloignerent complaisamment, de sorte qu'au meme instant ou Marguerite de Valois et M. de Guise echangeaient les quelques mots latins que nous avons rapportes, Henri, arrive pres de madame de Sauve, entamait avec elle en francais fort intelligible, quoique saupoudre d'accent gascon, une conversation beaucoup moins mysterieuse. -- Ah! ma mie! lui dit-il, vous voila donc revenue au moment ou l'on m'avait dit que vous etiez malade et ou j'avais perdu l'esperance de vous voir? -- Votre Majeste, repondit madame de Sauve, aurait-elle la pretention de me faire croire que cette esperance lui avait beaucoup coute a perdre? -- Sang-diou! je crois bien, reprit le Bearnais; ne savez-vous point que vous etes mon soleil pendant le jour et mon etoile pendant la nuit? En verite je me croyais dans l'obscurite la plus profonde, lorsque vous avez paru tout a l'heure et avez soudain tout eclaire. -- C'est un mauvais tour que je vous joue alors, Monseigneur. -- Que voulez-vous dire, ma mie? demanda Henri. -- Je veux dire que lorsqu'on est maitre de la plus belle femme de France, la seule chose qu'on doive desirer, c'est que la lumiere disparaisse pour faire place a l'obscurite, car c'est dans l'obscurite que nous attend le bonheur. -- Ce bonheur, mauvaise, vous savez bien qu'il est aux mains d'une seule personne, et que cette personne se rit et se joue du pauvre Henri. -- Oh! reprit la baronne, j'aurais cru, au contraire, moi, que c'etait cette personne qui etait le jouet et la risee du roi de Navarre. Henri fut effraye de cette attitude hostile, et cependant il reflechit qu'elle trahissait le depit, et que le depit n'est que le masque de l'amour. -- En verite, dit-il, chere Charlotte, vous me faites la un injuste reproche, et je ne comprends pas qu'une si jolie bouche soit en meme temps si cruelle. Croyez-vous donc que ce soit moi qui me marie? Eh! non, ventre saint gris! ce n'est pas moi! -- C'est moi, peut-etre! reprit aigrement la baronne, si jamais peut paraitre aigre la voix de la femme qui nous aime et qui nous reproche de ne pas l'aimer. -- Avec vos beaux yeux n'avez-vous pas vu plus loin, baronne? Non, non, ce n'est pas Henri de Navarre qui epouse Marguerite de Valois. -- Et qui est-ce donc alors? -- Eh, sang-diou! c'est la religion reformee qui epouse le pape, voila tout. -- Nenni, nenni, Monseigneur, et je ne me laisse pas prendre a vos jeux d'esprit, moi: Votre Majeste aime madame Marguerite, et je ne vous en fais pas un reproche, Dieu m'en garde! elle est assez belle pour etre aimee. Henri reflechit un instant, et tandis qu'il reflechissait, un bon sourire retroussa le coin de ses levres. -- Baronne, dit-il, vous me cherchez querelle, ce me semble, et cependant vous n'en avez pas le droit; qu'avez-vous fait, voyons! pour m'empecher d'epouser madame Marguerite? Rien; au contraire, vous m'avez toujours desespere. -- Et bien m'en a pris, Monseigneur! repondit madame de Sauve. -- Comment cela? -- Sans doute, puisque aujourd'hui vous en epousez une autre. -- Ah! je l'epouse parce que vous ne m'aimez pas. -- Si je vous eusse aime, Sire, il me faudrait donc mourir dans une heure! -- Dans une heure! Que voulez-vous dire, et de quelle mort seriez- vous morte? -- De jalousie... car dans une heure la reine de Navarre renverra ses femmes, et Votre Majeste ses gentilshommes. -- Est-ce la veritablement la pensee qui vous preoccupe, ma mie? -- Je ne dis pas cela. Je dis que, si je vous aimais, elle me preoccuperait horriblement. -- Eh bien, s'ecria Henri au comble de la joie d'entendre cet aveu, le premier qu'il eut recu, si le roi de Navarre ne renvoyait pas ses gentilshommes ce soir? -- Sire, dit madame de Sauve, regardant le roi avec un etonnement qui cette fois n'etait pas joue, vous dites la des choses impossibles et surtout incroyables. -- Pour que vous le croyiez, que faut-il donc faire? -- Il faudrait m'en donner la preuve, et cette preuve, vous ne pouvez me la donner. -- Si fait, baronne, si fait. Par saint Henri! je vous la donnerai, au contraire, s'ecria le roi en devorant la jeune femme d'un regard embrase d'amour. -- O Votre Majeste! ... murmura la belle Charlotte en baissant la voix et les yeux. Je ne comprends pas... Non, non! il est impossible que vous echappiez au bonheur qui vous attend. -- Il y a quatre Henri dans cette salle, mon adoree! reprit le roi: Henri de France, Henri de Conde, Henri de Guise, mais il n'y a qu'un Henri de Navarre. -- Eh bien? -- Eh bien, si vous avez ce Henri de Navarre pres de vous toute cette nuit... -- Toute cette nuit? -- Oui; serez-vous certaine qu'il ne sera pas pres d'une autre? -- Ah! si vous faites cela, Sire, s'ecria a son tour la dame de Sauve. -- Foi de gentilhomme, je le ferai. Madame de Sauve leva ses grands yeux humides de voluptueuses promesses et sourit au roi, dont le coeur s'emplit d'une joie enivrante. -- Voyons, reprit Henri, en ce cas, que direz-vous? -- Oh! en ce cas, repondit Charlotte, en ce cas je dirai que je suis veritablement aimee de Votre Majeste. -- Ventre-saint-gris! vous le direz donc, car cela est, baronne. -- Mais comment faire? murmura madame de Sauve. -- Oh! par Dieu! baronne, il n'est point que vous n'ayez autour de vous quelque cameriere, quelque suivante, quelque fille dont vous soyez sure? -- Oh! j'ai Dariole, qui m'est si devouee qu'elle se ferait couper en morceaux pour moi: un veritable tresor. -- Sang-diou! baronne, dites a cette fille que je ferai sa fortune quand je serai roi de France, comme me le predisent les astrologues. Charlotte sourit; car des cette epoque la reputation gasconne du Bearnais etait deja etablie a l'endroit de ses promesses. -- Eh bien, dit-elle, que desirez-vous de Dariole? -- Bien peu de chose pour elle, tout pour moi. -- Enfin? -- Votre appartement est au-dessus du mien? -- Oui. -- Qu'elle attende derriere la porte. Je frapperai doucement trois coups; elle ouvrira, et vous aurez la preuve que je vous ai offerte. Madame de Sauve garda le silence pendant quelques secondes; puis, comme si elle eut regarde autour d'elle pour n'etre pas entendue, elle fixa un instant la vue sur le groupe ou se tenait la reine mere; mais si court que fut cet instant, il suffit pour que Catherine et sa dame d'atours echangeassent chacune un regard. -- Oh! si je voulais, dit madame de Sauve avec un accent de sirene qui eut fait fondre la cire dans les oreilles d'Ulysse, si je voulais prendre Votre Majeste en mensonge. -- Essayez, ma mie, essayez... -- Ah! ma foi! j'avoue que j'en combats l'envie. -- Laissez-vous vaincre: les femmes ne sont jamais si fortes qu'apres leur defaite. -- Sire, je retiens votre promesse pour Dariole le jour ou vous serez roi de France. Henri jeta un cri de joie. C'etait juste au moment ou ce cri s'echappait de la bouche du Bearnais que la reine de Navarre repondait au duc de Guise: "_Noctu pro more_: Cette nuit comme d'habitude." Alors Henri s'eloigna de madame de Sauve aussi heureux que l'etait le duc de Guise en s'eloignant lui-meme de Marguerite de Valois. Une heure apres cette double scene que nous venons de raconter, le roi Charles et la reine mere se retirerent dans leurs appartements; presque aussitot les salles commencerent a se depeupler, les galeries laisserent voir la base de leurs colonnes de marbre. L'amiral et le prince de Conde furent reconduits par quatre cents gentilshommes huguenots au milieu de la foule qui grondait sur leur passage. Puis Henri de Guise, avec les seigneurs lorrains et les catholiques, sortirent a leur tour, escortes des cris de joie et des applaudissements du peuple. Quant a Marguerite de Valois, a Henri de Navarre et a madame de Sauve, on sait qu'ils demeuraient au Louvre meme. II La chambre de la reine de Navarre Le duc de Guise reconduisit sa belle-soeur, la duchesse de Nevers, en son hotel qui etait situe rue du Chaume, en face de la rue de Brac, et apres l'avoir remise a ses femmes, passa dans son appartement pour changer de costume, prendre un manteau de nuit et s'armer d'un de ces poignards courts et aigus qu'on appelait une foi de gentilhomme, lesquels se portaient sans l'epee; mais au moment ou il le prenait sur la table ou il etait depose, il apercut un petit billet serre entre la lame et le fourreau. Il l'ouvrit et lut ce qui suit: "J'espere bien que M. de Guise ne retournera pas cette nuit au Louvre, ou, s'il y retourne, qu'il prendra au moins la precaution de s'armer d'une bonne cotte de mailles et d'une bonne epee." -- Ah! ah! dit le duc en se retournant vers son valet de chambre, voici un singulier avertissement, maitre Robin. Maintenant faites- moi le plaisir de me dire quelles sont les personnes qui ont penetre ici pendant mon absence. -- Une seule, Monseigneur. -- Laquelle? -- M. du Gast. -- Ah! ah! En effet, il me semblait bien reconnaitre l'ecriture. Et tu es sur que du Gast est venu, tu l'as vu? -- J'ai fait plus, Monseigneur, je lui ai parle. -- Bon; alors je suivrai le conseil. Ma jaquette et mon epee. Le valet de chambre, habitue a ces mutations de costumes, apporta l'une et l'autre. Le duc alors revetit sa jaquette, qui etait en chainons de mailles si souples que la trame d'acier n'etait guere plus epaisse que du velours; puis il passa par-dessus son jaque des chausses et un pourpoint gris et argent, qui etaient ses couleurs favorites, tira de longues bottes qui montaient jusqu'au milieu de ses cuisses, se coiffa d'un toquet de velours noir sans plume ni pierreries, s'enveloppa d'un manteau de couleur sombre, passa un poignard a sa ceinture, et, mettant son epee aux mains d'un page, seule escorte dont il voulut se faire accompagner, il prit le chemin du Louvre. Comme il posait le pied sur le seuil de l'hotel, le veilleur de Saint-Germain-l'Auxerrois venait d'annoncer une heure du matin. Si avancee que fut la nuit et si peu sures que fussent les rues a cette epoque, aucun accident n'arriva a l'aventureux prince par le chemin, et il arriva sain et sauf devant la masse colossale du vieux Louvre, dont toute les lumieres s'etaient successivement eteintes, et qui se dressait, a cette heure, formidable de silence et d'obscurite. En avant du chateau royal s'etendait un fosse profond, sur lequel donnaient la plupart des chambres des princes loges au palais. L'appartement de Marguerite etait situe au premier etage. Mais ce premier etage, accessible s'il n'y eut point eu de fosse, se trouvait, grace au retranchement, eleve de pres de trente pieds, et, par consequent, hors de l'atteinte des amants et des voleurs, ce qui n'empecha point M. le duc de Guise de descendre resolument dans le fosse. Au meme instant, on entendit le bruit d'une fenetre du rez-de- chaussee qui s'ouvrait. Cette fenetre etait grillee; mais une main parut, souleva un des barreaux descelles d'avance, et laissa pendre, par cette ouverture, un lacet de soie. -- Est-ce vous, Gillonne? demanda le duc a voix basse. -- Oui, Monseigneur, repondit une voix de femme d'un accent plus bas encore. -- Et Marguerite? -- Elle vous attend. -- Bien. A ces mots le duc fit signe a son page, qui, ouvrant son manteau, deroula une petite echelle de corde. Le prince attacha l'une des extremites de l'echelle au lacet qui pendait. Gillonne tira l'echelle a elle, l'assujettit solidement; et le prince, apres avoir boucle son epee a son ceinturon, commenca l'escalade, qu'il acheva sans accident. Derriere lui, le barreau reprit sa place, la fenetre se referma, et le page, apres avoir vu entrer paisiblement son seigneur dans le Louvre, aux fenetres duquel il l'avait accompagne vingt fois de la meme facon, s'alla coucher, enveloppe dans son manteau, sur l'herbe du fosse et a l'ombre de la muraille. Il faisait une nuit sombre, et quelques gouttes d'eau tombaient tiedes et larges des nuages charges de soufre et d'electricite. Le duc de Guise suivit sa conductrice, qui n'etait rien moins que la fille de Jacques de Matignon, marechal de France; c'etait la confidente toute particuliere de Marguerite, qui n'avait aucun secret pour elle, et l'on pretendait qu'au nombre des mysteres qu'enfermait son incorruptible fidelite, il y en avait de si terribles que c'etaient ceux-la qui la forcaient de garder les autres. Aucune lumiere n'etait demeuree ni dans les chambres basses ni dans les corridors; de temps en temps seulement un eclair livide illuminait les appartements sombres d'un reflet bleuatre qui disparaissait aussitot. Le duc, toujours guide par sa conductrice qui le tenait par la main, atteignit enfin un escalier en spirale pratique dans l'epaisseur d'un mur et qui s'ouvrait par une porte secrete et invisible dans l'antichambre de l'appartement de Marguerite. L'antichambre, comme les autres salles du bas, etait dans la plus profonde obscurite. Arrives dans cette antichambre, Gillonne s'arreta. -- Avez-vous apporte ce que desire la reine? demanda-t-elle a voix basse. -- Oui, repondit le duc de Guise; mais je ne le remettrai qu'a Sa Majeste elle-meme. -- Venez donc et sans perdre un instant! dit alors au milieu de l'obscurite une voix qui fit tressaillir le duc, car il la reconnut pour celle de Marguerite. Et en meme temps une portiere de velours violet fleurdelise d'or se soulevant, le duc distingua dans l'ombre la reine elle-meme, qui, impatiente, etait venue au-devant de lui. -- Me voici, madame, dit alors le duc. Et il passa rapidement de l'autre cote de la portiere qui retomba derriere lui. Alors ce fut, a son tour, a Marguerite de Valois de servir de guide au prince dans cet appartement d'ailleurs bien connu de lui, tandis que Gillonne, restee a la porte, avait, en portant le doigt a sa bouche, rassure sa royale maitresse. Comme si elle eut compris les jalouses inquietudes du duc, Marguerite le conduisit jusque dans sa chambre a coucher; la elle s'arreta. -- Eh bien, lui dit-elle, etes-vous content, duc? -- Content, madame, demanda celui-ci, et de quoi, je vous prie? -- De cette preuve que je vous donne, reprit Marguerite avec un leger accent de depit, que j'appartiens a un homme qui, le soir de son mariage, la nuit meme de ses noces, fait assez peu de cas de moi pour n'etre pas meme venu me remercier de l'honneur que je lui ai fait non pas en le choisissant, mais en l'acceptant pour epoux. -- Oh! madame, dit tristement le duc, rassurez-vous, il viendra, surtout si vous le desirez. -- Et c'est vous qui dites cela, Henri, s'ecria Marguerite, vous qui, entre tous, savez le contraire de ce que vous dites! Si j'avais le desir que vous me supposez, vous eusse-je donc prie de venir au Louvre? -- Vous m'avez prie de venir au Louvre, Marguerite, parce que vous avez le desir d'eteindre tout vestige de notre passe, et que ce passe vivait non seulement dans mon coeur, mais dans ce coffre d'argent que je vous rapporte. -- Henri, voulez-vous que je vous dise une chose? reprit Marguerite en regardant fixement le duc, c'est que vous ne me faites plus l'effet d'un prince, mais d'un ecolier! Moi nier que je vous ai aime! moi vouloir eteindre une flamme qui mourra peut- etre, mais dont le reflet ne mourra pas! Car les amours des personnes de mon rang illuminent et souvent devorent toute l'epoque qui leur est contemporaine. Non, non, mon duc! Vous pouvez garder les lettres de votre Marguerite et le coffre qu'elle vous a donne. De ces lettres que contient le coffre elle ne vous en demande qu'une seule, et encore parce que cette lettre est aussi dangereuse pour vous que pour elle. -- Tout est a vous, dit le duc; choisissez donc la-dedans celle que vous voudrez aneantir. Marguerite fouilla vivement dans le coffre ouvert, et d'une main fremissante prit l'une apres l'autre une douzaine de lettres dont elle se contenta de regarder les adresses, comme si a l'inspection de ces seules adresses sa memoire lui rappelait ce que contenaient ces lettres; mais arrivee au bout de l'examen elle regarda le duc, et, toute palissante: -- Monsieur, dit-elle, celle que je cherche n'est pas la. L'auriez-vous perdue, par hasard; car, quant a l'avoir livree... -- Et quelle lettre cherchez-vous, madame? -- Celle dans laquelle je vous disais de vous marier sans retard. -- Pour excuser votre infidelite? Marguerite haussa les epaules. -- Non, mais pour vous sauver la vie. Celle ou je vous disais que le roi, voyant notre amour et les efforts que je faisais pour rompre votre future union avec l'infante de Portugal, avait fait venir son frere le batard d'Angouleme et lui avait dit en lui montrant deux epees: "De celle-ci tue Henri de Guise ce soir, ou de celle-la je te tuerai demain." Cette lettre, ou est-elle? -- La voici, dit le duc de Guise en la tirant de sa poitrine. Marguerite la lui arracha presque des mains, l'ouvrit avidement, s'assura que c'etait bien celle qu'elle reclamait, poussa une exclamation de joie et l'approcha de la bougie. La flamme se communiqua aussitot de la meche au papier, qui en un instant fut consume; puis, comme si Marguerite eut craint qu'on put aller chercher l'imprudent avis jusque dans les cendres, elle les ecrasa sous son pied. Le duc de Guise, pendant toute cette fievreuse action, avait suivi des yeux sa maitresse. -- Eh bien, Marguerite, dit-il quand elle eut fini, etes-vous contente maintenant? -- Oui; car, maintenant que vous avez epouse la princesse de Porcian, mon frere me pardonnera votre amour; tandis qu'il ne m'eut pas pardonne la revelation d'un secret comme celui que, dans ma faiblesse pour vous, je n'ai pas eu la puissance de vous cacher. -- C'est vrai, dit le duc de Guise; dans ce temps-la vous m'aimiez. -- Et je vous aime encore, Henri, autant et plus que jamais. -- Vous?... -- Oui, moi; car jamais plus qu'aujourd'hui je n'eus besoin d'un ami sincere et devoue. Reine, je n'ai pas de trone; femme, je n'ai pas de mari. Le jeune prince secoua tristement la tete. -- Mais quand je vous dis, quand je vous repete, Henri, que mon mari non seulement ne m'aime pas, mais qu'il me hait, mais qu'il me meprise; d'ailleurs, il me semble que votre presence dans la chambre ou il devrait etre fait bien preuve de cette haine et de ce mepris. -- Il n'est pas encore tard, madame, et il a fallu au roi de Navarre le temps de congedier ses gentilshommes, et, s'il n'est pas venu, il ne tardera pas a venir. -- Et moi je vous dis, s'ecria Marguerite avec un depit croissant, moi je vous dis qu'il ne viendra pas. -- Madame, s'ecria Gillonne en ouvrant la porte et en soulevant la portiere, madame, le roi de Navarre sort de son appartement. -- Oh! je le savais bien, moi, qu'il viendrait! s'ecria le duc de Guise. -- Henri, dit Marguerite d'une voix breve et en saisissant la main du duc, Henri, vous allez voir si je suis une femme de parole, et si l'on peut compter sur ce que j'ai promis une fois. Henri, entrez dans ce cabinet. -- Madame, laissez-moi partir s'il en est temps encore, car songez qu'a la premiere marque d'amour qu'il vous donne je sors de ce cabinet, et alors malheur a lui! -- Vous etes fou! entrez, entrez, vous dis-je, je reponds de tout. Et elle poussa le duc dans le cabinet. Il etait temps. La porte etait a peine fermee derriere le prince que le roi de Navarre, escorte de deux pages qui portaient huit flambeaux de cire jaune sur deux candelabres, apparut souriant sur le seuil de la chambre. Marguerite cacha son trouble en faisant une profonde reverence. -- Vous n'etes pas encore au lit, madame? demanda le Bearnais avec sa physionomie ouverte et joyeuse; m'attendiez-vous, par hasard? -- Non, monsieur, repondit Marguerite, car hier encore vous m'avez dit que vous saviez bien que notre mariage etait une alliance politique, et que vous ne me contraindriez jamais. -- A la bonne heure; mais ce n'est point une raison pour ne pas causer quelque peu ensemble. Gillonne, fermez la porte et laissez- nous. Marguerite, qui etait assise, se leva, et etendit la main comme pour ordonner aux pages de rester. -- Faut-il que j'appelle vos femmes? demanda le roi. Je le ferai si tel est votre desir, quoique je vous avoue que, pour les choses que j'ai a vous dire, j'aimerais mieux que nous fussions en tete- a-tete. Et le roi de Navarre s'avanca vers le cabinet. -- Non! s'ecria Marguerite en s'elancant au-devant de lui avec impetuosite; non, c'est inutile, et je suis prete a vous entendre. Le Bearnais savait ce qu'il voulait savoir; il jeta un regard rapide et profond vers le cabinet, comme s'il eut voulu, malgre la portiere qui le voilait, penetrer dans ses plus sombres profondeurs; puis, ramenant ses regards sur sa belle epousee pale de terreur: -- En ce cas, madame, dit-il d'une voix parfaitement calme, causons donc un instant. -- Comme il plaira a Votre Majeste, dit la jeune femme en retombant plutot qu'elle ne s'assit sur le siege que lui indiquait son mari. Le Bearnais se placa pres d'elle. -- Madame, continua-t-il, quoi qu'en aient dit bien des gens, notre mariage est, je le pense, un bon mariage. Je suis bien a vous et vous etes bien a moi. -- Mais..., dit Marguerite effrayee. -- Nous devons en consequence, continua le roi de Navarre sans paraitre remarquer l'hesitation de Marguerite, agir l'un avec l'autre comme de bons allies, puisque nous nous sommes aujourd'hui jure alliance devant Dieu. N'est-ce pas votre avis? -- Sans doute, monsieur. -- Je sais, madame, combien votre penetration est grande, je sais combien le terrain de la cour est seme de dangereux abimes; or, je suis jeune, et, quoique je n'aie jamais fait de mal a personne, j'ai bon nombre d'ennemis. Dans quel camp, madame, dois-je ranger celle qui porte mon nom et qui m'a jure affection au pied de l'autel? -- Oh! monsieur, pourriez-vous penser... -- Je ne pense rien, madame, j'espere, et je veux m'assurer que mon esperance est fondee. Il est certain que notre mariage n'est qu'un pretexte ou qu'un piege. Marguerite tressaillit, car peut-etre aussi cette pensee s'etait- elle presentee a son esprit. -- Maintenant, lequel des deux? continua Henri de Navarre. Le roi me hait, le duc d'Anjou me hait, le duc d'Alencon me hait, Catherine de Medicis haissait trop ma mere pour ne point me hair. -- Oh! monsieur, que dites-vous? -- La verite, madame, reprit le roi, et je voudrais, afin qu'on ne crut pas que je suis dupe de l'assassinat de M. de Mouy et de l'empoisonnement de ma mere, je voudrais qu'il y eut ici quelqu'un qui put m'entendre. -- Oh! monsieur, dit vivement Marguerite, et de l'air le plus calme et le plus souriant qu'elle put prendre, vous savez bien qu'il n'y a ici que vous et moi. -- Et voila justement ce qui fait que je m'abandonne, voila ce qui fait que j'ose vous dire que je ne suis dupe ni des caresses que me fait la maison de France, ni de celles que me fait la maison de Lorraine. -- Sire! Sire! s'ecria Marguerite. -- Eh bien, qu'y a-t-il, ma mie? demanda Henri souriant a son tour. -- Il y a, monsieur, que de pareils discours sont bien dangereux. -- Non, pas quand on est en tete-a-tete, reprit le roi. Je vous disais donc... Marguerite etait visiblement au supplice; elle eut voulu arreter chaque parole sur les levres du Bearnais; mais Henri continua avec son apparente bonhomie: -- Je vous disais donc que j'etais menace de tous cotes, menace par le roi, menace par le duc d'Alencon, menace par le duc d'Anjou, menace par la reine mere, menace par le duc de Guise, par le duc de Mayenne, par le cardinal de Lorraine, menace par tout le monde, enfin. On sent cela instinctivement; vous le savez, madame. Eh bien! contre toutes ces menaces qui ne peuvent tarder de devenir des attaques, je puis me defendre avec votre secours; car vous etes aimee, vous, de toutes les personnes qui me detestent. -- Moi? dit Marguerite. -- Oui, vous, reprit Henri de Navarre avec une bonhomie parfaite; oui, vous etes aimee du roi Charles; vous etes aimee, il appuya sur le mot, du duc d'Alencon; vous etes aimee de la reine Catherine; enfin, vous etes aimee du duc de Guise. -- Monsieur..., murmura Marguerite. -- Eh bien! qu'y a-t-il donc d'etonnant que tout le monde vous aime? ceux que je viens de vous nommer sont vos freres ou vos parents. Aimer ses parents ou ses freres, c'est vivre selon le coeur de Dieu. -- Mais enfin, reprit Marguerite oppressee, ou voulez-vous en venir, monsieur? -- J'en veux venir a ce que je vous ai dit; c'est que si vous vous faites, je ne dirai pas mon amie, mais mon alliee, je puis tout braver; tandis qu'au contraire, si vous vous faites mon ennemie, je suis perdu. -- Oh! votre ennemie, jamais, monsieur! s'ecria Marguerite. -- Mais mon amie, jamais non plus?... -- Peut-etre. -- Et mon alliee? -- Certainement. Et Marguerite se retourna et tendit la main au roi. Henri la prit, la baisa galamment, et la gardant dans les siennes bien plus dans un desir d'investigation que par un sentiment de tendresse: -- Eh bien, je vous crois, madame, dit-il, et vous accepte pour alliee. Ainsi donc on nous a maries sans que nous nous connussions, sans que nous nous aimassions; on nous a maries sans nous consulter, nous qu'on mariait. Nous ne nous devons donc rien comme mari et femme. Vous voyez, madame, que je vais au-devant de vos voeux, et que je vous confirme ce soir ce que je vous disais hier. Mais nous, nous nous allions librement, sans que personne nous y force, nous, nous allions comme deux coeurs loyaux qui se doivent protection mutuelle et s'allient; c'est bien comme cela que vous l'entendez? -- Oui, monsieur, dit Marguerite en essayant de retirer sa main. -- Eh bien, continua le Bearnais les yeux toujours fixes sur la porte du cabinet, comme la premiere preuve d'une alliance franche est la confiance la plus absolue, je vais, madame, vous raconter dans ses details les plus secrets le plan que j'ai forme a l'effet de combattre victorieusement toutes ces inimities. -- Monsieur..., murmura Marguerite en tournant a son tour et malgre elle les yeux vers le cabinet, tandis que le Bearnais, voyant sa ruse reussir, souriait dans sa barbe. -- Voici donc ce que je vais faire, continua-t-il sans paraitre remarquer le trouble de la jeune femme; je vais... -- Monsieur, s'ecria Marguerite en se levant vivement et en saisissant le roi par le bras, permettez que je respire; l'emotion... la chaleur... j'etouffe. En effet Marguerite etait pale et tremblante comme si elle allait se laisser choir sur le tapis. Henri marcha droit a une fenetre situee a bonne distance et l'ouvrit. Cette fenetre donnait sur la riviere. Marguerite le suivit. -- Silence! silence! Sire! par pitie pour vous, murmura-t-elle. -- Eh! madame, fit le Bearnais en souriant a sa maniere, ne m'avez-vous pas dit que nous etions seuls? -- Oui, monsieur; mais n'avez-vous pas entendu dire qu'a l'aide d'une sarbacane, introduite a travers un plafond ou a travers un mur, on peut tout entendre? -- Bien, madame, bien, dit vivement et tout bas le Bearnais. Vous ne m'aimez pas, c'est vrai; mais vous etes une honnete femme. -- Que voulez-vous dire, monsieur? -- Je veux dire que si vous etiez capable de me trahir, vous m'eussiez laisse continuer puisque je me trahissais tout seul. Vous m'avez arrete. Je sais maintenant que quelqu'un est cache ici; que vous etes une epouse infidele, mais une fidele alliee, et dans ce moment-ci, ajouta le Bearnais en souriant, j'ai plus besoin, je l'avoue, de fidelite en politique qu'en amour... -- Sire..., murmura Marguerite confuse. -- Bon, bon, nous parlerons de tout cela plus tard, dit Henri, quand nous nous connaitrons mieux. Puis, haussant la voix: -- Eh bien, continua-t-il, respirez-vous plus librement a cette heure, madame? -- Oui, Sire, oui, murmura Marguerite. -- En ce cas reprit le Bearnais, je ne veux pas vous importuner plus longtemps. Je vous devais mes respects et quelques avances de bonne amitie; veuillez les accepter comme je vous les offre, de tout mon coeur. Reposez-vous donc et bonne nuit. Marguerite leva sur son mari un oeil brillant de reconnaissance et a son tour lui tendit la main. -- C'est convenu, dit-elle. -- Alliance politique, franche et loyale? demanda Henri. -- Franche et loyale, repondit la reine. Alors le Bearnais marcha vers la porte, attirant du regard Marguerite comme fascinee. Puis, lorsque la portiere fut retombee entre eux et la chambre a coucher: -- Merci, Marguerite, dit vivement Henri a voix basse, merci! Vous etes une vraie fille de France. Je pars tranquille. A defaut de votre amour, votre amitie ne me fera pas defaut. Je compte sur vous, comme de votre cote vous pouvez compter sur moi. Adieu, madame. Et Henri baisa la main de sa femme en la pressant doucement; puis, d'un pas agile, il retourna chez lui en se disant tout bas dans le corridor: -- Qui diable est chez elle? Est-ce le roi, est-ce le duc d'Anjou, est-ce le duc d'Alencon, est-ce le duc de Guise, est-ce un frere, est-ce un amant, est-ce l'un et l'autre? En verite, je suis presque fache d'avoir demande maintenant ce rendez-vous a la baronne; mais puisque je lui ai engage ma parole et que Dariole m'attend... n'importe; elle perdra un peu, j'en ai peur, a ce que j'ai passe par la chambre a coucher de ma femme pour aller chez elle, car, ventre-saint-gris! cette Margot, comme l'appelle mon beau-frere Charles IX, est une adorable creature. Et d'un pas dans lequel se trahissait une legere hesitation Henri de Navarre monta l'escalier qui conduisait a l'appartement de madame de Sauve. Marguerite l'avait suivi des yeux jusqu'a ce qu'il eut disparu, et alors elle etait rentree dans sa chambre. Elle trouva le duc a la porte du cabinet: cette vue lui inspira presque un remords. De son cote le duc etait grave, et son sourcil fronce denoncait une amere preoccupation. -- Marguerite est neutre aujourd'hui, dit-il, Marguerite sera hostile dans huit jours. -- Ah! vous avez ecoute? dit Marguerite. -- Que vouliez-vous que je fisse dans ce cabinet? -- Et vous trouvez que je me suis conduite autrement que devait se conduire la reine de Navarre? -- Non, mais autrement que devait se conduire la maitresse du duc de Guise. -- Monsieur, repondit la reine, je puis ne pas aimer mon mari, mais personne n'a le droit d'exiger de moi que je le trahisse. De bonne foi, trahiriez-vous le secret de la princesse de Porcian, votre femme? -- Allons, allons, madame, dit le duc en secouant la tete, c'est bien. Je vois que vous ne m'aimez plus comme aux jours ou vous me racontiez ce que tramait le roi contre moi et les miens. -- Le roi etait le fort et vous etiez les faibles. Henri est le faible et vous etes les forts. Je joue toujours le meme role, vous le voyez bien. -- Seulement vous passez d'un camp a l'autre. -- C'est un droit que j'ai acquis, monsieur, en vous sauvant la vie. -- Bien, madame; et comme quand on se separe on se rend entre amants tout ce qu'on s'est donne, je vous sauverai la vie a mon tour, si l'occasion s'en presente, et nous serons quittes. Et sur ce le duc s'inclina et sortit sans que Marguerite fit un geste pour le retenir. Dans l'antichambre il trouva Gillonne, qui le conduisit jusqu'a la fenetre du rez-de-chaussee, et dans les fosses son page avec lequel il retourna a l'hotel de Guise. Pendant ce temps, Marguerite, reveuse, alla se placer a sa fenetre. -- Quelle nuit de noces! murmura-t-elle; l'epoux me fuit et l'amant me quitte! En ce moment passa de l'autre cote du fosse, venant de la Tour du Bois, et remontant vers le moulin de la Monnaie, un ecolier le poing sur la hanche et chantant: _Pourquoi doncques, quand je veux_ _Ou mordre tes beaux cheveux,_ _Ou baiser ta bouche aimee,_ _Ou toucher a ton beau sein,_ _Contrefais-tu la nonnain_ _Dedans un cloitre enfermee?_ _Pour qui gardes-tu tes yeux_ _Et ton sein delicieux,_ _Ton front, ta levre jumelle?_ _En veux-tu baiser Pluton,_ _La-bas, apres que Caron_ _T'aura mise en sa nacelle?_ _Apres ton dernier trepas,_ _Belle, tu n'auras la-bas_ _Qu'une bouchette blemie;_ _Et quand, mort, je te verrai,_ _Aux ombres je n'avouerai_ _Que jadis tu fus ma mie._ _Doncques, tandis que tu vis,_ _Change, maitresse, d'avis,_ _Et ne m'epargne ta bouche;_ _Car au jour ou tu mourras,_ _Lors tu te repentiras_ _De m'avoir ete farouche._ Marguerite ecouta cette chanson en souriant avec melancolie; puis, lorsque la voix de l'ecolier se fut perdue dans le lointain, elle referma la fenetre et appela Gillonne pour l'aider a se mettre au lit. III Un roi poete Le lendemain et les jours qui suivirent se passerent en fetes, ballets et tournois. La meme fusion continuait de s'operer entre les deux partis. C'etaient des caresses et des attendrissements a faire perdre la tete aux plus enrages huguenots. On avait vu le pere Cotton diner et faire debauche avec le baron de Courtaumer, le duc de Guise remonter la Seine en bateau de symphonie avec le prince de Conde. Le roi Charles paraissait avoir fait divorce avec sa melancolie habituelle, et ne pouvait plus se passer de son beau-frere Henri. Enfin la reine mere etait si joyeuse et si occupee de broderies, de joyaux et de panaches, qu'elle en perdait le sommeil. Les huguenots, quelque peu amollis par cette Capoue nouvelle, commencaient a revetir les pourpoints de soie, a arborer les devises et a parader devant certains balcons comme s'ils eussent ete catholiques. De tous cotes c'etait une reaction en faveur de la religion reformee, a croire que toute la cour allait se faire protestante. L'amiral lui-meme, malgre son experience, s'y etait laisse prendre comme les autres, et il en avait la tete tellement montee, qu'un soir il avait oublie, pendant deux heures, de macher son cure-dent, occupation a laquelle il se livrait d'ordinaire depuis deux heures de l'apres-midi, moment ou son diner finissait, jusqu'a huit heures du soir, moment auquel il se remettait a table pour souper. Le soir ou l'amiral s'etait laisse aller a cet incroyable oubli de ses habitudes, le roi Charles IX avait invite a gouter avec lui, en petit comite, Henri de Navarre et le duc de Guise. Puis, la collation terminee, il avait passe avec eux dans sa chambre, et la il leur expliquait l'ingenieux mecanisme d'un piege a loups qu'il avait invente lui-meme, lorsque, s'interrompant tout a coup: -- Monsieur l'amiral ne vient-il donc pas ce soir? demanda-t-il; qui l'a apercu aujourd'hui et qui peut me donner de ses nouvelles? -- Moi, dit le roi de Navarre, et au cas ou Votre Majeste serait inquiete de sa sante, je pourrais la rassurer, car je l'ai vu ce matin a six heures et ce soir a sept. -- Ah! ah! fit le roi, dont les yeux un instant distraits se reposerent avec une curiosite percante sur son beau-frere, vous etes bien matineux, Henriot, pour un jeune marie! -- Oui, Sire, repondit le roi de Bearn, je voulais savoir de l'amiral, qui sait tout, si quelques gentilshommes que j'attends encore ne sont point en route pour venir. -- Des gentilshommes encore! vous en aviez huit cents le jour de vos noces, et tous les jours il en arrive de nouveaux, voulez-vous donc nous envahir? dit Charles IX en riant. Le duc de Guise fronca le sourcil. -- Sire, repliqua le Bearnais, on parle d'une entreprise sur les Flandres, et je reunis autour de moi tous ceux de mon pays et des environs que je crois pouvoir etre utiles a Votre Majeste. Le duc, se rappelant le projet dont le Bearnais avait parle a Marguerite le jour de ses noces, ecouta plus attentivement. -- Bon! bon! repondit le roi avec son sourire fauve, plus il y en aura, plus nous serons contents; amenez, amenez, Henri. Mais qui sont ces gentilshommes? des vaillants, j'espere? -- J'ignore, Sire, si mes gentilshommes vaudront jamais ceux de Votre Majeste, ceux de monsieur le duc d'Anjou ou ceux de monsieur de Guise, mais je les connais et sais qu'ils feront de leur mieux. -- En attendez-vous beaucoup? -- Dix ou douze encore. -- Vous les appelez? -- Sire, leurs noms m'echappent, et, a l'exception de l'un d'eux, qui m'est recommande par Teligny comme un gentilhomme accompli et qui s'appelle de la Mole, je ne saurais dire... -- De la Mole! n'est-ce point un Lerac de La Mole, reprit le roi fort verse dans la science genealogique, un Provencal? -- Precisement, Sire; comme vous voyez, je recrute jusqu'en Provence. -- Et moi, dit le duc de Guise avec un sourire moqueur, je vais plus loin encore que Sa Majeste le roi de Navarre, car je vais chercher jusqu'en Piemont tous les catholiques surs que j'y puis trouver. -- Catholiques ou huguenots, interrompit le roi, peu m'importe, pourvu qu'ils soient vaillants. Le roi, pour dire ces paroles qui, dans son esprit, melaient huguenots et catholiques, avait pris une mine si indifferente que le duc de Guise en fut etonne lui-meme. -- Votre Majeste s'occupe de nos Flamands? dit l'amiral a qui le roi, depuis quelques jours, avait accorde la faveur d'entrer chez lui sans etre annonce, et qui venait d'entendre les dernieres paroles du roi. -- Ah! voici mon pere l'amiral, s'ecria Charles IX en ouvrant les bras; on parle de guerre, de gentilshommes, de vaillants, et il arrive; ce que c'est que l'aimant, le fer s'y tourne; mon beau- frere de Navarre et mon cousin de Guise attendent des renforts pour votre armee. Voila ce dont il etait question. -- Et ces renforts arrivent, dit l'amiral. -- Avez-vous eu des nouvelles, monsieur? demanda le Bearnais. -- Oui, mon fils, et particulierement de M. de La Mole; il etait hier a Orleans, et sera demain ou apres-demain a Paris. -- Peste! monsieur l'amiral est donc necromant, pour savoir ainsi ce qui se fait a trente ou quarante lieues de distance! Quant a moi, je voudrais bien savoir avec pareille certitude ce qui se passa ou ce qui s'est passe devant Orleans! Coligny resta impassible a ce trait sanglant du duc de Guise, lequel faisait evidemment allusion a la mort de Francois de Guise, son pere, tue devant Orleans par Poltrot de Mere, non sans soupcon que l'amiral eut conseille le crime. -- Monsieur, repliqua-t-il froidement et avec dignite, je suis necromant toutes les fois que je veux savoir bien positivement ce qui importe a mes affaires ou a celles du roi. Mon courrier est arrive d'Orleans il y a une heure, et, grace a la poste, a fait trente-deux lieues dans la journee. M. de La Mole, qui voyage sur son cheval, n'en fait que dix par jour, lui, et arrivera seulement le 24. Voila toute la magie. -- Bravo, mon pere! bien repondu, dit Charles IX. Montrez a ces jeunes gens que c'est la sagesse en meme temps que l'age qui ont fait blanchir votre barbe et vos cheveux: aussi allons-nous les envoyer parler de leurs tournois et de leurs amours, et rester ensemble a parler de nos guerres. Ce sont les bons cavaliers qui font les bons rois, mon pere. Allez, messieurs, j'ai a causer avec l'amiral. Les deux jeunes gens sortirent, le roi de Navarre d'abord, le duc de Guise ensuite; mais, hors de la porte, chacun tourna de son cote apres une froide reverence. Coligny les avait suivis des yeux avec une certaine inquietude, car il ne voyait jamais rapprocher ces deux haines sans craindre qu'il n'en jaillit quelque nouvel eclair. Charles IX comprit ce qui se passait dans son esprit, vint a lui, et appuyant son bras au sien: -- Soyez tranquille, mon pere, je suis la pour maintenir chacun dans l'obeissance et le respect. Je suis veritablement roi depuis que ma mere n'est plus reine, et elle n'est plus reine depuis que Coligny est mon pere. -- Oh! Sire, dit l'amiral, la reine Catherine... -- Est une brouillonne. Avec elle il n'y a pas de paix possible. Ces catholiques italiens sont enrages et n'entendent rien qu'a exterminer. Moi, tout au contraire, non seulement je veux pacifier, mais encore je veux donner de la puissance a ceux de la religion. Les autres sont trop dissolus, mon pere, et ils me scandalisent par leurs amours et par leurs dereglements. Tiens, veux-tu que je te parle franchement, continua Charles IX en redoublant d'epanchement, je me defie de tout ce qui m'entoure, excepte de mes nouveaux amis! L'ambition des Tavannes m'est suspecte. Vieilleville n'aime que le bon vin, et il serait capable de trahir son roi pour une tonne de malvoisie. Montmorency ne se soucie que de la chasse, et passe son temps entre ses chiens et ses faucons. Le comte de Retz est Espagnol, les Guises sont Lorrains: il n'y a de vrais Francais en France, je crois, Dieu me pardonne! que moi, mon beau-frere de Navarre et toi. Mais, moi, je suis enchaine au trone et ne puis commander des armees. C'est tout au plus si on me laisse chasser a mon aise a Saint-Germain et a Rambouillet. Mon beau-frere de Navarre est trop jeune et trop peu experimente. D'ailleurs, il me semble en tout point tenir de son pere Antoine que les femmes ont toujours perdu. Il n'y a que toi, mon pere, qui sois a la fois brave comme Julius Cesar, et sage comme Plato. Aussi, je ne sais ce que je dois faire, en verite: te garder comme conseiller ici, ou t'envoyer la-bas comme general. Si tu me conseilles, qui commandera? Si tu commandes, qui me conseillera? -- Sire, dit Coligny, il faut vaincre d'abord, puis le conseil viendra apres la victoire. -- C'est ton avis, mon pere? eh bien, soit. Il sera fait selon ton avis. Lundi tu partiras pour les Flandres, et moi, pour Amboise. -- Votre Majeste quitte Paris? -- Oui. Je suis fatigue de tout ce bruit et de toutes ces fetes. Je ne suis pas un homme d'action, moi, je suis un reveur. Je n'etais pas ne pour etre roi, j'etais ne pour etre poete. Tu feras une espece de conseil qui gouvernera tant que tu seras a la guerre; et pourvu que ma mere n'en soit pas, tout ira bien. Moi, j'ai deja prevenu Ronsard de venir me rejoindre; et la, tous les deux loin du bruit, loin du monde, loin des mechants, sous nos grands bois, aux bords de la riviere, au murmure des ruisseaux, nous parlerons des choses de Dieu, seule compensation qu'il y ait en ce monde aux choses des hommes. Tiens, ecoute ces vers, par lesquels je l'invite a me rejoindre; je les ai faits ce matin. Coligny sourit. Charles IX passa sa main sur son front jaune et poli comme de l'ivoire, et dit avec une espece de chant cadence les vers suivants: _Ronsard, je connais bien que si tu ne me vois_ _Tu oublies soudain de ton grand roi la voix,_ _Mais, pour ton souvenir, pense que je n'oublie_ _Continuer toujours d'apprendre en poesie,_ _Et pour ce j'ai voulu t'envoyer cet ecrit,_ _Pour enthousiasmer ton fantastique esprit._ _Donc ne t'amuse plus aux soins de ton menage,_ _Maintenant n'est plus temps de faire jardinage;_ _Il faut suivre ton roi, qui t'aime par sus tous,_ _Pour les vers qui de toi coulent braves et doux,_ _Et crois, si tu ne viens me trouver a Amboise,_ _Qu'entre nous adviendra une bien grande noise._ _-- _Bravo! Sire, bravo! dit Coligny; je me connais mieux en choses de guerre qu'en choses de poesie, mais il me semble que ces vers valent les plus beaux que fassent Ronsard, Dorat et meme Michel de l'Hospital, chancelier de France. -- Ah! mon pere! s'ecria Charles IX, que ne dis-tu vrai! car le titre de poete, vois-tu, est celui que j'ambitionne avant toutes choses; et, comme je le disais il y a quelques jours a mon maitre en poesie: _L'art de faire des vers, dut-on s'en indigner, Doit etre a plus haut prix que celui de regner; Tous deux egalement nous portons des couronnes: Mais roi, je les recus, poete, tu les donnes; Ton esprit, enflamme d'une celeste ardeur, Eclate par soi-meme et moi par ma grandeur. Si du cote des dieux je cherche l'avantage, Ronsard est leur mignon et je suis leur image. Ta lyre, qui ravit par de si doux accords, Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps; Elle t'en rend le maitre et te fait introduire Ou le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire._ _-- _Sire, dit Coligny, je savais bien que Votre Majeste s'entretenait avec les Muses, mais j'ignorais qu'elle en eut fait son principal conseil. -- Apres toi, mon pere, apres toi; et c'est pour ne pas me troubler dans mes relations avec elles que je veux te mettre a la tete de toutes choses. Ecoute donc: il faut en ce moment que je reponde a un nouveau madrigal que mon grand et cher poete m'a envoye... je ne puis donc te donner a cette heure tous les papiers qui sont necessaires pour te mettre au courant de la grande question qui nous divise, Philippe II et moi. Il y a, en outre, une espece de plan de campagne qui avait ete fait par mes ministres. Je te chercherai tout cela et je te le remettrai demain matin. -- A quelle heure, Sire? -- A dix heures; et si par hasard j'etais occupe de vers, si j'etais enferme dans mon cabinet de travail... eh bien, tu entrerais tout de meme, et tu prendrais tous les papiers que tu trouverais sur cette table, enfermes dans ce portefeuille rouge; la couleur est eclatante, et tu ne t'y tromperas pas; moi, je vais ecrire a Ronsard. -- Adieu, Sire. -- Adieu, mon pere. -- Votre main? -- Que dis-tu, ma main? dans mes bras, sur mon coeur, c'est la ta place. Viens, mon vieux guerrier, viens. Et Charles IX, attirant a lui Coligny qui s'inclinait, posa ses levres sur ses cheveux blancs. L'amiral sortit en essuyant une larme. Charles IX le suivit des yeux tant qu'il put le voir, tendit l'oreille tant qu'il put l'entendre; puis, lorsqu'il ne vit et n'entendit plus rien, il laissa, comme c'etait son habitude, retomber sa tete pale sur son epaule, et passa lentement de la chambre ou il se trouvait dans son cabinet d'armes. Ce cabinet etait la demeure favorite du roi; c'etait la qu'il prenait ses lecons d'escrime avec Pompee, et ses lecons de poesie avec Ronsard. Il y avait reuni une grande collection d'armes offensives et defensives des plus belles qu'il avait pu trouver. Aussi toutes les murailles etaient tapissees de haches, de boucliers, de piques, de hallebardes, de pistolets et de mousquetons, et le jour meme un celebre armurier lui avait apporte une magnifique arquebuse sur le canon de laquelle etaient incrustes en argent ces quatre vers que le poete royal avait composes lui-meme: _Pour maintenir la foy,_ _Je suis belle et fidele;_ _Aux ennemis du roy_ _Je suis belle et cruelle._ Charles IX entra donc, comme nous l'avons dit, dans ce cabinet, et, apres avoir ferme la porte principale par laquelle il etait entre, il alla soulever une tapisserie qui masquait un passage donnant sur une chambre ou une femme agenouillee devant un prie- Dieu disait ses prieres. Comme ce mouvement s'etait fait avec lenteur et que les pas du roi, assourdis par le tapis, n'avaient pas eu plus de retentissement que ceux d'un fantome, la femme agenouillee, n'ayant rien entendu, ne se retourna point et continua de prier, Charles demeura un instant debout, pensif et la regardant. C'etait une femme de trente-quatre a trente-cinq ans, dont la beaute vigoureuse etait relevee par le costume des paysannes des environs de Caux. Elle portait le haut bonnet qui avait ete si fort a la mode a la Cour de France pendant le regne d'Isabeau de Baviere, et son corsage rouge etait tout brode d'or, comme le sont aujourd'hui les corsages des contadines de Nettuno et de Sora. L'appartement qu'elle occupait depuis tantot vingt ans etait contigu a la chambre a coucher du roi, et offrait un singulier melange d'elegance et de rusticite. C'est qu'en proportion a peu pres egale, le palais avait deteint sur la chaumiere, et la chaumiere sur le palais. De sorte que cette chambre tenait un milieu entre la simplicite de la villageoise et le luxe de la grande dame. En effet, le prie-Dieu sur lequel elle etait agenouillee etait de bois de chene merveilleusement sculpte, recouvert de velours a crepines d'or; tandis que la bible, car cette femme etait de la religion reformee, tandis que la bible dans laquelle elle lisait ses prieres etait un de ces vieux livres a moitie dechires, comme on en trouve dans les plus pauvres maisons. Or, tout etait a l'avenant de ce prie-Dieu et de cette bible. -- Eh! Madelon! dit le roi. La femme agenouillee releva la tete en souriant, a cette voix familiere; puis, se levant: -- Ah! c'est toi, mon fils! dit-elle. -- Oui, nourrice, viens ici. Charles IX laissa retomber la portiere et alla s'asseoir sur le bras du fauteuil. La nourrice parut. -- Que me veux-tu, Charlot? dit-elle. -- Viens ici et reponds tout bas. La nourrice s'approcha avec cette familiarite qui pouvait venir de cette tendresse maternelle que la femme concoit pour l'enfant qu'elle a allaite, mais a laquelle les pamphlets du temps donnent une source infiniment moins pure. -- Me voila, dit-elle, parle. -- L'homme que j'ai fait demander est-il la? -- Depuis une demi-heure. Charles se leva, s'approcha de la fenetre, regarda si personne n'etait aux aguets, s'approcha de la porte, tendit l'oreille pour s'assurer que personne n'etait aux ecoutes, secoua la poussiere de ses trophees d'armes, caressa un grand levrier qui le suivait pas a pas, s'arretant quand son maitre s'arretait, reprenant sa marche quand son maitre se remettait en mouvement; puis, revenant a sa nourrice: -- C'est bon, nourrice, fais-le entrer. La bonne femme sortit par le meme passage qui lui avait donne entree, tandis que le roi allait s'appuyer a une table sur laquelle etaient posees des armes de toute espece. Il y etait a peine, que la portiere se souleva de nouveau et donna passage a celui qu'il attendait. C'etait un homme de quarante ans a peu pres, a l'oeil gris et faux, au nez recourbe en bec de chat-huant, au facies elargi par des pommettes saillantes: son visage essaya d'exprimer le respect et ne put fournir qu'un sourire hypocrite sur ses levres blemies par la peur. Charles allongea doucement derriere lui une main qui se porta sur un pommeau de pistolet de nouvelle invention, et qui partait a l'aide d'une pierre mise en contact avec une roue d'acier, au lieu de partir a l'aide d'une meche, et regarda de son oeil terne le nouveau personnage que nous venons de mettre en scene; pendant cet examen il sifflait avec une justesse et meme avec une melodie remarquable un de ses airs de chasse favoris. Apres quelques secondes, pendant lesquelles le visage de l'etranger se decomposa de plus en plus: -- C'est bien vous, dit le roi, que l'on nomme Francois de Louviers-Maurevel? -- Oui, Sire. -- Commandant des petardiers? -- Oui, Sire. -- J'ai voulu vous voir. Maurevel s'inclina. -- Vous savez, continua Charles en appuyant sur chaque mot, que j'aime egalement tous mes sujets. -- Je sais, balbutia Maurevel, que Votre Majeste est le pere de son peuple. -- Et que huguenots et catholiques sont egalement mes enfants. Maurevel resta muet; seulement, le tremblement qui agitait son corps devint visible au regard percant du roi, quoique celui auquel il adressait la parole fut presque cache dans l'ombre. -- Cela vous contrarie, continua le roi, vous qui avez fait une si rude guerre aux huguenots? Maurevel tomba a genoux. -- Sire, balbutia-t-il, croyez bien... -- Je crois, continua Charles IX en arretant de plus en plus sur Maurevel un regard qui, de vitreux qu'il etait d'abord, devenait presque flamboyant; je crois que vous aviez bien envie de tuer a Moncontour M. l'amiral qui sort d'ici; je crois que vous avez manque votre coup, et qu'alors vous etes passe dans l'armee du duc d'Anjou, notre frere; enfin, je crois qu'alors vous etes passe une seconde fois chez les princes, et que vous y avez pris du service dans la compagnie de M. de Mouy de Saint-Phale... -- Oh! Sire! -- Un brave gentilhomme picard? -- Sire, Sire, s'ecria Maurevel, ne m'accablez pas! -- C'etait un digne officier, continua Charles IX, -- et au fur et a mesure qu'il parlait, une expression de cruaute presque feroce se peignait sur son visage, -- lequel vous accueillit comme un fils, vous logea, vous habilla, vous nourrit. Maurevel laissa echapper un soupir de desespoir. -- Vous l'appeliez votre pere, je crois, continua impitoyablement le roi, et une tendre amitie vous liait au jeune de Mouy, son fils? Maurevel, toujours a genoux, se courbait de plus en plus, ecrase sous la parole de Charles IX, debout, impassible et pareil a une statue dont les levres seules eussent ete douees de vie. -- A propos continua le roi, n'etait-ce pas dix mille ecus que vous deviez toucher de M. de Guise au cas ou vous tueriez l'amiral? L'assassin, consterne, frappait le parquet de son front. -- Quant au sieur de Mouy, votre bon pere, un jour vous l'escortiez dans une reconnaissance qu'il poussait vers Chevreux. Il laissa tomber son fouet et mit pied a terre pour le ramasser. Vous etiez seul avec lui, alors vous prites un pistolet dans vos fontes, et, tandis qu'il se penchait, vous lui brisates les reins; puis le voyant mort, car vous le tuates du coup, vous prites la fuite sur le cheval qu'il vous avait donne. Voila l'histoire, je crois? Et comme Maurevel demeurait muet sous cette accusation, dont chaque detail etait vrai, Charles IX se remit a siffler avec la meme justesse et la meme melodie le meme air de chasse. -- Or la, maitre assassin, dit-il au bout d'un instant, savez-vous que j'ai grande envie de vous faire pendre? -- Oh! Majeste! s'ecria Maurevel. -- Le jeune de Mouy m'en suppliait encore hier, et en verite je ne savais que lui repondre, car sa demande est fort juste. Maurevel joignit les mains. -- D'autant plus juste que, comme vous le disiez, je suis le pere de mon peuple, et que, comme je vous repondais, maintenant que me voila raccommode avec les huguenots ils sont tout aussi bien mes enfants que les catholiques. -- Sire, dit Maurevel completement decourage, ma vie est entre vos mains, faites-en ce que vous voudrez. -- Vous avez raison, et je n'en donnerais pas une obole. -- Mais, Sire, demanda l'assassin, n'y a-t-il donc pas un moyen de racheter mon crime? -- Je n'en connais guere. Toutefois, si j'etais a votre place, ce qui n'est pas, Dieu merci! ... -- Eh bien, Sire! si vous etiez a ma place?... murmura Maurevel, le regard suspendu aux levres de Charles. -- Je crois que je me tirerais d'affaire, continua le roi. Maurevel se releva sur un genou et sur une main en fixant ses yeux sur Charles pour s'assurer qu'il ne raillait pas. -- J'aime beaucoup le jeune de Mouy, sans doute, continua le roi, mais j'aime beaucoup aussi mon cousin de Guise; et si lui me demandait la vie d'un homme dont l'autre me demanderait la mort, j'avoue que je serais fort embarrasse. Cependant, en bonne politique comme en bonne religion, je devrais faire ce que me demanderait mon cousin de Guise, car de Mouy, tout vaillant capitaine qu'il est, est bien petit compagnon, compare a un prince de Lorraine. Pendant ces paroles, Maurevel se redressait lentement et comme un homme qui revient a la vie. -- Or, l'important pour vous serait donc, dans la situation extreme ou vous etes, de gagner la faveur de mon cousin de Guise; et a ce propos je me rappelle une chose qu'il me contait hier. Maurevel se rapprocha d'un pas. -- "Figurez-vous, Sire, me disait-il, que tous les matins, a dix heures, passe dans la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, revenant du Louvre, mon ennemi mortel; je le vois passer d'une fenetre grillee du rez-de-chaussee; c'est la fenetre du logis de mon ancien precepteur, le chanoine Pierre Piles. Je vois donc passer tous les jours mon ennemi, et tous les jours je prie le diable de l'abimer dans les entrailles de la terre." Dites donc, maitre Maurevel, continua Charles, si vous etiez le diable, ou si du moins pour un instant vous preniez sa place, cela ferait peut-etre plaisir a mon cousin de Guise? Maurevel retrouva son infernal sourire, et ses levres, pales encore d'effroi, laisserent tomber ces mots: -- Mais, Sire, je n'ai pas le pouvoir d'ouvrir la terre, moi. -- Vous l'avez ouverte, cependant, s'il m'en souvient bien, au brave de Mouy. Apres cela, vous me direz que c'est avec un pistolet... Ne l'avez-vous plus, ce pistolet?... -- Pardonnez, Sire, reprit le brigand a peu pres rassure, mais je tire mieux encore l'arquebuse que le pistolet. -- Oh! fit Charles IX, pistolet ou arquebuse, peu importe, et mon cousin de Guise, j'en suis sur, ne chicanera pas sur le choix du moyen! -- Mais, dit Maurevel, il me faudrait une arme sur la justesse de laquelle je pusse compter, car peut-etre me faudra-t-il tirer de loin. -- J'ai dix arquebuses dans cette chambre, reprit Charles IX, avec lesquelles je touche un ecu d'or a cent cinquante pas. Voulez-vous en essayer une? -- Oh! Sire! avec la plus grande joie, s'ecria Maurevel en s'avancant vers celle qui etait deposee dans un coin, et qu'on avait apportee le jour meme a Charles IX. -- Non, pas celle-la, dit le roi, pas celle-la, je la reserve pour moi-meme. J'aurai un de ces jours une grande chasse, ou j'espere qu'elle me servira. Mais toute autre a votre choix. Maurevel detacha une arquebuse d'un trophee. -- Maintenant, cet ennemi, Sire, quel est-il? demanda l'assassin. -- Est-ce que je sais cela, moi? repondit Charles IX en ecrasant le miserable de son regard dedaigneux. -- Je le demanderai donc a M. de Guise, balbutia Maurevel. Le roi haussa les epaules. -- Ne demandez rien, dit-il; M. de Guise ne repondrait pas. Est-ce qu'on repond a ces choses-la? C'est a ceux qui ne veulent pas etre pendus a deviner. -- Mais enfin a quoi le reconnaitrai-je? -- Je vous ai dit que tous les matins a dix heures il passait devant la fenetre du chanoine. -- Mais beaucoup passent devant cette fenetre. Que Votre Majeste daigne seulement m'indiquer un signe quelconque. -- Oh! c'est bien facile. Demain, par exemple, il tiendra sous son bras un portefeuille de maroquin rouge. -- Sire, il suffit. -- Vous avez toujours ce cheval que vous a donne M. de Mouy, et qui court si bien? -- Sire, j'ai un barbe des plus vites. -- Oh! je ne suis pas en peine de vous! seulement il est bon que vous sachiez que le cloitre a une porte de derriere. -- Merci, Sire. Maintenant priez Dieu pour moi. -- Eh! mille demons! priez le diable bien plutot; car ce n'est que par sa protection que vous pouvez eviter la corde. -- Adieu, Sire. -- Adieu. Ah! a propos, monsieur de Maurevel, vous savez que si d'une facon quelconque on entend parler de vous demain avant dix heures du matin, ou si l'on n'en entend pas parler apres, il y a une oubliette au Louvre! Et Charles IX se remit a siffler tranquillement et plus juste que jamais son air favori. IV La soiree du 24 aout 1572 Notre lecteur n'a pas oublie que dans le chapitre precedent il a ete question d'un gentilhomme nomme La Mole, attendu avec quelque impatience par Henri de Navarre. Ce jeune gentilhomme, comme l'avait annonce l'amiral, entrait a Paris par la porte Saint- Marcel vers la fin de la journee du 24 aout 1572, et jetant un regard assez dedaigneux sur les nombreuses hotelleries qui etalaient a sa droite et a sa gauche leurs pittoresques enseignes, laissa penetrer son cheval tout fumant jusqu'au coeur de la ville, ou, apres avoir traverse la place Maubert, le Petit-Pont, le pont Notre-Dame, et longe les quais, il s'arreta au bout de la rue de Bresec, dont nous avons fait depuis la rue de l'Arbre-Sec, et a laquelle, pour la plus grande facilite de nos lecteurs, nous conserverons son nom moderne. Le nom lui plut sans doute, car il y entra, et comme a sa gauche une magnifique plaque de tole grincant sur sa tringle, avec accompagnement de sonnettes, appelait son attention, il fit une seconde halte pour lire ces mots: _A la Belle-Etoile_, ecrits en legende sous une peinture qui representait le simulacre le plus flatteur pour un voyageur affame: c'etait une volaille rotissant au milieu d'un ciel noir, tandis qu'un homme a manteau rouge tendait vers cet astre d'une nouvelle espece ses bras, sa bourse et ses voeux. -- Voila, se dit le gentilhomme, une auberge qui s'annonce bien, et l'hote qui la tient doit etre, sur mon ame, un ingenieux compere. J'ai toujours entendu dire que la rue de l'Arbre-Sec etait dans le quartier du Louvre; et pour peu que l'etablissement reponde a l'enseigne, je serai a merveille ici. Pendant que le nouveau venu se debitait a lui-meme ce monologue, un autre cavalier, entre par l'autre bout de la rue, c'est-a-dire par la rue Saint-Honore, s'arretait et demeurait aussi en extase devant l'enseigne de la Belle-Etoile. Celui des deux que nous connaissons, de nom du moins, montait un cheval blanc de race espagnole, et etait vetu d'un pourpoint noir, garni de jais. Son manteau etait de velours violet fonce: il portait des bottes de cuir noir, une epee a poignee de fer cisele, et un poignard pareil. Maintenant, si nous passons de son costume a son visage, nous dirons que c'etait un homme de vingt-quatre a vingt-cinq ans, au teint basane, aux yeux bleus, a la fine moustache, aux dents eclatantes, qui semblaient eclairer sa figure lorsque s'ouvrait, pour sourire d'un sourire doux et melancolique, une bouche d'une forme exquise et de la plus parfaite distinction. Quant au second voyageur, il formait avec le premier venu un contraste complet. Sous son chapeau, a bords retrousses, apparaissaient, riches et crepus, des cheveux plutot roux que blonds; sous ses cheveux, un oeil gris brillait a la moindre contrariete d'un feu si resplendissant, qu'on eut dit alors un oeil noir. Le reste du visage se composait d'un teint rose, d'une levre mince, surmontee d'une moustache fauve et de dents admirables. C'etait en somme, avec sa peau blanche, sa haute taille et ses larges epaules, un fort beau cavalier dans l'acception ordinaire du mot, et depuis une heure qu'il levait le nez vers toutes les fenetres, sous le pretexte d'y chercher des enseignes, les femmes l'avaient fort regarde; quant aux hommes, qui avaient peut-etre eprouve quelque envie de rire en voyant son manteau etrique, ses chausses collantes et ses bottes d'une forme antique, ils avaient acheve ce rire commence par un _Dieu vous garde! _des plus gracieux, a l'examen de cette physionomie qui prenait en une minute dix expressions differentes, sauf toutefois l'expression bienveillante qui caracterise toujours la figure du provincial embarrasse. Ce fut lui qui s'adressa le premier a l'autre gentilhomme qui, ainsi que nous l'avons dit, regardait l'hotellerie de la Belle- Etoile. -- Mordi! monsieur, dit-il avec cet horrible accent de la montagne qui ferait au premier mot reconnaitre un Piemontais entre cent etrangers, ne sommes-nous pas ici pres du Louvre? En tout cas, je crois que vous avez eu meme gout que moi: c'est flatteur pour ma seigneurie. -- Monsieur, repondit l'autre avec un accent provencal qui ne le cedait en rien a l'accent piemontais de son compagnon, je crois en effet que cette hotellerie est pres du Louvre. Cependant, je me demande encore si j'aurai l'honneur d'avoir ete de votre avis. Je me consulte. -- Vous n'etes pas decide, monsieur? la maison est flatteuse, pourtant. Apres cela, peut-etre me suis-je laisse tenter par votre presence. Avouez neanmoins que voila une jolie peinture? -- Oh! sans doute; mais c'est justement ce qui me fait douter de la realite: Paris est plein de pipeurs, m'a-t-on dit, et l'on pipe avec une enseigne aussi bien qu'avec autre chose. -- Mordi! monsieur, reprit le Piemontais, je ne m'inquiete pas de la piperie, moi, et si l'hote me fournit une volaille moins bien rotie que celle de son enseigne, je le mets a la broche lui-meme et je ne le quitte pas qu'il ne soit convenablement rissole. Entrons, monsieur. -- Vous achevez de me decider, dit le Provencal en riant; montrez- moi donc le chemin, monsieur, je vous prie. -- Oh! monsieur, sur mon ame, je n'en ferai rien, car je ne suis que votre humble serviteur, le comte Annibal de Coconnas. -- Et moi, monsieur, je ne suis que le comte Joseph-Hyacinthe- Boniface de Lerac de la Mole, tout a votre service. -- En ce cas, monsieur, prenons-nous par le bras et entrons ensemble. Le resultat de cette proposition conciliatrice fut que les deux jeunes gens qui descendirent de leurs chevaux en jeterent la bride aux mains d'un palefrenier, se prirent par le bras, et, ajustant leurs epees, se dirigerent vers la porte de l'hotellerie, sur le seuil de laquelle se tenait l'hote. Mais, contre l'habitude de ces sortes de gens, le digne proprietaire n'avait paru faire aucune attention a eux, occupe qu'il etait de conferer tres attentivement avec un grand gaillard sec et jaune enfoui dans un manteau couleur d'amadou, comme un hibou sous ses plumes. Les deux gentilshommes etaient arrives si pres de l'hote et de l'homme au manteau amadou avec lequel il causait, que Coconnas, impatiente de ce peu d'importance qu'on accordait a lui et a son compagnon, tira la manche de l'hote. Celui-ci parut alors se reveiller en sursaut et congedia son interlocuteur par un "Au revoir. Venez tantot, et surtout tenez-moi au courant de l'heure." -- Eh! monsieur le drole, dit Coconnas, ne voyez-vous pas que l'on a affaire a vous? -- Ah! pardon, messieurs, dit l'hote; je ne vous voyais pas. -- Eh! mordi! il fallait nous voir; et maintenant que vous nous avez vus, au lieu de dire "monsieur" tout court, dites "monsieur le comte", s'il vous plait. La Mole se tenait derriere, laissant parler Coconnas, qui paraissait avoir pris l'affaire a son compte. Cependant il etait facile de voir a ses sourcils fronces qu'il etait pret a lui venir en aide quand le moment d'agir serait arrive. -- Eh bien, que desirez-vous, monsieur le comte? demanda l'hote du ton le plus calme. -- Bien... c'est deja mieux, n'est-ce pas? dit Coconnas en se retournant vers La Mole, qui fit de la tete un signe affirmatif. Nous desirons, M. le comte et moi, attires que nous sommes par votre enseigne, trouver a souper et a coucher dans votre hotellerie. -- Messieurs, dit l'hote, je suis au desespoir; mais il n'y a qu'une chambre, et je crains que cela ne puisse vous convenir. -- Eh bien, ma foi, tant mieux, dit La Mole; nous irons loger ailleurs. -- Ah! mais non, mais non, dit Coconnas. Je demeure, moi; mon cheval est harasse. Je prends donc la chambre, puisque vous n'en voulez pas. -- Ah! c'est autre chose, repondit l'hote en conservant toujours le meme flegme impertinent. Si vous n'etes qu'un, je ne puis pas vous loger du tout. -- Mordi! s'ecria Coconnas, voici, sur ma foi! un plaisant animal. Tout a l'heure nous etions trop de deux, maintenant nous ne sommes pas assez d'un! Tu ne veux donc pas nous loger, drole? -- Ma foi, messieurs, puisque vous le prenez sur ce ton, je vous repondrai avec franchise. -- Reponds, alors, mais reponds vite. -- Eh bien, j'aime mieux ne pas avoir l'honneur de vous loger. -- Parce que?... demanda Coconnas blemissant de colere. -- Parce que vous n'avez pas de laquais, et que, pour une chambre de maitre pleine, cela me ferait deux chambres de laquais vides. Or, si je vous donne la chambre de maitre, je risque fort de ne pas louer les autres. -- Monsieur de La Mole, dit Coconnas en se retournant, ne vous semble-t-il pas comme a moi que nous allons massacrer ce gaillard- la? -- Mais c'est faisable, dit La Mole en se preparant comme son compagnon a rouer l'hotelier de coups de fouet. Mais malgre cette double demonstration, qui n'avait rien de bien rassurant de la part de deux gentilshommes qui paraissaient si determines, l'hotelier ne s'etonna point, et se contentant de reculer d'un pas afin d'etre chez lui: -- On voit, dit-il en goguenardant, que ces messieurs arrivent de province. A Paris, la mode est passee de massacrer les aubergistes qui refusent de louer leurs chambres. Ce sont les grands seigneurs qu'on massacre et non les bourgeois, et si vous criez trop fort, je vais appeler mes voisins; de sorte que ce sera vous qui serez roues de coups, traitement tout a fait indigne de deux gentilshommes. -- Mais il se moque de nous, s'ecria Coconnas exaspere, mordi! -- Gregoire, mon arquebuse! dit l'hote en s'adressant a son valet, du meme ton qu'il eut dit: "Un siege a ces messieurs." -- _Trippe del papa_! hurla Coconnas en tirant son epee; mais echauffez-vous donc, monsieur de La Mole! -- Non pas, s'il vous plait, non pas; car tandis que nous nous echaufferons, le souper refroidira, lui. -- Comment! vous trouvez? s'ecria Coconnas. -- Je trouve que M. de la Belle-Etoile a raison; seulement il sait mal prendre ses voyageurs, surtout quand ces voyageurs sont des gentilshommes. Au lieu de nous dire brutalement: Messieurs, je ne veux pas de vous, il aurait mieux fait de nous dire avec politesse: Entrez, messieurs, quitte a mettre sur son memoire: _chambre de maitre, tant; chambre de laquais, tant; _attendu que si nous n'avons pas de laquais nous comptons en prendre. Et, ce disant, La Mole ecarta doucement l'hotelier, qui etendait deja la main vers son arquebuse, fit passer Coconnas et entra derriere lui dans la maison. -- N'importe, dit Coconnas, j'ai bien de la peine a remettre mon epee dans le fourreau avant de m'etre assure qu'elle pique aussi bien que les lardoires de ce gaillard-la. -- Patience, mon cher compagnon, dit La Mole, patience! Toutes les auberges sont pleines de gentilshommes attires a Paris pour les fetes du mariage ou pour la guerre prochaine de Flandre, nous ne trouverions plus d'autres logis; et puis, c'est peut-etre la coutume a Paris de recevoir ainsi les etrangers qui y arrivent. -- Mordi! comme vous etes patient! murmura Coconnas en tortillant de rage sa moustache rouge et en foudroyant l'hote de ses regards. Mais que le coquin prenne garde a lui: si sa cuisine est mauvaise, si son lit est dur, si son vin n'a pas trois ans de bouteille, si son valet n'est pas souple comme un jonc.... -- La, la, la, mon gentilhomme, fit l'hote en aiguisant sur un repassoir le couteau de sa ceinture; la, tranquillisez-vous, vous etes en pays de Cocagne. Puis tout bas et en secouant la tete: -- C'est quelque huguenot, murmura-t-il; les traitres sont si insolents depuis le mariage de leur Bearnais avec mademoiselle Margot! Puis, avec un sourire qui eut fait frissonner ses hotes s'ils l'avaient vu, il ajouta: -- Eh! eh! ce serait drole qu'il me fut justement tombe des huguenots ici... et que... -- Ca! souperons-nous? demanda aigrement Coconnas, interrompant les apartes de son hote. -- Mais, comme il vous plaira, monsieur, repondit celui-ci, radouci sans doute par la derniere pensee qui lui etait venue. -- Eh bien, il nous plait, et promptement, repondit Coconnas. Puis se retournant vers La Mole: -- Ca, monsieur le comte, tandis que l'on nous prepare notre chambre, dites moi: est-ce par hasard vous avez trouve Paris une ville gaie, vous? -- Ma foi, non, dit La Mole; il me semble n'y avoir vu encore que des visages effarouches ou rebarbatifs. Peut-etre aussi les Parisiens ont-ils peur de l'orage. Voyez comme le ciel est noir et comme l'air est lourd. -- Dites-moi, comte, vous cherchez le Louvre, n'est-ce pas? -- Et vous aussi, je crois, monsieur de Coconnas. -- Eh bien, si vous voulez, nous le chercherons ensemble. -- Hein! fit La Mole, n'est-il pas un peu tard pour sortir. -- Tard ou non, il faut que je sorte. Mes ordres sont precis. Arriver au plus vite a Paris, et, aussitot arrive, communiquer avec le duc de Guise. A ce nom du duc de Guise, l'hote s'approcha, fort attentif. -- Il me semble que ce maraud nous ecoute, dit Coconnas, qui, en sa qualite de Piemontais, etait fort rancunier, et qui ne pouvait passer au maitre de la Belle-Etoile la facon peu civile dont il recevait les voyageurs. -- Oui, messieurs, je vous ecoute, dit celui-ci en mettant la main a son bonnet, mais pour vous servir. J'entends parler du grand duc de Guise et j'accours. A quoi puis-je vous etre bon, mes gentilshommes? -- Ah! ah! ce mot magique, a ce qu'il parait, car d'insolent te voila devenu obsequieux. Mordi! maitre, maitre... comment t'appelles-tu? -- Maitre La Huriere, repondit l'hote s'inclinant. -- Eh bien, maitre La Huriere, crois-tu que mon bras soit moins lourd que celui de M. le duc de Guise, qui a le privilege de te rendre si poli? -- Non, monsieur le comte, mais il est moins long, repliqua La Huriere. D'ailleurs, ajouta-t-il, il faut vous dire que ce grand Henri est notre idole, a nous autres Parisiens. -- Quel Henri? demanda La Mole. -- Il me semble qu'il n'y en a qu'un, dit l'aubergiste. -- Pardon, mon ami, il y en a encore un autre dont je vous invite a ne pas dire de mal; c'est Henri de Navarre, sans compter Henri de Conde, qui a bien aussi son merite. -- Ceux-la, je ne les connais pas, repondit l'hote. -- Oui, mais moi je les connais, dit La Mole, et comme je suis adresse au roi Henri de Navarre, je vous invite a n'en pas medire devant moi. L'hote, sans repondre a M. de La Mole, se contenta de toucher legerement a son bonnet, et continuant de faire les doux yeux a Coconnas: -- Ainsi, monsieur va parler au grand duc de Guise? Monsieur est un gentilhomme bien heureux; et sans doute qu'il vient pour...? -- Pour quoi? demanda Coconnas. -- Pour la fete, repondit l'hote avec un singulier sourire. -- Vous devriez dire pour les fetes, car Paris en regorge, de fetes, a ce que j'ai entendu dire; du moins on ne parle que de bals, de festins, de carrousels. Ne s'amuse-t-on pas beaucoup a Paris, hein? -- Mais moderement, monsieur, jusqu'a present du moins, repondit l'hote; mais on va s'amuser, je l'espere. -- Les noces de Sa Majeste le roi de Navarre attirent cependant beaucoup de monde en cette ville, dit La Mole. -- Beaucoup de huguenots, oui, monsieur, repondit brusquement La Huriere; puis se reprenant: Ah! pardon, dit-il; ces messieurs sont peut-etre de la religion? -- Moi, de la religion! s'ecria Coconnas; allons donc! je suis catholique comme notre saint-pere le pape. La Huriere se retourna vers La Mole comme pour l'interroger; mais ou La Mole ne comprit pas son regard, ou il ne jugea point a propos d'y repondre autrement que par une autre question. -- Si vous ne connaissez point Sa Majeste le roi de Navarre, maitre La Huriere, dit-il, peut-etre connaissez-vous M. l'amiral? J'ai entendu dire que M. l'amiral jouissait de quelque faveur a la cour; et comme je lui etais recommande, je desirerais, si son adresse ne vous ecorche pas la bouche, savoir ou il loge. -- _Il logeait_ rue de Bethisy, monsieur, ici a droite, repondit l'hote avec une satisfaction interieure qui ne put s'empecher de devenir exterieure. -- Comment, il logeait? demanda La Mole; est-il donc demenage? -- Oui, de ce monde peut-etre. -- Qu'est-ce a dire? s'ecrierent ensemble les deux gentilshommes, l'amiral demenage de ce monde! -- Quoi! monsieur de Coconnas, poursuivit l'hote avec un malin sourire, vous etes de ceux de Guise, et vous ignorez cela? -- Quoi cela? -- Qu'avant-hier, en passant sur la place Saint-Germain- l'Auxerrois, devant la maison du chanoine Pierre Piles, l'amiral a recu un coup d'arquebuse. -- Et il est tue? s'ecria La Mole. -- Non, le coup lui a seulement casse le bras et coupe deux doigts; mais on espere que les balles etaient empoisonnees. -- Comment, miserable! s'ecria La Mole, on espere! ... -- Je veux dire qu'on croit, reprit l'hote; ne nous fachons pas pour un mot: la langue m'a fourche. Et maitre La Huriere, tournant le dos a La Mole, tira la langue a Coconnas de la facon la plus goguenarde, accompagnant ce geste d'un coup d'oeil d'intelligence. -- En verite! dit Coconnas rayonnant. -- En verite! murmura La Mole avec une stupefaction douloureuse. -- C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, messieurs, repondit l'hote. -- En ce cas, dit La Mole, je vais au Louvre sans perdre un moment. Y trouverai-je le roi Henri? -- C'est possible, puisqu'il y loge. -- Et moi aussi je vais au Louvre, dit Coconnas. Y trouverai-je le duc de Guise? -- C'est probable, car je viens de le voir passer il n'y a qu'un instant, avec deux cents gentilshommes. -- Alors, venez, monsieur de Coconnas, dit La Mole. -- Je vous suis, monsieur, dit Coconnas. -- Mais votre souper, mes gentilshommes? demanda maitre La Huriere. -- Ah! dit La Mole, je souperai peut-etre chez le roi de Navarre. -- Et moi chez le duc de Guise, dit Coconnas. -- Et moi, dit l'hote, apres avoir suivi des yeux les deux gentilshommes qui prenaient le chemin du Louvre, moi, je vais fourbir ma salade, emecher mon arquebuse et affiler ma pertuisane. On ne sait pas ce qui peut arriver. V Du Louvre en particulier et de la vertu en general Les deux gentilshommes, renseignes par la premiere personne qu'ils rencontrerent, prirent la rue d'Averon, la rue Saint-Germain- l'Auxerrois, et se trouverent bientot devant le Louvre, dont les tours commencaient a se confondre dans les premieres ombres du soir. -- Qu'avez-vous donc? demanda Coconnas a La Mole, qui, arrete a la vue du vieux chateau, regardait avec un saint respect ces ponts- levis, ces fenetres etroites et ces clochetons aigus qui se presentaient tout a coup a ses yeux. -- Ma foi, je n'en sais rien, dit La Mole, le coeur me bat. Je ne suis cependant pas timide outre mesure; mais je ne sais pourquoi ce palais me parait sombre, et, dirai-je? terrible! -- Eh bien, moi, dit Coconnas, je ne sais ce qui m'arrive, mais je suis d'une allegresse rare. La tenue est pourtant quelque peu negligee, continua-t-il en parcourant des yeux son costume de voyage. Mais, bah! on a l'air cavalier. Puis, mes ordres me recommandaient la promptitude. Je serai donc le bienvenu, puisque j'aurai ponctuellement obei. Et les deux jeunes gens continuerent leur chemin agites chacun des sentiments qu'ils avaient exprimes. Il y avait bonne garde au Louvre; tous les postes semblaient doubles. Nos deux voyageurs furent donc d'abord assez embarrasses. Mais Coconnas, qui avait remarque que le nom du duc de Guise etait une espece de talisman pres des Parisiens, s'approcha d'une sentinelle, et, se reclamant de ce nom tout-puissant, demanda si, grace a lui, il ne pourrait point penetrer dans le Louvre. Ce nom paraissait faire sur le soldat son effet ordinaire; cependant, il demanda a Coconnas s'il n'avait point le mot d'ordre. Coconnas fut force d'avouer qu'il ne l'avait point. -- Alors, au large, mon gentilhomme, dit le soldat. A ce moment, un homme qui causait avec l'officier du poste, et qui, tout en causant, avait entendu Coconnas reclamer son admission au Louvre, interrompit son entretien, et, venant a lui: -- Goi fouloir, fous, a monsir di Gouise? dit-il. -- Moi, vouloir lui parler, repondit Coconnas en souriant. -- Imbossible! le dugue il etre chez le roi. -- Cependant j'ai une lettre d'avis pour me rendre a Paris. -- Ah! fous afre eine lettre d'afis? -- Oui, et j'arrive de fort loin. -- Ah! fous arrife de fort loin? -- J'arrive du Piemont. -- Pien! pien! C'est autre chose. Et fous fous abbelez...? -- Le comte Annibal de Coconnas. -- Pon! pon! Tonnez la lettre, monsir Annipal, tonnez. -- Voici, sur ma parole, un bien galant homme, dit La Mole se parlant a lui-meme; ne pourrai-je point trouver le pareil pour me conduire chez le roi de Navarre. -- Mais tonnez donc la lettre, continua le gentilhomme allemand en etendant la main vers Coconnas qui hesitait. -- Mordi! reprit le Piemontais, defiant comme un demi-Italien, je ne sais si je dois... Je n'ai pas l'honneur de vous connaitre, moi, monsieur. -- Je suis Pesme. J'abbartiens a M. le dugue de Gouise. -- Pesme, murmura Coconnas; je ne connais pas ce nom la. -- C'est monsieur de Besme, mon gentilhomme, dit la sentinelle. La prononciation vous trompe, voila tout. Donnez votre lettre a monsieur, allez, j'en reponds. -- Ah! monsieur de Besme, s'ecria Coconnas, je le crois bien si je vous connais! ... comment donc! avec le plus grand plaisir. Voici ma lettre. Excusez mon hesitation. Mais on doit hesiter quand on veut etre fidele. -- Pien, pien, dit de Besme, il n'y afre pas besoin d'exguses. -- Ma foi, monsieur, dit La Mole en s'approchant a son tour, puisque vous etes si obligeant, voudriez-vous vous charger de ma lettre comme vous venez de le faire de celle de mon compagnon? -- Comment fous abbelez-vous? -- Le comte Lerac de La Mole. -- Le gonte Lerag de La Mole. -- Oui. -- Che ne gonnais pas. -- Il est tout simple que je n'ai pas l'honneur d'etre connu de vous, monsieur, je suis etranger, et, comme le comte de Coconnas, j'arrive ce soir de bien loin. -- Et t'ou arrifez-vous? -- De Provence. -- Avec eine lettre? -- Oui, avec une lettre. -- Pourmonsir de Gouise? -- Non, pour Sa Majeste le roi de Navarre. -- Che ne souis bas au roi de Navarre, monsir, repondit Besme avec un froid subit, che ne buis donc bas me charger de votre lettre. Et Besme, tournant les talons a La Mole, entra dans le Louvre en faisant signe a Coconnas de le suivre. La Mole demeura seul. Au meme moment, par la porte du Louvre, parallele a celle qui avait donne passage a Besme et a Coconnas, sortit une troupe de cavaliers d'une centaine d'hommes. -- Ah! ah! dit la sentinelle a son camarade, c'est de Mouy et ses huguenots; ils sont rayonnants. Le roi leur aura promis la mort de l'assassin de l'amiral; et comme c'est deja lui qui a tue le pere de Mouy, le fils fera d'une pierre deux coups. -- Pardon, fit La Mole s'adressant au soldat, mais n'avez-vous pas dit, mon brave, que cet officier etait monsieur de Mouy? -- Oui-da, mon gentilhomme. -- Et que ceux qui l'accompagnaient etaient... -- Etaient des parpaillots... Je l'ai dit. -- Merci, dit La Mole, sans paraitre remarquer le terme de mepris employe par la sentinelle. Voila tout ce que je voulais savoir. Et se dirigeant aussitot vers le chef des cavaliers: -- Monsieur, dit-il en l'abordant, j'apprends que vous etes monsieur de Mouy. -- Oui, monsieur, repondit l'officier avec politesse. -- Votre nom, bien connu parmi ceux de la religion, m'enhardit a m'adresser a vous, monsieur, pour vous demander un service. -- Lequel, monsieur?... Mais, d'abord, a qui ai-je l'honneur de parler? -- Au comte Lerac de La Mole. Les deux jeunes gens se saluerent. -- Je vous ecoute, monsieur, dit de Mouy. -- Monsieur, j'arrive d'Aix, porteur d'une lettre de M. d'Auriac, gouverneur de la Provence. Cette lettre est adressee au roi de Navarre et contient des nouvelles importantes et pressees... Comment puis-je lui remettre cette lettre? comment puis-je entrer au Louvre? -- Rien de plus facile que d'entrer au Louvre, monsieur, repliqua de Mouy; seulement, je crains que le roi de Navarre ne soit trop occupe a cette heure pour vous recevoir. Mais n'importe, si vous voulez me suivre, je vous conduirai jusqu'a son appartement. Le reste vous regarde. -- Mille fois merci! -- Venez, monsieur, dit de Mouy. de Mouy descendit de cheval, jeta la bride aux mains de son laquais, s'achemina vers le guichet, se fit reconnaitre de la sentinelle, introduisit La Mole dans le chateau, et, ouvrant la porte de l'appartement du roi: -- Entrez, monsieur, dit-il, et informez-vous. Et saluant La Mole, il se retira. La Mole, demeure seul, regarda autour de lui. L'antichambre etait vide, une des portes interieures etait ouverte. Il fit quelques pas et se trouva dans un couloir. Il frappa et appela sans que personne repondit. Le plus profond silence regnait dans cette partie du Louvre. -- Qui donc me parlait, pensa-t-il, de cette etiquette si severe? On va et on vient dans ce palais comme sur une place publique. Et il appela encore, mais sans obtenir un meilleur resultat que la premiere fois. -- Allons, marchons devant nous, pensa-t-il; il faudra bien que je finisse par rencontrer quelqu'un. Et il s'engagea dans le couloir, qui allait toujours s'assombrissant. Tout a coup la porte opposee a celle par laquelle il etait entre s'ouvrit, et deux pages parurent, portant des flambeaux et eclairant une femme d'une taille imposante, d'un maintien majestueux, et surtout d'une admirable beaute. La lumiere porta en plein sur La Mole, qui demeura immobile. La femme s'arreta, de son cote, comme La Mole s'etait arrete du sien. -- Que voulez-vous, monsieur? demanda-t-elle au jeune homme d'une voix qui bruit a ses oreilles comme une musique delicieuse. -- Oh! madame, dit La Mole en baissant les yeux, excusez-moi, je vous prie. Je quitte M. de Mouy, qui a eu l'obligeance de me conduire jusqu'ici, et je cherchais le roi de Navarre. -- Sa Majeste n'est point ici, monsieur; elle est, je crois, chez son beau frere. Mais, en son absence, ne pourriez-vous dire a la reine... -- Oui, sans doute, madame, reprit La Mole, si quelqu'un daignait me conduire devant elle. -- Vous y etes, monsieur. -- Comment! s'ecria La Mole. -- Je suis la reine de Navarre, dit Marguerite. La Mole fit un mouvement tellement brusque de stupeur et d'effroi que la reine sourit. -- Parlez vite, monsieur, dit-elle, car on m'attend chez la reine mere. -- Oh! madame, si vous etes si instamment attendue, permettez-moi de m'eloigner, car il me serait impossible de vous parler en ce moment. Je suis incapable de rassembler deux idees; votre vue m'a ebloui. Je ne pense plus, j'admire. Marguerite s'avanca pleine de grace et de beaute vers ce jeune homme qui, sans le savoir, venait d'agir en courtisan raffine. -- Remettez-vous, monsieur, dit-elle. J'attendrai et l'on m'attendra. -- Oh! pardonnez-moi, madame, si je n'ai point salue d'abord Votre Majeste avec tout le respect qu'elle a le droit d'attendre d'un de ses plus humbles serviteurs, mais... -- Mais, continua Marguerite, vous m'aviez prise pour une de mes femmes. -- Non, madame, mais pour l'ombre de la belle Diane de Poitiers. On m'a dit qu'elle revenait au Louvre. -- Allons, monsieur, dit Marguerite, je ne m'inquiete plus de vous, et vous ferez fortune a la cour. Vous aviez une lettre pour le roi, dites-vous? C'etait fort inutile. Mais, n'importe, ou est- elle? Je la lui remettrai... Seulement, hatez-vous, je vous prie. En un clin d'oeil La Mole ecarta les aiguillettes de son pourpoint, et tira de sa poitrine une lettre enfermee dans une enveloppe de soie. Marguerite prit la lettre et regarda l'ecriture. -- N'etes-vous pas monsieur de La Mole, dit-elle. -- Oui, madame. Oh! mon Dieu! aurais-je le bonheur que mon nom fut connu de Votre Majeste? -- Je l'ai entendu prononcer par le roi mon mari, et par mon frere le duc d'Alencon. Je sais que vous etes attendu. Et elle glissa dans son corsage, tout raide de broderies et de diamants, cette lettre qui sortait du pourpoint du jeune homme, et qui etait encore tiede de la chaleur de sa poitrine. La Mole suivait avidement des yeux chaque mouvement de Marguerite. -- Maintenant, monsieur, dit-elle, descendez dans la galerie au- dessous, et attendez jusqu'a ce qu'il vienne quelqu'un de la part du roi de Navarre ou du duc d'Alencon. Un de mes pages va vous conduire. A ces mots Marguerite continua son chemin. La Mole se rangea contre la muraille. Mais le passage etait si etroit, et le vertugadin de la reine de Navarre si large, que sa robe de soie effleura l'habit du jeune homme, tandis qu'un parfum penetrant s'epandait la ou elle avait passe. La Mole frissonna par tout son corps, et, sentant qu'il allait tomber, chercha un appui contre le mur. Marguerite disparut comme une vision. -- Venez-vous, monsieur? dit le page charge de conduire La Mole dans la galerie inferieure. -- Oh! oui, oui, s'ecria La Mole enivre, car comme le jeune homme lui indiquait le chemin par lequel venait de s'eloigner Marguerite, il esperait, en se hatant, la revoir encore. En effet en arrivant au haut de l'escalier, il l'apercut a l'etage inferieur; et soit hasard, soit que le bruit de ses pas fut arrive jusqu'a elle, Marguerite ayant releve la tete, il put la voir encore une fois. -- Oh! dit-il, en suivant le page, ce n'est pas une mortelle, c'est une deesse; et, comme dit Virgilius Maro: _Et vera incessu patuit dea._ _-- _Eh bien? demanda le jeune page. -- Me voici, dit La Mole; pardon, me voici. Le page preceda La Mole, descendit un etage, ouvrit une premiere porte, puis une seconde et s'arretant sur le seuil: -- Voici l'endroit ou vous devez attendre, lui dit-il. La Mole entra dans la galerie, dont la porte se referma derriere lui. La galerie etait vide, a l'exception d'un gentilhomme qui se promenait, et qui, de son cote, paraissait attendre. Deja le soir commencait a faire tomber de larges ombres du haut des voutes, et, quoique les deux hommes fussent a peine a vingt pas l'un de l'autre, ils ne pouvaient distinguer leurs visages. La Mole s'approcha. -- Dieu me pardonne! murmura-t-il quand il ne fut plus qu'a quelques pas du second gentilhomme, c'est M. le comte de Coconnas que je retrouve ici. Au bruit de ses pas, le Piemontais s'etait deja retourne, et le regardait avec le meme etonnement qu'il en etait regarde. -- Mordi! s'ecria-t-il, c'est M. de La Mole, ou le diable m'emporte! Ouf! que fais-je donc la! je jure chez le roi; mais bah! il parait que le roi jure bien autrement encore que moi, et jusque dans les eglises. Eh, mais! nous voici donc au Louvre?... -- Comme vous voyez, M. de Besme vous a introduit? -- Oui. C'est un charmant Allemand que ce M. de Besme... Et vous, qui vous a servi de guide? -- M. de Mouy... Je vous disais bien que les huguenots n'etaient pas trop mal en cour non plus... Et avez-vous rencontre M. de Guise? -- Non, pas encore... Et vous, avez-vous obtenu votre audience du roi de Navarre? -- Non; mais cela ne peut tarder. On m'a conduit ici, et l'on m'a dit d'attendre. -- Vous verrez qu'il s'agit de quelque grand souper, et que nous serons cote a cote au festin. Quel singulier hasard, en verite! Depuis deux heures le sort nous marie... Mais qu'avez-vous? vous semblez preoccupe... -- Moi! dit vivement La Mole en tressaillant, car en effet il demeurait toujours comme ebloui par la vision qui lui etait apparue; non, mais le lieu ou nous nous trouvons fait naitre dans mon esprit une foule de reflexions. -- Philosophiques, n'est-ce pas? c'est comme moi. Quand vous etes entre, justement, toutes les recommandations de mon precepteur me revenaient a l'esprit. Monsieur le comte, connaissez-vous Plutarque? -- Comment donc! dit La Mole en souriant, c'est un de mes auteurs favoris. -- Eh bien, continua Coconnas gravement, ce grand homme ne me parait pas s'etre abuse quand il compare les dons de la nature a des fleurs brillantes, mais ephemeres, tandis qu'il regarde la vertu comme une plante balsamique d'un imperissable parfum et d'une efficacite souveraine pour la guerison des blessures. -- Est-ce que vous savez le grec, monsieur de Coconnas? dit La Mole en regardant fixement son interlocuteur. -- Non pas; mais mon precepteur le savait, et il m'a fort recommande, lorsque je serais a la cour, de discourir sur la vertu. Cela, dit-il, a fort bon air. Aussi, je suis cuirasse sur ce sujet, je vous en avertis. A propos, avez-vous faim? -- Non. -- Il me semblait cependant que vous teniez a la volaille embrochee de la Belle-Etoile; moi, je meurs d'inanition. -- Eh bien, monsieur de Coconnas, voici une belle occasion d'utiliser vos arguments sur la vertu et de prouver votre admiration pour Plutarque, car ce grand ecrivain dit quelque part: Il est bon d'exercer l'ame a la douleur et l'estomac a la faim. _Prepon esti ten men psuchen odune, ton de gastera semo askein._ _-- _Ah ca! vous le savez donc, le grec? s'ecria Coconnas stupefait. -- Ma foi, oui! repondit La Mole; mon precepteur me l'a appris, a moi. -- Mordi! comte, votre fortune est assuree en ce cas; vous ferez des vers avec le roi Charles IX, et vous parlerez grec avec la reine Marguerite. -- Sans compter, ajouta La Mole en riant, que je pourrai encore parler gascon avec le roi de Navarre. En ce moment, l'issue de la galerie qui aboutissait chez le roi s'ouvrit; un pas retentit, on vit dans l'obscurite une ombre s'approcher. Cette ombre devint un corps. Ce corps etait celui de M. de Besme. Il regarda les deux jeunes gens sous le nez, afin de reconnaitre le sien, et fit signe a Coconnas de le suivre. Coconnas salua de la main La Mole. De Besme conduisit Coconnas a l'extremite de la galerie, ouvrit une porte, et se trouva avec lui sur la premiere marche d'un escalier. Arrive la, il s'arreta, et regardant tout autour de lui, puis en haut, puis en bas: -- Monsir de Gogonnas, dit-il, ou temeurez-fous? -- A l'auberge de la Belle-Etoile, rue de l'Arbre-Sec. -- Pon, pon! etre a teux pas t'izi... Rentez-fous fite a fotre hodel, et ste nuit... Il regarda de nouveau autour de lui. -- Eh bien, cette nuit? demanda Coconnas. -- Eh pien, ste nuit, refenez ici afec un groix planche a fotre jabeau. Li mot di basse, il sera _Gouise_. Chut! pouche glose. -- Mais a quelle heure dois-je venir? -- Gand fous ententrez le doguesin. -- Comment, le doguesin? demanda Coconnas. -- Foui, le doguesin: pum! pum! ... -- Ah! le tocsin? -- Oui, c'etre cela que che tisais. -- C'est bien! on y sera, dit Coconnas. Et saluant de Besme, il s'eloigna en se demandant tout bas: -- Que diable veut-il donc dire, et a propos de quoi sonnera-t-on le tocsin? N'importe! je persiste dans mon opinion: c'est un charmant Tedesco que M. de Besme. Si j'attendais le comte de La Mole?... Ah! ma foi, non; il est probable qu'il soupera avec le roi de Navarre. Et Coconnas se dirigea vers la rue de l'Arbre-Sec, ou l'attirait comme un aimant l'enseigne de la Belle-Etoile. Pendant ce temps une porte de la galerie correspondant aux appartements du roi de Navarre s'ouvrit, et un page s'avanca vers M. de La Mole. -- C'est bien vous qui etes le comte de La Mole? dit-il. -- C'est moi-meme. -- Ou demeurez-vous? -- Rue de l'Arbre-Sec, a la Belle-Etoile. -- Bon! c'est a la porte du Louvre. Ecoutez... Sa Majeste vous fait dire qu'elle ne peut vous recevoir en ce moment; peut-etre cette nuit vous enverra-t-elle chercher. En tout cas, si demain matin vous n'aviez pas recu de ses nouvelles, venez au Louvre. -- Mais si la sentinelle me refuse la porte? -- Ah! c'est juste... Le mot de passe est _Navarre;_ dites ce mot, et toutes les portes s'ouvriront devant vous. -- Merci. -- Attendez, mon gentilhomme; j'ai ordre de vous reconduire jusqu'au guichet, de peur que vous ne vous perdiez dans le Louvre. -- A propos, et Coconnas? se dit La Mole a lui-meme quand il se trouva hors du palais. Oh! il sera reste a souper avec le duc de Guise. Mais en rentrant chez maitre La Huriere, la premiere figure qu'apercut notre gentilhomme fut celle de Coconnas attable devant une gigantesque omelette au lard. -- Oh! oh! s'ecria Coconnas en riant aux eclats, il parait que vous n'avez pas plus dine chez le roi de Navarre que je n'ai soupe chez M. de Guise. -- Ma foi, non. -- Et la faim vous est-elle venue? -- Je crois que oui. -- Malgre Plutarque? -- Monsieur le comte, dit en riant La Mole, Plutarque dit dans un autre endroit: "Qu'il faut que celui qui a partage avec celui qui n'a pas." Voulez-vous, pour l'amour de Plutarque, partager votre omelette avec moi, nous causerons de la vertu en mangeant? -- Oh! ma foi, non, dit Coconnas; c'est bon quand on est au Louvre, qu'on craint d'etre ecoute et qu'on a l'estomac vide. Mettez-vous la, et soupons. -- Allons, je vois que decidement le sort nous a faits inseparables. Couchez-vous ici? -- Je n'en sais rien. -- Ni moi non plus. -- En tout cas je sais bien ou je passerai la nuit, moi. -- Ou cela? -- Ou vous la passerez vous-meme, c'est immanquable. Et tous deux se mirent a rire, en faisant de leur mieux honneur a l'omelette de maitre La Huriere. VI La dette payee Maintenant, si le lecteur est curieux de savoir pourquoi M. de La Mole n'avait pas ete recu par le roi de Navarre, pourquoi M. de Coconnas n'avait pu voir M. de Guise, et enfin pourquoi tous deux, au lieu de souper au Louvre avec des faisans, des perdrix et du chevreuil, soupaient a l'hotel de la Belle-Etoile avec une omelette au lard, il faut qu'il ait la complaisance de rentrer avec nous au vieux palais des rois et de suivre la reine Marguerite de Navarre que La Mole avait perdue de vue a l'entree de la grande galerie. Tandis que Marguerite descendait cet escalier, le duc Henri de Guise, qu'elle n'avait pas revu depuis la nuit de ses noces, etait dans le cabinet du roi. A cet escalier que descendait Marguerite, il y avait une issue. A ce cabinet ou etait M. de Guise, il y avait une porte. Or, cette porte et cette issue conduisaient toutes deux a un corridor, lequel corridor conduisait lui-meme aux appartements de la reine mere Catherine de Medicis. Catherine de Medicis etait seule, assise pres d'une table, le coude appuye sur un livre d'heures entr'ouvert, et la tete posee sur sa main encore remarquablement belle, grace au cosmetique que lui fournissait le Florentin Rene, qui reunissait la double charge de parfumeur et d'empoisonneur de la reine mere. La veuve de Henri II etait vetue de ce deuil qu'elle n'avait point quitte depuis la mort de son mari. C'etait a cette epoque une femme de cinquante-deux a cinquante-trois ans a peu pres, qui conservait, grace a son embonpoint plein de fraicheur, les traits de sa premiere beaute. Son appartement, comme son costume, etait celui d'une veuve. Tout y etait d'un caractere sombre: etoffes, murailles, meubles. Seulement, au-dessus d'une espece de dais couvrant un fauteuil royal, ou pour le moment dormait couchee la petite levrette favorite de la reine mere, laquelle lui avait ete donnee par son gendre Henri de Navarre et avait recu le nom mythologique de Phebe, on voyait peint au naturel un arc-en-ciel entoure de cette devise grecque que le roi Francois Ier lui avait donnee: _Phos pherei e de kai aithzen_, et qui peut se traduire par ce vers francais: _Il porte la lumiere et la serenite._ Tout a coup, et au moment ou la reine mere paraissait plongee au plus profond d'une pensee qui faisait eclore sur ses levres peintes avec du carmin un sourire lent et plein d'hesitation, un homme ouvrit la porte, souleva la tapisserie et montra son visage pale en disant: -- Tout va mal. Catherine leva la tete et reconnut le duc de Guise. -- Comment, tout va mal! repondit-elle. Que voulez-vous dire, Henri? -- Je veux dire que le roi est plus que jamais coiffe de ses huguenots maudits, et que, si nous attendons son conge pour executer la grande entreprise, nous attendrons encore longtemps et peut-etre toujours. -- Qu'est-il donc arrive? demanda Catherine en conservant ce visage calme qui lui etait habituel, et auquel elle savait cependant si bien, selon l'occasion, donner les expressions les plus opposees. -- Il y a que tout a l'heure, pour la vingtieme fois, j'ai entame avec Sa Majeste cette question de savoir si l'on continuerait de supporter les bravades que se permettent, depuis la blessure de leur amiral, messieurs de la religion. -- Et que vous a repondu mon fils? demanda Catherine. -- Il m'a repondu: "Monsieur le duc, vous devez etre soupconne du peuple comme auteur de l'assassinat commis sur mon second pere monsieur l'amiral; defendez-vous comme il vous plaira. Quant a moi, je me defendrai bien moi-meme si l'on m'insulte..." Et sur ce il m'a tourne le dos pour aller donner a souper a ses chiens. -- Et vous n'avez point tente de le retenir? -- Si fait. Mais il m'a repondu avec cette voix que vous lui connaissez et en me regardant de ce regard qui n'est qu'a lui: "Monsieur le duc, mes chiens ont faim, et ce ne sont pas des hommes pour que je les fasse attendre..." Sur quoi je suis venu vous prevenir. -- Et vous avez bien fait, dit la reine mere. -- Mais que resoudre? -- Tenter un dernier effort. -- Et qui l'essaiera? -- Moi. Le roi est-il seul? -- Non! Il est avec M. de Tavannes. -- Attendez-moi ici. Ou plutot suivez-moi de loin. Catherine se leva aussitot et prit le chemin de la chambre ou se tenaient, sur des tapis de Turquie et des coussins de velours, les levriers favoris du roi. Sur des perchoirs scelles dans la muraille etaient deux ou trois faucons de choix et une petite pie-grieche avec laquelle Charles IX s'amusait a voler les petits oiseaux dans le jardin du Louvre et dans ceux des Tuileries, qu'on commencait a batir. Pendant le chemin la reine mere s'etait arrange un visage pale et plein d'angoisse, sur lequel roulait une derniere ou plutot une premiere larme. Elle s'approcha sans bruit de Charles IX, qui donnait a ses chiens des fragments de gateaux coupes en portions pareilles. -- Mon fils! dit Catherine avec un tremblement de voix si bien joue qu'il fit tressaillir le roi. -- Qu'avez-vous, madame? dit le roi en se retournant vivement. -- J'ai, mon fils, repondit Catherine, que je vous demande la permission de me retirer dans un de vos chateaux, peu m'importe lequel, pourvu qu'il soit bien eloigne de Paris. -- Et pourquoi cela, madame? demanda Charles IX en fixant sur sa mere son oeil vitreux qui, dans certaines occasions, devenait si penetrant. -- Parce que chaque jour je recois de nouveaux outrages de ceux de la religion, parce qu'aujourd'hui je vous ai entendu menacer par les protestants jusque dans votre Louvre, et que je ne veux plus assister a de pareils spectacles. -- Mais enfin, ma mere, dit Charles IX avec une expression pleine de conviction, on leur a voulu tuer leur amiral. Un infame meurtrier leur avait deja assassine le brave M. de Mouy, a ces pauvres gens. Mort de ma vie, ma mere! il faut pourtant une justice dans un royaume. -- Oh! soyez tranquille, mon fils, dit Catherine, la justice ne leur manquera point, car si vous la leur refusez, ils se la feront a leur maniere: sur M. de Guise aujourd'hui, sur moi demain, sur vous plus tard. -- Oh! madame, dit Charles IX laissant percer dans sa voix un premier accent de doute, vous croyez? -- Eh! mon fils, reprit Catherine, s'abandonnant tout entiere a la violence de ses pensees, ne savez-vous pas qu'il ne s'agit plus de la mort de M. Francois de Guise ou de celle de M. l'amiral, de la religion protestante ou de la religion catholique, mais tout simplement de la substitution du fils d'Antoine de Bourbon au fils de Henri II? -- Allons, allons, ma mere, voici que vous retombez encore dans vos exagerations habituelles! dit le roi. -- Quel est donc votre avis, mon fils? -- D'attendre, ma mere! d'attendre. Toute la sagesse humaine est dans ce seul mot. Le plus grand, le plus fort et le plus adroit surtout est celui qui sait attendre. -- Attendez donc; mais moi je n'attendrai pas. Et sur ce, Catherine fit une reverence, et, se rapprochant de la porte, s'appreta a reprendre le chemin de son appartement. Charles IX l'arreta. -- Enfin, que faut-il donc faire, ma mere! dit-il, car je suis juste avant toute chose, et je voudrais que chacun fut content de moi. Catherine se rapprocha. -- Venez, monsieur le comte, dit-elle a Tavannes, qui caressait la pie-grieche du roi, et dites au roi ce qu'a votre avis il faut faire. -- Votre Majeste me permet-elle? demanda le comte. -- Dis, Tavannes! dis. -- Que fait Votre Majeste a la chasse quand le sanglier revient sur elle? -- Mordieu! monsieur, je l'attends de pied ferme, dit Charles IX, et je lui perce la gorge avec mon epieu. -- Uniquement pour l'empecher de vous nuire, ajouta Catherine. -- Et pour m'amuser, dit le roi avec un soupir qui indiquait le courage pousse jusqu'a la ferocite; mais je ne m'amuserais pas a tuer mes sujets, car enfin, les huguenots sont mes sujets aussi bien que les catholiques. -- Alors, Sire, dit Catherine, vos sujets les huguenots feront comme le sanglier a qui on ne met pas un epieu dans la gorge: ils decoudront votre trone. -- Bah! vous croyez, madame, dit le roi d'un air qui indiquait qu'il n'ajoutait pas grande foi aux predictions de sa mere. -- Mais n'avez-vous pas vu aujourd'hui M. de Mouy et les siens? -- Oui, je les ai vus, puisque je les quitte; mais que m'a-t-il demande qui ne soit pas juste? Il m'a demande la mort du meurtrier de son pere et de l'assassin de l'amiral! Est-ce que nous n'avons pas puni M. de Montgommery de la mort de mon pere et de votre epoux, quoique cette mort fut un simple accident? -- C'est bien, Sire, dit Catherine piquee, n'en parlons plus. Votre Majeste est sous la protection du Dieu qui lui donna la force, la sagesse et la confiance; mais moi, pauvre femme, que Dieu abandonne sans doute a cause de mes peches, je crains et je cede. Et sur ce, Catherine salua une seconde fois et sortit, faisant signe au duc de Guise, qui sur ces entrefaites etait entre, de demeurer a sa place pour tenter encore un dernier effort. Charles IX suivit des yeux sa mere, mais sans la rappeler cette fois; puis il se mit a caresser ses chiens en sifflant un air de chasse. Tout a coup il s'interrompit. -- Ma mere est bien un esprit royal, dit-il; en verite elle ne doute de rien. Allez donc, d'un propos delibere, tuer quelques douzaines de huguenots, parce qu'ils sont venus demander justice! N'est-ce pas leur droit apres tout? -- Quelques douzaines, murmura le duc de Guise. -- Ah! vous etes la, monsieur! dit le roi faisant semblant de l'apercevoir pour la premiere fois; oui, quelques douzaines; le beau dechet! Ah! si quelqu'un venait me dire: Sire, vous serez debarrasse de tous vos ennemis a la fois, et demain il n'en restera pas un pour vous reprocher la mort des autres, ah! alors, je ne dis pas! -- Et bien, Sire. -- Tavannes, interrompit le roi, vous fatiguez Margot, remettez-la au perchoir. Ce n'est pas une raison, parce qu'elle porte le nom de ma soeur la reine de Navarre, pour que tout le monde la caresse. Tavannes remit la pie sur son baton, et s'amusa a rouler et a derouler les oreilles d'un levrier. -- Mais, Sire, reprit le duc de Guise, si l'on disait a Votre Majeste: Sire, Votre Majeste sera delivree demain de tous ses ennemis. -- Et par l'intercession de quel saint ferait-on ce miracle? -- Sire, nous sommes aujourd'hui le 24 aout, ce serait donc par l'intercession de saint Barthelemy. -- Un beau saint, dit le roi, qui s'est laisse ecorcher tout vif! -- Tant mieux! plus il a souffert, plus il doit avoir garde rancune a ses bourreaux. -- Et c'est vous, mon cousin, dit le roi, c'est vous qui avec votre jolie petite epee a poignee d'or, tuerez d'ici a demain dix mille huguenots! Ah! ah! ah! mort de ma vie! que vous etes plaisant, monsieur de Guise! Et le roi eclata de rire, mais d'un rire si faux, que l'echo de la chambre le repeta d'un ton lugubre. -- Sire, un mot, un seul, poursuivit le duc tout en frissonnant malgre lui au bruit de ce rire qui n'avait rien d'humain. Un signe, et tout est pret. J'ai les Suisses, j'ai onze cents gentilshommes, j'ai les chevau-legers, j'ai les bourgeois: de son cote, Votre Majeste a ses gardes, ses amis, sa noblesse catholique... Nous sommes vingt contre un. -- Eh bien, puisque vous etes si fort, mon cousin, pourquoi diable venez-vous me rebattre les oreilles de cela?... Faites sans moi, faites! ... Et le roi se retourna vers ses chiens. Alors la portiere se souleva et Catherine reparut. -- Tout va bien, dit-elle au duc, insistez, il cedera. Et la portiere retomba sur Catherine sans que Charles IX la vit ou du moins fit semblant de la voir. -- Mais encore, dit le duc de Guise, faut-il que je sache si en agissant comme je le desire, je serai agreable a Votre Majeste. -- En verite, mon cousin Henri, vous me plantez le couteau sur la gorge; mais je resisterai, mordieu! ne suis-je donc pas le roi? -- Non, pas encore, Sire; mais, si vous voulez, vous le serez demain. -- Ah ca! continua Charles IX, on tuerait donc aussi le roi de Navarre, le prince de Conde... dans mon Louvre! ... Ah! Puis il ajouta d'une voix a peine intelligible: -- Dehors, je ne dis pas. -- Sire, s'ecria le duc, ils sortent ce soir pour faire debauche avec le duc d'Alencon, votre frere. -- Tavannes, dit le roi avec une impatience admirablement bien jouee, ne voyez-vous pas que vous taquinez mon chien! Viens, Acteon, viens. Et Charles IX sortit sans en vouloir ecouter davantage, et rentra chez lui en laissant Tavannes et le duc de Guise presque aussi incertains qu'auparavant. Cependant une scene d'un autre genre se passait chez Catherine, qui, apres avoir donne au duc de Guise le conseil de tenir bon, etait rentree dans son appartement, ou elle avait trouve reunies les personnes qui, d'ordinaire, assistaient a son coucher. A son retour Catherine avait la figure aussi riante qu'elle etait decomposee a son depart. Peu a peu elle congedia de son air le plus agreable ses femmes et ses courtisans; il ne resta bientot pres d'elle que madame Marguerite, qui, assise sur un coffre pres de la fenetre ouverte, regardait le ciel, absorbee dans ses pensees. Deux ou trois fois, en se retrouvant seule avec sa fille, la reine mere ouvrit la bouche pour parler, mais chaque fois une sombre pensee refoula au fond de sa poitrine les mots prets a s'echapper de ses levres. Sur ces entrefaites, la portiere se souleva et Henri de Navarre parut. La petite levrette, qui dormait sur le trone, bondit et courut a lui. -- Vous ici, mon fils! dit Catherine en tressaillant, est-ce que vous soupez au Louvre? -- Non, madame, repondit Henri, nous battons la ville ce soir avec MM. d'Alencon et de Conde. Je croyais presque les trouver occupes a vous faire la cour. Catherine sourit. -- Allez, messieurs, dit-elle, allez... Les hommes sont bien heureux de pouvoir courir ainsi... N'est-ce pas, ma fille? -- C'est vrai, repondit Marguerite, c'est une si belle et si douce chose que la liberte. -- Cela veut-il dire que j'enchaine la votre, madame? dit Henri en s'inclinant devant sa femme. -- Non, monsieur; aussi ce n'est pas moi que je plains, mais la condition des femmes en general. -- Vous allez peut-etre voir M. l'amiral, mon fils? dit Catherine. -- Oui, peut-etre. -- Allez-y; ce sera d'un bon exemple, et demain vous me donnerez de ses nouvelles. -- J'irai donc, madame, puisque vous approuvez cette demarche. -- Moi, dit Catherine, je n'approuve rien... Mais qui va la?... Renvoyez, renvoyez. Henri fit un pas vers la porte pour executer l'ordre de Catherine; mais au meme instant la tapisserie se souleva, et madame de Sauve montra sa tete blonde. -- Madame, dit-elle, c'est Rene le parfumeur, que Votre Majeste a fait demander. Catherine lanca un regard aussi prompt que l'eclair sur Henri de Navarre. Le jeune prince rougit legerement, puis presque aussitot palit d'une maniere effrayante. En effet, on venait de prononcer le nom de l'assassin de sa mere. Il sentit que son visage trahissait son emotion, et alla s'appuyer sur la barre de la fenetre. La petite levrette poussa un gemissement. Au meme instant deux personnes entraient, l'une annoncee et l'autre qui n'avait pas besoin de l'etre. La premiere etait Rene, le parfumeur, qui s'approcha de Catherine avec toutes les obsequieuses civilites des serviteurs florentins; il tenait une boite, qu'il ouvrit, et dont on vit tous les compartiments remplis de poudres et de flacons. La seconde etait madame de Lorraine, soeur ainee de Marguerite. Elle entra par une petite porte derobee qui donnait dans le cabinet du roi et, toute pale et toute tremblante, esperant n'etre point apercue de Catherine qui examinait avec madame de Sauve le contenu de la boite apportee par Rene, elle alla s'asseoir a cote de Marguerite, pres de laquelle le roi de Navarre se tenait debout, la main sur le front, comme un homme qui cherche a se remettre d'un eblouissement. En ce moment Catherine se retourna. -- Ma fille, dit-elle a Marguerite, vous pouvez-vous retirer chez vous. Mon fils, dit-elle, vous pouvez aller vous amuser par la ville. Marguerite se leva, et Henri se retourna a moitie. Madame de Lorraine saisit la main de Marguerite. -- Ma soeur, lui dit-elle tout bas et avec volubilite, au nom de M. de Guise, qui vous sauve comme vous l'avez sauve, ne sortez pas d'ici, n'allez pas chez vous! -- Hein! que dites-vous, Claude? demanda Catherine en se retournant. -- Rien, ma mere. -- Vous avez parle tout bas a Marguerite. -- Pour lui souhaiter le bonsoir seulement, madame, et pour lui dire mille choses de la part de la duchesse de Nevers. -- Et ou est-elle, cette belle duchesse? -- Pres de son beau-frere M. de Guise. Catherine regarda les deux femmes de son oeil soupconneux, et froncant le sourcil: -- Venez ca, Claude! dit la reine mere. Claude obeit. Catherine lui saisit la main. -- Que lui avez-vous dit? indiscrete que vous etes! murmura-t-elle en serrant le poignet de sa fille a la faire crier. -- Madame, dit a sa femme Henri, qui, sans entendre, n'avait rien perdu de la pantomime de la reine, de Claude et de Marguerite; madame, me ferez-vous l'honneur de me donner votre main a baiser? Marguerite lui tendit une main tremblante. -- Que vous a-t-elle dit? murmura Henri en se baissant pour rapprocher ses levres de cette main. -- De ne pas sortir. Au nom du Ciel, ne sortez pas non plus! Ce ne fut qu'un eclair; mais a la lueur de cet eclair, si rapide qu'elle fut, Henri devina tout un complot. -- Ce n'est pas le tout, dit Marguerite; voici une lettre qu'un gentilhomme provencal a apportee. -- M. de La Mole? -- Oui. -- Merci, dit-il en prenant la lettre et en la serrant dans son pourpoint. Et passant devant sa femme eperdue, il alla appuyer sa main sur l'epaule du Florentin. -- Eh bien, maitre Rene, dit-il, comment vont les affaires commerciales? -- Mais assez bien, Monseigneur, assez bien, repondit l'empoisonneur avec son perfide sourire. -- Je le crois bien, dit Henri, quand on est comme vous le fournisseur de toutes les tetes couronnees de France et de l'etranger. -- Excepte de celle du roi de Navarre, repondit effrontement le Florentin. -- Ventre-saint-gris! maitre Rene, dit Henri, vous avez raison; et cependant ma pauvre mere, qui achetait aussi chez vous, vous a recommande a moi en mourant, maitre Rene. Venez me voir demain ou apres-demain en mon appartement et apportez-moi vos meilleures parfumeries. -- Ce ne sera point mal vu, dit en souriant Catherine, car on dit... -- Que j'ai le gousset fin, reprit Henri en riant; qui vous a dit cela, ma mere? est-ce Margot? -- Non, mon fils, dit Catherine, c'est madame de Sauve. En ce moment madame la duchesse de Lorraine, qui, malgre les efforts qu'elle faisait, ne pouvait se contenir, eclata en sanglots. Henri ne se retourna meme pas. -- Ma soeur, s'ecria Marguerite en s'elancant vers Claude, qu'avez-vous? -- Rien, dit Catherine en passant entre les deux jeunes femmes, rien: elle a cette fievre nerveuse que Mazille lui recommande de traiter avec des aromates. Et elle serra de nouveau et avec plus de vigueur encore que la premiere fois le bras de sa fille ainee; puis, se retournant vers la cadette: -- Ca, Margot, dit-elle, n'avez-vous pas entendu que, deja, je vous ai invitee a vous retirer chez vous? Si cela ne suffit pas, je vous l'ordonne. -- Pardonnez-moi, madame, dit Marguerite tremblante et pale, je souhaite une bonne nuit a Votre Majeste. -- Et j'espere que votre souhait sera exauce. Bonsoir, bonsoir. Marguerite se retira toute chancelante en cherchant vainement a rencontrer un regard de son mari, qui ne se retourna pas meme de son cote. Il se fit un instant de silence pendant lequel Catherine demeura les yeux fixes sur la duchesse de Lorraine, qui de son cote, sans parler, regardait sa mere les mains jointes. Henri tournait le dos, mais voyait la scene dans une glace, tout en ayant l'air de friser sa moustache avec une pommade que venait de lui donner Rene. -- Et vous, Henri, dit Catherine, sortez-vous toujours? -- Ah! oui! c'est vrai! s'ecria le roi de Navarre. Ah! par ma foi! j'oubliais que le duc d'Alencon et le prince de Conde m'attendent: ce sont ces admirables parfums qui m'enivrent et, je crois, me font perdre la memoire. Au revoir, madame. -- Au revoir! Demain, vous m'apprendrez des nouvelles de l'amiral, n'est ce pas? -- Je n'aurai garde d'y manquer. Eh bien, Phebe! qu'y a-t-il? -- Phebe! dit la reine mere avec impatience. -- Rappelez-la, madame, dit le Bearnais, car elle ne veut pas me laisser sortir. La reine mere se leva, prit la petite chienne par son collier et la retint, tandis que Henri s'eloignait le visage aussi calme et aussi riant que s'il n'eut pas senti au fond de son coeur qu'il courait danger de mort. Derriere lui, la petite chienne lachee par Catherine de Medicis s'elanca pour le rejoindre; mais la porte etait refermee, et elle ne put que glisser son museau allonge sous la tapisserie en poussant un hurlement lugubre et prolonge. -- Maintenant, Charlotte, dit Catherine a madame de Sauve, va chercher M. de Guise et Tavannes, qui sont dans mon oratoire, et reviens avec eux pour tenir compagnie a la duchesse de Lorraine qui a ses vapeurs. VII La nuit du 24 aout 1572 Lorsque La Mole et Coconnas eurent acheve leur maigre souper, car les volailles de l'hotellerie de la Belle-Etoile ne flambaient que sur l'enseigne, Coconnas fit pivoter sa chaise sur un de ses quatre pieds, etendit les jambes, appuya son coude sur la table, et degustant un dernier verre de vin: -- Est-ce que vous allez vous coucher incontinent, monsieur de la Mole? demanda-t-il. -- Ma foi! j'en aurais grande envie, monsieur, car il est possible qu'on vienne me reveiller dans la nuit. -- Et moi aussi, dit Coconnas; mais il me semble, en ce cas, qu'au lieu de nous coucher et de faire attendre ceux qui doivent nous envoyer chercher, nous ferions mieux de demander des cartes et de jouer. Cela fait qu'on nous trouverait tout prepares. -- J'accepterais volontiers la proposition, monsieur; mais pour jouer je possede bien peu d'argent; a peine si j'ai cent ecus d'or dans ma valise; et encore, c'est tout mon tresor. Maintenant, c'est a moi de faire fortune avec cela. -- Cent ecus d'or! s'ecria Coconnas, et vous vous plaignez! Mordi! mais moi, monsieur, je n'en ai que six. -- Allons donc, reprit La Mole, je vous ai vu tirer de votre poche une bourse qui m'a paru non seulement fort ronde, mais on pourrait meme dire quelque peu boursouflee. -- Ah! ceci, dit Coconnas, c'est pour eteindre une ancienne dette que je suis oblige de payer a un vieil ami de mon pere que je soupconne d'etre comme vous tant soit peu huguenot. Oui, il y a la cent nobles a la rose, continua Coconnas en frappant sur sa poche; mais ces cent nobles a la rose appartiennent a maitre Mercandon; quant a mon patrimoine personnel, il se borne, comme je vous l'ai dit, a six ecus. -- Comment jouer, alors? -- Et c'est precisement a cause de cela que je voulais jouer. D'ailleurs, il m'etait venu une idee. -- Laquelle? -- Nous venons tous deux a Paris dans un meme but? -- Oui. -- Nous avons chacun un protecteur puissant? -- Oui. -- Vous comptez sur le votre comme je compte sur le mien? -- Oui. -- Eh bien, il m'etait venu dans la pensee de jouer d'abord notre argent, puis la premiere faveur qui nous arrivera, soit de la cour, soit de notre maitresse... -- En effet, c'est fort ingenieux! dit La Mole en souriant; mais j'avoue que je ne suis pas assez joueur pour risquer ma vie tout entiere sur un coup de cartes ou de des, car de la premiere faveur qui nous arrivera a vous et a moi decoulera probablement notre vie tout entiere. -- Eh bien, laissons donc la la premiere faveur de la cour, et jouons la premiere faveur de notre maitresse. -- Je n'y vois qu'un inconvenient, dit La Mole. -- Lequel? -- C'est que je n'ai point de maitresse, moi. -- Ni moi non plus; mais je compte bien ne pas tarder a en avoir une! Dieu merci! on n'est point taille de facon a manquer de femmes. -- Aussi, comme vous dites, n'en manquerez-vous point, monsieur de Coconnas; mais, comme je n'ai point la meme confiance dans mon etoile amoureuse, je crois que ce serait vous voler que de mettre mon enjeu contre le votre. Jouons donc jusqu'a concurrence de vos six ecus, et, si vous les perdiez par malheur et que vous voulussiez continuer le jeu, eh bien, vous etes gentilhomme, et votre parole vaut de l'or. -- A la bonne heure! s'ecria Coconnas, et voila qui est parler; vous avez raison, monsieur, la parole d'un gentilhomme vaut de l'or, surtout quand ce gentilhomme a du credit a la cour. Aussi, croyez que je ne me hasarderais pas trop en jouant contre vous la premiere faveur que je devrais recevoir. -- Oui, sans doute, vous pouvez la perdre; mais moi, je ne pourrais pas la gagner; car, etant au roi de Navarre, je ne puis rien tenir de M. le duc de Guise. -- Ah! parpaillot! murmura l'hote tout en fourbissant son vieux casque, je t'avais donc bien flaire. Et il s'interrompit pour faire le signe de la croix. -- Ah ca, decidement, reprit Coconnas en battant les cartes que venait de lui apporter le garcon, vous en etes donc?... -- De quoi? -- De la religion. -- Moi? -- Oui, vous. -- Eh bien! mettez que j'en sois! dit La Mole en souriant. Avez- vous quelque chose contre nous? -- Oh! Dieu merci, non; cela m'est bien egal. Je hais profondement la huguenoterie, mais je ne deteste pas les huguenots, et puis c'est la mode. -- Oui, repliqua La Mole en riant, temoin l'arquebusade de M. l'amiral! Jouerons-nous aussi des arquebusades? -- Comme vous voudrez, dit Coconnas; pourvu que je joue, peu m'importe quoi. -- Jouons donc, dit La Mole en ramassant ses cartes et en les rangeant dans sa main. -- Oui, jouez et jouez de confiance; car, dusse-je perdre cent ecus d'or comme les votres, j'aurai demain matin de quoi les payer. -- La fortune vous viendra donc en dormant? -- Non, c'est moi qui irai la trouver. -- Ou cela, dites-moi? j'irai avec vous! -- Au Louvre. -- Vous y retournez cette nuit? -- Oui, cette nuit j'ai une audience particuliere du grand duc de Guise. Depuis que Coconnas avait parle d'aller chercher fortune au Louvre, La Huriere s'etait interrompu de fourbir sa salade et s'etait venu placer derriere la chaise de La Mole, de maniere que Coconnas seul le put voir, et de la il lui faisait des signes que le Piemontais, tout a son jeu et a sa conversation, ne remarquait pas. -- Eh bien, voila qui est miraculeux! dit La Mole, et vous aviez raison de dire que nous etions nes sous une meme etoile. Moi aussi j'ai rendez-vous au Louvre cette nuit; mais ce n'est pas avec le duc de Guise, moi, c'est avec le roi de Navarre. -- Avez-vous un mot d'ordre, vous? -- Oui. -- Un signe de ralliement? -- Non. -- Eh bien, j'en ai un, moi. Mon mot d'ordre est... A ces paroles du Piemontais, La Huriere fit un geste si expressif, juste au moment ou l'indiscret gentilhomme relevait la tete, que Coconnas s'arreta petrifie bien plus de ce geste encore que du coup par lequel il venait de perdre trois ecus. En voyant l'etonnement qui se peignait sur le visage de son _partner_, La Mole se retourna; mais il ne vit pas autre chose que son hote derriere lui, les bras croises et coiffe de la salade qu'il lui avait vu fourbir l'instant auparavant. -- Qu'avez-vous donc? dit La Mole a Coconnas. Coconnas regardait l'hote et son compagnon sans repondre, car il ne comprenait rien aux gestes redoubles de maitre La Huriere. La Huriere vit qu'il devait venir a son secours: -- C'est que, dit-il rapidement, j'aime beaucoup le jeu, moi, et comme je m'etais approche pour voir le coup sur lequel vous venez de gagner, monsieur m'aura vu coiffe en guerre, et cela l'aura surpris de la part d'un pauvre bourgeois. -- Bonne figure, en effet! s'ecria La Mole en eclatant de rire. -- Eh, monsieur! repliqua La Huriere avec une bonhomie admirablement jouee et un mouvement d'epaule plein du sentiment de son inferiorite, nous ne sommes pas des vaillants, nous autres, et nous n'avons pas la tournure raffinee. C'est bon pour les braves gentilshommes comme vous de faire reluire les casques dores et les fines rapieres, et pourvu que nous montions exactement notre garde... -- Ah! ah! dit La Mole en battant les cartes a son tour, vous montez votre garde? -- Eh! mon Dieu, oui, monsieur le comte; je suis sergent d'une compagnie de milice bourgeoise. Et cela dit, tandis que La Mole etait occupe a donner les cartes, La Huriere se retira en posant un doigt sur ses levres pour recommander la discretion a Coconnas, plus interdit que jamais. Cette precaution fut cause sans doute qu'il perdit le second coup presque aussi rapidement qu'il venait de perdre le premier. -- Eh bien, dit La Mole, voila qui fait juste vos six ecus! Voulez-vous votre revanche sur votre fortune future? -- Volontiers, dit Coconnas, volontiers. -- Mais avant de vous engager plus avant, ne me disiez-vous pas que vous aviez rendez-vous avec M. de Guise? Coconnas tourna ses regards vers la cuisine et vit les gros yeux de La Huriere qui repetaient le meme avertissement. -- Oui, dit-il; mais il n'est pas encore l'heure. D'ailleurs, parlons un peu de vous, monsieur de la Mole. -- Nous ferions mieux, je crois, de parler du jeu, mon cher monsieur de Coconnas, car, ou je me trompe fort, ou me voila encore en train de vous gagner six ecus. -- Mordi! c'est la verite... On me l'avait toujours dit, que les huguenots avaient du bonheur au jeu. J'ai envie de me faire huguenot, le diable m'emporte! Les yeux de La Huriere etincelerent comme deux charbons; mais Coconnas, tout a son jeu, ne les apercut pas. -- Faites, comte, faites, dit La Mole, et quoique la facon dont la vocation vous est venue soit singuliere, vous serez le bien recu parmi nous. Coconnas se gratta l'oreille. -- Si j'etais sur que votre bonheur vient de la, dit-il, je vous reponds bien... car, enfin, je ne tiens pas enormement a la messe, moi, et des que le roi n'y tient pas non plus... -- Et puis... c'est une si belle religion, dit La Mole, si simple, si pure! -- Et puis... elle est a la mode, dit Coconnas, et puis... elle porte bonheur au jeu, car, le diable m'emporte! il n'y a d'as que pour vous; et cependant je vous examine depuis que nous avons les cartes aux mains: vous jouez franc jeu, vous ne trichez pas... il faut que ce soit la religion... -- Vous me devez six ecus de plus, dit tranquillement La Mole. -- Ah! comme vous me tentez! dit Coconnas, et si cette nuit je ne suis pas content de M. de Guise... -- Eh bien? -- Eh bien, demain je vous demande de me presenter au roi de Navarre; et, soyez tranquille, si une fois je me fais huguenot, je serai plus huguenot que Luther, que Calvin, que Melanchthon et que tous les reformistes de la terre. -- Chut! dit La Mole, vous allez vous brouiller avec notre hote. -- Oh! c'est vrai! dit Coconnas en tournant les yeux vers la cuisine. Mais non, il ne nous ecoute pas; il est trop occupe en ce moment. -- Que fait-il donc? dit La Mole, qui, de sa place, ne pouvait l'apercevoir. -- Il cause avec... Le diable m'emporte! c'est lui! -- Qui, lui? -- Cette espece d'oiseau de nuit avec lequel il causait deja quand nous sommes arrives, l'homme au pourpoint jaune et au manteau amadou. Mordi! quel feu il y met! Eh! dites donc, maitre La Huriere! est-ce que vous faites de la politique, par hasard? Mais cette fois la reponse de maitre La Huriere fut un geste si energique et si imperieux, que, malgre son amour pour le carton peint, Coconnas se leva et alla a lui. -- Qu'avez-vous donc? demanda La Mole. -- Vous demandez du vin, mon gentilhomme? dit La Huriere saisissant vivement la main de Coconnas, on va vous en donner. Gregoire! du vin a ces messieurs! Puis a l'oreille: -- Silence, lui glissa-t-il, silence, sur votre vie! et congediez votre compagnon. La Huriere etait si pale, l'homme jaune si lugubre, que Coconnas ressentit comme un frisson, et se retournant vers La Mole: -- Mon cher monsieur de la Mole, lui dit-il, je vous prie de m'excuser. Voila cinquante ecus que je perds en un tour de main. Je suis en malheur ce soir, et je craindrais de m'embarrasser. -- Fort bien, monsieur, fort bien, dit La Mole, a votre aise. D'ailleurs, je ne suis point fache de me jeter un instant sur mon lit. Maitre La Huriere! ... -- Monsieur le comte? -- Si l'on venait me chercher de la part du roi de Navarre, vous me reveilleriez. Je serai tout habille, et par consequent vite pret. -- C'est comme moi, dit Coconnas; pour ne pas faire attendre Son Altesse un seul instant, je vais me preparer le signe. Maitre La Huriere, donnez-moi des ciseaux et du papier blanc. -- Gregoire! cria La Huriere, du papier blanc pour ecrire une lettre, des ciseaux pour en tailler l'enveloppe! -- Ah ca, decidement, se dit a lui-meme le Piemontais, il se passe ici quelque chose d'extraordinaire. -- Bonsoir, monsieur de Coconnas! dit La Mole. Et vous, mon hote, faites-moi l'amitie de me montrer le chemin de ma chambre. Bonne chance, notre ami! Et La Mole disparut dans l'escalier tournant, suivi de La Huriere. Alors l'homme mysterieux saisit a son tour le bras de Coconnas, et, l'attirant a lui, il lui dit avec volubilite: -- Monsieur, vous avez failli reveler cent fois un secret duquel depend le sort du royaume. Dieu a voulu que votre bouche fut fermee a temps. Un mot de plus, et j'allais vous abattre d'un coup d'arquebuse. Maintenant nous sommes seuls, heureusement, ecoutez. -- Mais qui etes-vous, pour me parler avec ce ton de commandement? demanda Coconnas. -- Avez-vous, par hasard, entendu parler du sire de Maurevel? -- Le meurtrier de l'amiral? -- Et du capitaine de Mouy. -- Oui, sans doute. -- Eh bien, le sire de Maurevel, c'est moi. -- Oh! oh! fit Coconnas. -- Ecoutez-moi donc. -- Mordi! Je crois bien que je vous ecoute. -- Chut! fit le sire de Maurevel en portant son doigt a sa bouche. Coconnas demeura l'oreille tendue. On entendit en ce moment l'hote refermer la porte d'une chambre, puis la porte du corridor, y mettre les verrous, et revenir precipitamment du cote des deux interlocuteurs. Il offrit alors un siege a Coconnas, un siege a Maurevel, et en prenant un troisieme pour lui: -- Tout est bien clos, dit-il, monsieur de Maurevel, vous pouvez parler. Onze heures sonnaient en Saint-Germain-l'Auxerrois. Maurevel compta l'un apres l'autre chaque battement de marteau qui retentissait vibrant et lugubre dans la nuit, et quand le dernier se fut eteint dans l'espace: -- Monsieur, dit-il en se retournant vers Coconnas tout herisse a l'aspect des precautions que prenaient les deux hommes, monsieur, etes-vous bon catholique? -- Mais je le crois, repondit Coconnas. -- Monsieur, continua Maurevel, etes-vous devoue au roi? -- De coeur et d'ame. Je crois meme que vous m'offensez, monsieur, en m'adressant une pareille question. -- Nous n'aurons pas de querelle la-dessus; seulement, vous allez nous suivre. -- Ou cela? -- Peu vous importe. Laissez-vous conduire. Il y va de votre fortune et peut-etre de votre vie. -- Je vous previens, monsieur, qu'a minuit j'ai affaire au Louvre. -- C'est justement la que nous allons. -- M. de Guise m'y attend. -- Nous aussi. -- Mais j'ai un mot de passe particulier, continua Coconnas un peu mortifie de partager l'honneur de son audience avec le sire de Maurevel et maitre La Huriere. -- Nous aussi. -- Mais j'ai un signe de reconnaissance. Maurevel sourit, tira de dessous son pourpoint une poignee de croix en etoffe blanche, en donna une a La Huriere, une a Coconnas, et en prit une pour lui. La Huriere attacha la sienne a son casque, Maurevel en fit autant de la sienne a son chapeau. -- Oh ca! dit Coconnas stupefait, le rendez-vous, le mot d'ordre, le signe de ralliement, c'est donc pour tout le monde? -- Oui, monsieur; c'est-a-dire pour tous les bons catholiques. -- Il y a fete au Louvre alors, banquet royal, n'est-ce pas? s'ecria Coconnas, et l'on en veut exclure ces chiens de huguenots?... Bon! bien! a merveille! Il y a assez longtemps qu'ils y paradent. -- Oui, il y a fete au Louvre, dit Maurevel, il y a banquet royal, et les huguenots y seront convies... Il y a plus, ils seront les heros de la fete, ils paieront le banquet, et, si vous voulez bien etre des notres, nous allons commencer par aller inviter leur principal champion, leur Gedeon, comme ils disent. -- M. l'amiral? s'ecria Coconnas. -- Oui, le vieux Gaspard, que j'ai manque comme un imbecile, quoique j'aie tire sur lui avec l'arquebuse meme du roi. -- Et voila pourquoi, mon gentilhomme, je fourbissais ma salade, j'affilais mon epee et je repassais mes couteaux, dit d'une voix stridente maitre La Huriere travesti en guerre. A ces mots, Coconnas frissonna et devint fort pale, car il commencait a comprendre. -- Quoi, vraiment! s'ecria-t-il, cette fete, ce banquet... c'est... on va... -- Vous avez ete bien long a deviner, monsieur, dit Maurevel, et l'on voit bien que vous n'etes pas fatigue comme nous des insolences de ces heretiques. -- Et vous prenez sur vous, dit-il, d'aller chez l'amiral, et de...? Maurevel sourit, et attirant Coconnas contre la fenetre: -- Regardez, dit-il; voyez-vous, sur la petite place, au bout de la rue, derriere l'eglise, cette troupe qui se range silencieusement dans l'ombre? -- Oui. -- Les hommes qui composent cette troupe ont, comme maitre La Huriere, vous et moi, une croix au chapeau. -- Eh bien? -- Eh bien, ces hommes, c'est une compagnie de Suisses des petits cantons, commandes par Toquenot; vous savez que messieurs des petits cantons sont les comperes du roi. -- Oh! oh! fit Coconnas. -- Maintenant, voyez cette troupe de cavaliers qui passe sur le quai; reconnaissez-vous son chef? -- Comment voulez-vous que je le reconnaisse? dit Coconnas tout fremissant, je suis a Paris de ce soir seulement. -- Eh bien, c'est celui avec qui vous avez rendez-vous a minuit au Louvre. Voyez, il va vous y attendre. -- Le duc de Guise? -- Lui-meme. Ceux qui l'escortent sont Marcel, ex-prevot des marchands, et J. Choron, prevot actuel. Les deux derniers vont mettre sur pied leurs compagnies de bourgeois; et tenez, voici le capitaine du quartier qui entre dans la rue: regardez bien ce qu'il va faire. -- Il heurte a chaque porte. Mais qu'y a-t-il donc sur les portes auxquelles il heurte? -- Une croix blanche, jeune homme; une croix pareille a celle que nous avons a nos chapeaux. Autrefois on laissait a Dieu le soin de distinguer les siens; aujourd'hui nous sommes plus civilises, et nous lui epargnons cette besogne. -- Mais chaque maison a laquelle il frappe s'ouvre, et de chaque maison sortent des bourgeois armes. -- Il frappera a la notre comme aux autres, et nous sortirons a notre tour. -- Mais, dit Coconnas, tout ce monde sur pied pour aller tuer un vieil huguenot! Mordi! c'est honteux! c'est une affaire d'egorgeurs et non de soldats! -- Jeune homme, dit Maurevel, si les vieux vous repugnent, vous pourrez en choisir de jeunes. Il y en aura pour tous les gouts. Si vous meprisez les poignards, vous pourrez vous servir de l'epee; car les huguenots ne sont pas gens a se laisser egorger sans se defendre, et, vous le savez, les huguenots, jeunes ou vieux, ont la vie dure. -- Mais on les tuera donc tous, alors? s'ecria Coconnas. -- Tous. -- Par ordre du roi? -- Par ordre du roi et de M. de Guise. -- Et quand cela? -- Quand vous entendrez la cloche de Saint-Germain-l'Auxerrois. -- Ah! c'est donc pour cela que cet aimable Allemand, qui est a M. de Guise... comment l'appelez-vous donc? -- M. de Besme? -- Justement. C'est donc pour cela que M. de Besme me disait d'accourir au premier coup de tocsin? -- Vous avez donc vu M. de Besme? -- Je l'ai vu et je lui ai parle. -- Ou cela? -- Au Louvre. C'est lui qui m'a fait entrer, qui m'a donne le mot d'ordre, qui m'a... -- Regardez. -- Mordi! c'est lui-meme. -- Voulez-vous lui parler? -- Sur mon ame! je n'en serais pas fache. Maurevel ouvrit doucement la fenetre. Besme, en effet, passait avec une vingtaine d'hommes. -- _Guise et Lorraine! _dit Maurevel. Besme se retourna, et, comprenant que c'etait a lui qu'on avait affaire, il s'approcha. -- Ah! ah! c'etre fous, monsir de Maurefel. -- Oui, c'est moi; que cherchez-vous? -- J'y cherche l'auperge de la Belle-Etoile, pour brevenir un certain monsir Gogonnas. -- Me voici, monsieur de Besme! dit le jeune homme. -- Ah! pon, ah! pien... Vous etes bret? -- Oui. Que faut-il faire? -- Ce que vous tira monsir de Maurefel. C'etre un bon gatholique. -- Vous l'entendez? dit Maurevel. -- Oui, repondit Coconnas. Mais vous, monsieur de Besme, ou allez- vous? -- Moi?... dit de Besme en riant... -- Oui, vous? -- Moi, je fas tire un betit mot a l'amiral. -- Dites-lui-en deux, s'il le faut, dit Maurevel, et que cette fois, s'il se releve du premier, il ne se releve pas du second. -- Soyez dranguille, monsir de Maurefel, soyez dranguille, et tressez-moi pien ce cheune homme-la. -- Oui, oui, n'ayez pas de crainte, les Coconnas sont de fins limiers, et bons chiens chassent de race. -- Atieu! -- Allez. -- Et fous? -- Commencez toujours la chasse, nous arriverons pour la curee. De Besme s'eloigna et Maurevel ferma la fenetre. -- Vous l'entendez, jeune homme? dit Maurevel; si vous avez quelque ennemi particulier, quand il ne serait pas tout a fait huguenot, mettez-le sur la liste, et il passera avec les autres. Coconnas, plus etourdi que jamais de tout ce qu'il voyait et de tout ce qu'il entendait, regardait tour a tour l'hote, qui prenait des poses formidables, et Maurevel, qui tirait tranquillement un papier de sa poche. -- Quant a moi, voila ma liste, dit-il; trois cents. Que chaque bon catholique fasse, cette nuit, la dixieme partie de la besogne que je ferai, et il n'y aura plus demain un seul heretique dans le royaume! -- Chut! dit La Huriere. -- Quoi? repeterent ensemble Coconnas et Maurevel. On entendit vibrer le premier coup de beffroi a Saint-Germain- l'Auxerrois. -- Le signal! s'ecria Maurevel. L'heure est donc avancee? Ce n'etait que pour minuit, m'avait-on dit... Tant mieux! Quand il s'agit de la gloire de Dieu et du roi, mieux vaut les horloges qui avancent que celles qui retardent. En effet, on entendit tinter lugubrement la cloche de l'eglise. Bientot un premier coup de feu retentit, et presque aussitot la lueur de plusieurs flambeaux illumina comme un eclair la rue de l'Arbre-Sec. Coconnas passa sur son front sa main humide de sueur. -- C'est commence, s'ecria Maurevel, en route! -- Un moment, un moment! dit l'hote; avant de nous mettre en campagne, assurons-nous du logis, comme on dit a la guerre. Je ne veux pas qu'on egorge ma femme et mes enfants pendant que je serai dehors: il y a un huguenot ici. -- M. de La Mole? s'ecria Coconnas avec un soubresaut. -- Oui! le parpaillot s'est jete dans la gueule du loup. -- Comment! dit Coconnas, vous vous attaqueriez a votre hote? -- C'est a son intention surtout que j'ai repasse ma rapiere. -- Oh! oh! fit le Piemontais en froncant le sourcil. -- Je n'ai jamais tue personne que mes lapins, mes canards et mes poulets, repliqua le digne aubergiste; je ne sais donc trop comment m'y prendre pour tuer un homme. Eh bien, je vais m'exercer sur celui-la. Si je fais quelque gaucherie, au moins personne ne sera la pour se moquer de moi. -- Mordi, c'est dur! objecta Coconnas. M. de La Mole est mon compagnon, M. de La Mole a soupe avec moi, M. de La Mole a joue avec moi. -- Oui, mais M. de La Mole est un heretique, dit Maurevel. M. de La Mole est condamne; et si nous ne le tuons pas, d'autres le tueront. -- Sans compter, dit l'hote, qu'il vous a gagne cinquante ecus. -- C'est vrai, dit Coconnas, mais loyalement, j'en suis sur. -- Loyalement ou non, il vous faudra toujours le payer; tandis que, si je le tue, vous etes quitte. -- Allons, allons! depechons, messieurs, s'ecria Maurevel; une arquebusade, un coup de rapiere, un coup de marteau, un coup de chenet, un coup de ce que vous voudrez; mais finissons-en, si vous voulez arriver a temps, comme nous avons promis, pour aider M. de Guise chez l'amiral. Coconnas soupira. -- J'y cours! s'ecria La Huriere, attendez-moi. -- Mordi! s'ecria Coconnas, il va faire souffrir ce pauvre garcon, et le voler peut-etre. Je veux etre la pour l'achever, s'il est besoin, et empecher qu'on ne touche a son argent. Et mu par cette heureuse idee, Coconnas monta l'escalier derriere maitre La Huriere, qu'il eut bientot rejoint; car, a mesure qu'il montait, par un effet de la reflexion sans doute, La Huriere ralentissait le pas. Au moment ou il arrivait a la porte, toujours suivi de Coconnas, plusieurs coups de feu retentirent dans la rue. Aussitot on entendit La Mole sauter de son lit et le plancher crier sous ses pas. -- Diable! murmura La Huriere un peu trouble, il est reveille, je crois! -- Ca m'en a l'air, dit Coconnas. -- Et il va se defendre? -- Il en est capable. Dites donc, maitre La Huriere, s'il allait vous tuer, ca serait drole. -- Hum! hum! fit l'hote. Mais, se sentant arme d'une bonne arquebuse, il se rassura et enfonca la porte d'un vigoureux coup de pied. On vit alors La Mole, sans chapeau, mais tout vetu, retranche derriere son lit, son epee entre ses dents et ses pistolets a la main. -- Oh! oh! dit Coconnas en ouvrant les narines en veritable bete fauve qui flaire le sang, voila qui devient interessant, maitre La Huriere. Allons, allons! en avant! -- Ah! l'on veut m'assassiner, a ce qu'il parait! cria La Mole dont les yeux flamboyaient, et c'est toi, miserable? Maitre La Huriere ne repondit a cette apostrophe qu'en abaissant son arquebuse et qu'en mettant le jeune homme en joue. Mais La Mole avait vu la demonstration, et, au moment ou le coup partit, il se jeta a genoux, et la balle passa pardessus sa tete. -- A moi! cria La Mole, a moi, monsieur de Coconnas! -- A moi! monsieur de Maurevel, a moi! cria La Huriere. -- Ma foi, monsieur de la Mole! dit Coconnas, tout ce que je puis dans cette affaire est de ne point me mettre contre vous. Il parait qu'on tue cette nuit les huguenots au nom du roi. Tirez- vous de la comme vous pourrez. -- Ah! traitres! ah! assassins! c'est comme cela! eh bien, attendez. Et La Mole, visant a son tour, lacha la detente d'un de ses pistolets. La Huriere, qui ne le perdait pas de vue, eut le temps de se jeter de cote; mais Coconnas, qui ne s'attendait pas a cette riposte, resta a la place ou il etait et la balle lui effleura l'epaule. -- Mordi! cria-t-il en grincant des dents, j'en tiens; a nous deux donc! puisque tu le veux. Et, tirant sa rapiere, il s'elanca vers La Mole. Sans doute, s'il eut ete seul, La Mole l'eut attendu; mais Coconnas avait derriere lui maitre La Huriere qui rechargeait son arquebuse, sans compter Maurevel qui, pour se rendre a l'invitation de l'aubergiste, montait les escaliers quatre a quatre. La Mole se jeta donc dans un cabinet, et verrouilla la porte derriere lui. -- Ah! schelme! s'ecria Coconnas furieux, heurtant la porte du pommeau de sa rapiere, attends, attends. Je veux te trouer le corps d'autant de coups d'epee que tu m'as gagne d'ecus ce soir! Ah! je viens pour t'empecher de souffrir! ah! je viens pour qu'on ne te vole pas, et tu me recompenses en m'envoyant une balle dans l'epaule! attends! birbonne! attends! Sur ces entrefaites, maitre La Huriere s'approcha et d'un coup de crosse de son arquebuse fit voler la porte en eclats. Coconnas s'elanca dans le cabinet, mais il alla donner du nez contre la muraille: le cabinet etait vide et la fenetre ouverte. -- Il se sera precipite, dit l'hote; et comme nous sommes au quatrieme, il est mort. -- Ou il se sera sauve par le toit de la maison voisine, dit Coconnas en enjambant la barre de la fenetre et en s'appretant a le suivre sur ce terrain glissant et escarpe. Mais Maurevel et La Huriere se precipiterent sur lui, et le ramenant dans la chambre: -- Etes-vous fou? s'ecrierent-ils tous deux a la fois. Vous allez vous tuer. -- Bah, dit Coconnas, je suis montagnard, moi, et habitue a courir dans les glaciers. D'ailleurs, quand un homme m'a insulte une fois, je monterais avec lui jusqu'au ciel, ou je descendrais avec lui jusqu'en enfer, quelque chemin qu'il prit pour y arriver. Laissez-moi faire. -- Allons donc! dit Maurevel, ou il est mort, ou il est loin maintenant. Venez avec nous; et si celui-la vous echappe, vous en trouverez mille autres a sa place. -- Vous avez raison, hurla Coconnas. Mort aux huguenots! J'ai besoin de me venger, et le plus tot sera le mieux. Et tous trois descendirent l'escalier comme une avalanche. -- Chez l'amiral! cria Maurevel. -- Chez l'amiral! repeta La Huriere. -- Chez l'amiral, donc! puisque vous le voulez, dit a son tour Coconnas. Et tous trois s'elancerent de l'hotel de la Belle-Etoile, laisse en garde a Gregoire et aux autres garcons, se dirigeant vers l'hotel de l'amiral, situe rue de Bethisy; une flamme brillante et le bruit des arquebusades les guidaient de ce cote. -- Eh! qui vient la? s'ecria Coconnas. Un homme sans pourpoint et sans echarpe. -- C'en est un qui se sauve, dit Maurevel. -- A vous, a vous! a vous qui avez des arquebuses, s'ecria Coconnas. -- Ma foi, non, dit Maurevel; je garde ma poudre pour meilleur gibier. -- A vous, La Huriere. -- Attendez, attendez, dit l'aubergiste en ajustant. -- Ah! oui, attendez, s'ecria Coconnas; et en attendant il va se sauver. Et il s'elanca a la poursuite du malheureux qu'il eut bientot rejoint, car il etait deja blesse. Mais au moment ou, pour ne pas le frapper par derriere, il lui criait: "Tourne, mais tourne donc!" un coup d'arquebuse retentit, une balle siffla aux oreilles de Coconnas, et le fugitif roula comme un lievre atteint dans sa course la plus rapide par le plomb du chasseur. Un cri de triomphe se fit entendre derriere Coconnas; le Piemontais se retourna, et vit La Huriere agitant son arme. -- Ah! cette fois, s'ecria-t-il, j'ai etrenne au moins. -- Oui, mais vous avez manque me percer d'outre en outre, moi. -- Prenez garde, mon gentilhomme, prenez garde, cria La Huriere. Coconnas fit un bond en arriere. Le blesse s'etait releve sur un genou; et, tout entier a la vengeance, il allait percer Coconnas de son poignard au moment meme ou l'avertissement de son hote avait prevenu le Piemontais. -- Ah! vipere! s'ecria Coconnas. Et, se jetant sur le blesse, il lui enfonca trois fois son epee jusqu'a la garde dans la poitrine. -- Et maintenant, s'ecria Coconnas laissant le huguenot se debattre dans les convulsions de l'agonie, chez l'amiral! chez l'amiral! -- Ah! ah! mon gentilhomme, dit Maurevel, il parait que vous y mordez. -- Ma foi, oui, dit Coconnas. Je ne sais pas si c'est l'odeur de la poudre qui me grise ou la vue du sang qui m'excite, mais, mordi! je prends gout a la tuerie. C'est comme qui dirait une battue a l'homme. Je n'ai encore fait que des battues a l'ours ou au loup, et sur mon honneur la battue a l'homme me parait plus divertissante. Et tous trois reprirent leur course. VIII Les massacres L'hotel qu'habitait l'amiral etait, comme nous l'avons dit, situe rue de Bethisy. C'etait une grande maison s'elevant au fond d'une cour avec deux ailes en retour sur la rue. Un mur ouvert par une grande porte et par deux petites grilles donnait entree dans cette cour. Lorsque nos trois guisards atteignirent l'extremite de la rue de Bethisy, qui fait suite a la rue des Fosses-Saint-Germain- l'Auxerrois, ils virent l'hotel entoure de Suisses, de soldats et de bourgeois en armes; tous tenaient a la main droite ou des epees, ou des piques, ou des arquebuses, et quelques-uns, a la main gauche, des flambeaux qui repandaient sur cette scene un jour funebre et vacillant, lequel, suivant le mouvement imprime, s'epandait sur le pave, montait le long des murailles ou flamboyait sur cette mer vivante ou chaque arme jetait son eclair. Tout autour de l'hotel et dans les rues Tirechappe, Etienne et Bertin-Poiree, l'oeuvre terrible s'accomplissait. De longs cris se faisaient entendre, la mousqueterie petillait, et de temps en temps quelque malheureux, a moitie nu, pale, ensanglante, passait, bondissant comme un daim poursuivi, dans un cercle de lumiere funebre ou semblait s'agiter un monde de demons. En un instant, Coconnas, Maurevel et La Huriere, signales de loin par leurs croix blanches et accueillis par des cris de bienvenue, furent au plus epais de cette foule haletante et pressee comme une meute. Sans doute ils n'eussent pas pu passer; mais quelques-uns reconnurent Maurevel et lui firent faire place. Coconnas et La Huriere se glisserent a sa suite; tous trois parvinrent donc a se glisser dans la cour. Au centre de cette cour, dont les trois portes etaient enfoncees, un homme, autour duquel les assassins laissaient un vide respectueux, se tenait debout, appuye sur une rapiere nue, et les yeux fixes sur un balcon eleve de quinze pieds a peu pres et s'etendant devant la fenetre principale de l'hotel. Cet homme frappait du pied avec impatience, et de temps en temps se retournait pour interroger ceux qui se trouvaient les plus proches de lui. -- Rien encore, murmura-t-il. Personne... Il aura ete prevenu, il aura fui. Qu'en pensez-vous, Du Gast? -- Impossible, Monseigneur. -- Pourquoi pas? Ne m'avez-vous pas dit qu'un instant avant que nous arrivassions, un homme sans chapeau, l'epee nue a la main et courant comme s'il etait poursuivi, etait venu frapper a la porte, et qu'on lui avait ouvert? -- Oui, Monseigneur; mais presque aussitot M. de Besme est arrive, les portes ont ete enfoncees, l'hotel cerne. L'homme est bien entre, mais a coup sur il n'a pu sortir. -- Eh! mais, dit Coconnas a La Huriere, est-ce que je me trompe, ou n'est-ce pas M. de Guise que je vois la? -- Lui-meme, mon gentilhomme. Oui, c'est le grand Henri de Guise en personne, qui attend sans doute que l'amiral sorte pour lui en faire autant que l'amiral en a fait a son pere. Chacun a son tour, mon gentilhomme, et, Dieu merci! c'est aujourd'hui le notre. -- Hola! Besme! hola! cria le duc de sa voix puissante, n'est-ce donc point encore fini? Et, de la pointe de son epee impatiente comme lui, il faisait jaillir des etincelles du pave. En ce moment, on entendit comme des cris dans l'hotel, puis des coups de feu, puis un grand mouvement de pieds et un bruit d'armes heurtees, auquel succeda un nouveau silence. Le duc fit un mouvement pour se precipiter dans la maison. -- Monseigneur, Monseigneur, lui dit Du Gast en se rapprochant de lui et en l'arretant, votre dignite vous commande de demeurer et d'attendre. -- Tu as raison, Du Gast; merci! j'attendrai. Mais, en verite, je meurs d'impatience et d'inquietude. Ah! s'il m'echappait! Tout a coup le bruit des pas se rapprocha... les vitres du premier etage s'illuminerent de reflets pareils a ceux d'un incendie. La fenetre, sur laquelle le duc avait tant de fois leve les yeux, s'ouvrit ou plutot vola en eclats; et un homme, au visage pale et au cou blanc tout souille de sang, apparut sur le balcon. -- Besme! cria le duc; enfin c'est toi! Eh bien? eh bien? -- Foila, foila! repondit froidement l'Allemand, qui, se baissant, se releva presque aussitot en paraissant soulever un poids considerable. -- Mais les autres, demanda impatiemment le duc, les autres, ou sont-ils? -- Les autres, ils achefent les autres. -- Et toi, toi! qu'as-tu fait? -- Moi, fous allez foir; regulez-vous un beu. Le duc fit un pas en arriere. En ce moment on put distinguer l'objet que Besme attirait a lui d'un si puissant effort. C'etait le cadavre d'un vieillard. Il le souleva au-dessus du balcon, le balanca un instant dans le vide, et le jeta aux pieds de son maitre. Le bruit sourd de la chute, les flots de sang qui jaillirent du corps et diaprerent au loin le pave, frapperent d'epouvante jusqu'au duc lui-meme; mais ce sentiment dura peu, et la curiosite fit que chacun s'avanca de quelques pas, et que la lueur d'un flambeau vint trembler sur la victime. On distingua alors une barbe blanche, un visage venerable, et des mains raidies par la mort. -- L'amiral, s'ecrierent ensemble vingt voix qui ensemble se turent aussitot. -- Oui, l'amiral. C'est bien lui, dit le duc en se rapprochant du cadavre pour le contempler avec une joie silencieuse. -- L'amiral! l'amiral! repeterent a demi-voix tous les temoins de cette terrible scene, se serrant les uns contre les autres, et se rapprochant timidement de ce grand vieillard abattu. -- Ah! te voila donc, Gaspard! dit le duc de Guise triomphant; tu as fait assassiner mon pere, je le venge! Et il osa poser le pied sur la poitrine du heros protestant. Mais aussitot les yeux du mourant s'ouvrirent avec effort, sa main sanglante et mutilee se crispa une derniere fois, et l'amiral, sans sortir de son immobilite, dit au sacrilege d'une voix sepulcrale: -- Henri de Guise, un jour aussi tu sentiras sur ta poitrine le pied d'un assassin. Je n'ai pas tue ton pere. Sois maudit! Le duc, pale et tremblant malgre lui, sentit un frisson de glace courir par tout son corps; il passa la main sur son front comme pour en chasser la vision lugubre; puis, quand il la laissa retomber, quand il osa reporter la vue sur l'amiral, ses yeux s'etaient refermes, sa main etait redevenue inerte, et un sang noir epanche de sa bouche sur sa barbe blanche avait succede aux terribles paroles que cette bouche venait de prononcer. Le duc releva son epee avec un geste de resolution desesperee. -- Eh bien, monsir, lui dit Besme, etes-fous gontent? -- Oui, mon brave, oui, repliqua Henri, car tu as venge... -- Le dugue Francois, n'est-ce pas? -- La religion, reprit Henri d'une voix sourde. Et maintenant, continua-t-il en se retournant vers les Suisses, les soldats et les bourgeois qui encombraient la cour et la rue, a l'oeuvre, mes amis, a l'oeuvre! -- Eh! bonjour, monsieur de Besme, dit alors Coconnas s'approchant avec une sorte d'admiration de l'Allemand, qui, toujours sur le balcon, essuyait tranquillement son epee. -- C'est donc vous qui l'avez expedie? cria La Huriere en extase; comment avez-vous fait cela, mon digne gentilhomme? -- Oh! pien zimblement, pien zimblement: il avre entendu tu pruit, il avre oufert son borte, et moi ly avre passe mon rapir tans le corps a lui. Mais ce n'est bas le dout, che grois que le Teligny en dient, che l'endens grier. En ce moment, en effet, quelques cris de detresse qui semblaient pousses par une voix de femme se firent entendre; des reflets rougeatres illuminerent une des deux ailes formant galerie. On apercut deux hommes qui fuyaient poursuivis par une longue file de massacreurs. Une arquebusade tua l'un; l'autre trouva sur son chemin une fenetre ouverte, et, sans mesurer la hauteur, sans s'inquieter des ennemis qui l'attendaient en bas, il sauta intrepidement dans la cour. -- Tuez! tuez! crierent les assassins en voyant leur victime prete a leur echapper. L'homme se releva en ramassant son epee, qui, dans sa chute, lui etait echappee des mains, prit sa course tete baissee a travers les assistants, enculbuta trois ou quatre, en perca un de son epee, et au milieu du feu des pistolades, au milieu des imprecations des soldats furieux de l'avoir manque, il passa comme l'eclair devant Coconnas, qui l'attendait a la porte, le poignard a la main. -- Touche! cria le Piemontais en lui traversant le bras de sa lame fine et aigue. -- Lache! repondit le fugitif en fouettant le visage de son ennemi avec la lame de son epee, faute d'espace pour lui donner un coup de pointe. -- Oh! mille demons! s'ecria Coconnas, c'est monsieur de la Mole! -- Monsieur de la Mole! repeterent La Huriere et Maurevel. -- C'est celui qui a prevenu l'amiral! crierent plusieurs soldats. -- Tue! tue! ... hurla-t-on de tous cotes. Coconnas, La Huriere et dix soldats s'elancerent a la poursuite de La Mole, qui, couvert de sang et arrive a ce degre d'exaltation qui est la derniere reserve de la vigueur humaine, bondissait par les rues, sans autre guide que l'instinct. Derriere lui, les pas et les cris de ses ennemis l'eperonnaient et semblaient lui donner des ailes. Parfois une balle sifflait a son oreille et imprimait tout a coup a sa course, pres de se ralentir, une nouvelle rapidite. Ce n'etait plus une respiration, ce n'etait plus une haleine qui sortait de sa poitrine, mais un rale sourd, mais un rauque hurlement. La sueur et le sang degouttaient de ses cheveux et coulaient confondus sur son visage. Bientot son pourpoint devint trop serre pour les battements de son coeur, et il l'arracha. Bientot son epee devint trop lourde pour sa main, et il la jeta loin de lui. Parfois il lui semblait que les pas s'eloignaient et qu'il etait pres d'echapper a ses bourreaux; mais aux cris de ceux-ci, d'autres massacreurs qui se trouvaient sur son chemin et plus rapproches quittaient leur besogne sanglante et accouraient. Tout a coup il apercut la riviere coulant silencieusement a sa gauche; il lui sembla qu'il eprouverait, comme le cerf aux abois, un indicible plaisir a s'y precipiter, et la force supreme de la raison put seule le retenir. A sa droite c'etait le Louvre, sombre, immobile, mais plein de bruits sourds et sinistres. Sur le pont-levis entraient et sortaient des casques, des cuirasses, qui renvoyaient en froids eclairs les rayons de la lune. La Mole songea au roi de Navarre comme il avait songe a Coligny: c'etaient ses deux seuls protecteurs. Il reunit toutes ses forces, regarda le ciel en faisant tout bas le voeu d'abjurer s'il echappait au massacre, fit perdre par un detour une trentaine de pas a la meute qui le poursuivait, piqua droit vers le Louvre, s'elanca sur le pont pele-mele avec les soldats, recut un nouveau coup de poignard qui glissa le long des cotes, et, malgre les cris de: "Tue! tue!" qui retentissaient derriere lui et autour de lui, malgre l'attitude offensive que prenaient les sentinelles, il se precipita comme une fleche dans la cour, bondit jusqu'au vestibule, franchit l'escalier, monta deux etages, reconnut une porte et s'y appuya en frappant des pieds et des mains. -- Qui est la?murmura une voix de femme. -- Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura La Mole, ils viennent... je les entends... les voila... je les vois... C'est moi! ... moi! ... -- Qui vous? reprit la voix. La Mole se rappela le mot d'ordre. -- Navarre! Navarre! cria-t-il. Aussitot la porte s'ouvrit. La Mole, sans voir, sans remercier Gillonne, fit irruption dans un vestibule, traversa un corridor, deux ou trois appartements, et parvint enfin dans une chambre eclairee par une lampe suspendue au plafond. Sous des rideaux de velours fleurdelise d'or, dans un lit de chene sculpte, une femme a moitie nue, appuyee sur son bras, ouvrait des yeux fixes d'epouvante. La Mole se precipita vers elle. -- Madame! s'ecria-t-il, on tue, on egorge mes freres; on veut me tuer, on veut m'egorger aussi. Ah! vous etes la reine... sauvez- moi. Et il se precipita a ses pieds, laissant sur le tapis une large trace de sang. En voyant cet homme pale, defait, agenouille devant elle, la reine de Navarre se dressa epouvantee, cachant son visage entre ses mains et criant au secours. -- Madame, dit La Mole en faisant un effort pour se relever, au nom du Ciel, n'appelez pas, car si l'on vous entend, je suis perdu! Des assassins me poursuivent, ils montaient les degres derriere moi. Je les entends... les voila! les voila! ... -- Au secours! repeta la reine de Navarre, hors d'elle, au secours! -- Ah! c'est vous qui m'avez tue! dit La Mole au desespoir. Mourir par une si belle voix, mourir par une si belle main! Ah! j'aurais cru cela impossible! Au meme instant la porte s'ouvrit et une meute d'hommes haletants, furieux, le visage tache de sang et de poudre, arquebuses, hallebardes et epees en arret, se precipita dans la chambre. A leur tete etait Coconnas, ses cheveux roux herisses, son oeil bleu pale demesurement dilate, la joue toute meurtrie par l'epee de La Mole, qui avait trace sur les chairs son sillon sanglant: ainsi defigure, le Piemontais etait terrible a voir. -- Mordi! cria-t-il, le voila, le voila! Ah! cette fois, nous le tenons, enfin! La Mole chercha autour de lui une arme et n'en trouva point. Il jeta les yeux sur la reine et vit la plus profonde pitie peinte sur son visage. Alors il comprit qu'elle seule pouvait le sauver, se precipita vers elle et l'enveloppa dans ses bras. Coconnas fit trois pas en avant, et de la pointe de sa longue rapiere troua encore une fois l'epaule de son ennemi, et quelques gouttes de sang tiede et vermeil diaprerent comme une rosee les draps blancs et parfumes de Marguerite. Marguerite vit couler le sang, Marguerite sentit frissonner ce corps enlace au sien, elle se jeta avec lui dans la ruelle. Il etait temps. La Mole, au bout de ses forces, etait incapable de faire un mouvement ni pour fuir, ni pour se defendre. Il appuya sa tete livide sur l'epaule de la jeune femme, et ses doigts crispes se cramponnerent, en la dechirant, a la fine batiste brodee qui couvrait d'un flot de gaze le corps de Marguerite. -- Ah! madame! murmura-t-il d'une voix mourante, sauvez-moi! Ce fut tout ce qu'il put dire. Son oeil voile par un nuage pareil a la nuit de la mort s'obscurcit; sa tete alourdie retomba en arriere, ses bras se detendirent, ses reins plierent et il glissa sur le plancher dans son propre sang, entrainant la reine avec lui. En ce moment Coconnas, exalte par les cris, enivre par l'odeur du sang, exaspere par la course ardente qu'il venait de faire, allongea le bras vers l'alcove royale. Un instant encore et son epee percait le coeur de La Mole, et peut-etre en meme temps celui de Marguerite. A l'aspect de ce fer nu, et peut-etre plutot encore a la vue de cette insolence brutale, la fille des rois se releva de toute sa taille et poussa un cri tellement empreint d'epouvante, d'indignation et de rage, que le Piemontais demeura petrifie par un sentiment inconnu; il est vrai que, si cette scene se fut prolongee renfermee entre les memes acteurs, ce sentiment allait se fondre comme neige matinale au soleil d'avril. Mais tout a coup, par une porte cachee dans la muraille s'elanca un jeune homme de seize a dix-sept ans, vetu de noir, pale et les cheveux en desordre. -- Attends, ma soeur, attends, cria-t-il, me voila! me voila! -- Francois! Francois! a mon secours! dit Marguerite. -- Le duc d'Alencon! murmura La Huriere en baissant son arquebuse. -- Mordi, un fils de France! grommela Coconnas en reculant d'un pas. Le duc d'Alencon jeta un regard autour de lui. Il vit Marguerite echevelee, plus belle que jamais, appuyee a la muraille, entouree d'hommes la fureur dans les yeux, la sueur au front, et l'ecume a la bouche. -- Miserables! s'ecria-t-il. -- Sauvez-moi, mon frere! dit Marguerite epuisee. Ils veulent m'assassiner. Une flamme passa sur le visage pale du duc. Quoiqu'il fut sans armes, soutenu, sans doute par la conscience de son nom, il s'avanca les poings crispes contre Coconnas et ses compagnons, qui reculerent epouvantes devant les eclairs qui jaillissaient de ses yeux. -- Assassinerez-vous ainsi un fils de France? voyons! Puis, comme ils continuaient de reculer devant lui: -- Ca, mon capitaine des gardes, venez ici, et qu'on me pende tous ces brigands! Plus effraye a la vue de ce jeune homme sans armes qu'il ne l'eut ete a l'aspect d'une compagnie de reitres ou de lansquenets, Coconnas avait deja gagne la porte. La Huriere redescendait les degres avec des jambes de cerf, les soldats s'entrechoquaient et se culbutaient dans le vestibule pour fuir au plus tot, trouvant la porte trop etroite comparee au grand desir qu'ils avaient d'etre dehors. Pendant ce temps, Marguerite avait instinctivement jete sur le jeune homme evanoui sa couverture de damas, et s'etait eloignee de lui. Quand le dernier meurtrier eut disparu, le duc d'Alencon se retourna. -- Ma soeur, s'ecria-t-il en voyant Marguerite toute marbree de sang, serais tu blessee? Et il s'elanca vers sa soeur avec une inquietude qui eut fait honneur a sa tendresse, si cette tendresse n'eut pas ete accusee d'etre plus grande qu'il ne convenait a un frere. -- Non, dit-elle, je ne le crois pas, ou, si je le suis, c'est legerement. -- Mais ce sang, dit le duc en parcourant de ses mains tremblantes tout le corps de Marguerite; ce sang, d'ou vient-il? -- Je ne sais, dit la jeune femme. Un de ces miserables a porte la main sur moi, peut-etre etait-il blesse. -- Porte la main sur ma soeur! s'ecria le duc. Oh! si tu me l'avais seulement montre du doigt, si tu m'avais dit lequel, si je savais ou le trouver! -- Chut! dit Marguerite. -- Et pourquoi? dit Francois. -- Parce que si l'on vous voyait a cette heure dans ma chambre... -- Un frere ne peut-il pas visiter sa soeur, Marguerite? La reine arreta sur le duc d'Alencon un regard si fixe et cependant si menacant, que le jeune homme recula. -- Oui, oui, Marguerite, dit-il, tu as raison, oui, je rentre chez moi. Mais tu ne peux rester seule pendant cette nuit terrible. Veux-tu que j'appelle Gillonne? -- Non, non, personne; va-t'en, Francois, va-t'en par ou tu es venu. Le jeune prince obeit; et a peine eut-il disparu, que Marguerite, entendant un soupir qui venait de derriere son lit, s'elanca vers la porte du passage secret, la ferma au verrou, puis courut a l'autre porte, qu'elle ferma de meme, juste au moment ou un gros d'archers et de soldats qui poursuivaient d'autres huguenots loges dans le Louvre passait comme un ouragan a l'extremite du corridor. Alors, apres avoir regarde avec attention autour d'elle pour voir si elle etait bien seule, elle revint vers la ruelle de son lit, souleva la couverture de damas qui avait derobe le corps de La Mole aux regards du duc d'Alencon, tira avec effort la masse inerte dans la chambre, et, voyant que le malheureux respirait encore, elle s'assit, appuya sa tete sur ses genoux, et lui jeta de l'eau au visage pour le faire revenir. Ce fut alors seulement que, l'eau ecartant le voile de poussiere, de poudre et de sang qui couvrait la figure du blesse, Marguerite reconnut en lui ce beau gentilhomme qui, plein d'existence et d'espoir, etait trois ou quatre heures auparavant venu lui demander sa protection pres du roi de Navarre, et l'avait, en la laissant reveuse elle-meme, quittee ebloui de sa beaute. Marguerite jeta un cri d'effroi, car maintenant ce qu'elle ressentait pour le blesse c'etait plus que de la pitie, c'etait de l'interet; en effet, le blesse pour elle n'etait plus un simple etranger, c'etait presque une connaissance. Sous sa main le beau visage de La Mole reparut bientot tout entier, mais pale, alangui par la douleur; elle mit avec un frisson mortel et presque aussi pale que lui la main sur son coeur, son coeur battait encore. Alors elle etendit cette main vers un flacon de sels qui se trouvait sur une table voisine et le lui fit respirer. La Mole ouvrit les yeux. -- Oh! mon Dieu! murmura-t-il, ou suis-je? -- Sauve! Rassurez-vous, sauve! dit Marguerite. La Mole tourna avec effort son regard vers la reine, la devora un instant des yeux et balbutia: -- Oh! que vous etes belle! Et, comme ebloui, il referma aussitot la paupiere en poussant un soupir. Marguerite jeta un leger cri. Le jeune homme avait pali encore, si c'etait possible; et elle crut un instant que ce soupir etait le dernier. -- Oh! mon Dieu, mon Dieu! dit-elle, ayez pitie de lui! En ce moment on heurta violemment a la porte du corridor. Marguerite se leva a moitie, soutenant La Mole par-dessous l'epaule. -- Qui va la? cria-t-elle. -- Madame, madame, c'est moi, moi! cria une voix de femme. Moi, la duchesse de Nevers. -- Henriette! s'ecria Marguerite. Oh! il n'y a pas de danger, c'est une amie, entendez-vous, monsieur? La Mole fit un effort et se souleva sur un genou. -- Tachez de vous soutenir tandis que je vais ouvrir la porte, dit la reine. La Mole appuya sa main a terre, et parvint a garder l'equilibre. Marguerite fit un pas vers la porte; mais elle s'arreta tout a coup, fremissant d'effroi. -- Ah! tu n'es pas seule? s'ecria-t-elle en entendant un bruit d'armes. -- Non, je suis accompagnee de douze gardes que m'a laisses mon beau frere M. de Guise. -- M. de Guise! murmura La Mole. Oh! l'assassin! l'assassin! -- Silence, dit Marguerite, pas un mot. Et elle regarda tout autour d'elle pour voir ou elle pourrait cacher le blesse. -- Une epee, un poignard! murmura La Mole. -- Pour vous defendre? inutile; n'avez-vous pas entendu? ils sont douze et vous etes seul. -- Non pas pour me defendre, mais pour ne pas tomber vivant entre leurs mains. -- Non, non, dit Marguerite, non, je vous sauverai. Ah! ce cabinet! venez, venez. La Mole fit un effort, et soutenu par Marguerite il se traina jusqu'au cabinet. Marguerite referma la porte derriere lui, et serrant la clef dans son aumoniere: -- Pas un cri, pas une plainte, pas un soupir, lui glissa-t-elle a travers le lambris, et vous etes sauve. Puis jetant un manteau de nuit sur ses epaules, elle alla ouvrir a son amie qui se precipita dans ses bras. -- Ah! dit-elle, il ne vous est rien arrive, n'est-ce pas, madame? -- Non, rien, dit Marguerite, croisant son manteau pour qu'on ne vit point les taches de sang qui maculaient son peignoir. -- Tant mieux, mais en tout cas, comme M. le duc de Guise m'a donne douze gardes pour me reconduire a son hotel, et que je n'ai pas besoin d'un si grand cortege, j'en laisse six a Votre Majeste. Six gardes du duc de Guise valent mieux cette nuit qu'un regiment entier des gardes du roi. Marguerite n'osa pas refuser; elle installa ses six gardes dans le corridor, et embrassa la duchesse qui, avec les six autres, regagna l'hotel du duc de Guise, qu'elle habitait en l'absence de son mari. IX Les massacreurs Coconnas n'avait pas fui, il avait fait retraite. La Huriere n'avait pas fui, il s'etait precipite. L'un avait disparu a la maniere du tigre, l'autre a celle du loup. Il en resulta que La Huriere se trouvait deja sur la place Saint- Germain l'Auxerrois, que Coconnas ne faisait encore que sortir du Louvre. La Huriere, se voyant seul avec son arquebuse au milieu des passants qui couraient, des balles qui sifflaient et des cadavres qui tombaient des fenetres, les uns entiers, les autres par morceaux, commenca a avoir peur et a chercher prudemment a regagner son hotellerie; mais comme il debouchait de la rue de l'Arbre-Sec par la rue d'Averon, il tomba dans une troupe de Suisses et de chevau-legers: c'etait celle que commandait Maurevel. -- Eh bien, s'ecria celui qui s'etait baptise lui-meme du nom de Tueur de roi, vous avez deja fini? Vous rentrez, mon hote? et que diable avez-vous fait de notre gentilhomme piemontais? il ne lui est pas arrive malheur? Ce serait dommage, car il allait bien. -- Non pas, que je pense, reprit La Huriere, et j'espere qu'il va nous rejoindre. -- D'ou venez-vous? -- Du Louvre, ou je dois dire qu'on nous a recus assez rudement. -- Et qui cela? -- M. le duc d'Alencon. Est-ce qu'il n'en est pas, lui? -- Monseigneur le duc d'Alencon n'est de rien que de ce qui le touche personnellement; proposez-lui de traiter ses deux freres aines en huguenots, et il en sera: pourvu toutefois que la besogne se fasse sans le compromettre. Mais n'allez-vous point avec ces braves gens, maitre La Huriere? -- Et ou vont-ils? -- Oh! mon Dieu! rue Montorgueil; il y a la un ministre huguenot de ma connaissance; il a une femme et six enfants. Ces heretiques engendrent enormement. Ce sera curieux. -- Et vous, ou allez-vous? -- Oh! moi, je vais a une affaire particuliere. -- Dites donc, n'y allez pas sans moi, dit une voix qui fit tressaillir Maurevel; vous connaissez les bons endroits et je veux en etre. -- Ah! c'est notre Piemontais, dit Maurevel. -- C'est M. de Coconnas, dit La Huriere. Je croyais que vous me suiviez. -- Peste! vous detalez trop vite pour cela; et puis, je me suis un peu detourne de la ligne droite pour aller jeter a la riviere un affreux enfant qui criait: "A bas les papistes, vive l'amiral!" Malheureusement, je crois que le drole savait nager. Ces miserables parpaillots, si on veut les noyer, il faudra les jeter a l'eau comme les chats, avant qu'ils voient clair. -- Ah ca! vous dites que vous venez du Louvre? Votre huguenot s'y etait donc refugie? demanda Maurevel. -- Oh! mon Dieu, oui! -- Je lui ai envoye un coup de pistolet au moment ou il ramassait son epee dans la cour de l'amiral; mais je ne sais comment cela s'est fait, je l'ai manque. -- Oh! moi, dit Coconnas, je ne l'ai pas manque; je lui ai donne de mon epee dans le dos, que la lame en etait humide a cinq pouces de la pointe. D'ailleurs, je l'ai vu tomber dans les bras de Marguerite, jolie femme, mordi! Cependant, j'avoue que je ne serais pas fache d'etre tout a fait sur qu'il est mort. Ce gaillard-la m'avait l'air d'etre d'un caractere fort rancunier, et il serait capable de m'en vouloir toute sa vie. Mais ne disiez- vous pas que vous alliez quelque part? -- Vous tenez donc a venir avec moi? -- Je tiens a ne pas rester en place, mordi! Je n'en ai encore tue que trois ou quatre, et, quand je me refroidis, mon epaule me fait mal. En route! en route! -- Capitaine! dit Maurevel au chef de la troupe, donnez-moi trois hommes et allez expedier votre ministre avec le reste. Trois Suisses se detacherent et vinrent se joindre a Maurevel. Les deux troupes cependant marcherent cote a cote jusqu'a la hauteur de la rue Tirechappe; la, les chevau-legers et les Suisses prirent la rue de la Tonnellerie, tandis que Maurevel, Coconnas, La Huriere et ses trois hommes suivaient la rue de la Ferronnerie, prenaient la rue Trousse-Vache et gagnaient la rue Sainte-Avoye. -- Mais ou diable nous conduisez-vous? dit Coconnas, que cette longue marche sans resultat commencait a ennuyer. -- Je vous conduis a une expedition brillante et utile a la fois. Apres l'amiral, apres Teligny, apres les princes huguenots, je ne pouvais rien vous offrir de mieux. Prenez donc patience. C'est rue du Chaume que nous avons affaire, et dans un instant nous allons y etre. -- Dites-moi, demanda Coconnas, la rue du Chaume n'est-elle pas proche du Temple? -- Oui, pourquoi? -- Ah! c'est qu'il y a la un vieux creancier de notre famille, un certain Lambert Mercandon, auquel mon pere m'a recommande de rendre cent nobles a la rose que j'ai la a cet effet dans ma poche. -- Eh bien, dit Maurevel, voila une belle occasion de vous acquitter envers lui. -- Comment cela? -- C'est aujourd'hui le jour ou l'on regle ses vieux comptes. Votre Mercandon est-il huguenot? -- Oh! oh! fit Coconnas, je comprends, il doit l'etre. -- Chut! nous sommes arrives. -- Quel est ce grand hotel avec son pavillon sur la rue? -- L'hotel de Guise. -- En verite, dit Coconnas, je ne pouvais pas manquer de venir ici, puisque j'arrive a Paris sous le patronage du grand Henri. Mais, mordi! tout est bien tranquille dans ce quartier-ci, mon cher, c'est tout au plus si l'on entend le bruit des arquebusades: on se croirait en province; tout le monde dort, ou que le diable m'emporte! En effet, l'hotel de Guise lui-meme semblait aussi tranquille que dans les temps ordinaires. Toutes les fenetres en etaient fermees, et une seule lumiere brillait derriere la jalousie de la fenetre principale du pavillon qui avait, lorsqu'il etait entre dans la rue, attire l'attention de Coconnas. Un peu au-dela de l'hotel de Guise, c'est-a-dire au coin de la rue du Petit-Chantier et de celle des Quatre-Fils, Maurevel s'arreta. -- Voici le logis de celui que nous cherchons, dit-il. -- De celui que vous cherchez, c'est-a-dire..., fit La Huriere. -- Puisque vous m'accompagnez, nous le cherchons. -- Comment! cette maison qui semble dormir d'un si bon sommeil... -- Justement! Vous, La Huriere, vous allez utiliser l'honnete figure que le ciel vous a donnee par erreur, en frappant a cette maison. Passez votre arquebuse a M. de Coconnas, il y a une heure que je vois qu'il la lorgne. Si vous etes introduit, vous demanderez a parler au seigneur de Mouy. -- Ah! ah! fit Coconnas, je comprends: vous avez aussi un creancier dans le quartier du Temple, a ce qu'il parait. -- Justement, continua Maurevel. Vous monterez donc en jouant le huguenot, vous avertirez de Mouy de tout ce qui se passe; il est brave, il descendra... -- Et une fois descendu? demanda La Huriere. -- Une fois descendu, je le prierai d'aligner son epee avec la mienne. -- Sur mon ame, c'est d'un brave gentilhomme, dit Coconnas, et je compte faire exactement la meme chose avec Lambert Mercandon; et s'il est trop vieux pour accepter, ce sera avec quelqu'un de ses fils ou de ses neveux. La Huriere alla sans repliquer frapper a la porte; ses coups, retentissant dans le silence de la nuit, firent ouvrir les portes de l'hotel de Guise et sortir quelques tetes par ses ouvertures: on vit alors que l'hotel etait calme a la maniere des citadelles, c'est-a-dire parce qu'il etait plein de soldats. Ces tetes rentrerent presque aussitot, devinant sans doute de quoi il etait question. -- Il loge donc la, votre M. de Mouy? dit Coconnas montrant la maison ou La Huriere continuait de frapper. -- Non, c'est le logis de sa maitresse. -- Mordi! quelle galanterie vous lui faites! lui fournir l'occasion de tirer l'epee sous les yeux de sa belle! Alors nous serons les juges du camp. Cependant j'aimerais assez a me battre moi-meme. Mon epaule me brule. -- Et votre figure, demanda Maurevel, elle est aussi fort endommagee. Coconnas poussa une espece de rugissement. -- Mordi! dit-il, j'espere qu'il est mort, ou sans cela je retournerais au Louvre pour l'achever. La Huriere frappait toujours. Bientot une fenetre du premier etage s'ouvrit, et un homme parut sur le balcon en bonnet de nuit, en calecon et sans armes. -- Qui va la? cria cet homme. Maurevel fit un signe a ses Suisses, qui se rangerent sous une encoignure, tandis que Coconnas s'aplatissait de lui-meme contre la muraille. -- Ah! monsieur de Mouy, dit l'aubergiste de sa voix caline, est- ce vous? -- Oui, c'est moi: apres? -- C'est bien lui, murmura Maurevel en fremissant de joie. -- Eh! monsieur, continua La Huriere, ne savez-vous point ce qui se passe? On egorge M. l'amiral, on tue les religionnaires nos freres. Venez vite a leur aide, venez. -- Ah! s'ecria de Mouy, je me doutais bien qu'il se tramait quelque chose pour cette nuit. Ah! je n'aurais pas du quitter mes braves camarades. Me voici, mon ami, me voici, attendez-moi. Et sans refermer la fenetre, par laquelle sortirent quelques cris de femme effrayee, quelques supplications tendres, M. de Mouy chercha son pourpoint, son manteau et ses armes. -- Il descend, il descend! murmura Maurevel pale de joie. Attention, vous autres! glissa-t-il dans l'oreille des Suisses. Puis retirant l'arquebuse des mains de Coconnas et soufflant sur la meche pour s'assurer qu'elle etait toujours bien allumee: -- Tiens, La Huriere, ajouta-t-il a l'aubergiste, qui avait fait retraite vers le gros de la troupe, reprends ton arquebuse. -- Mordi! s'ecria Coconnas, voici la lune qui sort d'un nuage pour etre temoin de cette belle rencontre. Je donnerais beaucoup pour que Lambert Mercandon fut ici et servit de second a M. de Mouy. -- Attendez, attendez! dit Maurevel. M. de Mouy vaut dix hommes a lui tout seul, et nous en aurons peut-etre assez a nous six a nous debarrasser de lui. Avancez, vous autres, continua Maurevel en faisant signe aux Suisses de se glisser contre la porte, afin de le frapper quand il sortira. -- Oh! oh! dit Coconnas en regardant ces preparatifs, il parait que cela ne se passera point tout a fait comme je m'y attendais. Deja on entendait le bruit de la barre que tirait de Mouy. Les Suisses etaient sortis de leur cachette pour prendre leur place pres de la porte. Maurevel et La Huriere s'avancaient sur la pointe du pied, tandis que, par un reste de gentilhommerie, Coconnas restait a sa place, lorsque la jeune femme, a laquelle on ne pensait plus, parut a son tour au balcon et poussa un cri terrible en apercevant les Suisses, Maurevel et La Huriere. de Mouy, qui avait deja entrouvert la porte, s'arreta. -- Remonte, remonte, cria la jeune femme; je vois reluire des epees, je vois briller la meche d'une arquebuse. C'est un guet- apens. -- Oh! oh! reprit en grondant la voix du jeune homme, voyons un peu ce que veut dire tout ceci. Et il referma la porte, remit la barre, repoussa le verrou et remonta. L'ordre de bataille de Maurevel fut change des qu'il vit que de Mouy ne sortirait point. Les Suisses allerent se poster de l'autre cote de la rue, et La Huriere, son arquebuse au poing, attendit que l'ennemi reparut a la fenetre. Il n'attendit pas longtemps. de Mouy s'avanca precede de deux pistolets d'une longueur si respectable, que La Huriere, qui le couchait deja en joue, reflechit soudain que les balles du huguenot n'avaient pas plus de chemin a faire pour arriver dans la rue que sa balle a lui n'en avait pour arriver au balcon. Certes, se dit-il, je puis tuer ce gentilhomme, mais aussi ce gentilhomme peut me tuer du meme coup. Or, comme au bout du compte maitre La Huriere, aubergiste de son etat, n'etait soldat que par circonstance, cette reflexion le determina a faire retraite et a chercher un abri a l'angle de la rue de Braque, assez eloignee pour qu'il eut quelque difficulte a trouver de la, avec une certaine certitude, surtout la nuit, la ligne que devait suivre sa balle pour arriver jusqu'a de Mouy. de Mouy jeta un coup d'oeil autour de lui et s'avanca en s'effacant comme un homme qui se prepare a un duel; mais voyant que rien ne venait: -- Ca, dit-il, il parait, monsieur le donneur d'avis, que vous avez oublie votre arquebuse a ma porte. Me voila, que me voulez- vous? -- Ah! ah! se dit Coconnas, voici en effet un brave. -- Eh bien, continua de Mouy, amis ou ennemis, qui que vous soyez, ne voyez-vous pas que j'attends? La Huriere garda le silence. Maurevel ne repondit point, et les trois Suisses demeurerent cois. Coconnas attendit un instant; puis, voyant que personne ne soutenait la conversation entamee par La Huriere et continuee par de Mouy, il quitta son poste, s'avanca jusqu'au milieu de la rue, et mettant le chapeau a la main: -- Monsieur, dit-il, nous ne sommes pas ici pour un assassinat, comme vous pourriez le croire, mais pour un duel... J'accompagne un de vos ennemis qui voudrait avoir affaire a vous pour terminer galamment une vieille discussion. Eh! mordi! avancez donc, monsieur de Maurevel, au lieu de tourner le dos: monsieur accepte. -- Maurevel! s'ecria de Mouy; Maurevel, l'assassin de mon pere! Maurevel, le Tueur du roi! Ah! pardieu, oui, j'accepte. Et, ajustant Maurevel qui allait frapper a l'hotel de Guise pour y chercher du renfort, il perca son chapeau d'une balle. Au bruit de l'explosion, aux cris de Maurevel, les gardes qui avaient ramene la duchesse de Nevers sortirent, accompagnes de trois ou quatre gentilshommes suivis de leurs pages, et s'avancerent vers la maison de la maitresse du jeune de Mouy. Un second coup de pistolet, tire au milieu de la troupe, fit tomber mort le soldat qui se trouvait le plus proche de Maurevel; apres quoi de Mouy se trouvant sans armes, ou du moins avec des armes inutiles, puisque ses pistolets etaient decharges et que ses adversaires etaient hors de la portee de l'epee, s'abrita derriere la galerie du balcon. Cependant ca et la les fenetres commencaient de s'ouvrir aux environs, et, selon l'humeur pacifique ou belliqueuse de leurs habitants, se refermaient ou se herissaient de mousquets ou d'arquebuses. -- A moi, mon brave Mercandon! s'ecria de Mouy en faisant signe a un homme deja vieux qui, d'une fenetre qui venait de s'ouvrir en face de l'hotel de Guise, cherchait a voir quelque chose dans cette confusion. -- Vous appelez, sire de Mouy? cria le vieillard; est-ce a vous qu'on en veut? -- C'est a moi, c'est a vous, c'est a tous les protestants; et, tenez, en voila la preuve. En effet, en ce moment de Mouy avait vu se diriger contre lui l'arquebuse de La Huriere. Le coup partit; mais le jeune homme eut le temps de se baisser, et la balle alla briser une vitre au- dessus de sa tete. -- Mercandon! s'ecria Coconnas, qui a la vue de cette bagarre tressaillait de plaisir et avait oublie son creancier, mais a qui cette apostrophe de de Mouy le rappelait: Mercandon, rue du Chaume, c'est bien cela! Ah! il demeure la, c'est bon; nous allons avoir affaire chacun a notre homme. Et tandis que les gens de l'hotel de Guise enfoncaient les portes de la maison ou etait de Mouy; tandis que Maurevel, un flambeau a la main, essayait d'incendier la maison; tandis que, les portes une fois brisees, un combat terrible s'engageait contre un seul homme qui, a chaque coup de rapiere, abattait son ennemi, Coconnas essayait, a l'aide d'un pave, d'enfoncer la porte de Mercandon, qui, sans s'inquieter de cet effort solitaire, arquebusait de son mieux a sa fenetre. Alors tout ce quartier desert et obscur se trouva illumine comme en plein jour, peuple comme l'interieur d'une fourmiliere; car, de l'hotel de Montmorency, six ou huit gentilshommes huguenots, avec leurs serviteurs et leurs amis, venaient de faire une charge furieuse et commencaient, soutenus par le feu des fenetres, a faire reculer les gens de Maurevel et ceux de l'hotel de Guise, qu'ils finirent par acculer a l'hotel d'ou ils etaient sortis. Coconnas, qui n'avait point encore acheve d'enfoncer la porte de Mercandon quoiqu'il s'escrimat de tout son coeur, fut pris dans ce brusque refoulement. S'adossant alors a la muraille et mettant l'epee a la main, il commenca non seulement a se defendre, mais encore a attaquer avec des cris si terribles, qu'il dominait toute cette melee. Il ferrailla ainsi de droite et de gauche, frappant amis et ennemis, jusqu'a ce qu'un large vide se fut opere autour de lui. A mesure que sa rapiere trouait une poitrine et que le sang tiede eclaboussait ses mains et son visage, lui, l'oeil dilate, les narines ouvertes, les dents serrees, regagnait le terrain perdu et se rapprochait de la maison assiegee. de Mouy, apres un combat terrible livre dans l'escalier et le vestibule, avait fini par sortir en veritable heros de sa maison brulante. Au milieu de toute cette lutte, il n'avait pas cesse de crier: A moi, Maurevel! Maurevel, ou es-tu? l'insultant par les epithetes les plus injurieuses. Il apparut enfin dans la rue, soutenant d'un bras sa maitresse, a moitie nue et presque evanouie, et tenant un poignard entre ses dents. Son epee, flamboyante par le mouvement de rotation qu'il lui imprimait, tracait des cercles blancs ou rouges, selon que la lune en argentait la lame ou qu'un flambeau en faisait reluire l'humidite sanglante. Maurevel avait fui. La Huriere, repousse par de Mouy jusqu'a Coconnas, qui ne le reconnaissait pas et le recevait a la pointe de son epee, demandait grace des deux cotes. En ce moment, Mercandon l'apercut, le reconnut a son echarpe blanche pour un massacreur. Le coup partit. La Huriere jeta un cri, etendit les bras, laissa echapper son arquebuse, et, apres avoir essaye de gagner la muraille pour se retenir a quelque chose, tomba la face contre terre. de Mouy profita de cette circonstance, se jeta dans la rue de Paradis et disparut. La resistance des huguenots avait ete telle, que les gens de l'hotel de Guise, repousses, etaient rentres et avaient ferme les portes de l'hotel, dans la crainte d'etre assieges et pris chez eux. Coconnas, ivre de sang et de bruit, arrive a cette exaltation ou, pour les gens du Midi surtout, le courage se change en folie, n'avait rien vu, rien entendu. Il remarqua seulement que ses oreilles tintaient moins fort, que ses mains et son visage se sechaient un peu, et, abaissant la pointe de son epee, il ne vit plus pres de lui qu'un homme couche, la face noyee dans un ruisseau rouge, et autour de lui que maisons qui brulaient. Ce fut une bien courte treve, car au moment ou il allait s'approcher de cet homme, qu'il croyait reconnaitre pour La Huriere, la porte de la maison qu'il avait vainement essaye de briser a coups de paves s'ouvrit, et le vieux Mercandon, suivi de son fils et de ses deux neveux, fondit sur le Piemontais, occupe a reprendre haleine. -- Le voila! le voila! s'ecrierent-ils tout d'une voix. Coconnas se trouvait au milieu de la rue, et, craignant d'etre entoure par ces quatre hommes qui l'attaquaient a la fois, il fit, avec la vigueur d'un de ces chamois qu'il avait si souvent poursuivis dans les montagnes, un bond en arriere, et se trouva adosse a la muraille de l'hotel de Guise. Une fois tranquillise sur les surprises, il se remit en garde et redevint railleur. -- Ah! ah! pere Mercandon! dit-il, vous ne me reconnaissez pas? -- Oh! miserable! s'ecria le vieux huguenot, je te reconnais bien, au contraire; tu m'en veux! a moi, l'ami, le compagnon de ton pere? -- Et son creancier, n'est-ce pas? -- Oui, son creancier, puisque c'est toi qui le dis. -- Eh bien, justement, repondit Coconnas, je viens regler nos comptes. -- Saisissons-le, lions-le, dit le vieillard aux jeunes gens qui l'accompagnaient, et qui a sa voix s'elancerent contre la muraille. -- Un instant, un instant, dit en riant Coconnas. Pour arreter les gens il vous faut une prise de corps et vous avez neglige de la demander au prevot. Et a ces paroles il engagea l'epee avec celui des jeunes gens qui se trouvait le plus proche de lui, et au premier degagement lui abattit le poignet avec sa rapiere. Le malheureux se recula en hurlant. -- Et d'un! dit Coconnas. Au meme instant, la fenetre sous laquelle Coconnas avait cherche un abri s'ouvrit en grincant. Coconnas fit un soubresaut, craignant une attaque de ce cote; mais, au lieu d'un ennemi, ce fut une femme qu'il apercut; au lieu de l'arme meurtriere qu'il s'appretait a combattre, ce fut un bouquet qui tomba a ses pieds. -- Tiens! une femme! dit-il. Il salua la dame de son epee et se baissa pour ramasser le bouquet. -- Prenez garde, brave catholique, prenez garde, s'ecria la dame. Coconnas se releva, mais pas si rapidement que le poignard du second neveu ne fendit son manteau et n'entamat l'autre epaule. La dame jeta un cri percant. Coconnas la remercia et la rassura d'un meme geste, s'elanca sur le second neveu, qui rompit; mais au second appel son pied de derriere glissa dans le sang. Coconnas s'elanca sur lui avec la rapidite du chat-tigre, et lui traversa la poitrine de son epee. -- Bien, bien, brave cavalier! cria la dame de l'hotel de Guise, bien! je vous envoie du secours. -- Ce n'est point la peine de vous deranger pour cela, madame! dit Coconnas. Regardez plutot jusqu'au bout, si la chose vous interesse, et vous allez voir comment le comte Annibal de Coconnas accommode les huguenots. En ce moment le fils du vieux Mercandon tira presque a bout portant un coup de pistolet a Coconnas, qui tomba sur un genou. La dame de la fenetre poussa un cri, mais Coconnas se releva; il ne s'etait agenouille que pour eviter la balle, qui alla trouver le mur a deux pieds de la belle spectatrice. Presque en meme temps, de la fenetre du logis de Mercandon partit un cri de rage, et une vieille femme, qui a sa croix et a son echarpe blanche reconnut Coconnas pour un catholique, lui lanca un pot de fleurs qui l'atteignit au dessus du genou. -- Bon! dit Coconnas; l'une me jette des fleurs, l'autre les pots. Si cela continue, on va demolir les maisons. -- Merci, ma mere, merci! cria le jeune homme. -- Va, femme, va! dit le vieux Mercandon, mais prends garde a nous! -- Attendez, monsieur de Coconnas, attendez, dit la jeune dame de l'hotel de Guise; je vais faire tirer aux fenetres. -- Ah ca! c'est donc un enfer de femmes, dont les unes sont pour moi et les autres contre moi! dit Coconnas. Mordi! finissons-en. La scene, en effet, etait bien changee, et tirait evidemment a son denouement. En face de Coconnas, blesse il est vrai, mais dans toute la vigueur de ses vingt-quatre ans, mais habitue aux armes, mais irrite plutot qu'affaibli par les trois ou quatre egratignures qu'il avait recues, il ne restait plus que Mercandon et son fils: Mercandon, vieillard de soixante a soixante-dix ans; son fils, enfant de seize a dix-huit ans: ce dernier pale, blond et frele, avait jete son pistolet decharge et par consequent devenu inutile, et agitait en tremblant une epee de moitie moins longue que celle du Piemontais; le pere, arme seulement d'un poignard et d'une arquebuse vide, appelait au secours. Une vieille femme, a la fenetre en face, la mere du jeune homme, tenait a la main un morceau de marbre et s'appretait a le lancer. Enfin Coconnas, excite d'un cote par les menaces, de l'autre par les encouragements, fier de sa double victoire, enivre de poudre et de sang, eclaire par la reverberation d'une maison en flammes, exalte par l'idee qu'il combattait sous les yeux d'une femme dont la beaute lui avait semble aussi superieure que son rang lui paraissait incontestable; Coconnas, comme le dernier des Horaces, avait senti doubler ses forces, et voyant le jeune homme hesiter, il courut a lui et croisa sur sa petite epee sa terrible et sanglante rapiere. Deux coups suffirent pour la lui faire sauter des mains. Alors Mercandon chercha a repousser Coconnas, pour que les projectiles lances par la fenetre l'atteignissent plus surement. Mais Coconnas, au contraire, pour paralyser la double attaque du vieux Mercandon, qui essayait de le percer de son poignard, et de la mere du jeune homme, qui tentait de lui briser la tete avec la pierre qu'elle s'appretait a lui lancer, saisit son adversaire a bras-le-corps, le presentant a tous les coups comme un bouclier, et l'etouffant dans son etreinte herculeenne. -- A moi, a moi! s'ecria le jeune homme, il me brise la poitrine! a moi, a moi! Et sa voix commenca de se perdre dans un rale sourd et etrangle. Alors, Mercandon cessa de menacer, il supplia. -- Grace! grace! dit-il, monsieur de Coconnas! grace! c'est mon unique enfant! -- C'est mon fils! c'est mon fils! cria la mere, l'espoir de notre vieillesse! ne le tuez pas, monsieur! ne le tuez pas! -- Ah! vraiment! cria Coconnas en eclatant de rire. Que je ne le tue pas! et que voulait-il donc me faire avec son epee et son pistolet? -- Monsieur, continua Mercandon en joignant les mains, j'ai chez moi l'obligation souscrite par votre pere, je vous la rendrai; j'ai dix mille ecus d'or, je vous les donnerai; j'ai les pierreries de notre famille, et elles seront a vous; mais ne le tuez pas, ne le tuez pas! -- Et moi, j'ai mon amour, dit a demi-voix la femme de l'hotel de Guise, et je vous le promets. Coconnas reflechit une seconde, et soudain: -- Etes-vous huguenot? demanda-t-il au jeune homme. -- Je le suis, murmura l'enfant. -- En ce cas, il faut mourir! repondit Coconnas en froncant les sourcils et en approchant de la poitrine de son adversaire la misericorde aceree et tranchante. -- Mourir! s'ecria le vieillard, mon pauvre enfant! mourir! Et un cri de mere retentit si douloureux et si profond, qu'il ebranla pour un moment la sauvage resolution du Piemontais. -- Oh! madame la duchesse! s'ecria le pere se tournant vers la femme de l'hotel de Guise, intercedez pour nous, et tous les matins et tous les soirs votre nom sera dans nos prieres. -- Alors, qu'il se convertisse! dit la dame de l'hotel de Guise. -- Je suis protestant, dit l'enfant. -- Meurs donc, dit Coconnas en levant sa dague, meurs donc puisque tu ne veux pas de la vie que cette belle bouche t'offrait. Mercandon et sa femme virent la lame terrible luire comme un eclair au dessus de la tete de leur fils. -- Mon fils, mon Olivier, hurla la mere, abjure... abjure! -- Abjure, cher enfant! cria Mercandon, se roulant aux pieds de Coconnas, ne nous laisse pas seuls sur la terre. -- Abjurez tous ensemble! cria Coconnas; pour un _Credo_, trois ames et une vie! -- Je le veux bien, dit le jeune homme. -- Nous le voulons bien, crierent Mercandon et sa femme. -- A genoux, alors! fit Coconnas, et que ton fils recite mot a mot la priere que je vais te dire. Le pere obeit le premier. -- Je suis pret, dit l'enfant. Et il s'agenouilla a son tour. Coconnas commenca alors a lui dicter en latin les paroles du _Credo_. Mais, soit hasard, soit calcul, le jeune Olivier s'etait agenouille pres de l'endroit ou avait vole son epee. A peine vit- il cette arme a la portee de sa main, que, sans cesser de repeter les paroles de Coconnas, il etendit le bras pour la saisir. Coconnas apercut le mouvement, tout en faisant semblant de ne pas le voir. Mais au moment ou le jeune homme touchait du bout de ses doigts crispes la poignee de l'arme, il s'elanca sur lui, et le renversant: -- Ah! traitre! dit-il. Et il lui plongea sa dague dans la gorge. Le jeune homme jeta un cri, se releva convulsivement sur un genou et retomba mort. -- Ah! bourreau! hurla Mercandon, tu nous egorges pour nous voler les cent nobles a la rose que tu nous dois. -- Ma foi non, dit Coconnas, et la preuve... En disant ces mots, Coconnas jeta aux pieds du vieillard la bourse qu'avant son depart son pere lui avait remise pour acquitter sa dette avec son creancier. -- Et la preuve, continua-t-il, c'est que voila votre argent. -- Et toi, voici ta mort! cria la mere de la fenetre. -- Prenez garde, monsieur de Coconnas, prenez garde, dit la dame de l'hotel de Guise. Mais avant que Coconnas eut pu tourner la tete pour se rendre a ce dernier avis ou pour se soustraire a la premiere menace, une masse pesante fendit l'air en sifflant, s'abattit a plat sur le chapeau du Piemontais, lui brisa son epee dans la main et le coucha sur le pave, surpris, etourdi, assomme, sans qu'il eut pu entendre le double cri de joie et de detresse qui se repandit de droite et de gauche. Mercandon s'elanca aussitot, le poignard a la main, sur Coconnas evanoui. Mais en ce moment la porte de l'hotel de Guise s'ouvrit, et le vieillard, voyant luire les pertuisanes et les epees, s'enfuit; tandis que celle qu'il avait appelee madame la duchesse, belle d'une beaute terrible a la lueur de l'incendie, eblouissante de pierreries et de diamants, se penchait, a moitie hors de la fenetre, pour crier aux nouveaux venus, le bras tendu vers Coconnas: -- La! la! en face de moi; un gentilhomme vetu d'un pourpoint rouge. Celui-la, oui, oui, celui-la! ... X Mort, messe ou Bastille Marguerite, comme nous l'avons dit, avait referme sa porte et etait rentree dans sa chambre. Mais comme elle y entrait, toute palpitante, elle apercut Gillonne, qui, penchee avec terreur vers la porte du cabinet, contemplait des traces de sang eparses sur le lit, sur les meubles et sur le tapis. -- Ah! madame, s'ecria-t-elle en apercevant la reine. Oh! madame, est-il donc mort? -- Silence! Gillonne, dit Marguerite de ce ton de voix qui indique l'importance de la recommandation. Gillonne se tut. Marguerite tira alors de son aumoniere une petite clef doree, ouvrit la porte du cabinet et montra du doigt le jeune homme a sa suivante. La Mole avait reussi a se soulever et a s'approcher de la fenetre. Un petit poignard, de ceux que les femmes portaient a cette epoque, s'etait rencontre sous sa main, et le jeune gentilhomme l'avait saisi en entendant ouvrir la porte. -- Ne craignez rien, monsieur, dit Marguerite, car, sur mon ame, vous etes en surete. La Mole se laissa retomber sur ses genoux. -- Oh! madame, s'ecria-t-il, vous etes pour moi plus qu'une reine, vous etes une divinite. -- Ne vous agitez pas ainsi, monsieur, s'ecria Marguerite, votre sang coule encore... Oh! regarde, Gillonne, comme il est pale... Voyons, ou etes-vous blesse? -- Madame, dit La Mole en essayant de fixer sur des points principaux la douleur errante par tout le corps, je crois avoir recu un premier coup de dague a l'epaule et un second dans la poitrine; les autres blessures ne valent point la peine qu'on s'en occupe. -- Nous allons voir cela, dit Marguerite; Gillonne, apporte ma cassette de baumes. Gillonne obeit et rentra, tenant d'une main la cassette, et de l'autre une aiguiere de vermeil et du linge de fine toile de Hollande. -- Aide-moi a le soulever, Gillonne, dit la reine Marguerite, car, en se soulevant lui-meme, le malheureux a acheve de perdre ses forces. -- Mais, madame, dit La Mole, je suis tout confus; je ne puis souffrir en verite... -- Mais, monsieur, vous allez vous laisser faire, que je pense, dit Marguerite; quand nous pouvons vous sauver, ce serait un crime de vous laisser mourir. -- Oh! s'ecria La Mole, j'aime mieux mourir que de vous voir, vous, la reine, souiller vos mains d'un sang indigne comme le mien... Oh! jamais! jamais! Et il se recula respectueusement. -- Votre sang, mon gentilhomme, reprit en souriant Gillonne, eh! vous en avez deja souille tout a votre aise le lit et la chambre de Sa Majeste. Marguerite croisa son manteau sur son peignoir de batiste, tout eclabousse de petites taches vermeilles. Ce geste, plein de pudeur feminine, rappela a La Mole qu'il avait tenu dans ses bras et serre contre sa poitrine cette reine si belle, si aimee, et a ce souvenir une rougeur fugitive passa sur ses joues blemies. -- Madame, balbutia-t-il, ne pouvez-vous m'abandonner aux soins d'un chirurgien? -- D'un chirurgien catholique, n'est-ce pas? demanda la reine avec une expression que comprit La Mole, et qui le fit tressaillir. -- Ignorez-vous donc, continua la reine avec une voix et un sourire d'une douceur inouie, que, nous autres filles de France, nous sommes elevees a connaitre la valeur des plantes et a composer des baumes? car notre devoir, comme femmes et comme reines, a ete de tout temps d'adoucir les douleurs! Aussi valons- nous les meilleurs chirurgiens du monde, a ce que disent nos flatteurs du moins. Ma reputation, sous ce rapport, n'est-elle pas venue a votre oreille? Allons, Gillonne, a l'ouvrage! La Mole voulait essayer de resister encore; il repeta de nouveau qu'il aimait mieux mourir que d'occasionner a la reine ce labeur, qui pouvait commencer par la pitie et finir par le degout. Cette lutte ne servit qu'a epuiser completement ses forces. Il chancela, ferma les yeux, et laissa retomber sa tete en arriere, evanoui pour la seconde fois. Alors Marguerite, saisissant le poignard qu'il avait laisse echapper, coupa rapidement le lacet qui fermait son pourpoint, tandis que Gillonne, avec une autre lame, decousait ou plutot tranchait les manches de La Mole. Gillonne, avec un linge imbibe d'eau fraiche, etancha le sang qui s'echappait de l'epaule et de la poitrine du jeune homme, tandis que Marguerite, d'une aiguille d'or a la pointe arrondie, sondait les plaies avec toute la delicatesse et l'habilete que maitre Ambroise Pare eut pu deployer en pareille circonstance. Celle de l'epaule etait profonde, celle de la poitrine avait glisse sur les cotes et traversait seulement les chairs; aucune des deux ne penetrait dans les cavites de cette forteresse naturelle qui protege le coeur et les poumons. -- Plaie douloureuse et non mortelle, _Acerrimum humeri vulnus, non autem lethale_, murmura la belle et savante chirurgienne; passe-moi du baume et prepare de la charpie, Gillonne. Cependant Gillonne, a qui la reine venait de donner ce nouvel ordre, avait deja essuye et parfume la poitrine du jeune homme et en avait fait autant de ses bras modeles sur un dessin antique, de ses epaules gracieusement rejetees en arriere, de son cou ombrage de boucles epaisses et qui appartenait bien plutot a une statue de marbre de Paros qu'au corps mutile d'un homme expirant. -- Pauvre jeune homme, murmura Gillonne en regardant non pas tant son ouvrage que celui qui venait d'en etre l'objet. -- N'est-ce pas qu'il est beau? dit Marguerite avec une franchise toute royale. -- Oui, madame. Mais il me semble qu'au lieu de le laisser ainsi couche a terre nous devrions le soulever et l'etendre sur le lit de repos contre lequel il est seulement appuye. -- Oui, dit Marguerite, tu as raison. Et les deux femmes, s'inclinant et reunissant leurs forces, souleverent La Mole et le deposerent sur une espece de grand sofa a dossier sculpte qui s'etendait devant la fenetre, qu'elles entrouvrirent pour lui donner de l'air. Le mouvement reveilla La Mole, qui poussa un soupir et, rouvrant les yeux, commenca d'eprouver cet incroyable bien-etre qui accompagne toutes les sensations du blesse, alors qu'a son retour a la vie il retrouve la fraicheur au lieu des flammes devorantes, et les parfums du baume au lieu de la tiede et nauseabonde odeur du sang. Il murmura quelques mots sans suite, auxquels Marguerite repondit par un sourire en posant le doigt sur sa bouche. En ce moment le bruit de plusieurs coups frappes a une porte retentit. -- On heurte au passage secret, dit Marguerite. -- Qui donc peut venir, madame? demanda Gillonne effrayee. -- Je vais voir, dit Marguerite. Toi, reste aupres de lui et ne le quitte pas d'un seul instant. Marguerite rentra dans sa chambre, et, fermant la porte du cabinet, alla ouvrir celle du passage qui donnait chez le roi et chez la reine mere. -- Madame de Sauve! s'ecria-t-elle en reculant vivement et avec une expression qui ressemblait sinon a la terreur, du moins a la haine, tant il est vrai qu'une femme ne pardonne jamais a une autre femme de lui enlever meme un homme qu'elle n'aime pas. Madame de Sauve! -- Oui, Votre Majeste! dit celle-ci en joignant les mains. -- Ici, vous, madame! continua Marguerite de plus en plus etonnee, mais aussi d'une voix plus imperative. Charlotte tomba a genoux. -- Madame, dit-elle, pardonnez-moi, je reconnais a quel point je suis coupable envers vous; mais, si vous saviez! la faute n'est pas tout entiere a moi, et un ordre expres de la reine mere... -- Relevez-vous, dit Marguerite, et comme je ne pense pas que vous soyez venue dans l'esperance de vous justifier vis-a-vis de moi, dites-moi pourquoi vous etes venue. -- Je suis venue, madame, dit Charlotte toujours a genoux et avec un regard presque egare, je suis venue pour vous demander s'il n'etait pas ici. -- Ici, qui? de qui parlez-vous, madame?... car, en verite, je ne comprends pas. -- Du roi! -- Du roi? vous le poursuivez jusque chez moi! Vous savez bien qu'il n'y vient pas, cependant! -- Ah! madame! continua la baronne de Sauve sans repondre a toutes ces attaques et sans meme paraitre les sentir; ah! plut a Dieu qu'il y fut! -- Et pourquoi cela? -- Eh! mon Dieu! madame, parce qu'on egorge les huguenots, et que le roi de Navarre est le chef des huguenots. -- Oh! s'ecria Marguerite en saisissant madame de Sauve par la main et en la forcant de se relever, oh! je l'avais oublie! D'ailleurs, je n'avais pas cru qu'un roi put courir les memes dangers que les autres hommes. -- Plus, madame, mille fois plus, s'ecria Charlotte. -- En effet, madame de Lorraine m'avait prevenue. Je lui avais dit de ne pas sortir. Serait-il sorti? -- Non, non, il est dans le Louvre. Il ne se retrouve pas. Et s'il n'est pas ici... -- Il n'y est pas. -- Oh! s'ecria madame de Sauve avec une explosion de douleur, c'en est fait de lui, car la reine mere a jure sa mort. -- Sa mort! Ah! dit Marguerite, vous m'epouvantez. Impossible! -- Madame, reprit madame de Sauve avec cette energie que donne seule la passion, je vous dis qu'on ne sait pas ou est le roi de Navarre. -- Et la reine mere, ou est-elle? -- La reine mere m'a envoyee chercher M. de Guise et M. de Tavannes, qui etaient dans son oratoire, puis elle m'a congediee. Alors, pardonnez-moi, madame! je suis remontee chez moi, et comme d'habitude, j'ai attendu. -- Mon mari, n'est-ce pas? dit Marguerite. -- Il n'est pas venu, madame. Alors, je l'ai cherche de tous cotes; je l'ai demande a tout le monde. Un seul soldat m'a repondu qu'il croyait l'avoir apercu au milieu des gardes qui l'accompagnaient l'epee nue quelque temps avant que le massacre commencat, et le massacre est commence depuis une heure. -- Merci, madame, dit Marguerite; et quoique peut-etre le sentiment qui vous fait agir soit une nouvelle offense pour moi, merci. -- Oh! alors, pardonnez-moi, madame! dit-elle, et je rentrerai chez moi plus forte de votre pardon; car je n'ose vous suivre, meme de loin. Marguerite lui tendit la main. -- Je vais trouver la reine Catherine, dit-elle; rentrez chez vous. Le roi de Navarre est sous ma sauvegarde, je lui ai promis alliance et je serai fidele a ma promesse. -- Mais si vous ne pouvez penetrer jusqu'a la reine mere, madame? -- Alors, je me tournerai du cote de mon frere Charles, et il faudra bien que je lui parle. -- Allez, allez, madame, dit Charlotte en laissant le passage libre a Marguerite, et que Dieu conduise Votre Majeste. Marguerite s'elanca par le couloir. Mais arrivee a l'extremite, elle se retourna pour s'assurer que madame de Sauve ne demeurait pas en arriere. Madame de Sauve la suivait. La reine de Navarre lui vit prendre l'escalier qui conduisait a son appartement, et poursuivit son chemin vers la chambre de la reine. Tout etait change; au lieu de cette foule de courtisans empresses, qui d'ordinaire ouvrait ses rangs devant la reine en la saluant respectueusement, Marguerite ne rencontrait que des gardes avec des pertuisanes rougies et des vetements souilles de sang, ou des gentilshommes aux manteaux dechires, a la figure noircie par la poudre, porteurs d'ordres et de depeches, les uns entrant et les autres sortant: toutes ces allees et venues faisaient un fourmillement terrible et immense dans les galeries. Marguerite n'en continua pas moins d'aller en avant et parvint jusqu'a l'antichambre de la reine mere. Mais cette antichambre etait gardee par deux haies de soldats qui ne laissaient penetrer que ceux qui etaient porteurs d'un certain mot d'ordre. Marguerite essaya vainement de franchir cette barriere vivante. Elle vit plusieurs fois s'ouvrir et se fermer la porte, et a chaque fois, par l'entrebaillement, elle apercut Catherine rajeunie par l'action, active comme si elle n'avait que vingt ans, ecrivant, recevant des lettres, les decachetant, donnant des ordres, adressant a ceux-ci un mot, a ceux-la un sourire, et ceux auxquels elle souriait plus amicalement etaient ceux qui etaient plus couverts de poussiere et de sang. Au milieu de ce grand tumulte qui bruissait dans le Louvre, qu'il emplissait d'effrayantes rumeurs, on entendait eclater les arquebusades de la rue de plus en plus repetees. -- Jamais je n'arriverai jusqu'a elle, se dit Marguerite apres avoir fait pres des hallebardiers trois tentatives inutiles. Plutot que de perdre mon temps ici, allons donc trouver mon frere. En ce moment passa M. de Guise; il venait d'annoncer a la reine la mort de l'amiral et retournait a la boucherie. -- Oh! Henri! s'ecria Marguerite, ou est le roi de Navarre? Le duc la regarda avec un sourire etonne, s'inclina, et, sans repondre, sortit avec ses gardes. Marguerite courut a un capitaine qui allait sortir du Louvre et qui, avant de partir, faisait charger les arquebuses de ses soldats. -- Le roi de Navarre? demanda-t-elle; monsieur, ou est le roi de Navarre? -- Je ne sais, madame, repondit celui-ci, je ne suis point des gardes de Sa Majeste. -- Ah! mon cher Rene! s'ecria Marguerite en reconnaissant le parfumeur de Catherine... c'est vous... vous sortez de chez ma mere... savez-vous ce qu'est devenu mon mari? -- Sa Majeste le roi de Navarre n'est point mon ami, madame... vous devez vous en souvenir. On dit meme, ajouta-t-il avec une contraction qui ressemblait plus a un grincement qu'a un sourire, on dit meme qu'il ose m'accuser d'avoir, de complicite avec madame Catherine, empoisonne sa mere. -- Non! non! s'ecria Marguerite, ne croyez pas cela, mon bon Rene! -- Oh! peu m'importe, madame! dit le parfumeur; ni le roi de Navarre ni les siens ne sont plus guere a craindre en ce moment. Et il tourna le dos a Marguerite. -- Oh! monsieur de Tavannes, monsieur de Tavannes! s'ecria Marguerite, un mot, un seul, je vous prie! Tavannes qui passait, s'arreta. -- Ou est Henri de Navarre? dit Marguerite. -- Ma foi! dit-il tout haut, je crois qu'il court la ville avec MM. d'Alencon et Conde. Puis, si bas que Marguerite seule put l'entendre: -- Belle Majeste, dit-il, si vous voulez voir celui pour etre a la place duquel je donnerais ma vie, allez frapper au cabinet des Armes du roi. -- Oh! merci, Tavannes! dit Marguerite, qui, de tout ce que lui avait dit Tavannes, n'avait entendu que l'indication principale; merci, j'y vais. Et elle prit sa course tout en murmurant: -- Oh! apres ce que je lui ai promis, apres la facon dont il s'est conduit envers moi quand cet ingrat Henri s'etait cache dans le cabinet, je ne puis le laisser perir! Et elle vint heurter a la porte des appartements du roi; mais ils etaient ceints interieurement par deux compagnies des gardes. -- On n'entre point chez le roi, dit l'officier en s'avancant vivement. -- Mais moi? dit Marguerite. -- L'ordre est general. -- Moi, la reine de Navarre! moi, sa soeur! -- Ma consigne n'admet point d'exception, madame; recevez donc mes excuses. Et l'officier referma la porte. -- Oh! il est perdu, s'ecria Marguerite alarmee par la vue de toutes ces figures sinistres, qui, lorsqu'elles ne respiraient pas la vengeance, exprimaient l'inflexibilite. -- Oui, oui, je comprends tout... on s'est servi de moi comme d'un appat... je suis le piege ou l'on prend et egorge les huguenots... Oh! j'entrerai, dusse-je me faire tuer. Et Marguerite courait comme une folle par les corridors et par les galeries, lorsque tout a coup passant devant une petite porte, elle entendit un chant doux, presque lugubre, tant il etait monotone. C'etait un psaume calviniste que chantait une voix tremblante dans la piece voisine. -- La nourrice du roi mon frere, la bonne Madelon... elle est la! s'ecria Marguerite en se frappant le front, eclairee par une pensee subite; elle est la! ... Dieu des chretiens, aide-moi! Et Marguerite, pleine d'esperance, heurta doucement a la petite porte. En effet, apres l'avis qui lui avait ete donne par Marguerite, apres son entretien avec Rene, apres sa sortie de chez la reine mere, a laquelle, comme un bon genie, avait voulu s'opposer la pauvre petite Phebe, Henri de Navarre avait rencontre quelques gentilshommes catholiques qui, sous pretexte de lui faire honneur, l'avaient reconduit chez lui, ou l'attendaient une vingtaine de huguenots, lesquels s'etaient reunis chez le jeune prince, et, une fois reunis, ne voulaient plus le quitter, tant depuis quelques heures le pressentiment de cette nuit fatale avait plane sur le Louvre. Ils etaient donc restes ainsi sans qu'on eut tente de les troubler. Enfin, au premier coup de la cloche de Saint-Germain- l'Auxerrois, qui retentit dans tous ces coeurs comme un glas funebre, Tavannes entra, et, au milieu d'un silence de mort, annonca a Henri que le roi Charles IX voulait lui parler. Il n'y avait point de resistance a tenter, personne n'en eut meme la pensee. On entendait les plafonds, les galeries et les corridors du Louvre craquer sous les pieds des soldats reunis tant dans les cours que dans les appartements, au nombre de pres de deux mille. Henri, apres avoir pris conge de ses amis, qu'il ne devait plus revoir, suivit donc Tavannes, qui le conduisit dans une petite galerie contigue au logis du roi, ou il le laissa seul, sans armes et le coeur gonfle de toutes les defiances. Le roi de Navarre compta ainsi, minute par minute, deux mortelles heures, ecoutant avec une terreur croissante le bruit du tocsin et le retentissement des arquebusades; voyant, par un guichet vitre, passer, a la lueur de l'incendie, au flamboiement des torches, les fuyards et les assassins; ne comprenant rien a ces clameurs de meurtre et a ces cris de detresse; ne pouvant soupconner enfin, malgre la connaissance qu'il avait de Charles IX, de la reine mere et du duc de Guise, l'horrible drame qui s'accomplissait en ce moment. Henri n'avait pas le courage physique; il avait mieux que cela, il avait la puissance morale: craignant le danger, il l'affrontait en souriant, mais le danger du champ de bataille, le danger en plein air et en plein jour, le danger aux yeux de tous, qu'accompagnaient la stridente harmonie des trompettes et la voix sourde et vibrante des tambours... Mais la, il etait sans armes, seul, enferme, perdu dans une demi-obscurite, suffisante a peine pour voir l'ennemi qui pouvait se glisser jusqu'a lui et le fer qui le voulait percer. Ces deux heures furent donc pour lui les deux heures peut-etre les plus cruelles de sa vie. Au plus fort du tumulte, et comme Henri commencait a comprendre que, selon toute probabilite, il s'agissait d'un massacre organise, un capitaine vint chercher le prince et le conduisit, par un corridor, a l'appartement du roi. A leur approche la porte s'ouvrit, derriere eux la porte se referma, le tout comme par enchantement, puis le capitaine introduisit Henri pres de Charles IX, alors dans son cabinet des Armes. Lorsqu'ils entrerent, le roi etait assis dans un grand fauteuil, ses deux mains posees sur les deux bras de son siege et la tete retombant sur sa poitrine. Au bruit que firent les nouveaux venus, Charles IX releva son front, sur lequel Henri vit couler la sueur par grosses gouttes. -- Bonsoir, Henriot, dit brutalement le jeune roi. Vous, La Chastre, laissez-nous. Le capitaine obeit. Il se fit un moment de sombre silence. Pendant ce moment, Henri regarda autour de lui avec inquietude et vit qu'il etait seul avec le roi. Charles IX se leva tout a coup. -- Par la mordieu! dit-il en retroussant d'un geste rapide ses cheveux blonds et en essuyant son front en meme temps, vous etes content de vous voir pres de moi, n'est-ce pas, Henriot? -- Mais sans doute, Sire, repondit le roi de Navarre, et c'est toujours avec bonheur que je me trouve aupres de Votre Majeste. -- Plus content que d'etre la-bas, hein? reprit Charles IX, continuant a suivre sa pauvre pensee plutot qu'il ne repondait au compliment de Henri. -- Sire, je ne comprends pas, dit Henri. -- Regardez et vous comprendrez. D'un mouvement rapide, Charles IX marcha ou plutot bondit vers la fenetre. Et, attirant a lui son beau-frere, de plus en plus epouvante, il lui montra l'horrible silhouette des assassins, qui, sur le plancher d'un bateau, egorgeaient ou noyaient les victimes qu'on leur amenait a chaque instant. -- Mais, au nom du Ciel, s'ecria Henri tout pale, que se passe-t- il donc cette nuit? -- Cette nuit, monsieur, dit Charles IX, on me debarrasse de tous les huguenots. Voyez-vous la-bas, au-dessus de l'hotel de Bourbon, cette fumee et cette flamme? C'est la fumee et la flamme de la maison de l'amiral, qui brule. Voyez-vous ce corps que de bons catholiques trainent sur une paillasse dechiree, c'est le corps du gendre de l'amiral, le cadavre de votre ami Teligny. -- Oh! que veut dire cela? s'ecria le roi de Navarre, en cherchant inutilement a son cote la poignee de sa dague et tremblant a la fois de honte et de colere, car il sentait que tout a la fois on le raillait et on le menacait. -- Cela veut dire, s'ecria Charles IX furieux, sans transition et blemissant d'une maniere effrayante, cela veut dire que je ne veux plus de huguenot autour de moi, entendez-vous, Henri? Suis-je le roi? suis-je le maitre? -- Mais, Votre Majeste... -- Ma Majeste tue et massacre a cette heure tout ce qui n'est pas catholique; c'est son plaisir. Etes-vous catholique? s'ecria Charles, dont la colere montait incessamment comme une maree terrible. -- Sire, dit Henri, rappelez-vous vos paroles: Qu'importe la religion de qui me sert bien! -- Ha! ha! ha! s'ecria Charles en eclatant d'un rire sinistre; que je me rappelle mes paroles, dis-tu, Henri! _Verba volant, _comme dit ma soeur Margot. Et tous ceux-la, regarde, ajouta-t-il en montrant du doigt la ville, ceux-la ne m'avaient-ils pas bien servi aussi? n'etaient-ils pas braves au combat, sages au conseil, devoues toujours? Tous etaient des sujets utiles! mais ils etaient huguenots, et je ne veux que des catholiques. Henri resta muet. -- Ca, comprenez-moi donc, Henriot! s'ecria Charles IX. -- J'ai compris, Sire. -- Eh bien? -- Eh bien, Sire, je ne vois pas pourquoi le roi de Navarre ferait ce que tant de gentilshommes ou de pauvres gens n'ont pas fait. Car enfin, s'ils meurent tous, ces malheureux, c'est aussi parce qu'on leur a propose ce que Votre Majeste me propose, et qu'ils ont refuse comme je refuse. Charles saisit le bras du jeune prince, et fixant sur lui un regard dont l'atonie se changeait peu a peu en un fauve rayonnement: -- Ah! tu crois, dit-il, que j'ai pris la peine d'offrir la messe a ceux qu'on egorge la-bas? -- Sire, dit Henri en degageant son bras, ne mourrez-vous point dans la religion de vos peres? -- Oui, par la mordieu! et toi? -- Eh bien, moi aussi, Sire, repondit Henri. Charles poussa un rugissement de rage, et saisit d'une main tremblante son arquebuse, placee sur une table. Henri, colle contre la tapisserie, la sueur de l'angoisse au front, mais, grace a cette puissance qu'il conservait sur lui-meme, calme en apparence, suivait tous les mouvements du terrible monarque avec l'avide stupeur de l'oiseau fascine par le serpent. Charles arma son arquebuse, et frappant du pied avec une fureur aveugle: -- Veux-tu la messe? s'ecria-t-il en eblouissant Henri du miroitement de l'arme fatale. Henri resta muet. Charles IX ebranla les voutes du Louvre du plus terrible juron qui soit jamais sorti des levres d'un homme, et de pale qu'il etait, il devint livide. -- Mort, messe ou Bastille! s'ecria-t-il en mettant le roi de Navarre en joue. -- Oh! Sire! s'ecria Henri, me tuerez-vous, moi votre frere? Henri venait d'eluder, avec cet esprit incomparable qui etait une des plus puissantes facultes de son organisation, la reponse que lui demandait Charles IX; car, sans aucun doute, si cette reponse eut ete negative, Henri etait mort. Aussi, comme apres les derniers paroxysmes de la rage se trouve immediatement le commencement de la reaction, Charles IX ne reitera pas la question qu'il venait d'adresser au prince de Navarre, et apres un moment d'hesitation, pendant lequel il fit entendre un rugissement sourd, il se retourna vers la fenetre ouverte, et coucha en joue un homme qui courait sur le quai oppose. -- Il faut cependant bien que je tue quelqu'un, s'ecria Charles IX, livide comme un cadavre, et dont les yeux s'injectaient de sang. Et lachant le coup, il abattit l'homme qui courait. Henri poussa un gemissement. Alors, anime par une effrayante ardeur, Charles chargea et tira sans relache son arquebuse, poussant des cris de joie chaque fois que le coup avait porte. -- C'est fait de moi, se dit le roi de Navarre; quand il ne trouvera plus personne a tuer, il me tuera. -- Eh bien, dit tout a coup une voix derriere les princes, est-ce fait? C'etait Catherine de Medicis, qui, pendant la derniere detonation de l'arme, venait d'entrer sans etre entendue. -- Non, mille tonnerres d'enfer! hurla Charles en jetant son arquebuse par la chambre... Non, l'entete... il ne veut pas! ... Catherine ne repondit point. Elle tourna lentement son regard vers la partie de la chambre ou se tenait Henri, aussi immobile qu'une des figures de la tapisserie contre laquelle il etait appuye. Alors elle ramena sur Charles un oeil qui voulait dire: Alors, pourquoi vit-il? -- Il vit... il vit... murmura Charles IX, qui comprenait parfaitement ce regard et qui y repondait, comme on le voit, sans hesitation; il vit, parce qu'il... est mon parent. Catherine sourit. Henri vit ce sourire et reconnut que c'etait Catherine surtout qu'il lui fallait combattre. -- Madame, lui dit-il, tout vient de vous, je le vois bien, et rien de mon beau-frere Charles; c'est vous qui avez eu l'idee de m'attirer dans un piege; c'est vous qui avez pense a faire de votre fille l'appat qui devait nous perdre tous; c'est vous qui m'avez separe de ma femme, pour qu'elle n'eut pas l'ennui de me voir tuer sous ses yeux... -- Oui, mais cela ne sera pas! s'ecria une autre voix haletante et passionnee que Henri reconnut a l'instant et qui fit tressaillir Charles IX de surprise et Catherine de fureur. -- Marguerite! s'ecria Henri. -- Margot! dit Charles IX. -- Ma fille! murmura Catherine. -- Monsieur, dit Marguerite a Henri, vos dernieres paroles m'accusaient, et vous aviez a la fois tort et raison: raison, car en effet je suis bien l'instrument dont on s'est servi pour vous perdre tous; tort, car j'ignorais que vous marchiez a votre perte. Moi-meme, monsieur, telle que vous me voyez, je dois la vie au hasard, a l'oubli de ma mere, peut-etre; mais sitot que j'ai appris votre danger, je me suis souvenue de mon devoir. Or, le devoir d'une femme est de partager la fortune de son mari. Vous exile-t-on, monsieur, je vous suis dans l'exil; vous emprisonne-t- on, je me fais captive; vous tue-t-on, je meurs. Et elle tendit a son mari une main que Henri saisit, sinon avec amour, du moins avec reconnaissance. -- Ah! ma pauvre Margot, dit Charles IX, tu ferais bien mieux de lui dire de se faire catholique! -- Sire, repondit Marguerite avec cette haute dignite qui lui etait si naturelle, Sire, croyez-moi, pour vous-meme ne demandez pas une lachete a un prince de votre maison. Catherine lanca un regard significatif a Charles. -- Mon frere, s'ecria Marguerite, qui, aussi bien que Charles IX, comprenait la terrible pantomime de Catherine, mon frere, songez- y, vous avez fait de lui mon epoux. Charles IX, pris entre le regard imperatif de Catherine et le regard suppliant de Marguerite comme entre deux principes opposes, resta un instant indecis; enfin, Oromase l'emporta. -- Au fait, madame, dit-il en se penchant a l'oreille de Catherine, Margot a raison et Henriot est mon beau-frere. -- Oui, repondit Catherine en s'approchant a son tour de l'oreille de son fils, oui... mais s'il ne l'etait pas? XI L'aubepine du cimetiere des Innocents Rentree chez elle, Marguerite chercha vainement a deviner le mot que Catherine de Medicis avait dit tout bas a Charles IX, et qui avait arrete court le terrible conseil de vie et de mort qui se tenait en ce moment. Une partie de la matinee fut employee par elle a soigner La Mole, l'autre a chercher l'enigme que son esprit se refusait a comprendre. Le roi de Navarre etait reste prisonnier au Louvre. Les huguenots etaient plus que jamais poursuivis. A la nuit terrible avait succede un jour de massacre plus hideux encore. Ce n'etait plus le tocsin que les cloches sonnaient, c'etaient des _Te Deum_, et les accents de ce bronze joyeux retentissant au milieu du meurtre et des incendies, etaient peut-etre plus tristes a la lumiere du soleil que ne l'avait ete pendant l'obscurite le glas de la nuit precedente. Ce n'etait pas le tout: une chose etrange etait arrivee; une aubepine, qui avait fleuri au printemps et qui, comme d'habitude, avait perdu son odorante parure au mois de juin, venait de refleurir pendant la nuit, et les catholiques, qui voyaient dans cet evenement un miracle et qui, pour la popularisation de ce miracle, faisaient Dieu leur complice, allaient en procession, croix et banniere en tete, au cimetiere des Innocents, ou cette aubepine fleurissait. Cette espece d'assentiment donne par le ciel au massacre qui s'executait avait redouble l'ardeur des assassins. Et tandis que la ville continuait a offrir dans chaque rue, dans chaque carrefour, sur chaque place une scene de desolation, le Louvre avait deja servi de tombeau commun a tous les protestants qui s'y etaient trouves enfermes au moment du signal. Le roi de Navarre, le prince de Conde et La Mole y etaient seuls demeures vivants. Rassuree sur La Mole, dont les plaies, comme elle l'avait dit la veille, etaient dangereuses, mais non mortelles, Marguerite n'etait donc plus preoccupee que d'une chose: sauver la vie de son mari, qui continuait d'etre menacee. Sans doute le premier sentiment qui s'etait empare de l'epouse etait un sentiment de loyale pitie pour un homme auquel elle venait, comme l'avait dit lui-meme le Bearnais, de jurer sinon amour, du moins alliance. Mais, a la suite de ce sentiment, un autre moins pur avait penetre dans le coeur de la reine. Marguerite etait ambitieuse, Marguerite avait vu presque une certitude de royaute dans son mariage avec Henri de Bourbon, La Navarre, tiraillee d'un cote par les rois de France, de l'autre par les rois d'Espagne, qui, lambeau a lambeau, avaient fini par emporter la moitie de son territoire, pouvait, si Henri de Bourbon realisait les esperances de courage qu'il avait donnees dans les rares occasions qu'il avait eues de tirer l'epee, devenir un royaume reel, avec les huguenots de France pour sujets. Grace a son esprit fin et si eleve, Marguerite avait entrevu et calcule tout cela. En perdant Henri, ce n'etait donc pas seulement un mari qu'elle perdait, c'etait un trone. Elle en etait au plus intime de ces reflexions, lorsqu'elle entendit frapper a la porte du corridor secret; elle tressaillit, car trois personnes seulement venaient par cette porte: le roi, la reine mere et le duc d'Alencon. Elle entrouvrit la porte du cabinet, recommanda du doigt le silence a Gillonne et a La Mole, et alla ouvrir au visiteur. Ce visiteur etait le duc d'Alencon. Le jeune homme avait disparu depuis la veille. Un instant Marguerite avait eu l'idee de reclamer son intercession en faveur du roi de Navarre; mais une idee terrible l'avait arretee. Le mariage s'etait fait contre son gre; Francois detestait Henri et n'avait conserve la neutralite en faveur du Bearnais que parce qu'il etait convaincu que Henri et sa femme etaient restes etrangers l'un a l'autre. Une marque d'interet donnee par Marguerite a son epoux pouvait en consequence, au lieu de l'ecarter, rapprocher de sa poitrine un des trois poignards qui le menacaient. Marguerite frissonna donc en apercevant le jeune prince plus qu'elle n'eut frissonne en apercevant le roi Charles IX ou la reine mere elle-meme. On n'eut point dit d'ailleurs, en le voyant, qu'il se passat quelque chose d'insolite par la ville, ni au Louvre; il etait vetu avec son elegance ordinaire. Ses habits et son linge exhalaient ces parfums que meprisait Charles IX, mais dont le duc d'Anjou et lui faisaient un si continuel usage. Seulement, un oeil exerce comme l'etait celui de Marguerite pouvait remarquer que, malgre sa paleur plus grande que d'habitude, et malgre le leger tremblement qui agitait l'extremite de ses mains, aussi belles et aussi soignees que des mains de femme, il renfermait au fond de son coeur un sentiment joyeux. Son entree fut ce qu'elle avait l'habitude d'etre. Il s'approcha de sa soeur pour l'embrasser. Mais, au lieu de lui tendre ses joues, comme elle eut fait au roi Charles ou au duc d'Anjou, Marguerite s'inclina et lui offrit le front. Le duc d'Alencon poussa un soupir, et posa ses levres blemissantes sur ce front que lui presentait Marguerite. Alors, s'asseyant, il se mit a raconter a sa soeur les nouvelles sanglantes de la nuit; la mort lente et terrible de l'amiral; la mort instantanee de Teligny, qui, perce d'une balle, rendit a l'instant meme le dernier soupir. Il s'arreta, s'appesantit, se complut sur les details sanglants de cette nuit avec cet amour du sang particulier a lui et a ses deux freres. Marguerite le laissa dire. Enfin, ayant tout dit, il se tut. -- Ce n'est pas pour me faire ce recit seulement que vous etes venu me rendre visite, n'est-ce pas, mon frere? demanda Marguerite. Le duc d'Alencon sourit. -- Vous avez encore autre chose a me dire? -- Non, repondit le duc, j'attends. -- Qu'attendez-vous? -- Ne m'avez-vous pas dit, chere Marguerite bien-aimee, reprit le duc en rapprochant son fauteuil de celui de sa soeur, que ce mariage avec le roi de Navarre se faisait contre votre gre. -- Oui, sans doute. Je ne connaissais point le prince de Bearn lorsqu'on me l'a propose pour epoux. -- Et depuis que vous le connaissez, ne m'avez-vous pas affirme que vous n'eprouviez aucun amour pour lui? -- Je vous l'ai dit, il est vrai. -- Votre opinion n'etait-elle pas que ce mariage devait faire votre malheur? -- Mon cher Francois, dit Marguerite, quand un mariage n'est pas la supreme felicite, c'est presque toujours la supreme douleur. -- Eh bien, ma chere Marguerite! comme je vous le disais, j'attends. -- Mais qu'attendez-vous, dites? -- Que vous temoigniez votre joie. -- De quoi donc ai-je a me rejouir? -- Mais de cette occasion inattendue qui se presente de reprendre votre liberte. -- Ma liberte! reprit Marguerite, qui voulait forcer le prince a aller jusqu'au bout de sa pensee. -- Sans doute, votre liberte; vous allez etre separee du roi de Navarre. -- Separee! dit Marguerite en fixant ses yeux sur le jeune prince. Le duc d'Alencon essaya de soutenir le regard de sa soeur; mais bientot ses yeux s'ecarterent d'elle avec embarras. -- Separee! repeta Marguerite; voyons cela, mon frere, car je suis bien aise que vous me mettiez a meme d'approfondir la question; et comment compte-t-on nous separer? -- Mais, murmura le duc, Henri est huguenot. -- Sans doute; mais il n'avait pas fait mystere de sa religion, et l'on savait cela quand on nous a maries. -- Oui, mais depuis votre mariage, ma soeur, dit le duc, laissant malgre lui un rayon de joie illuminer son visage, qu'a fait Henri? -- Mais vous le savez mieux que personne, Francois, puisqu'il a passe ses journees presque toujours en votre compagnie, tantot a la chasse, tantot au mail, tantot a la paume. -- Oui, ses journees, sans doute, reprit le duc, ses journees; mais ses nuits? Marguerite se tut, et ce fut a son tour de baisser les yeux. -- Ses nuits, continua le duc d'Alencon, ses nuits? -- Eh bien? demanda Marguerite, sentant qu'il fallait bien repondre quelque chose. -- Eh bien, il les a passees chez madame de Sauve. -- Comment le savez-vous? s'ecria Marguerite. -- Je le sais parce que j'avais interet a le savoir, repondit le jeune prince en palissant et en dechiquetant la broderie de ses manches. Marguerite commencait a comprendre ce que Catherine avait dit tout bas a Charles IX: mais elle fit semblant de demeurer dans son ignorance. -- Pourquoi me dites-vous cela, mon frere? repondit-elle avec un air de melancolie parfaitement joue; est-ce pour me rappeler que personne ici ne m'aime et ne tient a moi: pas plus ceux que la nature m'a donnes pour protecteurs que celui que l'Eglise m'a donne pour epoux? -- Vous etes injuste, dit vivement le duc d'Alencon en rapprochant encore son fauteuil de celui de sa soeur, je vous aime et vous protege, moi. -- Mon frere, dit Marguerite en le regardant fixement, vous avez quelque chose a me dire de la part de la reine mere. -- Moi! vous vous trompez, ma soeur, je vous jure; qui peut vous faire croire cela? -- Ce qui peut me le faire croire, c'est que vous rompez l'amitie qui vous attachait a mon mari; c'est que vous abandonnez la cause du roi de Navarre. -- La cause du roi de Navarre! reprit le duc d'Alencon tout interdit. -- Oui, sans doute. Tenez, Francois, parlons franc. Vous en etes convenu vingt fois, vous ne pouvez vous elever et meme vous soutenir que l'un par l'autre. Cette alliance... -- Est devenue impossible, ma soeur, interrompit le duc d'Alencon. -- Et pourquoi cela? -- Parce que le roi a des desseins sur votre mari. Pardon! en disant votre mari, je me trompe: c'est sur Henri de Navarre que je voulais dire. Notre mere a devine tout. Je m'alliais aux huguenots parce que je croyais les huguenots en faveur. Mais voila qu'on tue les huguenots et que dans huit jours il n'en restera pas cinquante dans tout le royaume. Je tendais la main au roi de Navarre parce qu'il etait... votre mari. Mais voila qu'il n'est plus votre mari. Qu'avez-vous a dire a cela, vous qui etes non seulement la plus belle femme de France, mais encore la plus forte tete du royaume? -- J'ai a dire, reprit Marguerite, que je connais notre frere Charles. Je l'ai vu hier dans un de ces acces de frenesie dont chacun abrege sa vie de dix ans; j'ai a dire que ces acces se renouvellent, par malheur, bien souvent maintenant, ce qui fait que, selon toute probabilite, notre frere Charles n'a pas longtemps a vivre; j'ai a dire enfin que le roi de Pologne vient de mourir et qu'il est fort question d'elire en sa place un prince de la maison de France; j'ai a dire enfin que, lorsque les circonstances se presentent ainsi, ce n'est point le moment d'abandonner des allies qui, au moment du combat, peuvent nous soutenir avec le concours d'un peuple et l'appui d'un royaume. -- Et vous, s'ecria le duc, ne me faites-vous pas une trahison bien plus grande de preferer un etranger a votre frere? -- Expliquez-vous, Francois; en quoi et comment vous ai-je trahi? -- Vous avez demande hier au roi la vie du roi de Navarre? -- Eh bien? demanda Marguerite avec une feinte naivete. Le duc se leva precipitamment, fit deux ou trois fois le tour de la chambre d'un air egare, puis revint prendre la main de Marguerite. Cette main etait raide et glacee. -- Adieu, ma soeur, dit-il; vous n'avez pas voulu me comprendre, ne vous en prenez donc qu'a vous des malheurs qui pourront vous arriver. Marguerite palit, mais demeura immobile a sa place. Elle vit sortir le duc d'Alencon sans faire un signe pour le rappeler; mais a peine l'avait-elle perdu de vue dans le corridor qu'il revint sur ses pas. -- Ecoutez, Marguerite, dit-il, j'ai oublie de vous dire une chose: c'est que demain, a pareille heure, le roi de Navarre sera mort. Marguerite poussa un cri; car cette idee qu'elle etait l'instrument d'un assassinat lui causait une epouvante qu'elle ne pouvait surmonter. -- Et vous n'empecherez pas cette mort? dit-elle; vous ne sauverez pas votre meilleur et votre plus fidele allie? -- Depuis hier, mon allie n'est plus le roi de Navarre. -- Et qui est-ce donc, alors? -- C'est M. de Guise. En detruisant les huguenots, on a fait M. de Guise roi des catholiques. -- Et c'est le fils de Henri II qui reconnait pour son roi un duc de Lorraine! ... -- Vous etes dans un mauvais jour, Marguerite, et vous ne comprenez rien. -- J'avoue que je cherche en vain a lire dans votre pensee. -- Ma soeur, vous etes d'aussi bonne maison que madame la princesse de Porcian, et Guise n'est pas plus immortel que le roi de Navarre; eh bien, Marguerite, supposez maintenant trois choses, toutes trois possibles: la premiere, c'est que Monsieur soit elu roi de Pologne; la seconde, c'est que vous m'aimiez comme je vous aime; eh bien, je suis roi de France, et vous... et vous... reine des catholiques. Marguerite cacha sa tete dans ses mains, eblouie de la profondeur des vues de cet adolescent que personne a la cour n'osait appeler une intelligence. -- Mais, demanda-t-elle apres un moment de silence, vous n'etes donc pas jaloux de M. le duc de Guise comme vous l'etes du roi de Navarre? -- Ce qui est fait est fait, dit le duc d'Alencon d'une voix sourde; et si j'ai eu a etre jaloux du duc de Guise, eh bien, je l'ai ete. -- Il n'y a qu'une seule chose qui puisse empecher ce beau plan de reussir. -- Laquelle? -- C'est que je n'aime plus le duc de Guise. -- Et qui donc aimez-vous, alors? -- Personne. Le duc d'Alencon regarda Marguerite avec l'etonnement d'un homme qui, a son tour, ne comprend plus, et sortit de l'appartement en poussant un soupir et en pressant de sa main glacee son front pret a se fendre. Marguerite demeura seule et pensive. La situation commencait a se dessiner claire et precise a ses yeux; le roi avait laisse faire la Saint-Barthelemy, la reine Catherine et le duc de Guise l'avaient faite. Le duc de Guise et le duc d'Alencon allaient se reunir pour en tirer le meilleur parti possible. La mort du roi de Navarre etait une consequence naturelle de cette grande catastrophe. Le roi de Navarre mort, on s'emparait de son royaume. Marguerite restait donc veuve, sans trone, sans puissance, et n'ayant d'autre perspective qu'un cloitre ou elle n'aurait pas meme la triste douleur de pleurer son epoux qui n'avait jamais ete son mari. Elle en etait la, lorsque la reine Catherine lui fit demander si elle ne voulait pas venir faire avec toute la cour un pelerinage a l'aubepine du cimetiere des Innocents. Le premier mouvement de Marguerite fut de refuser de faire partie de cette cavalcade. Mais la pensee que cette sortie lui fournirait peut-etre l'occasion d'apprendre quelque chose de nouveau sur le sort du roi de Navarre la decida. Elle fit donc repondre que si on voulait lui tenir un cheval pret, elle accompagnerait volontiers Leurs Majestes. Cinq minutes apres, un page vint lui annoncer que, si elle voulait descendre, le cortege allait se mettre en marche. Marguerite fit de la main a Gillone un signe pour lui recommander le blesse et descendit. Le roi, la reine mere, Tavannes et les principaux catholiques etaient deja a cheval. Marguerite jeta un coup d'oeil rapide sur ce groupe, qui se composait d'une vingtaine de personnes a peu pres: le roi de Navarre n'y etait point. Mais madame de Sauve y etait; elle echangea un regard avec elle, et Marguerite comprit que la maitresse de son mari avait quelque chose a lui dire. On se mit en route en gagnant la rue Saint-Honore par la rue de l'Astruce. A la vue du roi, de la reine Catherine et des principaux catholiques, le peuple s'etait amasse, suivant le cortege comme un flot qui monte, criant: -- Vive le roi! vive la messe! mort aux huguenots! Ces cris etaient accompagnes de brandissements d'epees rougies et d'arquebuses fumantes, qui indiquaient la part que chacun avait prise au sinistre evenement qui venait de s'accomplir. En arrivant a la hauteur de la rue des Prouvelles, on rencontra des hommes qui trainaient un cadavre sans tete. C'etait celui de l'amiral. Ces hommes allaient le pendre par les pieds a Montfaucon. On entra dans le cimetiere des Saints-Innocents par la porte qui s'ouvrait en face de la rue des Chaps, aujourd'hui celle des Dechargeurs. Le clerge, prevenu de la visite du roi et de celle de la reine mere, attendait Leurs Majestes pour les haranguer. Madame de Sauve profita du moment ou Catherine ecoutait le discours qu'on lui faisait pour s'approcher de la reine de Navarre et lui demander la permission de lui baiser sa main. Marguerite etendit le bras vers elle, madame de Sauve approcha ses levres de la main de la reine, et, en la baisant lui glissa un petit papier roule dans la manche. Si rapide et si dissimulee qu'eut ete la retraite de madame de Sauve, Catherine s'en etait apercue, elle se retourna au moment ou sa dame d'honneur baisait la main de la reine. Les deux femmes virent ce regard qui penetrait jusqu'a elles comme un eclair, mais toutes deux resterent impassibles. Seulement madame de Sauve s'eloigna de Marguerite, et alla reprendre sa place pres de Catherine. Lorsqu'elle eut repondu au discours qui venait de lui etre adresse, Catherine fit du doigt, et en souriant, signe a la reine de Navarre de s'approcher d'elle. Marguerite obeit. -- Eh! ma fille! dit la reine mere dans son patois italien, vous avez donc de grandes amities avec madame de Sauve? Marguerite sourit, en donnant a son beau visage l'expression la plus amere qu'elle put trouver. -- Oui, ma mere, repondit-elle, le serpent est venu me mordre la main. -- Ah! ah! dit Catherine en souriant, vous etes jalouse, je crois! -- Vous vous trompez, madame, repondit Marguerite. Je ne suis pas plus jalouse du roi de Navarre que le roi de Navarre n'est amoureux de moi. Seulement je sais distinguer mes amis de mes ennemis. J'aime qui m'aime, et deteste qui me hait. Sans cela, madame, serais-je votre fille? Catherine sourit de maniere a faire comprendre a Marguerite que, si elle avait eu quelque soupcon, ce soupcon etait evanoui. D'ailleurs, en ce moment, de nouveaux pelerins attirerent l'attention de l'auguste assemblee. Le duc de Guise arrivait escorte d'une troupe de gentilshommes tout echauffes encore d'un carnage recent. Ils escortaient une litiere richement tapissee, qui s'arreta en face du roi. -- La duchesse de Nevers! s'ecria Charles IX. Ca, voyons! qu'elle vienne recevoir nos compliments, cette belle et rude catholique. Que m'a-t-on dit, ma cousine, que, de votre propre fenetre, vous avez giboye aux huguenots, et que vous en avez tue un d'un coup de pierre? La duchesse de Nevers rougit extremement. -- Sire, dit-elle a voix basse, en venant s'agenouiller devant le roi, c'est au contraire un catholique blesse que j'ai eu le bonheur de recueillir. -- Bien, bien, ma cousine! il y a deux facons de me servir: l'une en exterminant mes ennemis, l'autre en secourant mes amis. On fait ce qu'on peut, et je suis sur que si vous eussiez pu davantage, vous l'eussiez fait. Pendant ce temps, le peuple, qui voyait la bonne harmonie qui regnait entre la maison de Lorraine et Charles IX, criait a tue- tete: -- Vive le roi! vive le duc de Guise! vive la messe! -- Revenez-vous au Louvre avec nous, Henriette? dit la reine mere a la belle duchesse. Marguerite toucha du coude son amie, qui comprit aussitot ce signe, et qui repondit: -- Non pas, madame, a moins que Votre Majeste ne me l'ordonne, car j'ai affaire en ville avec Sa Majeste la reine de Navarre. -- Et qu'allez-vous faire ensemble? demanda Catherine. -- Voir des livres grecs tres rares et tres curieux qu'on a trouves chez un vieux pasteur protestant, et qu'on a transportes a la tour Saint-Jacques-la-Boucherie, repondit Marguerite. -- Vous feriez mieux d'aller voir jeter les derniers huguenots du haut du pont des Meuniers dans la Seine, dit Charles IX. C'est la place des bons Francais. -- Nous irons, s'il plait a Votre Majeste, repondit la duchesse de Nevers. Catherine jeta un regard de defiance sur les deux jeunes femmes. Marguerite, aux aguets, l'intercepta, et se tournant et retournant aussitot d'un air fort preoccupe, elle regarda avec inquietude autour d'elle. Cette inquietude, feinte ou reelle, n'echappa point a Catherine. -- Que cherchez-vous? -- Je cherche... Je ne vois plus..., dit-elle. -- Que cherchez-vous? qui ne voyez-vous plus? -- La Sauve, dit Marguerite. Serait-elle retournee au Louvre? -- Quand je te disais que tu etais jalouse! dit Catherine a l'oreille de sa fille. _O bestia! ... _Allons, allons, Henriette! continua-t-elle en haussant les epaules, emmenez la reine de Navarre. Marguerite feignit encore de regarder autour d'elle, puis, se penchant a son tour a l'oreille de son amie: -- Emmene-moi vite, lui dit-elle. J'ai des choses de la plus haute importance a te dire. La duchesse fit une reverence a Charles IX et a Catherine, puis s'inclinant devant la reine de Navarre: -- Votre Majeste daignera-t-elle monter dans ma litiere? dit-elle. -- Volontiers. Seulement vous serez obligee de me faire reconduire au Louvre. -- Ma litiere, comme mes gens, comme moi-meme, repondit la duchesse, sont aux ordres de Votre Majeste. La reine Marguerite monta dans la litiere, et, sur un signe qu'elle lui fit, la duchesse de Nevers monta a son tour et prit respectueusement place sur le devant. Catherine et ses gentilshommes retournerent au Louvre en suivant le meme chemin qu'ils avaient pris pour venir. Seulement, pendant toute la route, on vit la reine mere parler sans relache a l'oreille du roi, en lui designant plusieurs fois madame de Sauve. Et a chaque fois le roi riait, comme riait Charles IX, c'est-a- dire d'un rire plus sinistre qu'une menace. Quant a Marguerite, une fois qu'elle eut senti la litiere se mettre en mouvement, et qu'elle n'eut plus a craindre la percante investigation de Catherine, elle tira vivement de sa manche le billet de madame de Sauve et lut les mots suivants: "J'ai recu l'ordre de faire remettre ce soir au roi de Navarre deux clefs: l'une est celle de la chambre dans laquelle il est enferme, l'autre est celle de la mienne. Une fois qu'il sera entre chez moi, il m'est enjoint de l'y garder jusqu'a six heures du matin. "Que Votre Majeste reflechisse, que Votre Majeste decide, que Votre Majeste ne compte ma vie pour rien." -- Il n'y a plus de doute, murmura Marguerite, et la pauvre femme est l'instrument dont on veut se servir pour nous perdre tous. Mais nous verrons si de la reine Margot, comme dit mon frere Charles, on fait si facilement une religieuse. -- De qui donc est cette lettre? demanda la duchesse de Nevers en montrant le papier que Marguerite venait de lire et de relire avec une si grande attention. -- Ah! duchesse! j'ai bien des choses a te dire, repondit Marguerite en dechirant le billet en mille et mille morceaux. XII Les confidences -- Et, d'abord, ou allons-nous? demanda Marguerite. Ce n'est pas au pont des Meuniers, j'imagine?... J'ai vu assez de tueries comme cela depuis hier, ma pauvre Henriette! -- J'ai pris la liberte de conduire Votre Majeste... -- D'abord, et avant toute chose, Ma Majeste te prie d'oublier sa majeste... Tu me conduisais donc... -- A l'hotel de Guise, a moins que vous n'en decidiez autrement. -- Non pas! non pas, Henriette! allons chez toi; le duc de Guise n'y est pas, ton mari n'y est pas? -- Oh! non! s'ecria la duchesse avec une joie qui fit etinceler ses beaux yeux couleur d'emeraude; non! ni mon beau-frere, ni mon mari, ni personne! Je suis libre, libre comme l'air, comme l'oiseau, comme le nuage... Libre, ma reine, entendez-vous? Comprenez-vous ce qu'il y a de bonheur dans ce mot: libre?... Je vais, je viens, je commande! Ah! pauvre reine! vous n'etes pas libre, vous! aussi vous soupirez... -- Tu vas, tu viens, tu commandes! Est-ce donc tout? Et ta liberte ne sert-elle qu'a cela? Voyons, tu es bien joyeuse pour n'etre que libre. -- Votre Majeste m'a promis d'entamer les confidences. -- Encore Ma Majeste; voyons, nous nous facherons, Henriette; as- tu donc oublie nos conventions? -- Non, votre respectueuse servante devant le monde, ta folle confidente dans le tete-a-tete. N'est-ce pas cela, madame, n'est- ce pas cela, Marguerite? -- Oui, oui! dit la reine en souriant. -- Ni rivalites de maisons, ni perfidies d'amour; tout bien, tout bon, tout franc; une alliance enfin offensive et defensive, dans le seul but de rencontrer et de saisir au vol, si nous le rencontrons, cet ephemere qu'on nomme le bonheur. -- Bien, ma duchesse! c'est cela; et pour renouveler le pacte, embrasse-moi. Et les deux charmantes tetes, l'une pale et voilee de melancolie, l'autre rosee, blonde et rieuse se rapprocherent gracieusement et unirent leurs levres comme elles avaient uni leurs pensees. -- Donc il y a du nouveau? demanda la duchesse en fixant sur Marguerite un regard avide et curieux. -- Tout n'est-il pas nouveau depuis deux jours? -- Oh! je parle d'amour et non de politique, moi. Quand nous aurons l'age de dame Catherine, ta mere, nous en ferons, de la politique. Mais nous avons vingt ans, ma belle reine, parlons d'autre chose. Voyons, serais-tu mariee pour tout de bon? -- A qui? dit Marguerite en riant. -- Ah! tu me rassures, en verite. -- Eh bien, Henriette, ce qui te rassure m'epouvante. Duchesse, il faut que je sois mariee. -- Quand cela? -- Demain. -- Ah! bah! vraiment! Pauvre amie! Et c'est necessaire? -- Absolument. -- Mordi! comme dit quelqu'un de ma connaissance, voila qui est fort triste. -- Tu connais quelqu'un qui dit: Mordi? demanda en riant Marguerite. -- Oui. -- Et quel est ce quelqu'un? -- Tu m'interroges toujours, quand c'est a toi de parler. Acheve, et je commencerai. -- En deux mots, voici: le roi de Navarre est amoureux et ne veut pas de moi. Je ne suis pas amoureuse; mais je ne veux pas de lui. Cependant il faudrait que nous changeassions d'idee l'un et l'autre, ou que nous eussions l'air d'en changer d'ici a demain. -- Eh bien, change, toi! et tu peux etre sure qu'il changera, lui! -- Justement, voila l'impossible; car je suis moins disposee a changer que jamais. -- A l'egard de ton mari seulement, j'espere! -- Henriette, j'ai un scrupule. -- Un scrupule de quoi? -- De religion. Fais-tu une difference entre les huguenots et les catholiques? -- En politique? -- Oui. -- Sans doute. -- Mais en amour? -- Ma chere amie, nous autres femmes, nous sommes tellement paiennes, qu'en fait de sectes nous les admettons toutes, qu'en fait de dieux nous en reconnaissons plusieurs. -- En un seul, n'est-ce pas? -- Oui, dit la duchesse, avec un regard etincelant de paganisme; oui, celui qui s'appelle Eros, Cupido, Amor; oui, celui qui a un carquois, un bandeau et des ailes... Mordi! vive la devotion! -- Cependant tu as une maniere de prier qui est exclusive; tu jettes des pierres sur la tete des huguenots. -- Faisons bien et laissons dire... Ah! Marguerite, comme les meilleures idees, comme les plus belles actions se travestissent en passant par la bouche du vulgaire! -- Le vulgaire! ... Mais c'est mon frere Charles qui te felicitait, ce me semble? -- Ton frere Charles, Marguerite, est un grand chasseur qui sonne du cor toute la journee, ce qui le rend fort maigre... Je recuse donc jusqu'a ses compliments. D'ailleurs, je lui ai repondu, a ton frere Charles... N'as-tu pas entendu ma reponse? -- Non, tu parlais si bas! -- Tant mieux, j'aurai plus de nouveau a t'apprendre. Ca! la fin de ta confidence, Marguerite? -- C'est que... c'est que... -- Eh bien? -- C'est que, dit la reine en riant, si la pierre dont parlait mon frere Charles etait historique, je m'abstiendrais. -- Bon! s'ecria Henriette, tu as choisi un huguenot. Eh bien, sois tranquille! pour rassurer ta conscience, je te promets d'en choisir un a la premiere occasion. -- Ah! il parait que cette fois tu as pris un catholique? -- Mordi! reprit la duchesse. -- Bien, bien! je comprends. -- Et comment est-il notre huguenot? -- Je ne l'ai pas choisi; ce jeune homme ne m'est rien, et ne me sera probablement jamais rien. -- Mais enfin, comment est-il? cela ne t'empeche pas de me le dire, tu sais combien je suis curieuse. -- Un pauvre jeune homme beau comme le Nisus de Benvenuto Cellini, et qui s'est venu refugier dans mon appartement. -- Oh! oh! ... et tu ne l'avais pas un peu convoque? -- Pauvre garcon! ne ris donc pas ainsi, Henriette, car en ce moment il est encore entre la vie et la mort. -- Il est donc malade? -- Il est grievement blesse. -- Mais c'est tres genant, un huguenot blesse! surtout dans des jours comme ceux ou nous nous trouvons; et qu'en fais-tu de ce huguenot blesse qui ne t'est rien et ne te sera jamais rien? -- Il est dans mon cabinet; je le cache et je veux le sauver. -- Il est beau, il est jeune, il est blesse. Tu le caches dans ton cabinet, tu veux le sauver; ce huguenot-la sera bien ingrat s'il n'est pas trop reconnaissant! -- Il l'est deja, j'en ai bien peur... plus que je ne le desirerais. -- Et il t'interesse... ce pauvre jeune homme? -- Par humanite... seulement. -- Ah! l'humanite, ma pauvre reine! c'est toujours cette vertu-la qui nous perd, nous autres femmes! -- Oui, et tu comprends: comme d'un moment a l'autre le roi, le duc d'Alencon, ma mere, mon mari meme... peuvent entrer dans mon appartement... -- Tu veux me prier de te garder ton petit huguenot, n'est-ce pas, tant qu'il sera malade, a la condition de te le rendre quand il sera gueri? -- Rieuse! dit Marguerite. Non, je te jure que je ne prepare pas les choses de si loin. Seulement, si tu pouvais trouver un moyen de cacher le pauvre garcon; si tu pouvais lui conserver la vie que je lui ai sauvee; eh bien, je t'avoue que je t'en serais veritablement reconnaissante! Tu es libre a l'hotel de Guise, tu n'as ni beau-frere, ni mari qui t'espionne ou qui te contraigne, et de plus derriere ta chambre, ou personne, chere Henriette, n'a heureusement pour toi le droit d'entrer, un grand cabinet pareil au mien. Eh bien, prete-moi ce cabinet pour mon huguenot; quand il sera gueri tu lui ouvriras la cage et l'oiseau s'envolera. -- Il n'y a qu'une difficulte, chere reine, c'est que la cage est occupee. -- Comment! tu as donc aussi sauve quelqu'un, toi? -- C'est justement ce que j'ai repondu a ton frere. -- Ah! je comprends; voila pourquoi tu parlais si bas que je ne t'ai pas entendue. -- Ecoute, Marguerite, c'est une histoire admirable, non moins belle, non moins poetique que la tienne. Apres t'avoir laisse six de mes gardes, j'etais montee avec les six autres a l'hotel de Guise, et je regardais piller et bruler une maison qui n'est separee de l'hotel de mon frere que par la rue des Quatre-Fils, quand tout a coup j'entends crier des femmes et jurer des hommes. Je m'avance sur le balcon et je vois d'abord une epee dont le feu semblait eclairer toute la scene a elle seule. J'admire cette lame furieuse: j'aime les belles choses, moi! ... puis je cherche naturellement a distinguer le bras qui la faisait mouvoir, et le corps auquel ce bras appartenait. Au milieu des coups, des cris, je distingue enfin l'homme, et je vois... un heros, un Ajax Telamon; j'entends une voix, une voix de stentor. Je m'enthousiasme, je demeure toute palpitante, tressaillant a chaque coup dont il etait menace, a chaque botte qu'il portait; c'a ete une emotion d'un quart d'heure, vois-tu, ma reine, comme je n'en avais jamais eprouve, comme j'avais cru qu'il n'en existait pas. Aussi j'etais la, haletante, suspendue, muette, quand tout a coup mon heros a disparu. -- Comment cela? -- Sous une pierre que lui a jetee une vieille femme; alors, comme Cyrus, j'ai retrouve la voix, j'ai crie: A l'aide, au secours! Nos gardes sont venus, l'ont pris, l'ont releve, et enfin l'ont transporte dans la chambre que tu me demandes pour ton protege. -- Helas! je comprends d'autant mieux cette histoire, chere Henriette, dit Marguerite, que cette histoire est presque la mienne. -- Avec cette difference, ma reine, que servant mon roi et ma religion, je n'ai point besoin de renvoyer M. Annibal de Coconnas. -- Il s'appelle Annibal de Coconnas? reprit Marguerite en eclatant de rire. -- C'est un terrible nom, n'est-ce pas, dit Henriette. Eh bien, celui qui le porte en est digne. Quel champion, mordi! et que de sang il a fait couler! Mets ton masque, ma reine, nous voici a l'hotel. -- Pourquoi donc mettre mon masque? -- Parce que je veux te montrer mon heros. -- Il est beau? -- Il m'a semble magnifique pendant ses batailles. Il est vrai que c'etait la nuit a la lueur des flammes. Ce matin, a la lumiere du jour, il m'a paru perdre un peu, je l'avoue. Cependant je crois que tu en seras contente. -- Alors, mon protege est refuse a l'hotel de Guise; j'en suis fachee, car c'est le dernier endroit ou l'on viendrait chercher un huguenot. -- Pas le moins du monde, je le ferai apporter ici ce soir; l'un couchera dans le coin a droite, l'autre dans le coin a gauche. -- Mais s'ils se reconnaissent l'un pour protestant, l'autre pour catholique, ils vont se devorer. -- Oh! il n'y a pas de danger. M. de Coconnas a recu dans la figure un coup qui fait qu'il n'y voit presque pas clair; ton huguenot a recu dans la poitrine un coup qui fait qu'il ne peut presque pas remuer... Et puis, d'ailleurs, tu lui recommanderas de garder le silence a l'endroit de la religion, et tout ira a merveille. -- Allons, soit! -- Entrons, c'est conclu. -- Merci, dit Marguerite en serrant la main de son amie. -- Ici, madame, vous redevenez Majeste, dit la duchesse de Nevers; permettez-moi donc de vous faire les honneurs de l'hotel de Guise, comme ils doivent etre faits a la reine de Navarre. Et la duchesse, descendant de sa litiere, mit presque un genou en terre pour aider Marguerite a descendre a son tour; puis lui montrant de la main la porte de l'hotel gardee par deux sentinelles, arquebuse a la main, elle suivit a quelques pas la reine, qui marcha majestueusement precedant la duchesse, qui garda son humble attitude tant qu'elle put etre vue. Arrivee a sa chambre, la duchesse ferma sa porte; et appelant sa cameriste, Sicilienne des plus alertes: -- Mica, lui dit-elle en italien, comment va M. le comte? -- Mais de mieux en mieux, repondit celle-ci. -- Et que fait-il? -- En ce moment, je crois, madame, qu'il prend quelque chose. -- Bien! dit Marguerite, si l'appetit revient, c'est bon signe. -- Ah! c'est vrai! j'oubliais que tu es une eleve d'Ambroise Pare. Allez, Mica. -- Tu la renvoies? -- Oui, pour qu'elle veille sur nous. Mica sortit. -- Maintenant, dit la duchesse, veux-tu entrer chez lui, veux-tu que je le fasse venir? -- Ni l'un, ni l'autre; je voudrais le voir sans etre vue. -- Que t'importe, puisque tu as ton masque? -- Il peut me reconnaitre a mes cheveux, a mes mains, a un bijou. -- Oh! comme elle est prudente depuis qu'elle est mariee, ma belle reine! Marguerite sourit. -- Eh bien, mais je ne vois qu'un moyen, continua la duchesse. -- Lequel? -- C'est de le regarder par le trou de la serrure. -- Soit! conduis-moi! La duchesse prit Marguerite par la main, la conduisit a une porte sur laquelle retombait une tapisserie, s'inclina sur un genou et approcha son oeil de l'ouverture que laissait la clef absente. -- Justement, dit-elle, il est a table et a le visage tourne de notre cote. Viens. La reine Marguerite prit la place de son amie et approcha a son tour son oeil du trou de la serrure. Coconnas, comme l'avait dit la duchesse, etait assis a une table admirablement servie, et a laquelle ses blessures ne l'empechaient pas de faire honneur. -- Ah! mon Dieu! s'ecria Marguerite en se reculant. -- Quoi donc? demanda la duchesse etonnee. -- Impossible! Non! Si! Oh! sur mon ame! c'est lui-meme. -- Qui, lui-meme? -- Chut! dit Marguerite en se relevant et en saisissant la main de la duchesse, celui qui voulait tuer mon huguenot, qui l'a poursuivi jusque dans ma chambre, qui l'a frappe jusque dans mes bras! Oh! Henriette, quel bonheur qu'il ne m'ait pas apercue! -- Eh bien, alors! puisque tu l'as vu a l'oeuvre, n'est-ce pas qu'il etait beau? -- Je ne sais, dit Marguerite, car je regardais celui qu'il poursuivait. -- Et celui qu'il poursuivait s'appelle? -- Tu ne prononceras pas son nom devant lui? -- Non, je te le promets. -- Lerac de la Mole. -- Et comment le trouves-tu maintenant? -- M. de La Mole? -- Non, M. de Coconnas. -- Ma foi, dit Marguerite, j'avoue que je lui trouve... Elle s'arreta. -- Allons, allons, dit la duchesse, je vois que tu lui en veux de la blessure qu'il a faite a ton huguenot. -- Mais il me semble, dit Marguerite en riant, que mon huguenot ne lui doit rien, et que la balafre avec laquelle il lui a souligne l'oeil... -- Ils sont quittes, alors, et nous pouvons les raccommoder. Envoie-moi ton blesse. -- Non, pas encore; plus tard. -- Quand cela? -- Quand tu auras prete au tien une autre chambre. -- Laquelle donc? Marguerite regarda son amie, qui, apres un moment de silence, la regarda aussi et se mit a rire. -- Eh bien, soit! dit la duchesse. Ainsi donc, alliance plus que jamais? -- Amitie sincere toujours, repondit la reine. -- Et le mot d'ordre, le signe de reconnaissance, si nous avons besoin l'une de l'autre? -- Le triple nom de ton triple dieu: _Eros-Cupido-Amor_. Et les deux femmes se quitterent apres s'etre embrassees pour la seconde fois et s'etre serre la main pour la vingtieme fois. XIII Comme il y a des clefs qui ouvrent les portes auxquelles elles ne sont pas destinees La reine de Navarre, en rentrant au Louvre, trouva Gillonne dans une grande emotion. Madame de Sauve etait venue en son absence. Elle avait apporte une clef que lui avait fait passer la reine mere. Cette clef etait celle de la chambre ou etait renferme Henri. Il etait evident que la reine mere avait besoin, pour un dessein quelconque, que le Bearnais passat cette nuit chez madame de Sauve. Marguerite prit la clef, la tourna et la retourna entre ses mains. Elle se fit rendre compte des moindres paroles de madame de Sauve, les pesa lettre par lettre dans son esprit, et crut avoir compris le projet de Catherine. Elle prit une plume, de l'encre et ecrivit sur son papier: "Au lieu d'aller ce soir chez madame de Sauve, venez chez la reine de Navarre. MARGUERITE." Puis elle roula le papier, l'introduisit dans le trou de la clef et ordonna a Gillonne, des que la nuit serait venue, d'aller glisser cette clef sous la porte du prisonnier. Ce premier soin accompli, Marguerite pensa au pauvre blesse; elle ferma toutes les portes, entra dans le cabinet, et, a son grand etonnement, elle trouva La Mole revetu de ses habits encore tout dechires et tout taches de sang. En la voyant, il essaya de se lever; mais, chancelant encore, il ne put se tenir debout et retomba sur le canape dont on avait fait un lit. -- Mais qu'arrive-t-il donc, monsieur? demanda Marguerite, et pourquoi suivez-vous si mal les ordonnances de votre medecin? Je vous avais recommande le repos, et voila qu'au lieu de m'obeir vous faites tout le contraire de ce que j'ai ordonne! -- Oh! madame, dit Gillonne, ce n'est point ma faute. J'ai prie, supplie monsieur le comte de ne point faire cette folie, mais il m'a declare que rien ne le retiendrait plus longtemps au Louvre. -- Quitter le Louvre! dit Marguerite en regardant avec etonnement le jeune homme, qui baissait les yeux; mais c'est impossible. Vous ne pouvez pas marcher; vous etes pale et sans force, on voit trembler vos genoux. Ce matin, votre blessure de l'epaule a saigne encore. -- Madame, repondit le jeune homme, autant j'ai rendu grace a Votre Majeste de m'avoir donne asile hier au soir, autant je la supplie de vouloir bien me permettre de partir aujourd'hui. -- Mais, dit Marguerite etonnee, je ne sais comment qualifier une si folle resolution: c'est pire que de l'ingratitude. -- Oh! madame! s'ecria La Mole en joignant les mains, croyez que, loin d'etre ingrat, il y a dans mon coeur un sentiment de reconnaissance qui durera toute ma vie. -- Il ne durera pas longtemps, alors! dit Marguerite emue a cet accent, qui ne laissait pas de doute sur la sincerite des paroles; car, ou vos blessures se rouvriront et vous mourrez de la perte du sang, ou l'on vous reconnaitra comme huguenot et vous ne ferez pas cent pas dans la rue sans qu'on vous acheve. -- Il faut pourtant que je quitte le Louvre, murmura La Mole. -- Il faut! dit Marguerite en le regardant de son regard limpide et profond; puis palissant legerement: Oh, oui! je comprends! dit- elle, pardon, monsieur! Il y a sans doute, hors du Louvre, une personne a qui votre absence donne de cruelles inquietudes. C'est juste, monsieur de la Mole, c'est naturel, et je comprends cela. Que ne l'avez-vous dit tout de suite, ou plutot comment n'y ai-je pas songe moi-meme! C'est un devoir, quand on exerce l'hospitalite, de proteger les affections de son hote comme on panse des blessures, et de soigner l'ame comme on soigne le corps. -- Helas! madame, repondit La Mole, vous vous trompez etrangement. Je suis presque seul au monde et tout a fait seul a Paris, ou personne ne me connait. Mon assassin est le premier homme a qui j'aie parle dans cette ville, et Votre Majeste est la premiere femme qui m'y ait adresse la parole. -- Alors, dit Marguerite surprise, pourquoi voulez-vous donc vous en aller? -- Parce que, dit La Mole, la nuit passee, Votre Majeste n'a pris aucun repos, et que cette nuit... Marguerite rougit. -- Gillonne, dit-elle, voici la nuit venue, je crois qu'il est temps que tu ailles porter la clef. Gillonne sourit et se retira. -- Mais, continua Marguerite, si vous etes seul a Paris, sans amis, comment ferez-vous? -- Madame, j'en aurai beaucoup; car, tandis que j'etais poursuivi, j'ai pense a ma mere, qui etait catholique; il m'a semble que je la voyais glisser devant moi sur le chemin du Louvre, une croix a la main, et j'ai fait voeu, si Dieu me conservait la vie, d'embrasser la religion de ma mere. Dieu a fait plus que de me conserver la vie, madame; il m'a envoye un de ses anges pour me la faire aimer. -- Mais vous ne pourrez marcher; avant d'avoir fait cent pas vous tomberez evanoui. -- Madame, je me suis essaye aujourd'hui dans le cabinet; je marche lentement et avec souffrance, c'est vrai; mais que j'aille seulement jusqu'a la place du Louvre; une fois dehors, il arrivera ce qu'il pourra. Marguerite appuya sa tete sur sa main et reflechit profondement. -- Et le roi de Navarre, dit-elle avec intention, vous ne m'en parlez plus. En changeant de religion, avez-vous donc perdu le desir d'entrer a son service? -- Madame, repondit La Mole en palissant, vous venez de toucher a la veritable cause de mon depart... Je sais que le roi de Navarre court les plus grands dangers et que tout le credit de Votre Majeste comme fille de France suffira a peine a sauver sa tete. -- Comment, monsieur? demanda Marguerite; que voulez-vous dire et de quels dangers me parlez-vous? -- Madame, repondit La Mole en hesitant, on entend tout du cabinet ou je suis place. -- C'est vrai, murmura Marguerite pour elle seule, M. de Guise me l'avait deja dit. Puis tout haut: -- Eh bien, ajouta-t-elle, qu'avez-vous donc entendu? -- Mais d'abord la conversation que Votre Majeste a eue ce matin avec son frere. -- Avec Francois? s'ecria Marguerite en rougissant. -- Avec le duc d'Alencon, oui, madame; puis ensuite, apres votre depart, celle de mademoiselle Gillonne avec madame de Sauve. -- Et ce sont ces deux conversations...? -- Oui, madame. Mariee depuis huit jours a peine, vous aimez votre epoux. Votre epoux viendra a son tour comme sont venus M. le duc d'Alencon et madame de Sauve. Il vous entretiendra de ses secrets. Eh bien, je ne dois pas les entendre; je serais indiscret... et je ne puis pas... je ne dois pas... surtout je ne veux pas l'etre! Au ton que La Mole mit a prononcer ces derniers mots, au trouble de sa voix, a l'embarras de sa contenance, Marguerite fut illuminee d'une revelation subite. -- Ah! dit-elle, vous avez entendu de ce cabinet tout ce qui a ete dit dans cette chambre jusqu'a present? -- Oui, madame. Ces mots furent soupires a peine. -- Et vous voulez partir cette nuit, ce soir, pour n'en pas entendre davantage? -- A l'instant meme, madame! s'il plait a Votre Majeste de me le permettre. -- Pauvre enfant! dit Marguerite avec un singulier accent de douce pitie. Etonne d'une reponse si douce lorsqu'il s'attendait a quelque brusque riposte, La Mole leva timidement la tete; son regard rencontra celui de Marguerite et demeura rive comme par une puissance magnetique sur le limpide et profond regard de la reine. -- Vous vous sentez donc incapable de garder un secret, monsieur de la Mole? dit doucement Marguerite, qui, penchee sur le dossier de son siege, a moitie cachee par l'ombre d'une tapisserie epaisse, jouissait du bonheur de lire couramment dans cette ame en restant impenetrable elle-meme. -- Madame, dit La Mole, je suis une miserable nature, je me defie de moi meme, et le bonheur d'autrui me fait mal. -- Le bonheur de qui? dit Marguerite en souriant; ah! oui, le bonheur du roi de Navarre! Pauvre Henri! -- Vous voyez bien qu'il est heureux, madame! s'ecria vivement La Mole. -- Heureux?... -- Oui, puisque Votre Majeste le plaint. Marguerite chiffonnait la soie de son aumoniere et en effilait les torsades d'or. -- Ainsi, vous refusez de voir le roi de Navarre, dit-elle, c'est arrete, c'est decide dans votre esprit? -- Je crains d'importuner Sa Majeste en ce moment. -- Mais le duc d'Alencon, mon frere? -- Oh! madame, s'ecria La Mole, M. le duc d'Alencon! non, non; moins encore M. le duc d'Alencon que le roi de Navarre. -- Parce que...? demanda Marguerite emue au point de trembler en parlant. -- Parce que, quoique deja trop mauvais huguenot pour etre serviteur bien devoue de Sa Majeste le roi de Navarre, je ne suis pas encore assez bon catholique pour etre des amis de M. d'Alencon et de M. de Guise. Cette fois, ce fut Marguerite qui baissa les yeux et qui sentit le coup vibrer au plus profond de son coeur; elle n'eut pas su dire si le mot de La Mole etait pour elle caressant ou douloureux. En ce moment Gillonne rentra. Marguerite l'interrogea d'un coup d'oeil. La reponse de Gillonne, renfermee aussi dans un regard, fut affirmative. Elle etait parvenue a faire passer la clef au roi de Navarre. Marguerite ramena ses yeux sur La Mole, qui demeurait devant elle indecis, la tete penchee sur sa poitrine, et pale comme l'est un homme qui souffre a la fois du corps et de l'ame. -- Monsieur de la Mole est fier, dit-elle, et j'hesite a lui faire une proposition qu'il refusera sans doute. La Mole se leva, fit un pas vers Marguerite et voulut s'incliner devant elle en signe qu'il etait a ses ordres; mais une douleur profonde, aigue, brulante, vint tirer des larmes de ses yeux, et, sentant qu'il allait tomber, il saisit une tapisserie, a laquelle il se soutint. -- Voyez-vous, s'ecria Marguerite en courant a lui et en le retenant dans ses bras, voyez-vous, monsieur, que vous avez encore besoin de moi! Un mouvement a peine sensible agita les levres de La Mole. -- Oh! oui! murmura-t-il, comme de l'air que je respire, comme du jour que je vois! En ce moment trois coups retentirent, frappes a la porte de Marguerite. -- Entendez-vous, madame? dit Gillonne effrayee. -- Deja! murmura Marguerite. -- Faut-il ouvrir? -- Attends. C'est le roi de Navarre peut-etre. -- Oh! madame! s'ecria La Mole rendu fort par ces quelques mots, que la reine avait cependant prononces a voix si basse qu'elle esperait que Gillonne seule les aurait entendus; madame! je vous en supplie a genoux, faites-moi sortir, oui, mort ou vif, madame! Ayez pitie de moi! Oh! vous ne me repondez pas. Eh bien, je vais parler et, quand j'aurai parle, vous me chasserez, je l'espere. -- Taisez-vous, malheureux! dit Marguerite, qui ressentait un charme infini a ecouter les reproches du jeune homme; taisez-vous donc! -- Madame, reprit La Mole, qui ne trouvait pas sans doute dans l'accent de Marguerite cette rigueur a laquelle il s'attendait; madame, je vous le repete, on entend tout de ce cabinet. Oh! ne me faites pas mourir d'une mort que les bourreaux les plus cruels n'oseraient inventer. -- Silence! silence! dit Marguerite. -- Oh! madame, vous etes sans pitie; vous ne voulez rien ecouter, vous ne voulez rien entendre. Mais comprenez donc que je vous aime... -- Silence donc, puisque je vous le dis! interrompit Marguerite en appuyant sa main tiede et parfumee sur la bouche du jeune homme, qui la saisit entre ses deux mains et l'appuya contre ses levres. -- Mais..., murmura La Mole. -- Mais taisez-vous donc, enfant! Qu'est-ce donc que ce rebelle qui ne veut pas obeir a sa reine? Puis, s'elancant hors du cabinet, elle referma la porte, et s'adossant a la muraille en comprimant avec sa main tremblante les battements de son coeur: -- Ouvre, Gillonne! dit-elle. Gillonne sortit de la chambre, et, un instant apres, la tete fine, spirituelle et un peu inquiete du roi de Navarre souleva la tapisserie. -- Vous m'avez mande, madame? dit le roi de Navarre a Marguerite. -- Oui, monsieur. Votre Majeste a recu ma lettre? -- Et non sans quelque etonnement, je l'avoue, dit Henri en regardant autour de lui avec une defiance bientot evanouie. -- Et non sans quelque inquietude, n'est-ce pas, monsieur? ajouta Marguerite. -- Je vous l'avouerai, madame. Cependant, tout entoure que je suis d'ennemis acharnes et d'amis plus dangereux encore peut-etre que mes ennemis, je me suis rappele qu'un soir j'avais vu rayonner dans vos yeux le sentiment de la generosite: c'etait le soir de nos noces; qu'un autre jour j'y avais vu briller l'etoile du courage, et, cet autre jour, c'etait hier, jour fixe pour ma mort. -- Eh bien, monsieur? dit Marguerite en souriant, tandis que Henri semblait vouloir lire jusqu'au fond de son coeur. -- Eh bien, madame, en songeant a tout cela je me suis dit a l'instant meme, en lisant votre billet qui me disait de venir: Sans amis, comme il est, prisonnier, desarme, le roi de Navarre n'a qu'un moyen de mourir avec eclat, d'une mort qu'enregistre l'histoire, c'est de mourir trahi par sa femme, et je suis venu. -- Sire, repondit Marguerite, vous changerez de langage quand vous saurez que tout ce qui se fait en ce moment est l'ouvrage d'une personne qui vous aime... et que vous aimez. Henri recula presque a ces paroles et son oeil gris et percant interrogea sous son sourcil noir la reine avec curiosite. -- Oh! rassurez-vous, Sire! dit la reine en souriant; cette personne, je n'ai pas la pretention de dire que ce soit moi! -- Mais cependant, madame, dit Henri, c'est vous qui m'avez fait tenir cette clef: cette ecriture, c'est la votre. -- Cette ecriture est la mienne, je l'avoue, ce billet vient de moi, je ne le nie pas. Quant a cette clef, c'est autre chose. Qu'il vous suffise de savoir qu'elle a passe entre les mains de quatre femmes avant d'arriver jusqu'a vous. -- De quatre femmes! s'ecria Henri avec etonnement. -- Oui, entre les mains de quatre femmes, dit Marguerite; entre les mains de la reine mere, entre les mains de madame de Sauve, entre les mains de Gillonne, et entre les miennes. Henri se mit a mediter cette enigme. -- Parlons raison maintenant, monsieur, dit Marguerite, et surtout parlons franc. Est-il vrai, comme c'est aujourd'hui le bruit public, que Votre Majeste consente a abjurer? -- Ce bruit public se trompe, madame, je n'ai pas encore consenti. -- Mais vous etes decide, cependant. -- C'est-a-dire, je me consulte. Que voulez-vous? quand on a vingt ans et qu'on est a peu pres roi, ventre-saint-gris! il y a des choses qui valent bien une messe. -- Et entre autres choses la vie, n'est-ce pas? Henri ne put reprimer un leger sourire. -- Vous ne me dites pas toute votre pensee, Sire! dit Marguerite. -- Je fais des reserves pour mes allies, madame; car, vous le savez, nous ne sommes encore qu'allies: si vous etiez a la fois mon alliee... et... -- Et votre femme, n'est-ce pas, Sire? -- Ma foi, oui... et ma femme. -- Alors? -- Alors, peut-etre serait-ce different; et peut-etre tiendrais-je a rester roi des huguenots, comme ils disent... Maintenant, il faut que je me contente de vivre. Marguerite regarda Henri d'un air si etrange qu'il eut eveille les soupcons d'un esprit moins delie que ne l'etait celui du roi de Navarre. -- Et etes-vous sur, au moins, d'arriver a ce resultat? dit-elle. -- Mais a peu pres, dit Henri; vous savez qu'en ce monde, madame, on n'est jamais sur de rien. -- Il est vrai, reprit Marguerite, que Votre Majeste annonce tant de moderation et professe tant de desinteressement, qu'apres avoir renonce a sa couronne, apres avoir renonce a sa religion, elle renoncera probablement, on en a l'espoir du moins, a son alliance avec une fille de France. Ces mots portaient avec eux une si profonde signification que Henri en frissonna malgre lui. Mais domptant cette emotion avec la rapidite de l'eclair: -- Daignez vous souvenir, madame, qu'en ce moment je n'ai point mon libre arbitre. Je ferai donc ce que m'ordonnera le roi de France. Quant a moi, si l'on me consultait le moins du monde dans cette question ou il ne va de rien moins que de mon trone, de mon bonheur et de ma vie, plutot que d'asseoir mon avenir sur les droits que me donne notre mariage force, j'aimerais mieux m'ensevelir chasseur dans quelque chateau, penitent dans quelque cloitre. Ce calme resigne a sa situation, cette renonciation aux choses de ce monde, effrayerent Marguerite. Elle pensa que peut-etre cette rupture de mariage etait convenue entre Charles IX, Catherine et le roi de Navarre. Pourquoi, elle aussi, ne la prendrait-on pas pour dupe ou pour victime? Parce qu'elle etait soeur de l'un et fille de l'autre? L'experience lui avait appris que ce n'etait point la une raison sur laquelle elle put fonder sa securite. L'ambition donc mordit au coeur la jeune femme ou plutot la jeune reine, trop au-dessus des faiblesses vulgaires pour se laisser entrainer a un depit d'amour-propre: chez toute femme, meme mediocre, lorsqu'elle aime, l'amour n'a point de ces miseres, car l'amour veritable est aussi une ambition. -- Votre Majeste, dit Marguerite avec une sorte de dedain railleur, n'a pas grande confiance, ce me semble, dans l'etoile qui rayonne au-dessus du front de chaque roi? -- Ah! dit Henri, c'est que j'ai beau chercher la mienne en ce moment, je ne puis la voir, cachee qu'elle est dans l'orage qui gronde sur moi a cette heure. -- Et si le souffle d'une femme ecartait cet orage, et faisait cette etoile aussi brillante que jamais? -- C'est bien difficile, dit Henri. -- Niez-vous l'existence de cette femme, monsieur? -- Non, seulement je nie son pouvoir. -- Vous voulez dire sa volonte? -- J'ai dit son pouvoir, et je repete le mot. La femme n'est reellement puissante que lorsque l'amour et l'interet sont reunis chez elle a un degre egal; et si l'un de ces deux sentiments la preoccupe seule, comme Achille elle est vulnerable. Or, cette femme, si je ne m'abuse, je ne puis pas compter sur son amour. Marguerite se tut. -- Ecoutez, continua Henri; au dernier tintement de la cloche de Saint-Germain-l'Auxerrois, vous avez du songer a reconquerir votre liberte qu'on avait mise en gage pour detruire ceux de mon parti. Moi, j'ai du songer a sauver ma vie. C'etait le plus presse. Nous y perdons la Navarre, je le sais bien; mais c'est peu de chose que la Navarre en comparaison de la liberte qui vous est rendue de pouvoir parler haut dans votre chambre, ce que vous n'osiez pas faire quand vous aviez quelqu'un qui vous ecoutait de ce cabinet. Quoique au plus fort de sa preoccupation, Marguerite ne put s'empecher de sourire. Quant au roi de Navarre, il s'etait deja leve pour regagner son appartement; car depuis quelque temps onze heures etaient sonnees, et tout dormait ou du moins semblait dormir au Louvre. Henri fit trois pas vers la porte; puis, s'arretant tout a coup, comme s'il se rappelait seulement a cette heure la circonstance qui l'avait amene chez la reine: -- A propos, madame, dit-il, n'avez-vous point a me communiquer certaines choses; ou ne vouliez-vous que m'offrir l'occasion de vous remercier du repit que votre brave presence dans le cabinet des Armes du roi m'a donne hier? En verite, madame, il etait temps, je ne puis le nier, et vous etes descendue sur le lieu de la scene comme la divinite antique, juste a point pour me sauver la vie. -- Malheureux! s'ecria Marguerite d'une voix sourde, et saisissant le bras de son mari. Comment donc ne voyez-vous pas que rien n'est sauve au contraire, ni votre liberte, ni votre couronne, ni votre vie! ... Aveugle! fou! pauvre fou! Vous n'avez pas vu dans ma lettre autre chose, n'est-ce pas, qu'un rendez-vous? vous avez cru que Marguerite, outree de vos froideurs, desirait une reparation? -- Mais, madame, dit Henri etonne, j'avoue... Marguerite haussa les epaules avec une expression impossible a rendre. Au meme instant un bruit etrange, comme un grattement aigu et presse retentit a la petite porte derobee. Marguerite entraina le roi du cote de cette petite porte. -- Ecoutez, dit-elle. -- La reine mere sort de chez elle, murmura une voix saccadee par la terreur et que Henri reconnut a l'instant meme pour celle de madame de Sauve. -- Et ou va-t-elle? demanda Marguerite. -- Elle vient chez Votre Majeste. Et aussitot le frolement d'une robe de soie prouva, en s'eloignant, que madame de Sauve s'enfuyait. -- Oh! oh! s'ecria Henri. -- J'en etais sure, dit Marguerite. -- Et moi je le craignais, dit Henri, et la preuve, voyez. Alors, d'un geste rapide, il ouvrit son pourpoint de velours noir, et sur sa poitrine fit voir a Marguerite une fine tunique de mailles d'acier et un long poignard de Milan qui brilla aussitot a sa main comme une vipere au soleil. -- Il s'agit bien ici de fer et de cuirasse! s'ecria Marguerite; allons, Sire, allons, cachez cette dague: c'est la reine mere, c'est vrai; mais c'est la reine mere toute seule. -- Cependant... -- C'est elle, je l'entends, silence! Et, se penchant a l'oreille de Henri, elle lui dit a voix basse quelques mots que le jeune roi ecouta avec une attention melee d'etonnement. Aussitot Henri se deroba derriere les rideaux du lit. De son cote, Marguerite bondit avec l'agilite d'une panthere vers le cabinet ou La Mole attendait en frissonnant, l'ouvrit, chercha le jeune homme, et lui prenant, lui serrant la main dans l'obscurite: -- Silence! lui dit-elle en s'approchant si pres de lui qu'il sentit son souffle tiede et embaume couvrir son visage d'une moite vapeur, silence! Puis, rentrant dans sa chambre et refermant la porte, elle detacha sa coiffure, coupa avec son poignard tous les lacets de sa robe et se jeta dans le lit. Il etait temps, la clef tournait dans la serrure. Catherine avait des passe-partout pour toutes les portes du Louvre. -- Qui est la? s'ecria Marguerite, tandis que Catherine consignait a la porte une garde de quatre gentilshommes qui l'avait accompagnee. Et, comme si elle eut ete effrayee de cette brusque irruption dans sa chambre, Marguerite sortant de dessous les rideaux en peignoir blanc, sauta a bas du lit, et, reconnaissant Catherine, vint, avec une surprise trop bien imitee pour que la Florentine elle-meme n'en fut pas dupe, baiser la main de sa mere. XIV Seconde nuit de noces La reine mere promena son regard autour d'elle avec une merveilleuse rapidite. Des mules de velours au pied du lit, les habits de Marguerite epars sur des chaises, ses yeux qu'elle frottait pour en chasser le sommeil, convainquirent Catherine qu'elle avait reveille sa fille. Alors elle sourit comme une femme qui a reussi dans ses projets, et tirant son fauteuil: -- Asseyons-nous, Marguerite, dit-elle, et causons. -- Madame, je vous ecoute. -- Il est temps, dit Catherine en fermant les yeux avec cette lenteur particuliere aux gens qui reflechissent ou qui dissimulent profondement, il est temps, ma fille, que vous compreniez combien votre frere et moi aspirons a vous rendre heureuse. L'exorde etait effrayant pour qui connaissait Catherine. -- Que va-t-elle me dire? pensa Marguerite. -- Certes, en vous mariant, continua la Florentine, nous avons accompli un de ces actes de politique commandes souvent par de graves interets a ceux qui gouvernent. Mais il le faut avouer, ma pauvre enfant, nous ne pensions pas que la repugnance du roi de Navarre pour vous, si jeune, si belle et si seduisante, demeurerait opiniatre a ce point. Marguerite se leva, et fit, en croisant sa robe de nuit, une ceremonieuse reverence a sa mere. -- J'apprends de ce soir seulement, dit Catherine, car sans cela je vous eusse visitee plus tot, j'apprends que votre mari est loin d'avoir pour vous les egards qu'on doit non seulement a une jolie femme, mais encore a une fille de France. Marguerite poussa un soupir, et Catherine, encouragee par cette muette adhesion, continua: -- En effet, que le roi de Navarre entretienne publiquement une de mes filles, qui l'adore jusqu'au scandale, qu'il fasse mepris pour cet amour de la femme qu'on a bien voulu lui accorder, c'est un malheur auquel nous ne pouvons remedier, nous autres pauvres tout- puissants, mais que punirait le moindre gentilhomme de notre royaume en appelant son gendre ou en le faisant appeler par son fils. Marguerite baissa la tete. -- Depuis assez longtemps, continua Catherine, je vois, ma fille, a vos yeux rougis, a vos ameres sorties contre la Sauve, que la plaie de votre coeur ne peut, malgre vos efforts, toujours saigner en dedans. Marguerite tressaillit: un leger mouvement avait agite les rideaux; mais heureusement Catherine ne s'en etait pas apercue. -- Cette plaie, dit-elle en redoublant d'affectueuse douceur, cette plaie, mon enfant, c'est a la main d'une mere qu'il appartient de la guerir. Ceux qui, en croyant faire votre bonheur, ont decide votre mariage, et qui, dans leur sollicitude pour vous, remarquent que chaque nuit Henri de Navarre se trompe d'appartement; ceux qui ne peuvent permettre qu'un roitelet comme lui offense a tout instant une femme de votre beaute, de votre rang et de votre merite, par le dedain de votre personne et la negligence de sa posterite; ceux qui voient enfin qu'au premier vent qu'il croira favorable, cette folle et insolente tete tournera contre notre famille et vous expulsera de sa maison; ceux-la n'ont-ils pas le droit d'assurer, en le separant du sien, votre avenir d'une facon a la fois plus digne de vous et de votre condition? -- Cependant, madame, repondit Marguerite, malgre ces observations tout empreintes d'amour maternel, et qui me comblent de joie et d'honneur, j'aurai la hardiesse de representer a Votre Majeste que le roi de Navarre est mon epoux. Catherine fit un mouvement de colere, et se rapprochant de Marguerite: -- Lui, dit-elle, votre epoux? Suffit-il donc pour etre mari et femme que l'Eglise vous ait benis? et la consecration du mariage est-elle seulement dans les paroles du pretre? Lui, votre epoux? Eh! ma fille, si vous etiez madame de Sauve vous pourriez me faire cette reponse. Mais, tout au contraire de ce que nous attendions de lui, depuis que vous avez accorde a Henri de Navarre l'honneur de vous nommer sa femme, c'est a une autre qu'il en a donne les droits, et, en ce moment meme, dit Catherine en haussant la voix, venez, venez avec moi, cette clef ouvre la porte de l'appartement de madame de Sauve, et vous verrez. -- Oh! plus bas, plus bas, madame, je vous prie, dit Marguerite, car non seulement vous vous trompez, mais encore... -- Eh bien? -- Eh bien, vous allez reveiller mon mari. A ces mots, Marguerite se leva avec une grace toute voluptueuse, et laissant flotter entrouverte sa robe de nuit, dont les manches courtes laissaient a nu son bras d'un modele si pur, et sa main veritablement royale, elle approcha un flambeau de cire rosee du lit, et, relevant le rideau, elle montra du doigt, en souriant a sa mere, le profil fier, les cheveux noirs et la bouche entrouverte du roi de Navarre, qui semblait, sur la couche en desordre, reposer du plus calme et du plus profond sommeil. Pale, les yeux hagards, le corps cambre en arriere comme si un abime se fut ouvert sur ses pas, Catherine poussa, non pas un cri, mais un rugissement sourd. -- Vous voyez, madame, dit Marguerite, que vous etiez mal informee. Catherine jeta un regard sur Marguerite, puis un autre sur Henri. Elle unit dans sa pensee active l'image de ce front pale et moite, de ces yeux entoures d'un leger cercle de bistre, au sourire de Marguerite, et elle mordit ses levres minces avec une fureur silencieuse. Marguerite permit a sa mere de contempler un instant ce tableau, qui faisait sur elle l'effet de la tete de Meduse. Puis elle laissa retomber le rideau, et, marchant sur la pointe du pied, elle revint pres de Catherine, et, reprenant sa place sur sa chaise: -- Vous disiez donc, madame? La Florentine chercha pendant quelques secondes a sonder cette naivete de la jeune femme; puis, comme si ses regards etheres se fussent emousses sur le calme de Marguerite: -- Rien, dit-elle. Et elle sortit a grands pas de l'appartement. Aussitot que le bruit de ses pas se fut assourdi dans la profondeur du corridor, le rideau du lit s'ouvrit de nouveau, et Henri, l'oeil brillant, la respiration oppressee, la main tremblante, vint s'agenouiller devant Marguerite. Il etait seulement vetu de ses trousses et de sa cotte de mailles, de sorte qu'en le voyant ainsi affuble, Marguerite, tout en lui serrant la main de bon coeur, ne put s'empecher d'eclater de rire. -- Ah! madame, ah! Marguerite, s'ecria-t-il, comment m'acquitterai-je jamais envers vous? Et il couvrait sa main de baisers, qui de la main montaient insensiblement au bras de la jeune femme. -- Sire, dit-elle en se reculant tout doucement, oubliez-vous qu'a cette heure une pauvre femme, a laquelle vous devez la vie, souffre et gemit pour vous? Madame de Sauve, ajouta-t-elle tout bas, vous a fait le sacrifice de sa jalousie en vous envoyant pres de moi, et peut-etre, apres vous avoir fait le sacrifice de sa jalousie, vous fait-elle celui de sa vie, car, vous le savez mieux que personne, la colere de ma mere est terrible. Henri frissonna, et, se relevant, fit un mouvement pour sortir. -- Oh! mais, dit Marguerite avec une admirable coquetterie, je reflechis et me rassure. La clef vous a ete donnee sans indication, et vous serez cense m'avoir accorde ce soir la preference. -- Et je vous l'accorde, Marguerite; consentez-vous seulement a oublier... -- Plus bas, Sire, plus bas, repliqua la reine parodiant les paroles que dix minutes auparavant elle venait d'adresser a sa mere; on vous entend du cabinet, et comme je ne suis pas encore tout a fait libre, Sire, je vous prierai de parler moins haut. -- Oh! oh! dit Henri, moitie riant, moitie assombri, c'est vrai; j'oubliais que ce n'est probablement pas moi qui suis destine a jouer la fin de cette scene interessante. Ce cabinet... -- Entrons-y, Sire, dit Marguerite, car je veux avoir l'honneur de presenter a Votre Majeste un brave gentilhomme blesse pendant le massacre, en venant avertir jusque dans le Louvre Votre Majeste du danger qu'elle courait. La reine s'avanca vers la porte. Henri suivit sa femme. La porte s'ouvrit, et Henri demeura stupefait en voyant un homme dans ce cabinet predestine aux surprises. Mais La Mole fut plus surpris encore en se trouvant inopinement en face du roi de Navarre. Il en resulta que Henri jeta un coup d'oeil ironique a Marguerite, qui le soutint a merveille. -- Sire, dit Marguerite, j'en suis reduite a craindre qu'on ne tue dans mon logis meme ce gentilhomme, qui est devoue au service de Votre Majeste, et que je mets sous sa protection. -- Sire, reprit alors le jeune homme, je suis le comte Lerac de la Mole, que Votre Majeste attendait, et qui vous avait ete recommande par ce pauvre M. de Teligny, qui a ete tue a mes cotes. -- Ah! ah! fit Henri, en effet, monsieur, et la reine m'a remis sa lettre; mais n'aviez-vous pas aussi une lettre de M. le gouverneur du Languedoc? -- Oui, Sire, et recommandation de la remettre a Votre Majeste aussitot mon arrivee. -- Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? -- Sire, je me suis rendu au Louvre dans la soiree d'hier; mais Votre Majeste etait tellement occupee, qu'elle n'a pu me recevoir. -- C'est vrai, dit le roi; mais vous eussiez pu, ce me semble, me faire passer cette lettre? -- J'avais ordre, de la part de M. d'Auriac, de ne la remettre qu'a Votre Majeste elle-meme; car elle contenait, m'a-t-il assure, un avis si important, qu'il n'osait le confier a un messager ordinaire. -- En effet, dit le roi en prenant et en lisant la lettre, c'etait l'avis de quitter la cour et de me retirer en Bearn. M. d'Auriac etait de mes bons amis, quoique catholique, et il est probable que, comme gouverneur de province, il avait vent de ce qui s'est passe. Ventre-saint-gris! monsieur, pourquoi ne pas m'avoir remis cette lettre il y a trois jours au lieu de ne me la remettre qu'aujourd'hui? -- Parce que, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire a Votre Majeste, quelque diligence que j'aie faite, je n'ai pu arriver qu'hier. -- C'est facheux, c'est facheux, murmura le roi; car a cette heure nous serions en surete, soit a La Rochelle, soit dans quelque bonne plaine, avec deux a trois mille chevaux autour de nous. -- Sire, ce qui est fait est fait, dit Marguerite a demi-voix, et, au lieu de perdre votre temps a recriminer sur le passe, il s'agit de tirer le meilleur parti possible de l'avenir. -- A ma place, dit Henri avec son regard interrogateur, vous auriez donc encore quelque espoir, madame? -- Oui, certes, et je regarderais le jeu engage comme une partie en trois points, dont je n'ai perdu que la premiere manche. -- Ah! madame, dit tout bas Henri, si j'etais sur que vous fussiez de moitie dans mon jeu... -- Si j'avais voulu passer du cote de vos adversaires, repondit Marguerite, il me semble que je n'eusse point attendu si tard. -- C'est juste, dit Henri, je suis un ingrat, et, comme vous dites, tout peut encore se reparer aujourd'hui. -- Helas! Sire, repliqua La Mole, je souhaite a Votre Majeste toutes sortes de bonheurs; mais aujourd'hui nous n'avons plus M. l'amiral. Henri se mit a sourire de ce sourire de paysan matois que l'on ne comprit a la cour que le jour ou il fut roi de France. -- Mais, madame, reprit-il en regardant La Mole avec attention, ce gentilhomme ne peut demeurer chez vous sans vous gener infiniment et sans etre expose a de facheuses surprises. Qu'en ferez-vous? -- Mais, Sire, dit Marguerite, ne pourrions-nous le faire sortir du Louvre? car en tous points je suis de votre avis. -- C'est difficile. -- Sire, M. de La Mole ne peut-il trouver un peu de place dans la maison de Votre Majeste? -- Helas! madame, vous me traitez toujours comme si j'etais encore roi des huguenots et comme si j'avais encore un peuple. Vous savez bien que je suis a moitie converti et que je n'ai plus de peuple du tout. Une autre que Marguerite se fut empressee de repondre sur-le- champ: _Il _est catholique. Mais la reine voulait se faire demander par Henri ce qu'elle desirait obtenir de lui. Quant a La Mole, voyant cette reserve de sa protectrice et ne sachant encore ou poser le pied sur le terrain glissant d'une cour aussi dangereuse que l'etait celle de France, il se tut egalement. -- Mais, reprit Henri, relisant la lettre apportee par La Mole, que me dit donc M. le gouverneur de Provence, que votre mere etait catholique et que de la vient l'amitie qu'il vous porte? -- Et a moi, dit Marguerite, que me parliez-vous d'un voeu que vous avez fait, monsieur le comte, d'un changement de religion? Mes idees se brouillent a cet egard; aidez-moi donc, monsieur de la Mole. Ne s'agissait-il pas de quelque chose de semblable a ce que parait desirer le roi? -- Helas! oui; mais Votre Majeste a si froidement accueilli mes explications a cet egard, reprit La Mole, que je n'ai point ose... -- C'est que tout cela ne me regardait aucunement, monsieur. Expliquez au roi, expliquez. -- Eh bien, qu'est-ce que ce voeu? demanda le roi. -- Sire, dit La Mole, poursuivi par des assassins, sans armes, presque mourant de mes deux blessures, il m'a semble voir l'ombre de ma mere me guidant vers le Louvre une croix a la main. Alors j'ai fait le voeu, si j'avais la vie sauve, d'adopter la religion de ma mere, a qui Dieu avait permis de sortir de son tombeau pour me servir de guide pendant cette horrible nuit. Dieu m'a conduit ici, Sire. Je m'y vois sous la double protection d'une fille de France et du roi de Navarre. Ma vie a ete sauvee miraculeusement; je n'ai donc qu'a accomplir mon voeu, Sire. Je suis pret a me faire catholique. Henri fronca le sourcil. Le sceptique qu'il etait comprenait bien l'abjuration par interet; mais il doutait fort de l'abjuration par la foi. -- Le roi ne veut pas se charger de mon protege, pensa Marguerite. La Mole cependant demeurait timide et gene entre les deux volontes contraires. Il sentait bien, sans se l'expliquer, le ridicule de sa position. Ce fut encore Marguerite qui, avec sa delicatesse de femme, le tira de ce mauvais pas. -- Sire, dit-elle, nous oublions que le pauvre blesse a besoin de repos. Moi meme je tombe de sommeil. Eh! tenez! La Mole palissait en effet; mais c'etaient les dernieres paroles de Marguerite qu'il avait entendues et interpretees qui le faisaient palir. -- Eh bien, madame, dit Henri, rien de plus simple; ne pouvons- nous laisser reposer M. de La Mole? Le jeune homme adressa a Marguerite un regard suppliant et, malgre la presence des deux Majestes, se laissa aller sur un siege, brise de douleur et de fatigue. Marguerite comprit tout ce qu'il y avait d'amour dans ce regard et de desespoir dans cette faiblesse. -- Sire, dit-elle, il convient a Votre Majeste de faire a ce jeune gentilhomme, qui a risque sa vie pour son roi, puisqu'il accourait ici pour vous annoncer la mort de l'amiral et de Teligny, lorsqu'il a ete blesse; il convient, dis-je, a Votre Majeste de lui faire un honneur dont il sera reconnaissant toute sa vie. -- Et lequel, madame? dit Henri. Commandez, je suis pret. -- M. de La Mole couchera cette nuit aux pieds de Votre Majeste, qui couchera, elle, sur ce lit de repos. Quant a moi, avec la permission de mon auguste epoux, ajouta Marguerite en souriant, je vais appeler Gillonne et me remettre au lit; car, je vous le jure, Sire, je ne suis pas celle de nous trois qui ai le moins besoin de repos. Henri avait de l'esprit, peut-etre un peu trop meme: ses amis et ses ennemis le lui reprocherent plus tard. Mais il comprit que celle qui l'exilait de la couche conjugale en avait acquis le droit par l'indifference meme qu'il avait manifestee pour elle; d'ailleurs, Marguerite venait de se venger de cette indifference en lui sauvant la vie. Il ne mit donc pas d'amour-propre dans sa reponse. -- Madame, dit-il, si M. de La Mole etait en etat de passer dans mon appartement, je lui offrirais mon propre lit. -- Oui, reprit Marguerite, mais votre appartement, a cette heure, ne vous peut proteger ni l'un ni l'autre, et la prudence veut que Votre Majeste demeure ici jusqu'a demain. Et, sans attendre la reponse du roi, elle appela Gillonne, fit preparer les coussins pour le roi, et aux pieds du roi un lit pour La Mole, qui semblait si heureux et si satisfait de cet honneur, qu'on eut jure qu'il ne sentait plus ses blessures. Quant a Marguerite, elle tira au roi une ceremonieuse reverence, et, rentree dans sa chambre bien verrouillee de tous cotes, elle s'etendit dans son lit. -- Maintenant, se dit Marguerite a elle-meme, il faut que demain M. de La Mole ait un protecteur au Louvre, et tel fait ce soir la sourde oreille qui demain se repentira. Puis elle fit signe a Gillonne, qui attendait ses derniers ordres, de venir les recevoir. Gillonne s'approcha. -- Gillonne, lui dit-elle tout bas, il faut que demain, sous un pretexte quelconque, mon frere, le duc d'Alencon, ait envie de venir ici avant huit heures du matin. Deux heures sonnaient au Louvre. La Mole causa un instant politique avec le roi, qui peu a peu s'endormit, et bientot ronfla aux eclats, comme s'il eut ete couche dans son lit de cuir de Bearn. La Mole eut peut-etre dormi comme le roi; mais Marguerite ne dormait pas; elle se tournait et se retournait dans son lit, et ce bruit troublait les idees et le sommeil du jeune homme. -- Il est bien jeune, murmurait Marguerite au milieu de son insomnie, il est bien timide; peut-etre meme, il faudra voir cela, peut-etre meme sera-t-il ridicule; de beaux yeux cependant... une taille bien prise, beaucoup de charmes; mais s'il allait ne pas etre brave! ... Il fuyait... Il abjure... c'est facheux, le reve commencait bien; allons... Laissons aller les choses et rapportons-nous-en au triple dieu de cette folle Henriette. Et vers le jour Marguerite finit enfin par s'endormir en murmurant: _Eros-Cupido-Amor_. XV Ce que femme veut Dieu le veut Marguerite ne s'etait pas trompee: la colere amassee au fond du coeur de Catherine par cette comedie, dont elle voyait l'intrigue sans avoir la puissance de rien changer au denouement, avait besoin de deborder sur quelqu'un. Au lieu de rentrer chez elle, la reine mere monta directement chez sa dame d'atours. Madame de Sauve s'attendait a deux visites: elle esperait celle de Henri, elle craignait celle de la reine mere. Au lit, a moitie vetue, tandis que Dariole veillait dans l'antichambre, elle entendit tourner une clef dans la serrure, puis s'approcher des pas lents et qui eussent paru lourds s'ils n'eussent pas ete assourdis par d'epais tapis. Elle ne reconnut point la la marche legere et empressee de Henri; elle se douta qu'on empechait Dariole de la venir avertir; et, appuyee sur sa main, l'oreille et l'oeil tendus, elle attendit. La portiere se leva, et la jeune femme, frissonnante, vit paraitre Catherine de Medicis. Catherine semblait calme; mais madame de Sauve habituee a l'etudier depuis deux ans comprit tout ce que ce calme apparent cachait de sombres preoccupations et peut-etre de cruelles vengeances. Madame de Sauve, en apercevant Catherine, voulut sauter en bas de son lit; mais Catherine leva le doigt pour lui faire signe de rester, et la pauvre Charlotte demeura clouee a sa place, amassant interieurement toutes les forces de son ame pour faire face a l'orage qui se preparait silencieusement. -- Avez-vous fait tenir la clef au roi de Navarre? demanda Catherine sans que l'accent de sa voix indiquat aucune alteration; seulement ces paroles etaient prononcees avec des levres de plus en plus blemissantes. -- Oui, madame..., repondit Charlotte d'une voix qu'elle tentait inutilement de rendre aussi assuree que l'etait celle de Catherine. -- Et vous l'avez vu? -- Qui? demanda madame de Sauve. -- Le roi de Navarre? -- Non, madame; mais je l'attends, et j'avais meme cru, en entendant tourner une clef dans la serrure, que c'etait lui qui venait. A cette reponse, qui annoncait dans madame de Sauve ou une parfaite confiance ou une supreme dissimulation, Catherine ne put retenir un leger fremissement. Elle crispa sa main grasse et courte. -- Et cependant tu savais bien, dit-elle avec son mechant sourire, tu savais bien, Carlotta, que le roi de Navarre ne viendrait point cette nuit. -- Moi, madame, je savais cela! s'ecria Charlotte avec un accent de surprise parfaitement bien jouee. -- Oui, tu le savais. -- Pour ne point venir, reprit la jeune femme frissonnante a cette seule supposition, il faut donc qu'il soit mort! Ce qui donnait a Charlotte le courage de mentir ainsi, c'etait la certitude qu'elle avait d'une terrible vengeance, dans le cas ou sa petite trahison serait decouverte. -- Mais tu n'as donc pas ecrit au roi de Navarre, Carlotta _mia_? demanda Catherine avec ce meme rire silencieux et cruel. -- Non, madame, repondit Charlotte avec un admirable accent de naivete; Votre Majeste ne me l'avait pas dit, ce me semble. Il se fit un moment de silence pendant lequel Catherine regarda madame de Sauve comme le serpent regarde l'oiseau qu'il veut fasciner. -- Tu te crois belle, dit alors Catherine; tu te crois adroite, n'est-ce pas? -- Non, madame, repondit Charlotte, je sais seulement que Votre Majeste a ete parfois d'une bien grande indulgence pour moi, quand il s'agissait de mon adresse et de ma beaute. -- Eh bien, dit Catherine en s'animant, tu te trompais si tu as cru cela, et moi je mentais si je te l'ai dit, tu n'es qu'une sotte et qu'une laide pres de ma fille Margot. -- Oh! ceci, madame, c'est vrai! dit Charlotte, et je n'essaierai pas meme de le nier, surtout a vous. -- Aussi, continua Catherine, le roi de Navarre te prefere-t-il de beaucoup ma fille, et ce n'etait pas ce que tu voulais, je crois, ni ce dont nous etions convenues. -- Helas, madame! dit Charlotte eclatant cette fois en sanglots sans qu'elle eut besoin de se faire aucune violence, si cela est ainsi, je suis bien malheureuse. -- Cela est, dit Catherine en enfoncant comme un double poignard le double rayon de ses yeux dans le coeur de madame de Sauve. -- Mais qui peut vous le faire croire? demanda Charlotte. -- Descends chez la reine de Navarre, _pazza! _et tu y trouveras ton amant. -- Oh! fit madame de Sauve. Catherine haussa les epaules. -- Es-tu jalouse, par hasard? demanda la reine mere. -- Moi? dit madame de Sauve, rappelant a elle toute sa force prete a l'abandonner. -- Oui, toi! je serais curieuse de voir une jalousie de Francaise. -- Mais, dit madame de Sauve, comment Votre Majeste veut-elle que je sois jalouse autrement que d'amour-propre? je n'aime le roi de Navarre qu'autant qu'il le faut pour le service de Votre Majeste! Catherine la regarda un moment avec des yeux reveurs. -- Ce que tu me dis la peut, a tout prendre, etre vrai, murmura-t- elle. -- Votre Majeste lit dans mon coeur. -- Et ce coeur m'est tout devoue? -- Ordonnez, madame, et vous en jugerez. -- Eh bien, puisque tu te sacrifies a mon service, Carlotta, il faut, pour mon service toujours, que tu sois tres eprise du roi de Navarre, et tres jalouse surtout, jalouse comme une Italienne. -- Mais, madame, demanda Charlotte, de quelle facon une Italienne est-elle jalouse? -- Je te le dirai, reprit Catherine. Et, apres avoir fait deux ou trois mouvements de tete du haut en bas, elle sortit silencieusement et lentement, comme elle etait rentree. Charlotte, troublee par le clair regard de ces yeux dilates comme ceux du chat et de la panthere, sans que cette dilatation lui fit rien perdre de sa profondeur, la laissa partir sans prononcer un seul mot, sans meme laisser a son souffle la liberte de se faire entendre, et elle ne respira que lorsqu'elle eut entendu la porte se refermer derriere elle et que Dariole fut venue lui dire que la terrible apparition etait bien evanouie. -- Dariole, lui dit-elle alors, traine un fauteuil pres de mon lit et passe la nuit dans ce fauteuil. Je t'en prie, car je n'oserais pas rester seule. Dariole obeit; mais malgre la compagnie de sa femme de chambre, qui restait pres d'elle, malgre la lumiere de la lampe qu'elle ordonna de laisser allumee pour plus grande tranquillite, madame de Sauve aussi ne s'endormit qu'au jour, tant bruissait a son oreille le metallique accent de la voix de Catherine. Cependant, quoique endormie au moment ou le jour commencait a paraitre, Marguerite se reveilla au premier son des trompettes, aux premiers aboiements des chiens. Elle se leva aussitot et commenca de revetir un costume si neglige qu'il en etait pretentieux. Alors elle appela ses femmes, fit introduire dans son antichambre les gentilshommes du service ordinaire du roi de Navarre; puis, ouvrant la porte qui enfermait sous la meme clef Henri et de la Mole, elle donna du regard un bonjour affectueux a ce dernier, et appelant son mari: -- Allons, Sire, dit-elle, ce n'est pas le tout que d'avoir fait croire a madame ma mere ce qui n'est pas, il convient encore que vous persuadiez toute votre cour de la parfaite intelligence qui regne entre nous. Mais tranquillisez-vous, ajouta-t-elle en riant, et retenez bien mes paroles, que la circonstance fait presque solennelles: Aujourd'hui sera la derniere fois que je mettrai Votre Majeste a cette cruelle epreuve. Le roi de Navarre sourit et ordonna qu'on introduisit ses gentilshommes. Au moment ou ils le saluaient, il fit semblant de s'apercevoir seulement que son manteau etait reste sur le lit de la reine; il leur fit ses excuses de les recevoir ainsi, prit son manteau des mains de Marguerite rougissante, et l'agrafa sur son epaule. Puis, se tournant vers eux, il leur demanda des nouvelles de la ville et de la cour. Marguerite remarquait du coin de l'oeil l'imperceptible etonnement que produisit sur le visage des gentilshommes cette intimite qui venait de se reveler entre le roi et la reine de Navarre, lorsqu'un huissier entra suivi de trois ou quatre gentilshommes, et annoncant le duc d'Alencon. Pour le faire venir, Gillonne avait eu besoin de lui apprendre seulement que le roi avait passe la nuit chez sa femme. Francois entra si rapidement qu'il faillit, en les ecartant, renverser ceux qui le precedaient. Son premier coup d'oeil fut pour Henri. Marguerite n'eut que le second. Henri lui repondit par un salut courtois. Marguerite composa son visage, qui exprima la plus parfaite serenite. D'un autre regard vague, mais scrutateur, le duc embrassa alors toute la chambre; il vit le lit aux tapisseries derangees, le double oreiller affaisse au chevet, le chapeau du roi jete sur une chaise. Il palit; mais se remettant sur-le-champ: -- Mon frere Henri, dit-il, venez-vous jouer ce matin a la paume avec le roi? -- Le roi me fait-il cet honneur de m'avoir choisi, demanda Henri, ou n'est-ce qu'une attention de votre part, mon beau-frere? -- Mais non, le roi n'a point parle de cela, dit le duc un peu embarrasse; mais n'etes-vous point de sa partie ordinaire? Henri sourit, car il s'etait passe tant et de si graves choses depuis la derniere partie qu'il avait faite avec le roi, qu'il n'y aurait rien eu d'etonnant a ce que Charles IX eut change ses joueurs habituels. -- J'y vais, mon frere! dit Henri en souriant. -- Venez, reprit le duc. -- Vous vous en allez? demanda Marguerite. -- Oui, ma soeur. -- Vous etes donc presse? -- Tres presse. -- Si cependant je reclamais de vous quelques minutes? Une pareille demande etait si rare dans la bouche de Marguerite, que son frere la regarda en rougissant et en palissant tour a tour. -- Que va-t-elle lui dire? pensa Henri non moins etonne que le duc d'Alencon. Marguerite, comme si elle eut devine la pensee de son epoux, se retourna de son cote. -- Monsieur, dit-elle avec un charmant sourire, vous pouvez rejoindre Sa Majeste, si bon vous semble, car le secret que j'ai a reveler a mon frere est deja connu de vous, puisque la demande que je vous ai adressee hier a propos de ce secret a ete a peu pres refusee par Votre Majeste. Je ne voudrais donc pas, continua Marguerite, fatiguer une seconde fois Votre Majeste par l'expression emise en face d'elle d'un desir qui lui a paru etre desagreable. -- Qu'est-ce donc? demanda Francois en les regardant tous deux avec etonnement. -- Ah! ah! dit Henri en rougissant de depit, je sais ce que vous voulez dire, madame. En verite, je regrette de ne pas etre plus libre. Mais si je ne puis donner a M. de La Mole une hospitalite qui ne lui offrirait aucune assurance, je n'en peux pas moins recommander apres vous a mon frere d'Alencon la personne _a laquelle vous vous interessez._ Peut-etre meme, ajouta-t-il pour donner plus de force encore aux mots que nous venons de souligner, peut-etre meme mon frere trouvera-t-il une idee qui vous permettra de garder M. de La Mole... ici... pres de vous... ce qui serait mieux que tout, n'est-ce pas, madame? -- Allons, allons, se dit Marguerite en elle-meme, a eux deux ils vont faire ce que ni l'un ni l'autre des deux n'eut fait tout seul. Et elle ouvrit la porte du cabinet et en fit sortir le jeune blesse apres avoir dit a Henri: -- C'est a vous, monsieur, d'expliquer a mon frere a quel titre nous nous interessons a M. de La Mole. En deux mots Henri, pris au trebuchet, raconta a M. d'Alencon, moitie protestant par opposition, comme Henri moitie catholique par prudence, l'arrivee de La Mole a Paris, et comment le jeune homme avait ete blesse en venant lui apporter une lettre de M. d'Auriac. Quand le duc se retourna, La Mole, sorti du cabinet, se tenait debout devant lui. Francois, en l'apercevant si beau, si pale, et par consequent doublement seduisant par sa beaute et par sa paleur, sentit naitre une nouvelle terreur au fond de son ame. Marguerite le prenait a la fois par la jalousie et par l'amour-propre. -- Mon frere, lui dit-elle, ce jeune gentilhomme, j'en reponds, sera utile a qui saura l'employer. Si vous l'acceptez pour votre, il trouvera en vous un maitre puissant, et vous en lui un serviteur devoue. En ces temps, il faut bien s'entourer, mon frere! surtout, ajouta-t-elle en baissant la voix de maniere que le duc d'Alencon l'entendit seul, quand on est ambitieux et que l'on a le malheur de n'etre que troisieme fils de France. Elle mit un doigt sur sa bouche pour indiquer a Francois que, malgre cette ouverture, elle gardait encore a part en elle-meme une portion importante de sa pensee. -- Puis, ajouta-t-elle, peut-etre trouverez-vous, tout au contraire de Henri, qu'il n'est pas seant que ce jeune homme demeure si pres de mon appartement. -- Ma soeur, dit vivement Francois, monsieur de La Mole, si cela lui convient toutefois, sera dans une demi-heure installe dans mon logis, ou je crois qu'il n'a rien a craindre. Qu'il m'aime et je l'aimerai. Francois mentait, car au fond de son coeur il detestait deja La Mole. -- Bien, bien... je ne m'etais donc pas trompee! murmura Marguerite, qui vit les sourcils du roi de Navarre se froncer. Ah! pour vous conduire l'un et l'autre, je vois qu'il faut vous conduire l'un par l'autre. Puis completant sa pensee: -- Allons, allons, continua-t-elle, bien, Marguerite, dirait Henriette. En effet, une demi-heure apres, La Mole, gravement catechise par Marguerite, baisait le bas de sa robe et montait, assez lestement pour un blesse, l'escalier qui conduisait chez M. d'Alencon. Deux ou trois jours s'ecoulerent pendant lesquels la bonne harmonie parut se consolider de plus en plus entre Henri et sa femme. Henri avait obtenu de ne pas faire abjuration publique, mais il avait renonce entre les mains du confesseur du roi et entendait tous les matins la messe qu'on disait au Louvre. Le soir il prenait ostensiblement le chemin de l'appartement de sa femme, entrait par la grande porte, causait quelques instants avec elle, puis sortait par la petite porte secrete et montait chez madame de Sauve, qui n'avait pas manque de le prevenir de la visite de Catherine et du danger incontestable qui le menacait. Henri, renseigne des deux cotes, redoublait donc de mefiance a l'endroit de la reine mere, et cela avec d'autant plus de raison qu'insensiblement la figure de Catherine commencait a se derider. Henri en arriva meme a voir eclore un matin sur ses levres pales un sourire de bienveillance. Ce jour-la il eut toutes les peines du monde a se decider a manger autre chose que des oeufs qu'il avait fait cuire lui-meme, et a boire autre chose que de l'eau qu'il avait vu puiser a la Seine devant lui. Les massacres continuaient, mais neanmoins allaient s'eteignant; on avait fait si grande tuerie des huguenots que le nombre en etait fort diminue. La plus grande partie etaient morts, beaucoup avaient fui, quelques-uns etaient restes caches. De temps en temps une grande clameur s'elevait dans un quartier ou dans un autre; c'etait quand on avait decouvert un de ceux-la. L'execution alors etait privee ou publique, selon que le malheureux etait accule dans quelque endroit sans issue ou pouvait fuir. Dans le dernier cas, c'etait une grande joie pour le quartier ou l'evenement avait eu lieu: car, au lieu de se calmer par l'extinction de leurs ennemis, les catholiques devenaient de plus en plus feroces; et moins il en restait, plus ils paraissaient acharnes apres ces malheureux restes. Charles IX avait pris grand plaisir a la chasse aux huguenots; puis, quand il n'avait pas pu continuer lui-meme, il s'etait delecte au bruit des chasses des autres. Un jour, en revenant de jouer au mail, qui etait avec la paume et la chasse son plaisir favori, il entra chez sa mere le visage tout joyeux, suivi de ses courtisans habituels. -- Ma mere, dit-il en embrassant la Florentine, qui, remarquant cette joie, avait deja essaye d'en deviner la cause; ma mere, bonne nouvelle! Mort de tous les diables, savez-vous une chose? c'est que l'illustre carcasse de monsieur l'amiral, qu'on croyait perdue, est retrouvee! -- Ah! ah! dit Catherine. -- Oh! mon Dieu, oui! Vous avez eu comme moi l'idee, n'est-ce pas, ma mere, que les chiens en avaient fait leur repas de noce? mais il n'en etait rien. Mon peuple, mon cher peuple, mon bon peuple a eu une idee: il a pendu l'amiral au croc de Montfaucon. _Du haut en bas Gaspard on a jete, Et puis de bas en haut on l'a monte._ -- Eh bien? dit Catherine. -- Eh bien, ma bonne mere! reprit Charles IX, j'ai toujours eu l'envie de le revoir depuis que je sais qu'il est mort, le cher homme. Il fait beau: tout me semble en fleurs aujourd'hui; l'air est plein de vie et de parfums; je me porte comme je ne me suis jamais porte; si vous voulez, ma mere, nous monterons a cheval et nous irons a Montfaucon. -- Ce serait bien volontiers, mon fils, dit Catherine, si je n'avais pas donne un rendez-vous que je ne veux pas manquer; puis a une visite faite a un homme de l'importance de monsieur l'amiral, ajouta-t-elle, il faut convier toute la cour. Ce sera une occasion pour les observateurs de faire des observations curieuses. Nous verrons qui viendra et qui demeurera. -- Vous avez, ma foi, raison, ma mere! a demain la chose, cela vaut mieux! Ainsi, faites vos invitations, je ferai les miennes, ou plutot nous n'inviterons personne. Nous dirons seulement que nous y allons; cela fait, tout le monde sera libre. Adieu, ma mere! je vais sonner du cor. -- Vous vous epuiserez, Charles! Ambroise Pare vous le dit sans cesse, et il a raison; c'est un trop rude exercice pour vous. -- Bah! bah! bah! dit Charles, je voudrais bien etre sur de ne mourir que de cela. J'enterrerais tout le monde ici, et meme Henriot, qui doit un jour nous succeder a tous, a ce que pretend Nostradamus. Catherine fronca le sourcil. -- Mon fils, dit-elle, defiez-vous surtout des choses qui paraissent impossibles, et, en attendant, menagez-vous. -- Deux ou trois fanfares seulement pour rejouir mes chiens, qui s'ennuient a crever, pauvres betes! j'aurais du les lacher sur le huguenot, cela les aurait rejouis. Et Charles IX sortit de la chambre de sa mere, entra dans son cabinet d'Armes, detacha un cor, en sonna avec une vigueur qui eut fait honneur a Roland lui-meme. On ne pouvait pas comprendre comment, de ce corps faible et maladif et de ces levres pales, pouvait sortir un souffle si puissant. Catherine attendait en effet quelqu'un, comme elle l'avait dit a son fils. Un instant apres qu'il fut sorti, une de ses femmes vint lui parler tout bas. La reine sourit, se leva, salua les personnes qui lui faisaient la cour et suivit la messagere. Le Florentin Rene, celui auquel le roi de Navarre, le soir meme de la Saint-Barthelemy, avait fait un accueil si diplomatique, venait d'entrer dans son oratoire. -- Ah! c'est vous, Rene! lui dit Catherine, je vous attendais avec impatience. Rene s'inclina. -- Vous avez recu hier le petit mot que je vous ai ecrit? -- J'ai eu cet honneur. -- Avez-vous renouvele, comme je vous le disais, l'epreuve de cet horoscope tire par Ruggieri et qui s'accorde si bien avec cette prophetie de Nostradamus, qui dit que mes fils regneront tous trois?... Depuis quelques jours, les choses sont bien modifiees, Rene, et j'ai pense qu'il etait possible que les destinees fussent devenues moins menacantes. -- Madame, repondit Rene en secouant la tete, Votre Majeste sait bien que les choses ne modifient pas la destinee; c'est la destinee au contraire qui gouverne les choses. -- Vous n'en avez pas moins renouvele le sacrifice, n'est-ce pas? -- Oui, madame, repondit Rene, car vous obeir est mon premier devoir. -- Eh bien, le resultat? -- Est demeure le meme, madame. -- Quoi! l'agneau noir a toujours pousse ses trois cris? -- Toujours, madame. -- Signe de trois morts cruelles dans ma famille! murmura Catherine. -- Helas! dit Rene. -- Mais ensuite? -- Ensuite, madame, il y avait dans ses entrailles cet etrange deplacement du foie que nous avons deja remarque dans les deux premiers et qui penchait en sens inverse. -- Changement de dynastie. Toujours, toujours, toujours? grommela Catherine. Il faudra cependant combattre cela, Rene! continua-t- elle. Rene secoua la tete. -- Je l'ai dit a Votre Majeste, reprit-il, le destin gouverne. -- C'est ton avis? dit Catherine. -- Oui, madame. -- Te souviens-tu de l'horoscope de Jeanne d'Albret? -- Oui, madame. -- Redis-le un peu, voyons, je l'ai oublie, moi. -- _Vives honorata_, dit Rene, _morieris reformidata, regina amplificabere._ _-- _Ce qui veut dire, je crois: _Tu vivras honoree_, et elle manquait du necessaire, la pauvre femme! _Tu mourras redoutee_, et nous nous sommes moques d'elle. _Tu seras plus grande que tu n'as ete comme reine_, et voila qu'elle est morte et que sa grandeur repose dans un tombeau ou nous avons oublie de mettre meme son nom. -- Madame, Votre Majeste traduit mal le_ vives honorata_. La reine de Navarre a vecu honoree, en effet, car elle a joui, tant qu'elle a vecu, de l'amour de ses enfants et du respect de ses partisans, amour et respect d'autant plus sinceres qu'elle etait plus pauvre. -- Oui, dit Catherine, je vous passe le _tu vivras honoree; _mais _morieris reformidata, _voyons, comment l'expliquerez-vous? -- Comment je l'expliquerai! Rien de plus facile: Tu mourras redoutee. -- Eh bien, est-elle morte redoutee? -- Si bien redoutee, madame, qu'elle ne fut pas morte si Votre Majeste n'en avait pas eu peur. Enfin _comme reine, tu grandiras, ou tu seras plus grande que tu n'as ete comme reine; _ce qui est encore vrai, madame, car en echange de la couronne perissable, elle a peut-etre maintenant, comme reine et martyre, la couronne du ciel, et outre cela, qui sait encore l'avenir reserve a sa race sur la terre? Catherine etait superstitieuse a l'exces. Elle s'epouvanta plus encore peut-etre du sang-froid de Rene que de cette persistance des augures; et comme pour elle un mauvais pas etait une occasion de franchir hardiment la situation, elle dit brusquement a Rene et sans transition aucune que le travail muet de sa pensee: -- Est-il arrive des parfums d'Italie? -- Oui, madame. -- Vous m'en enverrez un coffret garni. -- Desquels? -- Des derniers, de ceux... Catherine s'arreta. -- De ceux qu'aimait particulierement la reine de Navarre? reprit Rene. -- Precisement. -- Il n'est point besoin de les preparer, n'est-ce pas, madame? car Votre Majeste y est a cette heure aussi savante que moi. -- Tu trouves? dit Catherine. Le fait est qu'ils reussissent. -- Votre Majeste n'a rien de plus a me dire? demanda le parfumeur. -- Non, non, reprit Catherine pensive; je ne crois pas, du moins. Si toutefois il y avait du nouveau dans les sacrifices, faites-le- moi savoir. A propos, laissons la les agneaux, et essayons des poules. -- Helas! madame, j'ai bien peur qu'en changeant la victime nous ne changions rien aux presages. -- Fais ce que je dis. Rene salua et sortit. Catherine resta un instant assise et pensive; puis elle se leva a son tour et rentra dans sa chambre a coucher, ou l'attendaient ses femmes et ou elle annonca pour le lendemain le pelerinage a Montfaucon. La nouvelle de cette partie de plaisir fut pendant toute la soiree le bruit du palais et la rumeur de la ville. Les dames firent preparer leurs toilettes les plus elegantes, les gentilshommes leurs armes et leurs chevaux d'apparat. Les marchands fermerent boutiques et ateliers, et les flaneurs de la populace tuerent, par-ci, par-la, quelques huguenots epargnes pour la bonne occasion, afin d'avoir un accompagnement convenable a donner au cadavre de l'amiral. Ce fut un grand vacarme pendant toute la soiree et pendant une bonne partie de la nuit. La Mole avait passe la plus triste journee du monde, et cette journee avait succede a trois ou quatre autres qui n'etaient pas moins tristes. M. d'Alencon, pour obeir aux desirs de Marguerite, l'avait installe chez lui, mais ne l'avait point revu depuis. Il se sentait tout a coup comme un pauvre enfant abandonne, prive des soins tendres, delicats et charmants de deux femmes dont le souvenir seul de l'une devorait incessamment sa pensee. Il avait bien eu de ses nouvelles par le chirurgien Ambroise Pare, qu'elle lui avait envoye; mais ces nouvelles, transmises par un homme de cinquante ans, qui ignorait ou feignait d'ignorer l'interet que La Mole portait aux moindres choses qui se rapportaient a Marguerite, etaient bien incompletes et bien insuffisantes. Il est vrai que Gillonne etait venue une fois, en son propre nom, bien entendu, pour savoir des nouvelles du blesse. Cette visite avait fait l'effet d'un rayon de soleil dans un cachot, et La Mole en etait reste comme ebloui, attendant toujours une seconde apparition, laquelle, quoiqu'il se fut ecoule deux jours depuis la premiere, ne venait point. Aussi, quand la nouvelle fut apportee au convalescent de cette reunion splendide de toute la cour pour le lendemain, fit-il demander a M. d'Alencon la faveur de l'accompagner. Le duc ne se demanda pas meme si La Mole etait en etat de supporter cette fatigue; il repondit seulement: -- A merveille! Qu'on lui donne un de mes chevaux. C'etait tout ce que desirait La Mole. Maitre Ambroise Pare vint comme d'habitude pour le panser. La Mole lui exposa la necessite ou il etait de monter a cheval et le pria de mettre un double soin a la pose des appareils. Les deux blessures, au reste, etaient refermees, celle de la poitrine comme celle de l'epaule, et celle de l'epaule seule le faisait souffrir. Toutes deux etaient vermeilles, comme il convient a des chairs en voie de guerison. Maitre Ambroise Pare les recouvrit d'un taffetas gomme fort en vogue a cette epoque pour ces sortes de cas, et promit a La Mole que, pourvu qu'il ne se donnat point trop de mouvement dans l'excursion qu'il allait faire, les choses iraient convenablement. La Mole etait au comble de la joie. A part une certaine faiblesse causee par la perte de son sang et un leger etourdissement qui se rattachait a cette cause, il se sentait aussi bien qu'il pouvait etre. D'ailleurs, Marguerite serait sans doute de cette cavalcade; il reverrait Marguerite, et lorsqu'il songeait au bien que lui avait fait la vue de Gillonne, il ne mettait point en doute l'efficacite bien plus grande de celle de sa maitresse. La Mole employa donc une partie de l'argent qu'il avait recu en partant de sa famille a acheter le plus beau justaucorps de satin blanc et la plus riche broderie de manteau que lui put procurer le tailleur a la mode. Le meme lui fournit encore les bottes de cuir parfume qu'on portait a cette epoque. Le tout lui fut apporte le matin, une demi-heure seulement apres l'heure pour laquelle La Mole l'avait demande, ce qui fait qu'il n'eut trop rien a dire. Il s'habilla rapidement, se regarda dans un miroir, se trouva assez convenablement vetu, coiffe, parfume pour etre satisfait de lui- meme; enfin il s'assura par plusieurs tours faits rapidement dans sa chambre qu'a part plusieurs douleurs assez vives, le bonheur moral ferait taire les incommodites physiques. Un manteau cerise de son invention, et taille un peu plus long qu'on ne les portait alors, lui allait particulierement bien. Tandis que cette scene se passait au Louvre, une autre du meme genre avait lieu a l'hotel de Guise. Un grand gentilhomme a poil roux examinait devant une glace une raie rougeatre qui lui traversait desagreablement le visage; il peignait et parfumait sa moustache, et tout en la parfumant, il etendait sur cette malheureuse raie, qui, malgre tous les cosmetiques en usage a cette epoque s'obstinait a reparaitre, il etendait, dis-je, une triple couche de blanc et de rouge; mais comme l'application etait insuffisante, une idee lui vint: un ardent soleil, un soleil d'aout dardait ses rayons dans la cour; il descendit dans cette cour, mit son chapeau a la main, et, le nez en l'air et les yeux fermes, il se promena pendant dix minutes, s'exposant volontairement a cette flamme devorante qui tombait par torrents du ciel. Au bout de dix minutes, grace a un coup de soleil de premier ordre, le gentilhomme etait arrive a avoir un visage si eclatant que c'etait la raie rouge qui maintenant n'etait plus en harmonie avec le reste et qui par comparaison paraissait jaune. Notre gentilhomme ne parut pas moins fort satisfait de cet arc-en-ciel, qu'il rassortit de son mieux avec le reste du visage, grace a une couche de vermillon qu'il etendit dessus; apres quoi il endossa un magnifique habit qu'un tailleur avait mis dans sa chambre avant qu'il eut demande le tailleur. Ainsi pare, musque, arme de pied en cap, il descendit une seconde fois dans la cour et se mit a caresser un grand cheval noir dont la beaute eut ete sans egale sans une petite coupure qu'a l'instar de celle de son maitre lui avait faite dans une des dernieres batailles civiles un sabre de reitre. Neanmoins, enchante de son cheval comme il l'etait de lui-meme, ce gentilhomme, que nos lecteurs ont sans doute reconnu sans peine, fut en selle un quart d'heure avant tout le monde, et fit retentir la cour de l'hotel de Guise des hennissements de son coursier, auxquels repondaient, a mesure qu'il s'en rendait maitre, des _mordi_ prononces sur tous les tons. Au bout d'un instant le cheval, completement dompte, reconnaissait par sa souplesse et son obeissance la legitime domination de son cavalier; mais la victoire n'avait pas ete remportee sans bruit, et ce bruit (c'etait peut-etre la-dessus que comptait notre gentilhomme), et ce bruit avait attire aux vitres une dame que notre dompteur de chevaux salua profondement et qui lui sourit de la facon la plus agreable. Cinq minutes apres, madame de Nevers faisait appeler son intendant. -- Monsieur, demanda-t-elle, a-t-on fait convenablement dejeuner M. le comte Annibal de Coconnas? -- Oui, madame, repondit l'intendant. Il a meme ce matin mange de meilleur appetit encore que d'habitude. -- Bien, monsieur! dit la duchesse. Puis se retournant vers son premier gentilhomme: -- Monsieur d'Arguzon, dit-elle, partons pour le Louvre et tenez l'oeil, je vous prie, sur M. le comte Annibal de Coconnas, car il est blesse, par consequent encore faible, et je ne voudrais pas pour tout au monde qu'il lui arrivat malheur. Cela ferait rire les huguenots, qui lui gardent rancune depuis cette bienheureuse soiree de la Saint-Barthelemy. Et madame de Nevers, montant a cheval a son tour, partit toute rayonnante pour le Louvre, ou etait le rendez-vous general. Il etait deux heures de l'apres-midi, lorsqu'une file de cavaliers ruisselants d'or, de joyaux et d'habits splendides apparut dans la rue Saint-Denis, debouchant a l'angle du cimetiere des Innocents, et se deroulant au soleil entre les deux rangees de maisons sombres comme un immense reptile aux chatoyants anneaux. XVI Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon Nulle troupe, si riche qu'elle soit, ne peut donner une idee de ce spectacle. Les habits soyeux, riches et eclatants, legues comme une mode splendide par Francois Ier a ses successeurs, ne s'etaient pas transformes encore dans ces vetements etriques et sombres qui furent de mise sous Henri III; de sorte que le costume de Charles IX, moins riche, mais peut-etre plus elegant que ceux des epoques precedentes, eclatait dans toute sa parfaite harmonie. De nos jours, il n'y a plus de point de comparaison possible avec un semblable cortege; car nous en sommes reduits, pour nos magnificences de parade, a la symetrie et a l'uniforme. Pages, ecuyers, gentilshommes de bas etage, chiens et chevaux marchant sur les flancs et en arriere, faisaient du cortege royal une veritable armee. Derriere cette armee venait le peuple, ou, pour mieux dire, le peuple etait partout. Le peuple suivait, escortait et precedait; il criait a la fois Noel et Haro, car, dans le cortege, on distinguait plusieurs calvinistes rallies, et le peuple a de la rancune. C'etait le matin, en face de Catherine et du duc de Guise, que Charles IX avait, comme d'une chose toute naturelle, parle devant Henri de Navarre d'aller visiter le gibet de Montfaucon, ou plutot le corps mutile de l'amiral, qui etait pendu. Le premier mouvement de Henri avait ete de se dispenser de prendre part a cette visite. C'etait la ou l'attendait Catherine. Aux premiers mots qu'il dit exprimant sa repugnance, elle echangea un coup d'oeil et un sourire avec le duc de Guise. Henri surprit l'un et l'autre, les comprit, puis se reprenant tout a coup: -- Mais, au fait, dit-il, pourquoi n'irais-je pas? Je suis catholique et je me dois a ma nouvelle religion. Puis s'adressant a Charles IX: -- Que Votre Majeste compte sur moi, lui dit-il, je serai toujours heureux de l'accompagner partout ou elle ira. Et il jeta autour de lui un coup d'oeil rapide pour compter les sourcils qui se froncaient. Aussi celui de tout le cortege que l'on regardait avec le plus de curiosite, peut-etre, etait ce fils sans mere, ce roi sans royaume, ce huguenot fait catholique. Sa figure longue et caracterisee, sa tournure un peu vulgaire, sa familiarite avec ses inferieurs, familiarite qu'il portait a un degre presque inconvenant pour un roi, familiarite qui tenait aux habitudes montagnardes de sa jeunesse et qu'il conserva jusqu'a sa mort, le signalaient aux spectateurs, dont quelques-uns lui criaient: -- A la messe, Henriot, a la messe! Ce a quoi Henri repondait: -- J'y ai ete hier, j'en viens aujourd'hui, et j'y retournerai demain. Ventre saint gris! il me semble cependant que c'est assez comme cela. Quant a Marguerite, elle etait a cheval, si belle, si fraiche, si elegante, que l'admiration faisait autour d'elle un concert dont quelques notes, il faut l'avouer, s'adressaient a sa compagne, madame la duchesse de Nevers, qu'elle venait de rejoindre, et dont le cheval blanc, comme s'il etait fier du poids qu'il portait, secouait furieusement la tete. -- Eh bien, duchesse, dit la reine de Navarre, quoi de nouveau? -- Mais, madame, repondit tout haut Henriette, rien que je sache. Puis tout bas: -- Et le huguenot, demanda-t-elle, qu'est-il devenu? -- Je lui ai trouve une retraite a peu pres sure, repondit Marguerite. Et le grand massacreur de gens, qu'en as-tu fait? -- Il a voulu etre de la fete; il monte le cheval de bataille de M. de Nevers, un cheval grand comme un elephant. C'est un cavalier effrayant. Je lui ai permis d'assister a la ceremonie, parce que j'ai pense que prudemment ton huguenot garderait la chambre et que de cette facon il n'y aurait pas de rencontre a craindre. -- Oh! ma foi! repondit Marguerite en souriant, fut-il ici, et il n'y est pas, je crois qu'il n'y aurait pas de rencontre pour cela. C'est un beau garcon que mon huguenot, mais pas autre chose: une colombe et non un milan; il roucoule, mais ne mord pas. Apres tout, fit-elle avec un accent intraduisible et en haussant legerement les epaules; apres tout, peut-etre l'avons-nous cru huguenot, tandis qu'il etait brahme, et sa religion lui defend- elle de repandre le sang. -- Mais ou donc est le duc d'Alencon? demanda Henriette, je ne l'apercois point. -- Il doit rejoindre, il avait mal aux yeux ce matin et desirait ne pas venir; mais comme on sait que, pour ne pas etre du meme avis que son frere Charles et son frere Henri, il penche pour les huguenots, on lui a fait observer que le roi pourrait interpreter a mal son absence et il s'est decide. Mais, justement, tiens, on regarde, on crie la-bas, c'est lui qui sera venu par la porte Montmartre. -- En effet, c'est lui-meme, je le reconnais, dit Henriette. En verite, mais il a bon air aujourd'hui. Depuis quelque temps, il se soigne particulierement: il faut qu'il soit amoureux. Voyez donc comme c'est bon d'etre prince du sang: il galope sur tout le monde et tout le monde se range. -- En effet, dit en riant Marguerite, il va nous ecraser. Dieu me pardonne! Mais faites donc ranger vos gentilshommes, duchesse! car en voici un qui, s'il ne se range pas, va se faire tuer. -- Eh, c'est mon intrepide! s'ecria la duchesse, regarde donc, regarde. Coconnas avait en effet quitte son rang pour se rapprocher de madame de Nevers; mais au moment meme ou son cheval traversait l'espece de boulevard exterieur qui separait la rue du faubourg Saint-Denis, un cavalier de la suite du duc d'Alencon, essayant en vain de retenir son cheval emporte, alla en plein corps heurter Coconnas. Coconnas ebranle vacilla sur sa colossale monture, son chapeau faillit tomber, il le retint et se retourna furieux. -- Dieu! dit Marguerite en se penchant a l'oreille de son amie, M. de La Mole! -- Ce beau jeune homme pale! s'ecria la duchesse incapable de maitriser sa premiere impression. -- Oui, oui! celui-la meme qui a failli renverser ton Piemontais. -- Oh! mais, dit la duchesse, il va se passer des choses affreuses! ils se regardent, ils se reconnaissent! En effet, Coconnas en se retournant avait reconnu la figure de La Mole; et, de surprise, il avait laisse echapper la bride de son cheval, car il croyait bien avoir tue son ancien compagnon, ou du moins l'avoir mis pour un certain temps hors de combat. De son cote, La Mole reconnut Coconnas et sentit un feu qui lui montait au visage. Pendant quelques secondes, qui suffirent a l'expression de tous les sentiments que couvaient ces deux hommes, ils s'etreignirent d'un regard qui fit frissonner les deux femmes. Apres quoi La Mole ayant regarde tout autour de lui, et ayant compris sans doute que le lieu etait mal choisi pour une explication, piqua son cheval et rejoignit le duc d'Alencon. Coconnas resta un moment ferme a la meme place, tordant sa moustache et en faisant remonter la pointe jusqu'a se crever l'oeil; apres quoi, voyant que La Mole s'eloignait sans lui rien dire de plus, il se remit lui-meme en route. -- Ah! ah! dit avec une dedaigneuse douleur Marguerite, je ne m'etais donc pas trompee... Oh! pour cette fois c'est trop fort. Et elle se mordit les levres jusqu'au sang. -- Il est bien joli, repondit la duchesse avec commiseration. Juste en ce moment le duc d'Alencon venait de reprendre sa place derriere le roi et la reine mere, de sorte que ses gentilshommes, en le rejoignant, etaient forces de passer devant Marguerite et la duchesse de Nevers. La Mole, en passant a son tour devant les deux princesses, leva son chapeau, salua la reine en s'inclinant jusque sur le cou de son cheval et demeura tete nue en attendant que Sa Majeste l'honorat d'un regard. Mais Marguerite detourna fierement la tete. La Mole lut sans doute l'expression de dedain empreinte sur le visage de la reine et de pale qu'il etait devint livide. De plus, pour ne pas choir de son cheval il fut force de se retenir a la criniere. -- Oh! oh! dit Henriette a la reine, regarde donc, cruelle que tu es! Mais il va se trouver mal! ... -- Bon! dit la reine avec un sourire ecrasant, il ne nous manquerait plus que cela... As-tu des sels? Madame de Nevers se trompait. La Mole, chancelant, retrouva des forces, et, se raffermissant sur son cheval, alla reprendre son rang a la suite du duc d'Alencon. Cependant on continuait d'avancer, on voyait se dessiner la silhouette lugubre du gibet dresse et etrenne par Enguerrand de Marigny. Jamais il n'avait ete si bien garni qu'a cette heure. Les huissiers et les gardes marcherent en avant et formerent un large cercle autour de l'enceinte. A leur approche, les corbeaux perches sur le gibet s'envolerent avec des croassements de desespoir. Le gibet qui s'elevait a Montfaucon offrait d'ordinaire, derriere ses colonnes, un abri aux chiens attires par une proie frequente et aux bandits philosophes qui venaient mediter sur les tristes vicissitudes de la fortune. Ce jour-la il n'y avait, en apparence du moins, a Montfaucon, ni chiens ni bandits. Les huissiers et les gardes avaient chasse les premiers en meme temps que les corbeaux, et les autres s'etaient confondus dans la foule pour y operer quelques-uns de ces bons coups qui sont les riantes vicissitudes du metier. Le cortege s'avancait; le roi et Catherine arrivaient les premiers, puis venaient le duc d'Anjou, le duc d'Alencon, le roi de Navarre, M. de Guise et leurs gentilshommes; puis madame Marguerite, la duchesse de Nevers et toutes les femmes composant ce qu'on appelait l'escadron volant de la reine; puis les pages, les ecuyers, les valets et le peuple: en tout dix mille personnes. Au gibet principal pendait une masse informe, un cadavre noir, souille de sang coagule et de boue blanchie par de nouvelles couches de poussiere. Au cadavre il manquait une tete. Aussi l'avait-on pendu par les pieds. Au reste, la populace, ingenieuse comme elle l'est toujours, avait remplace la tete par un bouchon de paille sur lequel elle avait mis un masque, et dans la bouche de ce masque, quelque railleur qui connaissait les habitudes de M. l'amiral avait introduit un cure-dent. C'etait un spectacle a la fois lugubre et bizarre, que tous ces elegants seigneurs et toutes ces belles dames defilant, comme une procession peinte par Goya, au milieu de ces squelettes noircis et de ces gibets aux longs bras decharnes. Plus la joie des visiteurs etait bruyante, plus elle faisait contraste avec le morne silence et la froide insensibilite de ces cadavres, objets de railleries qui faisaient frissonner ceux-la meme qui les faisaient. Beaucoup supportaient a grand-peine ce terrible spectacle; et a sa paleur on pouvait distinguer, dans le groupe des huguenots rallies, Henri, qui, quelle que fut sa puissance sur lui-meme et si etendu que fut le degre de dissimulation dont le Ciel l'avait dote, n'y put tenir. Il pretexta l'odeur impure que repandaient tous ces debris humains; et s'approchant de Charles IX, qui, cote a cote avec Catherine, etait arrete devant les restes de l'amiral: -- Sire, dit-il, Votre Majeste ne trouve-t-elle pas que, pour rester plus longtemps ici, ce pauvre cadavre sent bien mauvais? -- Tu trouves, Henriot! dit Charles IX, dont les yeux etincelaient d'une joie feroce. -- Oui, Sire. -- Eh bien, je ne suis pas de ton avis, moi... le corps d'un ennemi mort sent toujours bon. -- Ma foi, Sire, dit Tavannes, puisque Votre Majeste savait que nous devions venir faire une petite visite a M. l'amiral, elle eut du inviter Pierre Ronsard, son maitre en poesie: il eut fait, seance tenante, l'epitaphe du vieux Gaspard. -- Il n'y a pas besoin de lui pour cela, dit Charles IX, et nous la ferons bien nous-meme... Par exemple, ecoutez, messieurs, dit Charles IX apres avoir reflechi un instant: _Ci-git, -- mais c'est mal entendu, Pour lui le mot est trop honnete, -- Ici l'amiral est pendu Par les pieds, a faute de tete._ _-- _Bravo! bravo! s'ecrierent les gentilshommes catholiques tout d'une voix, tandis que les huguenots rallies froncaient les sourcils en gardant le silence. Quant a Henri, comme il causait avec Marguerite et madame de Nevers, il fit semblant de n'avoir pas entendu. -- Allons, allons, monsieur, dit Catherine, que, malgre les parfums dont elle etait couverte, cette odeur commencait a indisposer, allons, il n'y a si bonne compagnie qu'on ne quitte. Disons adieu a M. l'amiral, et revenons a Paris. Elle fit de la tete un geste ironique comme lorsqu'on prend conge d'un ami, et, reprenant la tete de colonne, elle revint gagner le chemin, tandis que le cortege defilait devant le cadavre de Coligny. Le soleil se couchait a l'horizon. La foule s'ecoula sur les pas de Leurs Majestes pour jouir jusqu'au bout des magnificences du cortege et des details du spectacle: les voleurs suivirent la foule; de sorte que, dix minutes apres le depart du roi, il n'y avait plus personne autour du cadavre mutile de l'amiral, que commencaient a effleurer les premieres brises du soir. Quand nous disons personne, nous nous trompons. Un gentilhomme monte sur un cheval noir, et qui n'avait pu sans doute, au moment ou il etait honore de la presence des princes, contempler a son aise ce tronc informe et noirci, etait demeure le dernier, et s'amusait a examiner dans tous leurs details chaines, crampons, piliers de pierre, le gibet enfin, qui lui paraissait sans doute, a lui arrive depuis quelques jours a Paris et ignorant des perfectionnements qu'apporte en toute chose la capitale, le parangon de tout ce que l'homme peut inventer de plus terriblement laid. Il n'est pas besoin de dire a nos lecteurs que cet homme etait notre ami Coconnas. Un oeil exerce de femme l'avait en vain cherche dans la cavalcade et avait sonde les rangs sans pouvoir le retrouver. M. de Coconnas, comme nous l'avons dit, etait donc en extase devant l'oeuvre d'Enguerrand de Marigny. Mais cette femme n'etait pas seule a chercher M. de Coconnas. Un autre gentilhomme, remarquable par son pourpoint de satin blanc et sa galante plume, apres avoir regarde en avant et sur les cotes, s'avisa de regarder en arriere et vit la haute taille de Coconnas et la gigantesque silhouette de son cheval se profiler en vigueur sur le ciel rougi des derniers reflets du soleil couchant. Alors le gentilhomme au pourpoint de satin blanc quitta le chemin suivi par l'ensemble de la troupe, prit un petit sentier, et, decrivant une courbe, retourna vers le gibet. Presque aussitot la dame que nous avons reconnue pour la duchesse de Nevers, comme nous avons reconnu le grand gentilhomme au cheval noir pour Coconnas, s'approcha de Marguerite et lui dit: -- Nous nous sommes trompees toutes deux, Marguerite, car le Piemontais est demeure en arriere, et M. de La Mole l'a suivi. -- Mordi! reprit Marguerite en riant, il va donc se passer quelque chose. Ma foi, j'avoue que je ne serais pas fachee d'avoir a revenir sur son compte. Marguerite alors se retourna et vit s'executer effectivement de la part de La Mole la manoeuvre que nous avons dite. Ce fut alors au tour des deux princesses a quitter la file: l'occasion etait des plus favorables; on tournait devant un sentier borde de larges haies qui remontait, et, en remontant, passait a trente pas du gibet. Madame de Nevers dit un mot a l'oreille de son capitaine, Marguerite fit un signe a Gillonne, et les quatre personnes s'en allerent par ce chemin de traverse s'embusquer derriere le buisson le plus proche du lieu ou allait se passer la scene dont ils paraissaient desirer etre spectateurs. Il y avait trente pas environ, comme nous l'avons dit, de cet endroit a celui ou Coconnas, ravi, en extase, gesticulait devant M. l'amiral. Marguerite mit pied a terre, madame de Nevers et Gillonne en firent autant; le capitaine descendit a son tour, et reunit dans ses mains les brides des quatre chevaux. Un gazon frais et touffu offrait aux trois femmes un siege comme en demandent souvent et inutilement les princesses. Une eclaircie leur permettait de ne pas perdre le moindre detail. La Mole avait decrit son cercle. Il vint au pas se placer derriere Coconnas, et, allongeant la main, il lui frappa sur l'epaule. Le Piemontais se retourna. -- Oh! dit-il, ce n'etait donc pas un reve! et vous vivez encore! -- Oui, monsieur, repondit La Mole, oui, je vis encore. Ce n'est pas votre faute, mais enfin je vis. -- Mordi! je vous reconnais bien, reprit Coconnas, malgre votre mine pale. Vous etiez plus rouge que cela la derniere fois que nous nous sommes vus. -- Et moi, dit La Mole, je vous reconnais aussi malgre cette ligne jaune qui vous coupe le visage; vous etiez plus pale que cela lorsque je vous la fis. Coconnas se mordit les levres; mais, decide, a ce qu'il parait, a continuer la conversation sur le ton de l'ironie, il continua: -- C'est curieux, n'est-ce pas, monsieur de la Mole, surtout pour un huguenot, de pouvoir regarder M. l'amiral pendu a ce crochet de fer; et dire cependant qu'il y a des gens assez exageres pour nous accuser d'avoir tue jusqu'aux huguenotins a la mamelle! -- Comte, dit La Mole en s'inclinant, je ne suis plus huguenot, j'ai le bonheur d'etre catholique. -- Bah! s'ecria Coconnas en eclatant de rire, vous etes converti, monsieur! oh! que c'est adroit! -- Monsieur, continua La Mole avec le meme serieux et la meme politesse, j'avais fait voeu de me convertir si j'echappais au massacre. -- Comte, reprit le Piemontais, c'est un voeu tres prudent, et je vous en felicite; n'en auriez-vous point fait d'autres encore? -- Oui, bien, monsieur, j'en ai fait un second, repondit La Mole en caressant sa monture avec une tranquillite parfaite. -- Lequel? demanda Coconnas. -- Celui de vous accrocher la-haut, voyez-vous, a ce petit clou qui semble vous attendre au-dessous de M. de Coligny. -- Comment! dit Coconnas, comme je suis la, tout grouillant? -- Non, monsieur, apres vous avoir passe mon epee au travers du corps. Coconnas devint pourpre, ses yeux verts lancerent des flammes. -- Voyez-vous, dit-il en goguenardant, a ce clou! -- Oui, reprit La Mole, a ce clou... -- Vous n'etes pas assez grand pour cela, mon petit monsieur! dit Coconnas. -- Alors, je monterai sur votre cheval, mon grand tueur de gens! repondit La Mole. Ah! vous croyez, mon cher monsieur Annibal de Coconnas, qu'on peut impunement assassiner les gens sous le loyal et honorable pretexte qu'on est cent contre un; nenni! Un jour vient ou l'homme retrouve son homme, et je crois que ce jour est venu aujourd'hui. J'aurais bien envie de casser votre vilaine tete d'un coup de pistolet; mais, bah! j'ajusterais mal, car j'ai la main encore tremblante des blessures que vous m'avez faites en traitre. -- Ma vilaine tete! hurla Coconnas en sautant de son cheval. A terre! sus! sus! monsieur le comte, degainons. Et il mit l'epee a la main. Je crois que ton huguenot a dit: Vilaine tete, murmura la duchesse de Nevers a l'oreille de Marguerite; est-ce que tu le trouves laid? -- Il est charmant! dit en riant Marguerite, et je suis forcee de dire que la fureur rend M. de La Mole injuste; mais, chut! regardons. En effet, La Mole etait descendu de son cheval avec autant de mesure que Coconnas avait mis, lui, de rapidite; il avait detache son manteau cerise, l'avait pose a terre, avait tire son epee et etait tombe en garde. -- Aie! fit-il en allongeant le bras. -- Ouf! murmura Coconnas en deployant le sien, car tous deux, on se le rappelle, etaient blesses a l'epaule et souffraient d'un mouvement trop vif. Un eclat de rire, mal retenu, sortit du buisson. Les princesses n'avaient pu se contraindre tout a fait en voyant les deux champions se frotter l'omoplate en grimacant. Cet eclat de rire parvint jusqu'aux deux gentilshommes, qui ignoraient qu'ils eussent des temoins, et qui, en se retournant, reconnurent leurs dames. La Mole se remit en garde, ferme, comme un automate, et Coconnas engagea le fer avec un _mordi! _des plus accentues. -- Ah ca; mais, ils y vont tout de bon et s'egorgeront si nous n'y mettons bon ordre. Assez de plaisanteries. Hola! messieurs! hola! cria Marguerite. -- Laisse! laisse! dit Henriette, qui, ayant vu Coconnas a l'oeuvre, esperait au fond du coeur que Coconnas aurait aussi bon marche de La Mole qu'il avait eu des deux neveux et du fils de Mercandon. -- Oh! ils sont vraiment tres beaux ainsi, dit Marguerite; regarde, on dirait qu'ils soufflent du feu. En effet, le combat, commence par des railleries et des provocations, etait devenu silencieux depuis que les deux champions avaient croise le fer. Tous deux se defiaient de leurs forces, et l'un et autre, a chaque mouvement trop vif, etait force de reprimer un frisson de douleur arrache par les anciennes blessures. Cependant, les yeux fixes et ardents, la bouche entrouverte, les dents serrees, La Mole avancait a petits pas fermes et secs sur son adversaire qui, reconnaissant en lui un maitre en fait d'armes, rompait aussi pas a pas, mais enfin rompait. Tous deux arriverent ainsi jusqu'au bord du fosse, de l'autre cote duquel se trouvaient les spectateurs. La, comme si sa retraite eut ete un simple calcul pour se rapprocher de sa dame, Coconnas s'arreta, et, sur un degagement un peu large de La Mole, fournit avec la rapidite de l'eclair un coup droit, et a l'instant meme le pourpoint de satin blanc de La Mole s'imbiba d'une tache rouge qui alla s'elargissant. -- Courage! cria la duchesse de Nevers. -- Ah! pauvre La Mole! fit Marguerite avec un cri de douleur. La Mole entendit ce cri, lanca a la reine un de ces regards qui penetrent plus profondement dans le coeur que la pointe d'une epee, et sur un cercle trompe se fendit a fond. Cette fois les deux femmes jeterent deux cris qui n'en firent qu'un. La pointe de la rapiere de La Mole avait apparu sanglante derriere le dos de Coconnas. Cependant ni l'un ni l'autre ne tomba: tous deux resterent debout, se regardant la bouche ouverte, sentant chacun de son cote qu'au moindre mouvement qu'il ferait l'equilibre allait lui manquer. Enfin le Piemontais, plus dangereusement blesse que son adversaire, et sentant que ses forces allaient fuir avec son sang, se laissa tomber sur La Mole, l'etreignant d'un bras, tandis que de l'autre il cherchait a degainer son poignard. De son cote, La Mole reunit toutes ses forces, leva la main et laissa retomber le pommeau de son epee au milieu du front de Coconnas, qui, etourdi du coup, tomba; mais en tombant il entraina son adversaire dans sa chute, si bien que tous deux roulerent dans le fosse. Aussitot Marguerite et la duchesse de Nevers, voyant que tout mourants qu'ils etaient ils cherchaient encore a s'achever, se precipiterent, aidees du capitaine des gardes. Mais avant qu'elles fussent arrivees a eux, les mains se detendirent, les yeux se refermerent, et chacun des combattants, laissant echapper le fer qu'il tenait, se raidit dans une convulsion supreme. Un large flot de sang ecumait autour d'eux. -- Oh! brave, brave La Mole! s'ecria Marguerite, incapable de renfermer plus longtemps en elle son admiration. Ah! pardon, mille fois pardon de t'avoir soupconne! Et ses yeux se remplirent de larmes. -- Helas! helas! murmura la duchesse, valeureux Annibal... Dites, dites, madame, avez-vous jamais vu deux plus intrepides lions? Et elle eclata en sanglots. -- Tudieu! les rudes coups! dit le capitaine en cherchant a etancher le sang qui coulait a flots... Hola! vous qui venez, venez plus vite! En effet, un homme, assis sur le devant d'une espece de tombereau peint en rouge, apparaissait dans la brume du soir, chantant cette vieille chanson que lui avait sans doute rappelee le miracle du cimetiere des Innocents: _Bel aubespin fleurissant,_ _Verdissant,_ __ _Le long de ce beau rivage,_ _Tu es vetu, jusqu'au bas,_ _Des longs bras_ _D'une lambrusche sauvage._ __ _Le chantre rossignolet,_ _Nouvelet,_ __ _Courtisant sa bien-aimee,_ _Pour ses amours alleger,_ _Vient loger_ _Tous les ans sous la ramee._ __ _Or, vis, gentil aubespin,_ _Vis sans fin;_ __ _Vis, sans que jamais tonnerre_ _Ou la cognee, ou les vents,_ _Ou le temps_ _Te puissent ruer par..._ _-- _Hola he! repeta le capitaine, venez donc quand on vous appelle! Ne voyez-vous pas que ces gentilshommes ont besoin de secours? L'homme au chariot, dont l'exterieur repoussant et le visage rude formaient un contraste etrange avec la douce et bucolique chanson que nous venons de citer, arreta alors son cheval, descendit, et se baissant sur les deux corps: -- Voila de belles plaies, dit-il; mais j'en fais encore de meilleures. -- Qui donc etes-vous? demanda Marguerite ressentant malgre elle une certaine terreur qu'elle n'avait pas la force de vaincre. -- Madame, repondit cet homme en s'inclinant jusqu'a terre, je suis maitre Caboche, bourreau de la prevote de Paris, et je venais accrocher a ce gibet des compagnons pour M. l'amiral. -- Eh bien, moi, je suis la reine de Navarre, repondit Marguerite; jetez la vos cadavres, etendez dans votre chariot les housses de nos chevaux, et ramenez doucement derriere nous ces deux gentilshommes au Louvre. XVII Le confrere de maitre Ambroise Pare Le tombereau dans lequel on avait place Coconnas et La Mole reprit la route de Paris, suivant dans l'ombre le groupe qui lui servait de guide. Il s'arreta au Louvre; le conducteur recut un riche salaire. On fit transporter les blesses chez M. le duc d'Alencon, et l'on envoya chercher maitre Ambroise Pare. Lorsqu'il arriva, ni l'un ni l'autre n'avaient encore repris connaissance. La Mole etait le moins maltraite des deux: le coup d'epee l'avait frappe au-dessous de l'aisselle droite, mais n'avait offense aucun organe essentiel; quant a Coconnas, il avait le poumon traverse, et le souffle qui sortait par la blessure faisait vaciller la flamme d'une bougie. Maitre Ambroise Pare ne repondait pas de Coconnas. Madame de Nevers etait desesperee; c'etait elle qui, confiante dans la force, dans l'adresse et le courage du Piemontais, avait empeche Marguerite de s'opposer au combat. Elle eut bien fait porter Coconnas a l'hotel de Guise pour lui renouveler dans cette seconde occasion les soins de la premiere; mais d'un moment a l'autre son mari pouvait arriver de Rome, et trouver etrange l'installation d'un intrus dans le domicile conjugal. Pour cacher la cause des blessures, Marguerite avait fait porter les deux jeunes gens chez son frere, ou l'un d'eux, d'ailleurs, etait deja installe, en disant que c'etaient deux gentilshommes qui s'etaient laisses choir de cheval pendant la promenade; mais la verite fut divulguee par l'admiration du capitaine temoin du combat, et l'on sut bientot a la cour que deux nouveaux raffines venaient de naitre au grand jour de la renommee. Soignes par le meme chirurgien qui partageait ses soins entre eux, les deux blesses parcoururent les differentes phases de convalescence qui ressortaient du plus ou du moins de gravite de leurs blessures. La Mole, le moins grievement atteint des deux, reprit le premier connaissance. Quant a Coconnas, une fievre terrible s'etait emparee de lui, et son retour a la vie fut signale par tous les signes du plus affreux delire. Quoique enferme dans la meme chambre que Coconnas, La Mole, en reprenant connaissance, n'avait pas vu son compagnon, ou n'avait par aucun signe indique qu'il le vit. Coconnas tout au contraire, en rouvrant les yeux, les fixa sur La Mole, et cela avec une expression qui eut pu prouver que le sang que le Piemontais venait de perdre n'avait en rien diminue les passions de ce temperament de feu. Coconnas pensa qu'il revait, et que dans son reve il retrouvait l'ennemi que deux fois il croyait avoir tue; seulement le reve se prolongeait outre mesure. Apres avoir vu La Mole couche comme lui, panse comme lui par le chirurgien, il vit La Mole se soulever sur ce lit, ou lui-meme etait cloue encore par la fievre, la faiblesse et la douleur, puis en descendre, puis marcher au bras du chirurgien, puis marcher avec une canne, puis enfin marcher tout seul. Coconnas, toujours en delire, regardait toutes ces differentes periodes de la convalescence de son compagnon d'un regard tantot atone, tantot furieux, mais toujours menacant. Tout cela offrait, a l'esprit brulant du Piemontais un melange effrayant de fantastique et de reel. Pour lui, La Mole etait mort, bien mort, et meme plutot deux fois qu'une, et cependant il reconnaissait l'ombre de ce La Mole couchee dans un lit pareil au sien; puis il vit, comme nous l'avons dit, l'ombre se lever, puis l'ombre marcher, et, chose effrayante, marcher vers son lit. Cette ombre, que Coconnas eut voulu fuir, fut-ce au fond des enfers, vint droit a lui et s'arreta a son chevet, debout et le regardant; il y avait meme dans ses traits un sentiment de douceur et de compassion que Coconnas prit pour l'expression d'une derision infernale. Alors s'alluma, dans cet esprit, plus malade peut-etre que le corps, une aveugle passion de vengeance. Coconnas n'eut plus qu'une preoccupation, celle de se procurer une arme quelconque, et, avec cette arme, de frapper ce corps ou cette ombre de La Mole qui le tourmentait si cruellement. Ses habits avaient ete deposes sur une chaise, puis emportes; car, tout souilles de sang qu'ils etaient, on avait juge a propos de les eloigner du blesse, mais on avait laisse sur la meme chaise son poignard dont on ne supposait pas qu'avant longtemps il eut l'envie de se servir. Coconnas vit le poignard; pendant trois nuits, profitant du moment ou La Mole dormait, il essaya d'etendre la main jusqu'a lui; trois fois la force lui manqua, et il s'evanouit. Enfin la quatrieme nuit, il atteignit l'arme, la saisit du bout de ses doigts crispes, et, en poussant un gemissement arrache par la douleur, il la cacha sous son oreiller. Le lendemain, il vit quelque chose d'inoui jusque-la: l'ombre de La Mole, qui semblait chaque jour reprendre de nouvelles forces, tandis que lui, sans cesse occupe de la vision terrible, usait les siennes dans l'eternelle trame du complot qui devait l'en debarrasser; l'ombre de La Mole, devenue de plus en plus alerte, fit, d'un air pensif, deux ou trois tours dans la chambre; puis enfin, apres avoir ajuste son manteau, ceint son epee, coiffe sa tete d'un feutre a larges bords, ouvrit la porte et sortit. Coconnas respira; il se crut debarrasse de son fantome. Pendant deux ou trois heures son sang circula dans ses veines plus calme et plus rafraichi qu'il n'avait jamais encore ete depuis le moment du duel; un jour d'absence de La Mole eut rendu la connaissance a Coconnas, huit jours l'eussent gueri peut-etre; malheureusement La Mole rentra au bout de deux heures. Cette rentree fut pour le Piemontais un veritable coup de poignard, et, quoique La Mole ne rentrat point seul, Coconnas n'eut pas un regard pour son compagnon. Son compagnon meritait cependant bien qu'on le regardat. C'etait un homme d'une quarantaine d'annees, court, trapu, vigoureux, avec des cheveux noirs qui descendaient jusqu'aux sourcils, et une barbe noire qui, contre la mode du temps, couvrait tout le bas de son visage; mais le nouveau venu paraissait peu s'occuper de mode. Il avait une espece de justaucorps de cuir tout macule de taches brunes, de chausses sang-de-boeuf, un maillot rouge, de gros souliers de cuir montant au-dessus de la cheville, un bonnet de la meme couleur que ses chausses, et la taille serree par une large ceinture a laquelle pendait un couteau cache dans sa gaine. Cet etrange personnage, dont la presence semblait une anomalie dans le Louvre, jeta sur une chaise le manteau brun qui l'enveloppait, et s'approcha brutalement du lit de Coconnas, dont les yeux, comme par une fascination singuliere, demeuraient constamment fixes sur La Mole, qui se tenait a distance. Il regarda le malade, et secouant la tete: -- Vous avez attendu bien tard, mon gentilhomme! dit-il. -- Je ne pouvais pas sortir plus tot, dit La Mole. -- Eh! pardieu! il fallait m'envoyer chercher. -- Par qui? -- Ah! c'est vrai! J'oubliais ou nous sommes. Je l'avais dit a ces dames; mais elles n'ont point voulu m'ecouter. Si l'on avait suivi mes ordonnances, au lieu de s'en rapporter a celles de cet ane bate que l'on nomme Ambroise Pare, vous seriez depuis longtemps en etat ou de courir les aventures ensemble, ou de vous redonner un autre coup d'epee si c'etait votre bon plaisir; enfin on verra. Entend-il raison, votre ami? -- Pas trop. -- Tirez la langue, mon gentilhomme. Coconnas tira la langue a La Mole en faisant une si affreuse grimace, que l'examinateur secoua une seconde fois la tete. -- Oh! oh! murmura-t-il, contraction des muscles. Il n'y a pas de temps a perdre. Ce soir meme je vous enverrai une potion toute preparee qu'on lui fera prendre en trois fois, d'heure en heure: une fois a minuit, une fois a une heure, une fois a deux heures. -- Bien. -- Mais qui la lui fera prendre, cette potion? -- Moi. -- Vous-meme? -- Oui. -- Vous m'en donnez votre parole? -- Foi de gentilhomme! -- Et si quelque medecin voulait en soustraire la moindre partie pour la decomposer et voir de quels ingredients elle est formee... -- Je la renverserais jusqu'a la derniere goutte. -- Foi de gentilhomme aussi? -- Je vous le jure. -- Par qui vous enverrai-je cette potion? -- Par qui vous voudrez. -- Mais mon envoye... -- Eh bien? -- Comment penetrera-t-il jusqu'a vous? -- C'est prevu. Il dira qu'il vient de la part de M. Rene le parfumeur. -- Ce Florentin qui demeure sur le pont Saint-Michel? -- Justement. Il a ses entrees au Louvre a toute heure du jour et de la nuit. L'homme sourit. -- En effet, dit-il, c'est bien le moins que lui doive la reine mere. C'est dit, on viendra de la part de maitre Rene le parfumeur. Je puis bien prendre son nom une fois: il a assez souvent, sans etre patente, exerce ma profession. -- Eh bien, dit La Mole, je compte donc sur vous? -- Comptez-y. -- Quant au paiement... -- Oh! nous reglerons cela avec le gentilhomme lui-meme quand il sera sur pied. -- Et soyez tranquille, je crois qu'il sera en etat de vous recompenser genereusement. -- Moi aussi, je crois. Mais, ajouta-t-il avec un singulier sourire, comme ce n'est pas l'habitude des gens qui ont affaire a moi d'etre reconnaissants, cela ne m'etonnerait point qu'une fois sur ses pieds il oubliat ou plutot ne se souciat point de se souvenir de moi. -- Bon! bon! dit La Mole en souriant a son tour; en ce cas je serai la pour lui en rafraichir la memoire. -- Allons, soit! dans deux heures vous aurez la potion. -- Au revoir. -- Vous dites? -- Au revoir. L'homme sourit. -- Moi, reprit-il, j'ai l'habitude de dire toujours adieu. Adieu donc, monsieur de la Mole; dans deux heures vous aurez votre potion. Vous entendez, elle doit etre prise a minuit... en trois doses... d'heure en heure. Sur quoi il sourit, et La Mole resta seul avec Coconnas. Coconnas avait entendu toute cette conversation, mais n'y avait rien compris: un vain bruit de paroles, un vain cliquetis de mots etaient arrives jusqu'a lui. De tout cet entretien, il n'avait retenu que le mot: Minuit. Il continua donc de suivre de son regard ardent La Mole, qui continua, lui, de demeurer dans la chambre, revant et se promenant. Le docteur inconnu tint parole, et a l'heure dite envoya la potion, que La Mole mit sur un petit rechaud d'argent. Puis, cette precaution prise, il se coucha. Cette action de La Mole donna un peu de repos a Coconnas; il essaya de fermer les yeux a son tour, mais son assoupissement fievreux n'etait qu'une suite de sa veille delirante. Le meme fantome qui le poursuivait le jour venait le relancer la nuit; a travers ses paupieres arides, il continuait de voir La Mole toujours menacant, puis une voix repetait a son oreille: Minuit! minuit! minuit! Tout a coup le timbre vibrant de l'horloge s'eveilla dans la nuit et frappa douze fois. Coconnas rouvrit ses yeux enflammes; le souffle ardent de sa poitrine devorait ses levres arides; une soif inextinguible consumait son gosier embrase; la petite lampe de nuit brulait comme d'habitude, et a sa terne lueur faisait danser mille fantomes aux regards vacillants de Coconnas. Il vit alors, chose effrayante! La Mole descendre de son lit; puis, apres avoir fait un tour ou deux dans sa chambre, comme fait l'epervier devant l'oiseau qu'il fascine, s'avancer jusqu'a lui en lui montrant le poing. Coconnas etendit la main vers son poignard, le saisit par le manche, et s'appreta a eventrer son ennemi. La Mole approchait toujours. Coconnas murmurait: -- Ah! c'est toi, toi encore, toi toujours! Viens. Ah! tu me menaces, tu me montres le poing, tu souris! viens, viens! Ah! tu continues d'approcher tout doucement, pas a pas; viens, viens, que je te massacre! Et en effet, joignant le geste a cette sourde menace, au moment ou La Mole se penchait vers lui, Coconnas fit jaillir de dessous ses draps l'eclair d'une lame; mais l'effort que le Piemontais fit en se soulevant brisa ses forces: le bras etendu vers La Mole s'arreta a moitie chemin, le poignard echappa a sa main debile, et le moribond retomba sur son oreiller. -- Allons, allons, murmura La Mole en soulevant doucement sa tete et en approchant une tasse de ses levres, buvez cela, mon pauvre camarade, car vous brulez. C'etait en effet une tasse que La Mole presentait a Coconnas, et que celui-ci avait prise pour ce poing menacant dont s'etait effarouche le cerveau vide du blesse. Mais, au contact veloute de la liqueur bienfaisante humectant ses levres et rafraichissant sa poitrine, Coconnas reprit sa raison ou plutot son instinct: il sentit se repandre en lui un bien-etre comme jamais il n'en avait eprouve; il ouvrit un oeil intelligent sur La Mole, qui le tenait entre ses bras et lui souriait, et, de cet oeil contracte naguere par une fureur sombre, une petite larme imperceptible roula sur sa joue ardente, qui la but avidement. -- Mordi! murmura Coconnas en se laissant aller sur son traversin, si j'en rechappe, monsieur de la Mole, vous serez mon ami. -- Et vous en rechapperez, mon camarade, dit La Mole, si vous voulez boire trois tasses comme celle que je viens de vous donner, et ne plus faire de vilains reves. Une heure apres, La Mole, constitue en garde-malade et obeissant ponctuellement aux ordonnances du docteur inconnu, se leva une seconde fois, versa une seconde portion de la liqueur dans une tasse, et porta cette tasse a Coconnas. Mais cette fois le Piemontais, au lieu de l'attendre le poignard a la main, le recut les bras ouverts, et avala son breuvage avec delices, puis pour la premiere fois s'endormit avec tranquillite. La troisieme tasse eut un effet non moins merveilleux. La poitrine du malade commenca de laisser passer un souffle regulier, quoique haletant encore. Ses membres raidis se detendirent, une douce moiteur s'epandit a la surface de la peau brulante; et lorsque le lendemain maitre Ambroise Pare vint visiter le blesse, il sourit avec satisfaction en disant: -- A partir de ce moment je reponds de M. de Coconnas, et ce ne sera pas une des moins belles cures que j'aurai faites. Il resulta de cette scene moitie dramatique, moitie burlesque, mais qui ne manquait pas au fond d'une certaine poesie attendrissante, eu egard aux moeurs farouches de Coconnas, que l'amitie des deux gentilshommes, commencee a l'auberge de la Belle-Etoile, et violemment interrompue par les evenements de la nuit de la Saint-Barthelemy, reprit des lors avec une nouvelle vigueur, et depassa bientot celles d'Oreste et de Pylade de cinq coups d'epee et d'un coup de pistolet repartis sur leurs deux corps. Quoi qu'il en soit, blessures vieilles et nouvelles, profondes et legeres, se trouverent enfin en voie de guerison. La Mole, fidele a sa mission de garde-malade, ne voulut point quitter la chambre que Coconnas ne fut entierement gueri. Il le souleva dans son lit tant que sa faiblesse l'y enchaina, l'aida a marcher quand il commenca de se soutenir, enfin eut pour lui tous les soins qui ressortaient de sa nature douce et aimante, et qui, secondes par la vigueur du Piemontais, amenerent une convalescence plus rapide qu'on n'avait le droit de l'esperer. Cependant une seule et meme pensee tourmentait les deux jeunes gens: chacun dans le delire de sa fievre avait bien cru voir s'approcher de lui la femme qui remplissait tout son coeur; mais depuis que chacun avait repris connaissance, ni Marguerite ni madame de Nevers n'etaient certainement entrees dans la chambre. Au reste, cela se comprenait: l'une, femme du roi de Navarre, l'autre, belle-soeur du duc de Guise pouvaient-elles donner aux yeux de tous une marque si publique d'interet a deux simples gentilshommes? Non. C'etait bien certainement la reponse que devaient se faire La Mole et Coconnas. Mais cette absence, qui tenait peut-etre a un oubli total, n'en etait pas moins douloureuse. Il est vrai que le gentilhomme qui avait assiste au combat etait venu de temps en temps, et comme de son propre mouvement, demander des nouvelles des deux blesses. Il est vrai que Gillonne, pour son propre compte, en avait fait autant; mais La Mole n'avait point ose parler a l'une de Marguerite, et Coconnas n'avait point ose parler a l'autre de madame de Nevers. XVIII Les revenants Pendant quelque temps les deux jeunes gens garderent chacun de son cote le secret enferme dans sa poitrine. Enfin, dans un jour d'expansion, la pensee qui les preoccupait seule deborda de leurs levres, et tous deux corroborerent leur amitie par cette derniere preuve, sans laquelle il n'y a pas d'amitie, c'est-a-dire par une confiance entiere. Ils etaient eperdument amoureux, l'un d'une princesse, l'autre d'une reine. Il y avait pour les deux pauvres soupirants quelque chose d'effrayant dans cette distance presque infranchissable qui les separait de l'objet de leurs desirs. Et cependant l'esperance est un sentiment si profondement enracine au coeur de l'homme, que, malgre la folie de leur esperance, ils esperaient. Tous deux, au reste, a mesure qu'ils revenaient a eux, soignaient fort leur visage. Chaque homme, meme le plus indifferent aux avantages physiques, a, dans certaines circonstances, avec son miroir des conversations muettes, des signes d'intelligence, apres lesquels il s'eloigne presque toujours de son confident, fort satisfait de l'entretien. Or, nos deux jeunes gens n'etaient point de ceux a qui leurs miroirs devaient donner de trop rudes avis. La Mole, mince, pale et elegant, avait la beaute de la distinction; Coconnas, vigoureux, bien decouple, haut en couleur, avait la beaute de la force. Il y avait meme plus: pour ce dernier, la maladie avait ete un avantage. Il avait maigri, il avait pali; enfin, la fameuse balafre qui lui avait jadis donne tant de tracas par ses rapports prismatiques avec l'arc-en-ciel avait disparu, annoncant probablement, comme le phenomene postdiluvien, une longue suite de jours purs et de nuits sereines. Au reste les soins les plus delicats continuaient d'entourer les deux blesses; le jour ou chacun d'eux avait pu se lever, il avait trouve une robe de chambre sur le fauteuil le plus proche de son lit; le jour ou il avait pu se vetir, un habillement complet. Il y a plus, dans la poche de chaque pourpoint il y avait une bourse largement fournie, que chacun d'eux ne garda, bien entendu, que pour la rendre en temps et lieu au protecteur inconnu qui veillait sur lui. Ce protecteur inconnu ne pouvait etre le prince chez lequel logeaient les deux jeunes gens, car ce prince, non seulement n'etait pas monte une seule fois chez eux pour les voir, mais encore n'avait pas fait demander de leurs nouvelles. Un vague espoir disait tout bas a chaque coeur que ce protecteur inconnu etait la femme qu'il aimait. Aussi les deux blesses attendaient-ils avec une impatience sans egale le moment de leur sortie. La Mole, plus fort et mieux gueri que Coconnas, aurait pu operer la sienne depuis longtemps; mais une espece de convention tacite le liait au sort de son ami. Il etait convenu que leur premiere sortie serait consacree a trois visites. La premiere, au docteur inconnu dont le breuvage veloute avait opere sur la poitrine enflammee de Coconnas une si notable amelioration. La seconde, a l'hotel de defunt maitre La Huriere, ou chacun d'eux avait laisse valise et cheval. La troisieme, au Florentin Rene, lequel, joignant a son titre de parfumeur celui de magicien, vendait non seulement des cosmetiques et des poisons, mais encore composait des philtres et rendait des oracles. Enfin, apres deux mois passes de convalescence et de reclusion, ce jour tant attendu arriva. Nous avons dit de reclusion, c'est le mot qui convient, car plusieurs fois, dans leur impatience, ils avaient voulu hater ce jour; mais une sentinelle placee a la porte leur avait constamment barre le passage, et ils avaient appris qu'ils ne sortiraient que sur un _exeat_ de maitre Ambroise Pare. Or, un jour, l'habile chirurgien ayant reconnu que les deux malades etaient, sinon completement gueris, du moins en voie de complete guerison, avait donne cet _exeat_, et vers les deux heures de l'apres-midi, par une de ces belles journees d'automne, comme Paris en offre parfois a ses habitants etonnes qui ont deja fait provision de resignation pour l'hiver, les deux amis, appuyes au bras l'un de l'autre, mirent le pied hors du Louvre. La Mole, qui avait retrouve avec grand plaisir sur un fauteuil le fameux manteau cerise qu'il avait plie avec tant de soin avant le combat, s'etait constitue le guide de Coconnas, et Coconnas se laissait guider sans resistance et meme sans reflexion. Il savait que son ami le conduisait chez le docteur inconnu dont la potion, non patentee, l'avait gueri en une seule nuit, quand toutes les drogues de maitre Ambroise Pare le tuaient lentement. Il avait fait deux parts de l'argent renferme dans sa bourse, c'est-a-dire de deux cents nobles a la rose, et il en avait destine cent a recompenser l'Esculape anonyme auquel il devait sa convalescence: Coconnas ne craignait pas la mort, mais Coconnas n'en etait pas moins fort aise de vivre; aussi, comme on le voit, s'appretait-il a recompenser genereusement son sauveur. La Mole prit la rue de l'Astruce, la grande rue Saint Honore, la rue des Prouvelles, et se trouva bientot sur la place des Halles. Pres de l'ancienne fontaine et a l'endroit que l'on designe aujourd'hui par le nom de _Carreau des Halles_, s'elevait une construction octogone en maconnerie surmontee d'une vaste lanterne de bois, surmontee elle-meme par un toit pointu, au sommet duquel grincait une girouette. Cette lanterne de bois offrait huit ouvertures que traversait, comme cette piece heraldique qu'on appelle la _fasce_ traverse le champ du blason, une espece de roue en bois, laquelle se divisait par le milieu, afin de prendre dans des echancrures taillees a cet effet la tete et les mains du condamne ou des condamnes que l'on exposait a l'une ou l'autre, ou a plusieurs de ces huit ouvertures. Cette construction etrange, qui n'avait son analogue dans aucune des constructions environnantes, s'appelait le pilori. Une maison informe, bossue, eraillee, borgne et boiteuse, au toit tache de mousse comme la peau d'un lepreux, avait, pareille a un champignon, pousse au pied de cette espece de tour. Cette maison etait celle du bourreau. Un homme etait expose et tirait la langue aux passants; c'etait un des voleurs qui avaient exerce autour du gibet de Montfaucon, et qui avait par hasard ete arrete dans l'exercice de ses fonctions. Coconnas crut que son ami l'amenait voir ce curieux spectacle; il se mela a la foule des amateurs qui repondaient aux grimaces du patient par des vociferations et des huees. Coconnas etait naturellement cruel, et ce spectacle l'amusa fort; seulement, il eut voulu qu'au lieu des huees et des vociferations, ce fussent des pierres que l'on jetat au condamne assez insolent pour tirer la langue aux nobles seigneurs qui lui faisaient l'honneur de le visiter. Aussi, lorsque la lanterne mouvante tourna sur sa base pour faire jouir une autre partie de la place de la vue du patient, et que la foule suivit le mouvement de la lanterne, Coconnas voulut-il suivre le mouvement de la foule, mais La Mole l'arreta en lui disant a demi-voix: -- Ce n'est point pour cela que nous sommes venus ici. -- Et pourquoi donc sommes-nous venus, alors? demanda Coconnas. -- Tu vas le voir, repondit La Mole. Les deux amis se tutoyaient depuis le lendemain de cette fameuse nuit ou Coconnas avait voulu eventrer La Mole. Et La Mole conduisit Coconnas droit a la petite fenetre de cette maison adossee a la tour et sur l'appui de laquelle se tenait un homme accoude. -- Ah! ah! c'est vous, Messeigneurs! dit l'homme en soulevant son bonnet sang-de-boeuf et en decouvrant sa tete aux cheveux noirs et epais descendant jusqu'a ses sourcils, soyez les bienvenus. -- Quel est cet homme? demanda Coconnas cherchant a rappeler ses souvenirs, car il lui sembla avoir vu cette tete-la pendant un des moments de sa fievre. -- Ton sauveur, mon cher ami, dit La Mole, celui qui t'a apporte au Louvre cette boisson rafraichissante qui t'a fait tant de bien. -- Oh! oh! fit Coconnas; en ce cas, mon ami... Et il lui tendit la main. Mais l'homme, au lieu de correspondre a cette avance par un geste pareil, se redressa, et, en se redressant, s'eloigna des deux amis de toute la distance qu'occupait la courbe de son corps. -- Monsieur, dit-il a Coconnas, merci de l'honneur que vous voulez bien me faire; mais il est probable que si vous me connaissiez vous ne me le feriez pas. -- Ma foi, dit Coconnas, je declare que quand vous seriez le diable je me tiens pour votre oblige, car sans vous je serais mort a cette heure. -- Je ne suis pas tout a fait le diable, repondit l'homme au bonnet rouge; mais souvent beaucoup aimeraient mieux voir le diable que de me voir. -- Qui etes-vous donc? demanda Coconnas. -- Monsieur, repondit l'homme, je suis maitre Caboche, bourreau de la prevote de Paris! ... -- Ah! ... fit Coconnas en retirant sa main. -- Vous voyez bien! dit maitre Caboche. -- Non pas! je toucherai votre main, ou le diable m'emporte! Etendez-la... -- En verite? -- Toute grande. -- Voici! -- Plus grande... encore... bien! ... Et Coconnas prit dans sa poche la poignee d'or preparee pour son medecin anonyme et la deposa dans la main du bourreau. -- J'aurais mieux aime votre main seule, dit maitre Caboche en secouant la tete, car je ne manque pas d'or; mais de mains qui touchent la mienne, tout au contraire, j'en chome fort. N'importe! Dieu vous benisse, mon gentilhomme. -- Ainsi donc, mon ami, dit Coconnas regardant avec curiosite le bourreau, c'est vous qui donnez la gene, qui rouez, qui ecartelez, qui coupez les tetes, qui brisez les os. Ah! ah! je suis bien aise d'avoir fait votre connaissance. -- Monsieur, dit maitre Caboche, je ne fais pas tout moi-meme; car, ainsi que vous avez vos laquais, vous autres seigneurs, pour faire ce que vous ne voulez pas faire, moi j'ai mes aides, qui font la grosse besogne et qui expedient les manants. Seulement, quand par hasard j'ai affaire a des gentilshommes, comme vous et votre compagnon par exemple, oh! alors c'est autre chose, et je me fais un honneur de m'acquitter moi-meme de tous les details de l'execution, depuis le premier jusqu'au dernier, c'est-a-dire la question jusqu'au decollement. Coconnas sentit malgre lui courir un frisson dans ses veines, comme si le coin brutal pressait ses jambes et comme si le fil de l'acier effleurait son cou. La Mole, sans se rendre compte de la cause, eprouva la meme sensation. Mais Coconnas surmonta cette emotion dont il avait honte, et voulant prendre conge de maitre Caboche par une derniere plaisanterie: -- Eh bien, maitre! lui dit-il, je retiens votre parole quand ce sera mon tour de monter a la potence d'Enguerrand de Marigny ou sur l'echafaud de M. de Nemours, il n'y aura que vous qui me toucherez. -- Je vous le promets. -- Cette fois, dit Coconnas, voici ma main en gage que j'accepte votre promesse. Et il etendit vers le bourreau une main que le bourreau toucha timidement de la sienne, quoiqu'il fut visible qu'il eut grande envie de la toucher franchement. A ce simple attouchement, Coconnas palit legerement, mais le meme sourire demeura sur ses levres; tandis que La Mole, mal a l'aise, et voyant la foule tourner avec la lanterne et se rapprocher d'eux, le tirait par son manteau. Coconnas, qui, au fond, avait aussi grande envie que La Mole de mettre fin a cette scene dans laquelle, par la pente naturelle de son caractere, il s'etait trouve enfonce plus qu'il n'eut voulu, fit un signe de tete et s'eloigna. -- Ma foi! dit La Mole quand lui et son compagnon furent arrives a la croix du Trahoir, conviens que l'on respire mieux ici que sur la place des Halles? -- J'en conviens, dit Coconnas, mais je n'en suis pas moins fort aise d'avoir fait connaissance avec maitre Caboche. Il est bon d'avoir des amis partout. -- Meme a l'enseigne de la Belle-Etoile, dit La Mole en riant. -- Oh! pour le pauvre maitre La Huriere, dit Coconnas, celui-la est mort et bien mort. J'ai vu la flamme de l'arquebuse, j'ai entendu le coup de la balle qui a resonne comme s'il eut frappe sur le bourdon de Notre-Dame, et je l'ai laisse etendu dans le ruisseau avec le sang qui lui sortait par le nez et par la bouche. En supposant que ce soit un ami, c'est un ami que nous avons dans l'autre monde. Tout en causant ainsi, les deux jeunes gens entrerent dans la rue de l'Arbre-Sec et s'acheminerent vers l'enseigne de la Belle- Etoile, qui continuait de grincer a la meme place, offrant toujours au voyageur son atre gastronomique et son appetissante legende. Coconnas et La Mole s'attendaient a trouver la maison desesperee, la veuve en deuil, et les marmitons un crepe au bras; mais, a leur grand etonnement, ils trouverent la maison en pleine activite, madame La Huriere fort resplendissante, et les garcons plus joyeux que jamais. -- Oh! l'infidele! dit La Mole, elle se sera remariee! Puis s'adressant a la nouvelle Artemise: -- Madame, lui dit-il, nous sommes deux gentilshommes de la connaissance de ce pauvre M. La Huriere. Nous avons laisse ici deux chevaux et deux valises que nous venons reclamer. -- Messieurs, repondit la maitresse de la maison apres avoir essaye de rappeler ses souvenirs, comme je n'ai pas l'honneur de vous reconnaitre, je vais, si vous le voulez bien, appeler mon mari... Gregoire, faites venir votre maitre. Gregoire passa de la premiere cuisine, qui etait le pandemonium general, dans la seconde, qui etait le laboratoire ou se confectionnaient les plats que maitre La Huriere, de son vivant, jugeait dignes d'etre prepares par ses savantes mains. -- Le diable m'emporte, murmura Coconnas, si cela ne me fait pas de la peine de voir cette maison si gaie quand elle devrait etre si triste! Pauvre La Huriere, va! -- Il a voulu me tuer, dit La Mole, mais je lui pardonne de grand coeur. La Mole avait a peine prononce ces paroles, qu'un homme apparut tenant a la main une casserole au fond de laquelle il faisait roussir des oignons qu'il tournait avec une cuiller de bois. La Mole et Coconnas jeterent un cri de surprise. A ce cri l'homme releva la tete, et, repondant par un cri pareil, laissa echapper sa casserole, ne conservant a la main que sa cuiller de bois. -- _In nomine Patris_, dit l'homme en agitant sa cuiller comme il eut fait d'un goupillon, _et Filii, et Spiritus sancti..._ _-- _Maitre La Huriere! s'ecrierent les jeunes gens. -- Messieurs de Coconnas et de la Mole! dit La Huriere. -- Vous n'etes donc pas mort? fit Coconnas. -- Mais vous etes donc vivants? demanda l'hote. -- Je vous ai vu tomber, cependant, dit Coconnas; j'ai entendu le bruit de la balle qui vous cassait quelque chose, je ne sais pas quoi. Je vous ai laisse couche dans le ruisseau, perdant le sang par le nez, par la bouche et meme par les yeux. -- Tout cela est vrai comme l'Evangile, monsieur de Coconnas. Mais, ce bruit que vous avez entendu, c'etait celui de la balle frappant sur ma salade, sur laquelle, heureusement, elle s'est aplatie; mais le coup n'en a pas ete moins rude, et la preuve, ajouta La Huriere en levant son bonnet et montrant sa tete pelee comme un genou, c'est que, comme vous le voyez, il ne m'en est pas reste un cheveu. Les deux jeunes gens eclaterent de rire en voyant cette figure grotesque. -- Ah! ah! vous riez! dit La Huriere un peu rassure, vous ne venez donc pas avec de mauvaises intentions? -- Et vous, maitre La Huriere, vous etes donc gueri de vos gouts belliqueux? -- Oui, ma foi, oui, messieurs; et maintenant... -- Eh bien? maintenant... -- Maintenant, j'ai fait voeu de ne plus voir d'autre feu que celui de ma cuisine. -- Bravo! dit Coconnas, voila qui est prudent. Maintenant, ajouta le Piemontais, nous avons laisse dans vos ecuries deux chevaux, et dans vos chambres deux valises. -- Ah diable! fit l'hote se grattant l'oreille. -- Eh bien? -- Deux chevaux, vous dites? -- Oui, dans l'ecurie. -- Et deux valises? -- Oui, dans la chambre. -- C'est que, voyez-vous... vous m'aviez cru mort, n'est-ce pas? -- Certainement. -- Vous avouez que, puisque vous vous etes trompes, je pouvais bien me tromper de mon cote. -- En nous croyant morts aussi? vous etiez parfaitement libre. -- Ah! voila! ... c'est que, comme vous mouriez intestat..., continua maitre La Huriere. -- Apres? -- J'ai cru, j'ai eu tort, je le vois bien maintenant... -- Qu'avez-vous cru, voyons? -- J'ai cru que je pouvais heriter de vous. -- Ah! ah! firent les deux jeunes gens. -- Je n'en suis pas moins on ne peut plus satisfait que vous soyez vivants, messieurs. -- De sorte que vous avez vendu nos chevaux? dit Coconnas. -- Helas! dit La Huriere. -- Et nos valises? continua La Mole. -- Oh! les valises! non..., s'ecria La Huriere, mais seulement ce qu'il y avait dedans. -- Dis donc, La Mole, reprit Coconnas, voila, ce me semble, un hardi coquin... Si nous l'etripions? Cette menace parut faire un grand effet sur maitre La Huriere, qui hasarda ces paroles: -- Mais, messieurs, on peut s'arranger, ce me semble. -- Ecoute, dit La Mole, c'est moi qui ai le plus a me plaindre de toi. -- Certainement, monsieur le comte, car je me rappelle que, dans un moment de folie, j'ai eu l'audace de vous menacer. -- Oui, d'une balle qui m'est passee a deux pouces au-dessus de la tete. -- Vous croyez? -- J'en suis sur. -- Si vous en etes sur, monsieur de la Mole, dit La Huriere en ramassant sa casserole d'un air innocent, je suis trop votre serviteur pour vous dementir. -- Eh bien, dit La Mole, pour ma part, je ne te reclame rien. -- Comment, mon gentilhomme! ... -- Si ce n'est... -- Aie! aie! ... fit La Huriere. -- Si ce n'est un diner pour moi et mes amis toutes les fois que je me trouverai dans ton quartier. -- Comment donc! s'ecria La Huriere ravi, a vos ordres, mon gentilhomme, a vos ordres! -- Ainsi, c'est chose convenue? -- De grand coeur... Et vous, monsieur de Coconnas, continua l'hote, souscrivez-vous au marche? -- Oui; mais, comme mon ami, j'y mets une petite condition. -- Laquelle? -- C'est que vous rendrez a M. de La Mole les cinquante ecus que je lui dois et que je vous ai confies. -- A moi, monsieur! Et quand cela? -- Un quart d'heure avant que vous vendissiez mon cheval et ma valise. La Huriere fit un signe d'intelligence. -- Ah! je comprends! dit-il. Et il s'avanca vers une armoire, en tira, l'un apres l'autre, cinquante ecus qu'il apporta a La Mole. -- Bien, monsieur, dit le gentilhomme, bien! servez-nous une omelette. Les cinquante ecus seront pour M. Gregoire. -- Oh! s'ecria La Huriere, en verite, mes gentilshommes, vous etes des coeurs de princes, et vous pouvez compter sur moi a la vie et a la mort. -- En ce cas, dit Coconnas, faites-nous l'omelette demandee, et n'y epargnez ni le beurre ni le lard. Puis se retournant vers la pendule: -- Ma foi, tu as raison, La Mole, dit-il. Nous avons encore trois heures a attendre, autant donc les passer ici qu'ailleurs. D'autant plus que, si je ne me trompe, nous sommes ici presque a moitie chemin du pont Saint-Michel. Et les deux jeunes gens allerent reprendre a table et dans la petite piece du fond la meme place qu'ils occupaient pendant cette fameuse soiree du 24 aout 1572, pendant laquelle Coconnas avait propose a La Mole de jouer l'un contre l'autre la premiere maitresse qu'ils auraient. Avouons, a l'honneur de la moralite des deux jeunes gens, que ni l'un ni l'autre n'eut l'idee de faire a son compagnon ce soir-la pareille proposition. XIX Le logis de maitre Rene, le parfumeur de la reine mere A l'epoque ou se passe l'histoire que nous racontons a nos lecteurs, il n'existait, pour passer d'une partie de la ville a l'autre, que cinq ponts, les uns de pierre, les autres de bois; encore ces cinq ponts aboutissaient-ils a la Cite. C'etaient le pont des Meuniers, le Pont-au-Change, le pont Notre-Dame, le Petit-Pont et le pont Saint-Michel. Aux autres endroits ou la circulation etait necessaire, des bacs etaient etablis, et tant bien que mal remplacaient les ponts. Ces cinq ponts etaient garnis de maisons, comme l'est encore aujourd'hui le Ponte-Vecchio a Florence. Parmi ces cinq ponts, qui chacun ont leur histoire, nous nous occuperons particulierement, pour le moment, du pont Saint-Michel. Le pont Saint-Michel avait ete bati en pierres en 1373: malgre son apparente solidite, un debordement de la Seine le renversa en partie le 31 janvier 1408; en 1416, il avait ete reconstruit en bois; mais pendant la nuit du 16 decembre 1547 il avait ete emporte de nouveau; vers 1550, c'est-a-dire vingt-deux ans avant l'epoque ou nous sommes arrives, on le reconstruisit en bois, et, quoiqu'on eut deja eu besoin de le reparer, il passait pour assez solide. Au milieu des maisons qui bordaient la ligne du pont, faisant face au petit ilot sur lequel avaient ete brules les Templiers, et ou pose aujourd'hui le terre-plein du Pont-Neuf, on remarquait une maison a panneaux de bois sur laquelle un large toit s'abaissait comme la paupiere d'un oeil immense. A la seule fenetre qui s'ouvrit au premier etage, au-dessus d'une fenetre et d'une porte de rez-de-chaussee hermetiquement fermee, transparaissait une lueur rougeatre qui attirait les regards des passants sur la facade basse, large, peinte en bleu avec de riches moulures dorees. Une espece de frise, qui separait le rez-de-chaussee du premier etage, representait une foule de diables dans des attitudes plus grotesques les unes que les autres, et un large ruban, peint en bleu comme la facade, s'etendait entre la frise et la fenetre du premier, avec cette inscription: _Rene, Florentin, parfumeur de Sa Majeste la reine mere._ La porte de cette boutique, comme nous l'avons dit, etait bien verrouillee; mais, mieux que par ses verrous, elle etait defendue des attaques nocturnes par la reputation si effrayante de son locataire que les passants qui traversaient le pont a cet endroit le traversaient presque toujours en decrivant une courbe qui les rejetait vers l'autre rang de maisons, comme s'ils eussent redoute que l'odeur des parfums ne suat jusqu'a eux par la muraille. Il y avait plus: les voisins de droite et de gauche, craignant sans doute d'etre compromis par le voisinage, avaient, depuis l'installation de maitre Rene sur le pont Saint-Michel, deguerpi l'un et l'autre de leur logis, de sorte que les deux maisons attenantes a la maison de Rene etaient demeurees desertes et fermees. Cependant, malgre cette solitude et cet abandon, des passants attardes avaient vu jaillir, a travers les contrevents fermes de ces maisons vides, certains rayons de lumiere, et assuraient avoir entendu certains bruits pareils a des plaintes, qui prouvaient que des etres quelconques frequentaient ces deux maisons; seulement on ignorait si ces etres appartenaient a ce monde ou a l'autre. Il en resultait que les locataires des deux maisons attenantes aux deux maisons desertes se demandaient de temps en temps s'il ne serait pas prudent a eux de faire a leur tour comme leurs voisins avaient fait. C'etait sans doute a ce privilege de terreur qui lui etait publiquement acquis que maitre Rene avait du de conserver seul du feu apres l'heure consacree. Ni ronde ni guet n'eut ose d'ailleurs inquieter un homme doublement cher a Sa Majeste, en sa qualite de compatriote et de parfumeur. Comme nous supposons que le lecteur cuirasse par le philosophisme du XVIIIe siecle ne croit plus ni a la magie ni aux magiciens, nous l'inviterons a entrer avec nous dans cette habitation qui, a cette epoque de superstitieuse croyance, repandait autour d'elle un si profond effroi. La boutique du rez-de-chaussee est sombre et deserte a partir de huit heures du soir, moment auquel elle se ferme pour ne plus se rouvrir qu'assez avant quelquefois dans la journee du lendemain; c'est la que se fait la vente quotidienne des parfums, des onguents et des cosmetiques de tout genre que debite l'habile chimiste. Deux apprentis l'aident dans cette vente de detail, mais ils ne couchent pas dans la maison; ils couchent rue de la Calandre. Le soir, ils sortent un instant avant que la boutique soit fermee. Le matin, ils se promenent devant la porte jusqu'a ce que la boutique soit ouverte. Cette boutique du rez-de-chaussee est donc, comme nous l'avons dit, sombre et deserte. Dans cette boutique assez large et assez profonde, il y a deux portes, chacune donnant sur un escalier. Un des escaliers rampe dans la muraille meme, et il est lateral: l'autre est exterieur et est visible du quai qu'on appelle aujourd'hui le quai des Augustins, et de la berge qu'on appelle aujourd'hui le quai des Orfevres. Tous deux conduisent a la chambre du premier. Cette chambre est de la meme grandeur que celle du rez-de- chaussee, seulement une tapisserie tendue dans le sens du pont la separe en deux compartiments. Au fond du premier compartiment s'ouvre la porte donnant sur l'escalier exterieur. Sur la face laterale du second s'ouvre la porte de l'escalier secret; seulement cette porte est invisible, car elle est cachee par une haute armoire sculptee, scellee a elle par des crampons de fer, et qu'elle poussait en s'ouvrant. Catherine seule connait avec Rene le secret de cette porte, c'est par la qu'elle monte et qu'elle descend; c'est l'oreille ou l'oeil pose contre cette armoire dans laquelle des trous sont menages, qu'elle ecoute et qu'elle voit ce qui se passe dans la chambre. Deux autres portes parfaitement ostensibles s'offrent encore sur les cotes lateraux de ce second compartiment. L'une s'ouvre sur une petite chambre eclairee par le toit et qui n'a pour tout meuble qu'un vaste fourneau, des cornues, des alambics, des creusets: c'est le laboratoire de l'alchimiste. L'autre s'ouvre sur une cellule plus bizarre que le reste de l'appartement, car elle n'est point eclairee du tout, car elle n'a ni tapis ni meubles, mais seulement une sorte d'autel de pierre. Le parquet est une dalle inclinee du centre aux extremites, et aux extremites court au pied du mur une espece de rigole aboutissant a un entonnoir par l'orifice duquel on voit couler l'eau sombre de la Seine. A des clous enfonces dans la muraille sont suspendus des instruments de forme bizarre, tous aigus ou tranchants; la pointe en est fine comme celle d'une aiguille, le fil en est tranchant comme celui d'un rasoir; les uns brillent comme des miroirs; les autres, au contraire, sont d'un gris mat ou d'un bleu sombre. Dans un coin, deux poules noires se debattent, attachees l'une a l'autre par la patte, c'est le sanctuaire de l'augure. Revenons a la chambre du milieu, a la chambre aux deux compartiments. C'est la qu'est introduit le vulgaire des consultants; c'est la que les ibis egyptiens, les momies aux bandelettes dorees, le crocodile baillant au plafond, les tetes de mort aux yeux vides et aux dents branlantes, enfin les bouquins poudreux venerablement ronges par les rats, offrent a l'oeil du visiteur le pele-mele d'ou resultent les emotions diverses qui empechent la pensee de suivre son droit chemin. Derriere le rideau sont des fioles, des boites particulieres, des amphores a l'aspect sinistre; tout cela est eclaire par deux petites lampes d'argent exactement pareilles, qui semblent enlevees a quelque autel de Santa-Maria-Novella ou de l'eglise Dei Servi de Florence, et qui, brulant une huile parfumee, jettent leur clarte jaunatre du haut de la voute sombre ou chacune est suspendue par trois chainettes noircies. Rene, seul et les bras croises, se promene a grands pas dans le second compartiment de la chambre du milieu, en secouant la tete. Apres une meditation longue et douloureuse, il s'arrete devant un sablier. -- Ah! ah! dit-il, j'ai oublie de le retourner, et voila que depuis longtemps peut-etre tout le sable est passe. Alors, regardant la lune qui se degage a grand-peine d'un grand nuage noir qui semble peser sur la pointe du clocher de Notre- Dame: -- Neuf heures, dit-il. Si elle vient, elle viendra comme d'habitude, dans une heure ou une heure et demie; il y aura donc temps pour tout. En ce moment on entendit quelque bruit sur le pont. Rene appliqua son oreille a l'orifice d'un long tuyau dont l'autre extremite allait s'ouvrir sur la rue, sous la forme d'une tete de Guivre. -- Non, dit-il, ce n'est ni _elle_, ni _elles._ Ce sont des pas d'hommes; ils s'arretent devant ma porte; ils viennent ici. En meme temps trois coups secs retentirent. Rene descendit rapidement; cependant il se contenta d'appuyer son oreille contre la porte sans ouvrir encore. Les memes trois coups secs se renouvelerent. -- Qui va la? demanda maitre Rene. -- Est-il bien necessaire de dire nos noms? demanda une voix. -- C'est indispensable, repondit Rene. -- En ce cas, je me nomme le comte Annibal de Coconnas, dit la meme voix qui avait deja parle. -- Et moi, le comte Lerac de la Mole, dit une autre voix qui, pour la premiere fois, se faisait entendre. -- Attendez, attendez, messieurs, je suis a vous. Et en meme temps Rene, tirant les verrous, enlevant les barres, ouvrit aux deux jeunes gens la porte qu'il se contenta de fermer a la clef; puis, les conduisant par l'escalier exterieur, il les introduisit dans le second compartiment. La Mole, en entrant, fit le signe de la croix sous son manteau; il etait pale, et sa main tremblait sans qu'il put reprimer cette faiblesse. Coconnas regarda chaque chose l'une apres l'autre, et trouvant au milieu de son examen la porte de la cellule, il voulut l'ouvrir. -- Permettez, mon gentilhomme, dit Rene de sa voix grave et en posant sa main sur celle de Coconnas, les visiteurs qui me font l'honneur d'entrer ici n'ont la jouissance que de cette partie de la chambre. -- Ah! c'est different, reprit Coconnas; et, d'ailleurs, je sens que j'ai besoin de m'asseoir. Et il se laissa aller sur une chaise. Il se fit un instant de profond silence: maitre Rene attendait que l'un ou l'autre des deux jeunes gens s'expliquat. Pendant ce temps, on entendait la respiration sifflante de Coconnas, encore mal gueri. -- Maitre Rene, dit-il enfin, vous etes un habile homme, dites-moi donc si je demeurerai estropie de ma blessure, c'est-a-dire si j'aurai toujours cette courte respiration qui m'empeche de monter a cheval, de faire des armes et de manger des omelettes au lard. Rene approcha son oreille de la poitrine de Coconnas, et ecouta attentivement le jeu des poumons. -- Non, monsieur le comte, dit-il, vous guerirez. -- En verite? -- Je vous l'affirme. -- Vous me faites plaisir. Il se fit un nouveau silence. -- Ne desirez-vous pas savoir encore autre chose, monsieur le comte? -- Si fait, dit Coconnas; je desire savoir si je suis veritablement amoureux. -- Vous l'etes, dit Rene. -- Comment le savez-vous? -- Parce que vous le demandez. -- Mordi! je crois que vous avez raison. Mais de qui? -- De celle qui dit maintenant a tout propos le juron que vous venez de dire. -- En verite, dit Coconnas stupefait, maitre Rene, vous etes un habile homme. A ton tour, La Mole. La Mole rougit et demeura embarrasse. -- Eh! que diable! dit Coconnas, parle donc! -- Parlez, dit le Florentin. -- Moi, monsieur Rene, balbutia La Mole dont la voix se rassura peu a peu, je ne veux pas vous demander si je suis amoureux, car je sais que je le suis et ne m'en cache point; mais dites-moi si je serai aime, car en verite tout ce qui m'etait d'abord un sujet d'espoir tourne maintenant contre moi. -- Vous n'avez peut-etre pas fait tout ce qu'il faut faire pour cela. -- Qu'y a-t-il a faire, monsieur, qu'a prouver par son respect et son devouement a la dame de ses pensees qu'elle est veritablement et profondement aimee? -- Vous savez, dit Rene, que ces demonstrations sont parfois bien insignifiantes. -- Alors, il faut desesperer? -- Non, alors il faut recourir a la science. Il y a dans la nature humaine des antipathies qu'on peut vaincre, des sympathies qu'on peut forcer. Le fer n'est pas l'aimant; mais en l'aimantant, a son tour il attire le fer. -- Sans doute, sans doute, murmura La Mole; mais je repugne a toutes ces conjurations. -- Ah! si vous repugnez, dit Rene, alors il ne fallait pas venir. -- Allons donc, allons donc, dit Coconnas, vas-tu faire l'enfant a present? Monsieur Rene, pouvez-vous me faire voir le diable? -- Non, monsieur le comte. -- J'en suis fache, j'avais deux mots a lui dire, et cela eut peut-etre encourage La Mole. -- Eh bien, soit! dit La Mole, abordons franchement la question. On m'a parle de figures en cire modelees a la ressemblance de l'objet aime. Est-ce un moyen? -- Infaillible. -- Et rien, dans cette experience, ne peut porter atteinte a la vie ni a la sante de la personne qu'on aime? -- Rien. -- Essayons donc. -- Veux-tu que je commence? dit Coconnas. -- Non, dit La Mole, et, puisque me voila engage, j'irai jusqu'au bout. -- Desirez-vous beaucoup, ardemment, imperieusement savoir a quoi vous en tenir, monsieur de la Mole? demanda le Florentin. -- Oh! s'ecria La Mole, j'en meurs, maitre Rene. Au meme instant on heurta doucement a la porte de la rue, si doucement que maitre Rene entendit seul ce bruit, et encore parce qu'il s'y attendait sans doute. Il approcha sans affectation, et tout en faisant quelques questions oiseuses a La Mole, son oreille du tuyau et percut quelques eclats de voix qui parurent le fixer. -- Resumez donc maintenant votre desir, dit-il, et appelez la personne que vous aimez. La Mole s'agenouilla comme s'il eut parle a une divinite, et Rene, passant dans le premier compartiment, glissa sans bruit par l'escalier exterieur: un instant apres des pas legers effleuraient le plancher de la boutique. La Mole, en se relevant, vit devant lui maitre Rene; le Florentin tenait a la main une petite figurine de cire d'un travail assez mediocre; elle portait une couronne et un manteau. -- Voulez-vous toujours etre aime de votre royale maitresse? demanda le parfumeur. -- Oui, dut-il m'en couter la vie, dusse-je y perdre mon ame, repondit La Mole. -- C'est bien, dit le Florentin en prenant du bout des doigts quelques gouttes d'eau dans une aiguiere et en les secouant sur la tete de la figurine en prononcant quelques mots latins. La Mole frissonna, il comprit qu'un sacrilege s'accomplissait. -- Que faites-vous? demanda-t-il. -- Je baptise cette petite figurine du nom de Marguerite. -- Mais dans quel but? -- Pour etablir la sympathie. La Mole ouvrait la bouche pour l'empecher d'aller plus avant, mais un regard railleur de Coconnas l'arreta. Rene, qui avait vu le mouvement, attendit. -- Il faut la pleine et entiere volonte, dit-il. -- Faites, repondit La Mole. Rene traca sur une petite banderole de papier rouge quelques caracteres cabalistiques, les passa dans une aiguille d'acier, et avec cette aiguille, piqua la statuette au coeur. Chose etrange! a l'orifice de la blessure apparut une gouttelette de sang, puis il mit le feu au papier. La chaleur de l'aiguille fit fondre la cire autour d'elle et secha la gouttelette de sang. -- Ainsi, dit Rene, par la force de la sympathie, votre amour percera et brulera le coeur de la femme que vous aimez. Coconnas, en sa qualite d'esprit fort, riait dans sa moustache et raillait tout bas; mais La Mole, aimant et superstitieux, sentait une sueur glacee perler a la racine de ses cheveux. -- Et maintenant, dit Rene, appuyez vos levres sur les levres de la statuette en disant: "Marguerite, je t'aime; viens, Marguerite!" La Mole obeit. En ce moment on entendit ouvrir la porte de la seconde chambre, et des pas legers s'approcherent. Coconnas, curieux et incredule, tira son poignard, et craignant s'il tentait de soulever la tapisserie, que Rene ne lui fit la meme observation que lorsqu'il voulut ouvrir la porte, fendit avec son poignard l'epaisse tapisserie, et, ayant applique son oeil a l'ouverture, poussa un cri d'etonnement auquel deux cris de femmes repondirent. -- Qu'y a-t-il? demanda La Mole pret a laisser tomber la figurine de cire, que Rene lui reprit des mains. -- Il y a, reprit Coconnas, que la duchesse de Nevers et madame Marguerite sont la. -- Eh bien, incredules! dit Rene avec un sourire austere, doutez- vous encore de la force de la sympathie? La Mole etait reste petrifie en apercevant sa reine. Coconnas avait eu un moment d'eblouissement en reconnaissant madame de Nevers. L'un se figura que les sorcelleries de maitre Rene avaient evoque le fantome de Marguerite; l'autre, en voyant entrouverte encore la porte par laquelle les charmants fantomes etaient entres, eut bientot trouve l'explication de ce prodige dans le monde vulgaire et materiel. Pendant que La Mole se signait et soupirait a fendre des quartiers de roc, Coconnas, qui avait eu tout le temps de se faire des questions philosophiques et de chasser l'esprit malin a l'aide de ce goupillon qu'on appelle l'incredulite, Coconnas, voyant par l'ouverture du rideau ferme l'ebahissement de madame de Nevers et le sourire un peu caustique de Marguerite, jugea que le moment etait decisif, et comprenant que l'on peut dire pour un ami ce que l'on n'ose dire pour soi-meme, au lieu d'aller a madame de Nevers, il alla droit a Marguerite, et mettant un genou en terre a la facon dont etait represente, dans les parades de la foire, le grand Artaxerce, il s'ecria d'une voix a laquelle le sifflement de sa blessure donnait un certain accent qui ne manquait pas de puissance: -- Madame, a l'instant meme, sur la demande de mon ami le comte de la Mole, maitre Rene evoquait votre ombre; or, a mon grand etonnement, votre ombre est apparue accompagnee d'un corps qui m'est bien cher et que je recommande a mon ami. Ombre de Sa Majeste la reine de Navarre, voulez-vous bien dire au corps de votre compagne de passer de l'autre cote du rideau? Marguerite se mit a rire et fit signe a Henriette qui passa de l'autre cote. -- La Mole, mon ami! dit Coconnas, sois eloquent comme Demosthene, comme Ciceron, comme M. le chancelier de l'Hospital; et songe qu'il y va de ma vie si tu ne persuades pas au corps de madame la duchesse de Nevers que je suis son plus devoue, son plus obeissant et son plus fidele serviteur. -- Mais..., balbutia La Mole. -- Fait ce que je te dis; et vous, maitre Rene, veillez a ce que personne ne nous derange. Rene fit ce que lui demandait Coconnas. -- Mordi! monsieur, dit Marguerite, vous etes homme d'esprit. Je vous ecoute; voyons, qu'avez-vous a me dire? -- J'ai a vous dire, madame, que l'ombre de mon ami, car c'est une ombre, et la preuve c'est qu'elle ne prononce pas le plus petit mot, j'ai donc a vous dire que cette ombre me supplie d'user de la faculte qu'ont les corps de parler intelligiblement pour vous dire: Belle ombre, le gentilhomme ainsi excorpore a perdu tout son corps et tout son souffle par la rigueur de vos yeux. Si vous etiez vous-meme, je demanderais a maitre Rene de m'abimer dans quelque trou sulfureux plutot que de tenir un pareil langage a la fille du roi Henri II, a la soeur du roi Charles IX, et a l'epouse du roi de Navarre. Mais les ombres sont degagees de tout orgueil terrestre, et elles ne se fachent pas quand on les aime. Or, priez votre corps, madame, d'aimer un peu l'ame de ce pauvre La Mole, ame en peine s'il en fut jamais; ame persecutee d'abord par l'amitie, qui lui a, a trois reprises, enfonce plusieurs pouces de fer dans le ventre; ame brulee par le feu de vos yeux, feu mille fois plus devorant que tous les feux de l'enfer. Ayez donc pitie de cette pauvre ame, aimez un peu ce qui fut le beau La Mole, et si vous n'avez plus la parole, usez du geste, usez du sourire. C'est une ame fort intelligente que celle de mon ami, et elle comprendra tout. Usez-en, mordi! ou je passe mon epee au travers du corps de Rene, pour qu'en vertu du pouvoir qu'il a sur les ombres il force la votre, qu'il a deja evoquee si a propos, de faire des choses peu seantes pour une ombre honnete comme vous me faites l'effet de l'etre. A cette peroraison de Coconnas, qui s'etait campe devant la reine en Enee descendant aux enfers, Marguerite ne put retenir un enorme eclat de rire, et, tout en gardant le silence qui convenait en pareille occasion a une ombre royale, elle tendit la main a Coconnas. Celui-ci la recut delicatement dans la sienne, en appelant La Mole. -- Ombre de mon ami, s'ecria-t-il, venez ici a l'instant meme. La Mole, tout stupefait et tout palpitant, obeit. -- C'est bien, dit Coconnas en le prenant par-derriere la tete; maintenant approchez la vapeur de votre beau visage brun de la blanche et vaporeuse main que voici. Et Coconnas, joignant le geste aux paroles, unit cette fine main a la bouche de La Mole, et les retint un instant respectueusement appuyees l'une sur l'autre, sans que la main essayat de se degager de la douce etreinte. Marguerite n'avait pas cesse de sourire, mais madame de Nevers ne souriait pas, elle, encore tremblante de l'apparition inattendue des deux gentilshommes. Elle sentait augmenter son malaise de toute la fievre d'une jalousie naissante, car il lui semblait que Coconnas n'eut pas du oublier ainsi ses affaires pour celles des autres. La Mole vit la contraction de son sourcil, surprit l'eclair menacant de ses yeux, et, malgre le trouble enivrant ou la volupte lui conseillait de s'engourdir, il comprit le danger que courait son ami et devina ce qu'il devait tenter pour l'y soustraire. Se levant donc et laissant la main de Marguerite dans celle de Coconnas, il alla saisir celle de la duchesse de Nevers, et, mettant un genou en terre: -- O la plus belle, o la plus adorable des femmes! dit-il, je parle des femmes vivantes, et non des ombres (et il adressa un regard et un sourire a Marguerite), permettez a une ame degagee de son enveloppe grossiere de reparer les absences d'un corps tout absorbe par une amitie materielle. M. de Coconnas, que vous voyez, n'est qu'un homme, un homme d'une structure ferme et hardie, c'est une chair belle a voir peut-etre, mais perissable comme toute chair: _Omnis caro fenum._ Bien que ce gentilhomme m'adresse du matin au soir les litanies les plus suppliantes a votre sujet, bien que vous l'ayez vu distribuer les plus rudes coups que l'on ait jamais fournis en France, ce champion si fort en eloquence pres d'une ombre n'ose parler a une femme. C'est pour cela qu'il s'est adresse a l'ombre de la reine, en me chargeant, moi, de parler a votre beau corps, de vous dire qu'il depose a vos pieds son coeur et son ame; qu'il demande a vos yeux divins de le regarder en pitie; a vos doigts roses et brulants de l'appeler d'un signe; a votre voix vibrante et harmonieuse de lui dire de ces mots qu'on n'oublie pas; ou sinon, il m'a encore prie d'une chose, c'est, dans le cas ou il ne pourrait vous attendrir, de lui passer, pour la seconde fois, mon epee, qui est une lame veritable, les epees n'ont d'ombre qu'au soleil, de lui passer, dis-je, pour la seconde fois, mon epee au travers du corps; car il ne saurait vivre si vous ne l'autorisez a vivre exclusivement pour vous. Autant Coconnas avait mis de verve et de pantalonnade dans son discours, autant La Mole venait de deployer de sensibilite, de puissance enivrante et de caline humilite dans sa supplique. Les yeux de Henriette se detournerent de La Mole, qu'elle avait ecoute tout le temps qu'il venait de parler, et se porterent sur Coconnas pour voir si l'expression du visage du gentilhomme etait en harmonie avec l'oraison amoureuse de son ami. Il parait qu'elle en fut satisfaite, car rouge, haletante, vaincue, elle dit a Coconnas avec un sourire qui decouvrait une double rangee de perles enchassees dans du corail: -- Est-ce vrai? -- Mordi! s'ecria Coconnas fascine par ce regard, et brulant des feux du meme fluide, c'est vrai! ... Oh! oui, madame, c'est vrai, vrai sur votre vie, vrai sur ma mort! -- Alors; venez donc! dit Henriette en lui tendant la main avec un abandon qui trahissait la langueur de ses yeux. Coconnas jeta en l'air son toquet de velours et d'un bond fut pres de la jeune femme, tandis que La Mole, rappele de son cote par un geste de Marguerite, faisait avec son ami un chasse-croise amoureux. En ce moment Rene apparut a la porte du fond. -- Silence! ... s'ecria-t-il avec un accent qui eteignit toute cette flamme; silence! Et l'on entendit dans l'epaisseur de la muraille le frolement du fer grincant dans une serrure et le cri d'une porte roulant sur ses gonds. -- Mais, dit Marguerite fierement, il me semble que personne n'a le droit d'entrer ici quand nous y sommes! -- Pas meme la reine mere? murmura Rene a son oreille. Marguerite s'elanca aussitot par l'escalier exterieur, attirant La Mole apres elle; Henriette et Coconnas, a demi enlaces, s'enfuirent sur leurs traces, tous quatre s'envolant comme s'envolent, au premier bruit indiscret, les oiseaux gracieux qu'on a vus se becqueter sur une branche en fleur. XX Les poules noires Il etait temps que les deux couples disparussent. Catherine mettait la clef dans la serrure de la seconde porte au moment ou Coconnas et madame de Nevers sortaient par l'issue du fond, et Catherine en entrant put entendre le craquement de l'escalier sous les pas des fugitifs. Elle jeta autour d'elle un regard inquisiteur, et arretant enfin son oeil soupconneux sur Rene, qui se trouvait debout et incline devant elle: -- Qui etait la? demanda-t-elle. -- Des amants qui se sont contentes de ma parole quand je leur ai assure qu'ils s'aimaient. -- Laissons cela, dit Catherine en haussant les epaules; n'y a-t- il plus personne ici? -- Personne que Votre Majeste et moi. -- Avez-vous fait ce que je vous ai dit? -- A propos des poules noires? -- Oui. -- Elles sont pretes, madame. -- Ah! si vous etiez juif! murmura Catherine. -- Moi, juif, madame, pourquoi? -- Parce que vous pourriez lire les livres precieux qu'ont ecrits les Hebreux sur les sacrifices. Je me suis fait traduire l'un d'eux, et j'ai vu que ce n'etait ni dans le coeur ni dans le foie, comme les Romains, que les Hebreux cherchaient les presages: c'etait dans la disposition du cerveau et dans la figuration des lettres qui y sont tracees par la main toute-puissante de la destinee. -- Oui, madame! je l'ai aussi entendu dire par un vieux rabbin de mes amis. -- Il y a, dit Catherine, des caracteres ainsi dessines qui ouvrent toute une voie prophetique; seulement les savants chaldeens recommandent... -- Recommandent... quoi? demanda Rene, voyant que la reine hesitait a continuer. -- Recommandent que l'experience se fasse sur des cerveaux humains, comme etant plus developpes et plus sympathiques a la volonte du consultant. -- Helas! madame, dit Rene, Votre Majeste sait bien que c'est impossible! -- Difficile du moins, dit Catherine; car si nous avions su cela a la Saint-Barthelemy... hein, Rene! Quelle riche recolte! Le premier condamne... j'y songerai. En attendant, demeurons dans le cercle du possible... La chambre des sacrifices est-elle preparee? -- Oui, madame. -- Passons-y. Rene alluma une bougie faite d'elements etranges et dont l'odeur, tantot subtile et penetrante, tantot nauseabonde et fumeuse, revelait l'introduction de plusieurs matieres: puis eclairant Catherine, il passa le premier dans la cellule. Catherine choisit elle-meme parmi tous les instruments de sacrifice un couteau d'acier bleuissant, tandis que Rene allait chercher une des deux poules qui roulaient dans un coin leur oeil d'or inquiet. -- Comment procederons-nous? -- Nous interrogerons le foie de l'une et le cerveau de l'autre. Si les deux experiences nous donnent les memes resultats, il faudra bien croire, surtout si ces resultats se combinent avec ceux precedemment obtenus. -- Par ou commencerons-nous? -- Par l'experience du foie. -- C'est bien, dit Rene. Et il attacha la poule sur le petit autel a deux anneaux places aux deux extremites, de maniere que l'animal renverse sur le dos ne pouvait que se debattre sans bouger de place. Catherine lui ouvrit la poitrine d'un seul coup de couteau. La poule jeta trois cris, et expira apres s'etre assez longtemps debattue. -- Toujours trois cris, murmura Catherine, trois signes de mort. Puis elle ouvrit le corps. -- Et le foie pendant a gauche, continua-t-elle, toujours a gauche, triple mort suivie d'une decheance. Sais-tu, Rene, que c'est effrayant? -- Il faut voir, madame, si les presages de la seconde victime coincideront avec ceux de la premiere. Rene detacha le cadavre de la poule et le jeta dans un coin; puis il alla vers l'autre, qui, jugeant de son sort par celui de sa compagne, essaya de s'y soustraire en courant tout autour de la cellule, et qui enfin, se voyant prise dans un coin, s'envola par- dessus la tete de Rene, et s'en alla dans son vol eteindre la bougie magique que tenait a la main Catherine. -- Vous le voyez, Rene, dit la reine. C'est ainsi que s'eteindra notre race. La mort soufflera dessus et elle disparaitra de la surface de la terre. Trois fils, cependant, trois fils! ... murmura-t-elle tristement. Rene lui prit des mains la bougie eteinte et alla la rallumer dans la piece a cote. Quand il revint, il vit la poule qui s'etait fourre la tete dans l'entonnoir. -- Cette fois, dit Catherine, j'eviterai les cris, car je lui trancherai la tete d'un seul coup. Et en effet, lorsque la poule fut attachee, Catherine, comme elle l'avait dit, d'un seul coup lui trancha la tete. Mais dans la convulsion supreme, le bec s'ouvrit trois fois et se rejoignit pour ne plus se rouvrir. -- Vois-tu! dit Catherine epouvantee. A defaut de trois cris, trois soupirs. Trois, toujours trois. Ils mourront tous les trois. Toutes ces ames, avant de partir, comptent et appellent jusqu'a trois. Voyons maintenant les signes de la tete. Alors Catherine abattit la crete palie de l'animal, ouvrit avec precaution le crane, et le separant de maniere a laisser a decouvert les lobes du cerveau, elle essaya de trouver la forme d'une lettre quelconque sur les sinuosites sanglantes que trace la division de la pulpe cerebrale. -- Toujours, s'ecria-t-elle en frappant dans ses deux mains, toujours! et cette fois le pronostic est plus clair que jamais. Viens et regarde. Rene s'approcha. -- Quelle est cette lettre? lui demanda Catherine en lui designant un signe. -- Un H, repondit Rene. -- Combien de fois repete? Rene compta. -- Quatre, dit-il. -- Eh bien, eh bien, est-ce cela? Je le vois, c'est-a-dire Henri IV. Oh! gronda-t-elle en jetant le couteau, je suis maudite dans ma posterite. C'etait une effrayante figure que celle de cette femme pale comme un cadavre, eclairee par la lugubre lumiere et crispant ses mains sanglantes. -- Il regnera, dit-elle, avec un soupir de desespoir, il regnera! -- Il regnera, repeta Rene enseveli dans une reverie profonde. Cependant, bientot cette expression sombre s'effaca des traits de Catherine a la lumiere d'une pensee qui semblait eclore au fond de son cerveau. -- Rene, dit-elle en etendant la main vers le Florentin sans detourner sa tete inclinee sur sa poitrine, Rene, n'y a-t-il pas une terrible histoire d'un medecin de Perouse qui, du meme coup, a l'aide d'une pommade, a empoisonne sa fille et l'amant de sa fille? -- Oui, madame. -- Cet amant, c'etait? continua Catherine toujours pensive. -- C'etait le roi Ladislas, madame. -- Ah! oui, c'est vrai! murmura-t-elle. Avez-vous quelques details sur cette histoire? -- Je possede un vieux livre qui en traite, repondit Rene. -- Eh bien, passons dans l'autre chambre, vous me le preterez. Tous deux quitterent alors la cellule, dont Rene ferma la porte derriere lui. -- Votre Majeste me donne-t-elle d'autres ordres pour de nouveaux sacrifices? demanda le Florentin. -- Non, Rene, non! je suis pour le moment suffisamment convaincue. Nous attendrons que nous puissions nous procurer la tete de quelque condamne, et le jour de l'execution tu en traiteras avec le bourreau. Rene s'inclina en signe d'assentiment, puis il s'approcha, sa bougie a la main, des rayons ou etaient ranges les livres, monta sur une chaise, en prit un et le donna a la reine. Catherine l'ouvrit. -- Qu'est-ce que cela? dit-elle. "De la maniere d'elever et de nourrir les tiercelets, les faucons et le gerfauts pour qu'ils soient braves, vaillants et toujours prets au vol." -- Ah! pardon, madame, je me trompe! Ceci est un traite de venerie fait par un savant Lucquois pour le fameux Castruccio Castracani. Il etait place a cote de l'autre, relie de la meme facon. Je me suis trompe. C'est d'ailleurs un livre tres precieux; il n'en existe que trois exemplaires au monde: un qui appartient a la bibliotheque de Venise, l'autre qui avait ete achete par votre aieul Laurent, et qui a ete offert par Pierre de Medicis au roi Charles VIII, lors de son passage a Florence, et le troisieme que voici. -- Je le venere, dit Catherine, a cause de sa rarete; mais n'en ayant pas besoin, je vous le rends. Et elle tendit la main droite vers Rene pour recevoir l'autre, tandis que de la main gauche elle lui rendit celui qu'elle avait recu. Cette fois Rene ne s'etait point trompe, c'etait bien le livre qu'elle desirait. Rene descendit, le feuilleta un instant et le lui rendit tout ouvert. Catherine alla s'asseoir a une table, Rene posa pres d'elle la bougie magique, et a la lueur de cette flamme bleuatre, elle lut quelques lignes a demi-voix. -- Bien, dit-elle en refermant le livre, voila tout ce que je voulais savoir. Elle se leva, laissant le livre sur la table et emportant seulement au fond de son esprit la pensee qui y avait germe et qui devait y murir. Rene attendit respectueusement, la bougie a la main, que la reine, qui paraissait prete a se retirer, lui donnat de nouveaux ordres ou lui adressat de nouvelles questions. Catherine fit plusieurs pas la tete inclinee, le doigt sur la bouche et en gardant le silence. Puis s'arretant tout a coup devant Rene en relevant sur lui son oeil rond et fixe comme celui d'un oiseau de proie: -- Avoue-moi que tu as fait pour elle quelque philtre, dit-elle. -- Pour qui? demanda Rene en tressaillant. -- Pour la Sauve. -- Moi, madame, dit Rene; jamais! -- Jamais? -- Sur mon ame, je vous le jure. -- Il y a cependant de la magie, car il l'aime comme un fou, lui qui n'est pas renomme par sa constance. -- Qui lui, madame? -- Lui, Henri le maudit, celui qui succedera a nos trois fils, celui qu'on appellera un jour Henri IV, et qui cependant est le fils de Jeanne d'Albret. Et Catherine accompagna ces derniers mots d'un soupir qui fit frissonner Rene, car il lui rappelait les fameux gants que, par ordre de Catherine, il avait prepares pour la reine de Navarre. -- Il y va donc toujours? demanda Rene. -- Toujours, dit Catherine. -- J'avais cru cependant que le roi de Navarre etait revenu tout entier a sa femme. -- Comedie, Rene, comedie. Je ne sais dans quel but, mais tout se reunit pour me tromper. Ma fille elle-meme, Marguerite, se declare contre moi; peut-etre, elle aussi, espere-t-elle la mort de ses freres, peut-etre espere-t-elle etre reine de France. -- Oui, peut-etre, dit Rene, rejete dans sa reverie et se faisant l'echo du doute terrible de Catherine. -- Enfin, dit Catherine, nous verrons. Et elle s'achemina vers la porte du fond, jugeant sans doute inutile de descendre par l'escalier secret, puisqu'elle etait sure d'etre seule. Rene la preceda, et, quelques instants apres, tous deux se trouverent dans la boutique du parfumeur. -- Tu m'avais promis de nouveaux cosmetiques pour mes mains et pour mes levres, Rene, dit-elle; voici l'hiver, et tu sais que j'ai la peau fort sensible au froid. -- Je m'en suis deja occupe, madame, et je vous les porterai demain. -- Demain soir tu ne me trouverais pas avant neuf ou dix heures. Pendant la journee je fais mes devotions. -- Bien, madame, je serai au Louvre a neuf heures. -- Madame de Sauve a de belles mains et de belles levres, dit d'un ton indifferent Catherine; et de quelle pate se sert-elle? -- Pour ses mains? -- Oui, pour ses mains d'abord. -- De pate a l'heliotrope. -- Et pour ses levres? -- Pour ses levres, elle va se servir du nouvel opiat que j'ai invente et dont je comptais porter demain une boite a Votre Majeste en meme temps qu'a elle. Catherine resta un instant pensive. -- Au reste, elle est belle, cette creature, dit-elle, repondant toujours a sa secrete pensee, et il n'y a rien d'etonnant a cette passion du Bearnais. -- Et surtout devouee a Votre Majeste, dit Rene, a ce que je crois du moins. Catherine sourit et haussa les epaules. -- Lorsqu'une femme aime, dit-elle, est-ce qu'elle est jamais devouee a un autre qu'a son amant! Tu lui as fait quelque philtre, Rene. -- Je vous jure que non, madame. -- C'est bien! n'en parlons plus. Montre-moi donc cet opiat nouveau dont tu me parlais, et qui doit lui faire les levres plus fraiches et plus roses encore. Rene s'approcha d'un rayon et montra a Catherine six petites boites d'argent de la meme forme, c'est-a-dire rondes, rangees les unes a cote des autres. -- Voila le seul philtre qu'elle m'ait demande, dit Rene; il est vrai, comme le dit Votre Majeste, que je l'ai compose expres pour elle, car elle a les levres si fines et si tendres que le soleil et le vent les gercent egalement. Catherine ouvrit une de ces boites, elle contenait une pate du carmin le plus seduisant. -- Rene, dit-elle, donne-moi de la pate pour mes mains; j'en emporterai avec moi. Rene s'eloigna avec la bougie et s'en alla chercher dans un compartiment particulier ce que lui demandait la reine. Cependant il ne se retourna pas si vite, qu'il ne crut voir que Catherine, par un brusque mouvement, venait de prendre une boite et de la cacher sous sa mante. Il etait trop familiarise avec ces soustractions de la reine mere pour avoir la maladresse de paraitre s'en apercevoir. Aussi, prenant la pate demandee enfermee dans un sac de papier fleurdelise: -- Voici, madame, dit-il. -- Merci, Rene! reprit Catherine. Puis, apres un moment de silence: Ne porte cet opiat a madame de Sauve que dans huit ou dix jours, je veux etre la premiere a en faire l'essai. Et elle s'appreta a sortir. -- Votre Majeste veut-elle que je la reconduise? dit Rene. -- Jusqu'au bout du pont seulement, repondit Catherine; mes gentilshommes m'attendent la avec ma litiere. Tous deux sortirent et gagnerent le coin de la rue de la Barillerie, ou quatre gentilshommes a cheval et une litiere sans armoiries attendaient Catherine. En rentrant chez lui, le premier soin de Rene fut de compter ses boites d'opiat. Il en manquait une. XXI L'appartement de Madame de Sauve Catherine ne s'etait pas trompee dans ses soupcons. Henri avait repris ses habitudes, et chaque soir il se rendait chez madame de Sauve. D'abord, il avait execute cette excursion avec le plus grand secret, puis, peu a peu, il s'etait relache de sa defiance, avait neglige les precautions, de sorte que Catherine n'avait pas eu de peine a s'assurer que la reine de Navarre continuait d'etre de nom Marguerite, de fait madame de Sauve. Nous avons dit deux mots, au commencement de cette histoire, de l'appartement de madame de Sauve; mais la porte ouverte par Dariole au roi de Navarre s'est hermetiquement refermee sur lui, de sorte que cet appartement, theatre des mysterieuses amours du Bearnais, nous est completement inconnu. Ce logement, du genre de ceux que les princes fournissent a leurs commensaux dans les palais qu'ils habitent, afin de les avoir a leur portee, etait plus petit et moins commode que n'eut certainement ete un logement situe par la ville. Il etait, comme on le sait deja, place au second, a peu pres au-dessus de celui de Henri, et la porte s'en ouvrait sur un corridor dont l'extremite etait eclairee par une fenetre ogivale a petits carreaux enchasses de plomb, laquelle, meme dans les plus beaux jours de l'annee, ne laissait penetrer qu'une lumiere douteuse. Pendant l'hiver, des trois heures de l'apres-midi, on etait oblige d'y allumer une lampe, qui, ne contenant, ete comme hiver, que la meme quantite d'huile, s'eteignait alors vers les dix heures du soir, et donnait ainsi, depuis que les jours d'hiver etaient arrives, une plus grande securite aux deux amants. Une petite antichambre tapissee de damas de soie a larges fleurs jaunes, une chambre de reception tendue de velours bleu, une chambre a coucher, dont le lit a colonnes torses et a rideau de satin cerise enchassait une ruelle ornee d'un miroir garni d'argent et de deux tableaux tires des amours de Venus et d'Adonis; tel etait le logement, aujourd'hui l'on dirait le nid, de la charmante fille d'atours de la reine Catherine de Medicis. En cherchant bien on eut encore, en face d'une toilette garnie de tous ses accessoires, trouve, dans un coin sombre de cette chambre, une petite porte ouvrant sur une espece d'oratoire, ou, exhausse sur deux gradins, s'elevait un prie-Dieu. Dans cet oratoire etaient pendues a la muraille, et comme pour servir de correctif aux deux tableaux mythologiques dont nous avons parle, trois ou quatre peintures du spiritualisme le plus exalte. Entre ces peintures etaient suspendues, a des clous dores, des armes de femme; car, a cette epoque de mysterieuses intrigues, les femmes portaient des armes comme les hommes, et, parfois, s'en servaient aussi habilement qu'eux. Ce soir-la, qui etait le lendemain du jour ou s'etaient passees chez maitre Rene les scenes que nous avons racontees, madame de Sauve, assise dans sa chambre a coucher sur un lit de repos, racontait a Henri ses craintes et son amour, et lui donnait comme preuve de ces craintes et de cet amour le devouement qu'elle avait montre dans la fameuse nuit qui avait suivi celle de la Saint- Barthelemy, nuit que Henri, on se le rappelle, avait passee chez sa femme. Henri, de son cote, lui exprimait sa reconnaissance. Madame de Sauve etait charmante ce soir-la dans son simple peignoir de batiste, et Henri etait tres reconnaissant. Au milieu de tout cela, comme Henri etait reellement amoureux, il etait reveur. De son cote madame de Sauve, qui avait fini par adopter de tout son coeur cet amour commande par Catherine, regardait beaucoup Henri pour voir si ses yeux etaient d'accord avec ses paroles. -- Voyons, Henri, disait madame de Sauve, soyez franc: pendant cette nuit passee dans le cabinet de Sa Majeste la reine de Navarre, avec M. de La Mole a vos pieds, n'avez-vous pas regrette que ce digne gentilhomme se trouvat entre vous et la chambre a coucher de la reine? -- Oui, en verite, ma mie, dit Henri, car il me fallait absolument passer par cette chambre pour aller a celle ou je me trouve si bien, et ou je suis si heureux en ce moment. Madame de Sauve sourit. -- Et vous n'y etes pas rentre depuis? -- Que les fois que je vous ai dites. -- Vous n'y rentrerez jamais sans me le dire? -- Jamais. -- En jureriez-vous? -- Oui, certainement, si j'etais encore huguenot, mais... -- Mais quoi? -- Mais la religion catholique, dont j'apprends les dogmes en ce moment, m'a appris qu'on ne doit jamais jurer. -- Gascon, dit madame de Sauve en secouant la tete. -- Mais a votre tour, Charlotte, dit Henri, si je vous interrogeais, repondriez-vous a mes questions? -- Sans doute, repondit la jeune femme. Moi je n'ai rien a vous cacher. -- Voyons, Charlotte, dit le roi, expliquez-moi une bonne fois comment il se fait qu'apres cette resistance desesperee qui a precede mon mariage, vous soyez devenue moins cruelle pour moi qui suis un gauche Bearnais, un provincial ridicule, un prince trop pauvre, enfin, pour entretenir brillants les joyaux de sa couronne? -- Henri, dit Charlotte, vous me demandez le mot de l'enigme que cherchent depuis trois mille ans les philosophes de tous les pays! Henri, ne demandez jamais a une femme pourquoi elle vous aime; contentez-vous de lui demander: M'aimez-vous? -- M'aimez-vous, Charlotte? demanda Henri. -- Je vous aime, repondit madame de Sauve avec un charmant sourire et en laissant tomber sa belle main dans celle de son amant. Henri retint cette main. -- Mais, reprit-il poursuivant sa pensee, si je l'avais devine ce mot que les philosophes cherchent en vain depuis trois mille ans, du moins relativement a vous, Charlotte? Madame de Sauve rougit. -- Vous m'aimez, continua Henri; par consequent je n'ai pas autre chose a vous demander, et me tiens pour le plus heureux homme du monde. Mais, vous le savez, au bonheur il manque toujours quelque chose. Adam, au milieu du paradis, ne s'est pas trouve completement heureux, et il a mordu a cette miserable pomme qui nous a donne a tous ce besoin de curiosite qui fait que chacun passe sa vie a la recherche d'un inconnu quelconque. Dites-moi, ma mie, pour m'aider a trouver le mien, n'est-ce point la reine Catherine qui vous a dit d'abord de m'aimer? -- Henri, dit madame de Sauve, parlez bas quand vous parlez de la reine mere. -- Oh! dit Henri avec un abandon et une confiance a laquelle madame de Sauve fut trompee elle-meme, c'etait bon autrefois de me defier d'elle, cette bonne mere, quand nous etions mal ensemble; mais maintenant que je suis le mari de sa fille... -- Le mari de madame Marguerite! dit Charlotte en rougissant de jalousie. -- Parlez bas a votre tour, dit Henri. Maintenant que je suis le mari de sa fille, nous sommes les meilleurs amis du monde. Que voulait-on? que je me fisse catholique, a ce qu'il parait. Eh bien, la grace m'a touche; et, par l'intercession de saint Barthelemy, je le suis devenu. Nous vivons maintenant en famille comme de bons freres, comme de bons chretiens. -- Et la reine Marguerite? -- La reine Marguerite, dit Henri, eh bien, elle est le lien qui nous unit tous. -- Mais vous m'avez dit, Henri, que la reine de Navarre, en recompense de ce que j'avais ete devouee pour elle, avait ete genereuse pour moi. Si vous m'avez dit vrai, si cette generosite, pour laquelle je lui ai voue une si grande reconnaissance, est reelle, elle n'est qu'un lien de convention facile a briser. Vous ne pouvez donc vous reposer sur cet appui, car vous n'en avez impose a personne avec cette pretendue intimite. -- Je m'y repose cependant, et c'est depuis trois mois l'oreiller sur lequel je dors. -- Alors, Henri, s'ecria madame de Sauve, c'est que vous m'avez trompee, c'est que veritablement madame Marguerite est votre femme. Henri sourit. -- Tenez, Henri! dit madame de Sauve, voila de ces sourires qui m'exasperent, et qui font que, tout roi que vous etes, il me prend parfois de cruelles envies de vous arracher les yeux. -- Alors, dit Henri, j'arrive donc a en imposer sur cette pretendue intimite, puisqu'il y a des moments ou, tout roi que je suis, vous voulez m'arracher les yeux, parce que vous croyez qu'elle existe! -- Henri! Henri! dit madame de Sauve, je crois que Dieu lui-meme ne sait pas ce que vous pensez. -- Je pense, ma mie, dit Henri, que Catherine vous a dit d'abord de m'aimer, que votre coeur vous l'a dit ensuite, et que, quand ces deux voix vous parlent, vous n'entendez que celle de votre coeur. Maintenant, moi aussi, je vous aime, et de toute mon ame, et meme c'est pour cela que lorsque j'aurais des secrets, je ne vous les confierais pas, de peur de vous compromettre, bien entendu... car l'amitie de la reine est changeante, c'est celle d'une belle mere. Ce n'etait point la le compte de Charlotte; il lui semblait que ce voile qui s'epaississait entre elle et son amant toutes les fois qu'elle voulait sonder les abimes de ce coeur sans fond, prenait la consistance d'un mur et les separait l'un de l'autre. Elle sentit donc les larmes envahir ses yeux a cette reponse, et comme en ce moment dix heures sonnerent: -- Sire, dit Charlotte, voici l'heure de me reposer; mon service m'appelle de tres bon matin demain chez la reine mere. -- Vous me chassez donc ce soir, ma mie? dit Henri. -- Henri, je suis triste. Etant triste, vous me trouveriez maussade, et, me trouvant maussade, vous ne m'aimeriez plus. Vous voyez bien qu'il vaut mieux que vous vous retiriez. -- Soit! dit Henri, je me retirerai si vous l'exigez, Charlotte; seulement, ventre-saint-gris! vous m'accorderez bien la faveur d'assister a votre toilette! -- Mais la reine Marguerite, Sire, ne la ferez-vous pas attendre en y assistant? -- Charlotte, repliqua Henri serieux, il avait ete convenu entre nous que nous ne parlerions jamais de la reine de Navarre, et ce soir, ce me semble, nous n'avons parle que d'elle. Madame de Sauve soupira, et elle alla s'asseoir devant sa toilette. Henri prit une chaise, la traina jusqu'a celle qui servait de siege a sa maitresse, et mettant un genou dessus en s'appuyant au dossier: -- Allons, dit-elle, ma bonne petite Charlotte, que je vous voie vous faire belle, et belle pour moi, quoi que vous en disiez. Mon Dieu! que de choses, que de pots de parfums, que de sacs de poudre, que de fioles, que de cassolettes! -- Cela parait beaucoup, dit Charlotte en soupirant, et cependant c'est trop peu, puisque je n'ai pas encore, avec tout cela, trouve le moyen de regner seule sur le coeur de Votre Majeste. -- Allons! dit Henri, ne retombons pas dans la politique. Qu'est- ce que ce petit pinceau si fin, si delicat? Ne serait-ce pas pour peindre les sourcils de mon Jupiter Olympien? -- Oui, Sire, repondit madame de Sauve en souriant, et vous avez devine du premier coup. -- Et ce joli petit rateau d'ivoire? -- C'est pour tracer la ligne des cheveux. -- Et cette charmante petite boite d'argent au couvercle cisele? -- Oh! cela, c'est un envoi de Rene, Sire, c'est le fameux opiat qu'il me promet depuis si longtemps pour adoucir encore ces levres que Votre Majeste a la bonte de trouver quelquefois assez douces. Et Henri, comme pour approuver ce que venait de dire la charmante femme dont le front s'eclaircissait a mesure qu'on la remettait sur le terrain de la coquetterie, appuya ses levres sur celles que la baronne regardait avec attention dans son miroir. Charlotte porta la main a la boite qui venait d'etre l'objet de l'explication ci-dessus, sans doute pour montrer a Henri de quelle facon s'employait la pate vermeille, lorsqu'un coup sec frappe a la porte de l'antichambre fit tressaillir les deux amants. -- On frappe, madame, dit Dariole en passant la tete par l'ouverture de la portiere. -- Va t'informer qui frappe et reviens, dit madame de Sauve. Henri et Charlotte se regarderent avec inquietude, et Henri songeait a se retirer dans l'oratoire ou deja plus d'une fois il avait trouve un refuge, lorsque Dariole reparut. -- Madame, dit-elle, c'est maitre Rene le parfumeur. A ce nom, Henri fronca le sourcil et se pinca involontairement les levres. -- Voulez-vous que je lui refuse la porte? dit Charlotte. -- Non pas! dit Henri; maitre Rene ne fait rien sans avoir auparavant songe a ce qu'il fait; s'il vient chez vous, c'est qu'il a des raisons d'y venir. -- Voulez-vous vous cacher alors? -- Je m'en garderai bien, dit Henri, car maitre Rene sait tout, et maitre Rene sait que je suis ici. -- Mais Votre Majeste n'a-t-elle pas quelque raison pour que sa presence lui soit douloureuse? -- Moi! dit Henri en faisant un effort que, malgre sa puissance sur lui-meme, il ne put tout a fait dissimuler, moi! aucune! Nous etions en froid, c'est vrai; mais, depuis le soir de la Saint- Barthelemy, nous nous sommes raccommodes. -- Faites entrer! dit madame de Sauve a Dariole. Un instant apres, Rene parut et jeta un regard qui embrassa toute la chambre. Madame de Sauve etait toujours devant sa toilette. Henri avait repris sa place sur le lit de repos. Charlotte etait dans la lumiere et Henri dans l'ombre. -- Madame, dit Rene avec une respectueuse familiarite, je viens vous faire mes excuses. -- Et de quoi donc, Rene? demanda madame de Sauve avec cette condescendance que les jolies femmes ont toujours pour ce monde de fournisseurs qui les entoure et qui tend a les rendre plus jolies. -- De ce que depuis si longtemps j'avais promis de travailler pour ces jolies levres, et de ce que... -- De ce que vous n'avez tenu votre promesse qu'aujourd'hui, n'est-ce pas? dit Charlotte. -- Qu'aujourd'hui! repeta Rene. -- Oui, c'est aujourd'hui seulement, et meme ce soir, que j'ai recu cette boite que vous m'avez envoyee. -- Ah! en effet, dit Rene en regardant avec une expression etrange la petite boite d'opiat qui se trouvait sur la table de madame de Sauve, et qui etait de tout point pareille a celles qu'il avait dans son magasin. -- J'avais devine! murmura-t-il; et vous vous en etes servie? -- Non, pas encore, et j'allais l'essayer quand vous etes entre. La figure de Rene prit une expression reveuse qui n'echappa point a Henri, auquel, d'ailleurs, bien peu de choses echappaient. -- Eh bien, Rene! qu'avez-vous donc? demanda le roi. -- Moi, rien, Sire, dit le parfumeur, j'attends humblement que Votre Majeste m'adresse la parole avant de prendre conge de madame la baronne. -- Allons donc! dit Henri en souriant. Avez-vous besoin de mes paroles pour savoir que je vous vois avec plaisir? Rene regarda autour de lui, fit le tour de la chambre comme pour sonder de l'oeil et de l'oreille les portes et les tapisseries, puis s'arretant de nouveau et se placant de maniere a embrasser du meme regard madame de Sauve et Henri: -- Je ne le sais pas, dit-il. Henri averti, grace a cet instinct admirable qui, pareil a un sixieme sens, le guida pendant toute la premiere partie de sa vie au milieu des dangers qui l'entouraient, qu'il se passait en ce moment quelque chose d'etrange et qui ressemblait a une lutte dans l'esprit du parfumeur, se tourna vers lui, et tout en restant dans l'ombre, tandis que le visage du Florentin se trouvait dans la lumiere: -- Vous a cette heure ici, Rene? lui dit-il. -- Aurais-je le malheur de gener Votre Majeste? repondit le parfumeur en faisant un pas en arriere. -- Non pas. Seulement je desire savoir une chose. -- Laquelle, Sire? -- Pensiez-vous me trouver ici? -- J'en etais sur. -- Vous me cherchiez donc? -- Je suis heureux de vous rencontrer, du moins. -- Vous avez quelque chose a me dire? insista Henri. -- Peut-etre, Sire! repondit Rene. Charlotte rougit, car elle tremblait que cette revelation, que semblait vouloir faire le parfumeur, ne fut relative a sa conduite passee envers Henri; elle fit donc comme si, toute aux soins de sa toilette, elle n'eut rien entendu, et interrompant la conversation: -- Ah! en verite, Rene, s'ecria-t-elle en ouvrant la boite d'opiat, vous etes un homme charmant; cette pate est d'une couleur merveilleuse, et, puisque vous voila, je vais, pour vous faire honneur, experimenter devant vous votre nouvelle production. Et elle prit la boite d'une main, tandis que de l'autre elle effleurait du bout du doigt la pate rosee qui devait passer du doigt a ses levres. Rene tressaillit. La baronne approcha en souriant l'opiat de sa bouche. Rene palit. Henri, toujours dans l'ombre, mais les yeux fixes et ardents, ne perdait ni un mouvement de l'un ni un frisson de l'autre. La main de Charlotte n'avait plus que quelques lignes a parcourir pour toucher ses levres, lorsque Rene lui saisit le bras, au moment ou Henri se levait pour en faire autant. Henri retomba sans bruit sur son lit de repos. -- Un moment, madame, dit Rene avec un sourire contraint; mais il ne faudrait pas employer cet opiat sans quelques recommandations particulieres. -- Et qui me les donnera, ces recommandations? -- Moi. -- Quand cela? -- Aussitot que je vais avoir termine ce que j'ai a dire a Sa Majeste le roi de Navarre. Charlotte ouvrit de grands yeux, ne comprenant rien a cette espece de langue mysterieuse qui se parlait aupres d'elle, et elle resta tenant le pot d'opiat d'une main, et regardant l'extremite de son doigt rougie par la pate carminee. Henri se leva, et mu par une pensee qui, comme toutes celles du jeune roi, avait deux cotes, l'un qui paraissait superficiel et l'autre qui etait profond, il alla prendre la main de Charlotte, et fit, toute rougie qu'elle etait, un mouvement pour la porter a ses levres. -- Un instant, dit vivement Rene, un instant! Veuillez, madame, laver vos belles mains avec ce savon de Naples que j'avais oublie de vous envoyer en meme temps que l'opiat, et que j'ai eu l'honneur de vous apporter moi-meme. Et tirant de son enveloppe d'argent une tablette de savon de couleur verdatre, il la mit dans un bassin de vermeil, y versa de l'eau, et, un genou en terre, presenta le tout a madame de Sauve. -- Mais, en verite, maitre Rene, je ne vous reconnais plus, dit Henri; vous etes d'une galanterie a laisser loin de vous tous les muguets de la cour. -- Oh! quel delicieux arome! s'ecria Charlotte en frottant ses belles mains avec de la mousse nacree qui se degageait de la tablette embaumee. Rene accomplit ses fonctions de cavalier servant jusqu'au bout; il presenta une serviette de fine toile de Frise a madame de Sauve, qui essuya ses mains. -- Et maintenant, dit le Florentin a Henri, faites a votre plaisir, Monseigneur. Charlotte presenta sa main a Henri, qui la baisa, et tandis que Charlotte se tournait a demi sur son siege pour ecouter ce que Rene allait dire, le roi de Navarre alla reprendre sa place, plus convaincu que jamais qu'il se passait dans l'esprit du parfumeur quelque chose d'extraordinaire. -- Eh bien? demanda Charlotte. Le Florentin parut rassembler toute sa resolution et se tourna vers Henri. XXII Sire, vous serez roi -- Sire, dit Rene a Henri, je viens vous parler d'une chose dont je m'occupe depuis longtemps. -- De parfums? dit Henri en souriant. -- Eh bien, oui, Sire... de parfums! repondit Rene avec un singulier signe d'acquiescement. -- Parlez, je vous ecoute, c'est un sujet qui de tout temps m'a fort interesse. Rene regarda Henri pour essayer de lire, malgre ses paroles, dans cette impenetrable pensee; mais voyant que c'etait chose parfaitement inutile, il continua: -- Un de mes amis, Sire, arrive de Florence; cet ami s'occupe beaucoup d'astrologie. -- Oui, interrompit Henri, je sais que c'est une passion florentine. -- Il a, en compagnie des premiers savants du monde, tire les horoscopes des principaux gentilshommes de l'Europe. -- Ah! ah! fit Henri. -- Et comme la maison de Bourbon est en tete des plus hautes, descendant comme elle le fait du comte de Clermont, cinquieme fils de saint Louis, Votre Majeste doit penser que le sien n'a pas ete oublie. Henri ecouta plus attentivement encore. -- Et vous vous souvenez de cet horoscope? dit le roi de Navarre avec un sourire qu'il essaya de rendre indifferent. -- Oh! reprit Rene en secouant la tete, votre horoscope n'est pas de ceux qu'on oublie. -- En verite! dit Henri avec un geste ironique. -- Oui, Sire, Votre Majeste, selon les termes de cet horoscope, est appelee aux plus brillantes destinees. L'oeil du jeune prince lanca un eclair involontaire qui s'eteignit presque aussitot dans un nuage d'indifference. -- Tous ces oracles italiens sont flatteurs, dit Henri; or, qui dit flatteur dit menteur. N'y en a-t-il pas qui m'ont predit que je commanderais des armees, moi? Et il eclata de rire. Mais un observateur moins occupe de lui-meme que ne l'etait Rene eut vu et reconnu l'effort de ce rire. -- Sire, dit froidement Rene, l'horoscope annonce mieux que cela. -- Annonce-t-il qu'a la tete d'une de ces armees je gagnerai des batailles? -- Mieux que cela, Sire. -- Allons, dit Henri, vous verrez que je serai conquerant. -- Sire, vous serez roi. -- Eh! ventre-saint-gris! dit Henri en reprimant un violent battement de coeur, ne le suis-je point deja? -- Sire, mon ami sait ce qu'il promet; non seulement vous serez roi, mais vous regnerez. -- Alors, dit Henri avec son meme ton railleur, votre ami a besoin de dix ecus d'or, n'est-ce pas, Rene? car une pareille prophetie est bien ambitieuse, par le temps qui court surtout. Allons, Rene, comme je ne suis pas riche, j'en donnerai a votre ami cinq tout de suite, et cinq autres quand la prophetie sera realisee. -- Sire, dit madame de Sauve, n'oubliez pas que vous etes deja engage avec Dariole, et ne vous surchargez pas de promesses. -- Madame, dit Henri, ce moment venu, j'espere que l'on me traitera en roi, et que chacun sera fort satisfait si je tiens la moitie de ce que j'ai promis. -- Sire, reprit Rene, je continue. -- Oh! ce n'est donc pas tout? dit Henri, soit: si je suis empereur, je donne le double. -- Sire, mon ami revient donc de Florence avec cet horoscope qu'il renouvela a Paris, et qui donna toujours le meme resultat, et il me confia un secret. -- Un secret qui interesse Sa Majeste? demanda vivement Charlotte. -- Je le crois, dit le Florentin. "Il cherche ses mots, pensa Henri, sans aider en rien Rene; il parait que la chose est difficile a dire." -- Alors, parlez, reprit la baronne de Sauve, de quoi s'agit-il? -- Il s'agit, dit le Florentin en pesant une a une toutes ses paroles, il s'agit de tous ces bruits d'empoisonnement qui ont couru depuis quelque temps a la cour. Un leger gonflement de narines du roi de Navarre fut le seul indice de son attention croissante a ce detour subit que faisait la conversation. -- Et votre ami le Florentin, dit Henri, sait des nouvelles de ces empoisonnements? -- Oui, Sire. -- Comment me confiez-vous un secret qui n'est pas le votre, Rene, surtout quand ce secret est si important? dit Henri du ton le plus naturel qu'il put prendre. -- Cet ami a un conseil a demander a Votre Majeste. -- A moi? -- Qu'y a-t-il d'etonnant a cela, Sire? Rappelez-vous le vieux soldat d'Actium, qui, ayant un proces, demandait un conseil a Auguste. -- Auguste etait avocat, Rene, et je ne le suis pas. -- Sire, quand mon ami me confia ce secret, Votre Majeste appartenait encore au parti calviniste, dont vous etiez le premier chef, et M. de Conde le second. -- Apres? dit Henri. -- Cet ami esperait que vous useriez de votre influence toute puissante sur M. le prince de Conde pour le prier de ne pas lui etre hostile. -- Expliquez-moi cela, Rene, si vous voulez que je le comprenne, dit Henri sans manifester la moindre alteration dans ses traits ni dans sa voix. -- Sire, Votre Majeste comprendra au premier mot; cet ami sait toutes les particularites de la tentative d'empoisonnement essaye sur monseigneur le prince de Conde. -- On a essaye d'empoisonner le prince de Conde? demanda Henri avec un etonnement parfaitement joue; ah! vraiment, et quand cela? Rene regarda fixement le roi, et repondit ces seuls mots: -- Il y a huit jours, Majeste. -- Quelque ennemi? demanda le roi. -- Oui, repondit Rene, un ennemi que Votre Majeste connait, et qui connait Votre Majeste. -- En effet, dit Henri, je crois avoir entendu parler de cela; mais j'ignore les details que votre ami veut me reveler, dites- vous. -- Eh bien, une pomme de senteur fut offerte au prince de Conde; mais, par bonheur, son medecin se trouva chez lui quand on l'apporta. Il la prit des mains du messager et la flaira pour en essayer l'odeur et la vertu. Deux jours apres, une enflure gangreneuse du visage, une extravasation du sang, une plaie vive qui lui devora la face, furent le prix de son devouement ou le resultat de son imprudence. -- Malheureusement, repondit Henri, etant deja a moitie catholique, j'ai perdu toute influence sur M. de Conde; votre ami aurait donc tort de s'adresser a moi. -- Ce n'etait pas seulement pres du prince de Conde que Votre Majeste pouvait, par son influence, etre utile a mon ami, mais encore pres du prince de Porcian, frere de celui qui a ete empoisonne. -- Ah ca! dit Charlotte, savez-vous, Rene, que vos histoires sentent le trembleur? Vous sollicitez mal a propos. Il est tard, votre conversation est mortuaire. En verite, vos parfums valent mieux. Et Charlotte etendit de nouveau la main sur la boite d'opiat. -- Madame, dit Rene, avant de l'essayer comme vous allez le faire, ecoutez ce que les mechants en peuvent tirer de cruels effets. -- Decidement, Rene, dit la baronne, vous etes funebre ce soir. Henri fronca le sourcil, mais il comprit que Rene voulait en venir a un but qu'il n'entrevoyait pas encore, et il resolut de pousser jusqu'au bout cette conversation, qui eveillait en lui de si douloureux souvenirs. -- Et, reprit-il, vous connaissez aussi les details de l'empoisonnement du prince de Porcian? -- Oui, dit-il. On savait qu'il laissait bruler chaque nuit une lampe pres de son lit; on empoisonna l'huile, et il fut asphyxie par l'odeur. Henri crispa l'un sur l'autre ses doigts humides de sueur. -- Ainsi donc, murmura-t-il, celui que vous nommez votre ami sait non seulement les details de cet empoisonnement, mais il en connait l'auteur? -- Oui, et c'est pour cela qu'il eut voulu savoir de vous si vous auriez sur le prince de Porcian qui reste cette influence de lui faire pardonner au meurtrier la mort de son frere. -- Malheureusement, repondit Henri, etant encore a moitie huguenot, je n'ai aucune influence sur M. le prince de Porcian: votre ami aurait donc tort de s'adresser a moi. -- Mais que pensez-vous des dispositions de M. le prince de Conde et de M. de Porcian? -- Comment connaitrais-je leurs dispositions, Rene? Dieu, que je sache, ne m'a point donne le privilege de lire dans les coeurs. -- Votre Majeste peut s'interroger elle-meme, dit le Florentin avec calme. N'y a-t-il pas dans la vie de Votre Majeste quelque evenement si sombre qu'il puisse servir d'epreuve a la clemence, si douloureux qu'il soit une pierre de touche pour la generosite? Ces mots furent prononces avec un accent qui fit frissonner Charlotte elle-meme: c'etait une allusion tellement directe, tellement sensible, que la jeune femme se detourna pour cacher sa rougeur et pour eviter de rencontrer le regard de Henri. Henri fit un supreme effort sur lui-meme; desarma son front, qui, pendant les paroles du Florentin, s'etait charge de menaces, et changeant la noble douleur filiale qui lui etreignait le coeur en vague meditation: -- Dans ma vie, dit-il, un evenement sombre... non, Rene, non, je ne me rappelle de ma jeunesse que la folie et l'insouciance melees aux necessites plus ou moins cruelles qu'imposent a tous les besoins de la nature et les epreuves de Dieu. Rene se contraignit a son tour en promenant son attention de Henri a Charlotte, comme pour exciter l'un et retenir l'autre; car Charlotte, en effet, se remettant a sa toilette pour cacher la gene que lui inspirait cette conversation, venait de nouveau d'etendre la main vers la boite d'opiat. -- Mais enfin, Sire, si vous etiez le frere du prince de Porcian, ou le fils du prince de Conde, et qu'on eut empoisonne votre frere ou assassine votre pere... Charlotte poussa un leger cri et approcha de nouveau l'opiat de ses levres. Rene vit le mouvement; mais, cette fois, il ne l'arreta ni de la parole ni du geste, seulement il s'ecria: -- Au nom du Ciel! repondez, Sire: Sire, si vous etiez a leur place, que feriez-vous? Henri se recueillit, essuya de sa main tremblante son front ou perlaient quelques gouttes de sueur froide, et, se levant de toute sa hauteur, il repondit, au milieu du silence qui suspendait jusqu'a la respiration de Rene et de Charlotte: -- Si j'etais a leur place et que je fusse sur d'etre roi, c'est- a-dire de representer Dieu sur la terre, je ferais comme Dieu, je pardonnerais. -- Madame, s'ecria Rene en arrachant l'opiat des mains de madame de Sauve, madame, rendez-moi cette boite; mon garcon, je le vois, s'est trompe en vous l'apportant: demain je vous en enverrai une autre. XXIII Un nouveau converti Le lendemain, il devait y avoir chasse a courre dans la foret de Saint-Germain. Henri avait ordonne qu'on lui tint pret, pour huit heures du matin, c'est-a-dire tout selle et tout bride, un petit cheval du Bearn, qu'il comptait donner a madame de Sauve, mais qu'auparavant il desirait essayer. A huit heures moins un quart, le cheval etait appareille. A huit heures sonnant, Henri descendait. Le cheval, fier et ardent, malgre sa petite taille, dressait les crins et piaffait dans la cour. Il avait fait froid, et un leger verglas couvrait la terre. Henri s'appreta a traverser la cour pour gagner le cote des ecuries ou l'attendaient le cheval et le palefrenier, lorsqu'en passant devant un soldat suisse, en sentinelle a la porte, ce soldat lui presenta les armes en disant: -- Dieu garde Sa Majeste le roi de Navarre! A ce souhait, et surtout a l'accent de la voix qui venait de l'emettre, le Bearnais tressaillit. Il se retourna et fit un pas en arriere. -- de Mouy! murmura-t-il. -- Oui, Sire, de Mouy. -- Que venez-vous faire ici? -- Je vous cherche. -- Que me voulez-vous? -- Il faut que je parle a Votre Majeste. -- Malheureux, dit le roi en se rapprochant de lui, ne sais-tu pas que tu risques ta tete? -- Je le sais. -- Eh bien? -- Eh bien, me voila. Henri palit legerement, car ce danger que courait l'ardent jeune homme, il comprit qu'il le partageait. Il regarda donc avec inquietude autour de lui, et se recula une seconde fois, non moins vivement que la premiere. Il venait d'apercevoir le duc d'Alencon a une fenetre. Changeant aussitot d'allure, Henri prit le mousquet des mains de de Mouy, place, comme nous l'avons dit, en sentinelle, et tout en ayant l'air de l'examiner: -- de Mouy, lui dit-il, ce n'est pas certainement sans un motif bien puissant que vous etes venu ainsi vous jeter dans la gueule du loup? -- Non, Sire. Aussi voila huit jours que je vous guette. Hier seulement, j'ai appris que Votre Majeste devait essayer ce cheval ce matin et j'ai pris poste a la porte du Louvre. -- Mais comment sous ce costume? -- Le capitaine de la compagnie est protestant et de mes amis. -- Voici votre mousquet, remettez-vous a votre faction. On nous examine. En repassant, je tacherai de vous dire un mot; mais si je ne vous parle point, ne m'arretez point. Adieu. de Mouy reprit sa marche mesuree, et Henri s'avanca vers le cheval. -- Qu'est-ce que ce joli petit animal? demanda le duc d'Alencon de sa fenetre. -- Un cheval que je devais essayer ce matin, repondit Henri. -- Mais ce n'est point un cheval d'homme, cela. -- Aussi etait-il destine a une belle dame. -- Prenez garde, Henri, vous allez etre indiscret, car nous allons voir cette belle dame a la chasse; et si je ne sais pas de qui vous etes le chevalier, je saurai au moins de qui vous etes l'ecuyer. -- Eh! mon Dieu non, vous ne le saurez pas, dit Henri avec sa feinte bonhomie, car cette belle dame ne pourra sortir, etant fort indisposee ce matin. Et il se mit en selle. -- Ah bah! dit d'Alencon en riant, pauvre madame de Sauve! -- Francois! Francois! c'est vous qui etes indiscret. -- Et qu'a-t-elle donc cette belle Charlotte? reprit le duc d'Alencon. -- Mais, continua Henri en lancant son cheval au petit galop et en lui faisant decrire un cercle de manege, mais je ne sais trop: une grande lourdeur de tete, a ce que m'a dit Dariole, une espece d'engourdissement par tout le corps, une faiblesse generale enfin. -- Et cela vous empechera-t-il d'etre des notres? demanda le duc. -- Moi, et pourquoi? reprit Henri, vous savez que je suis fou de la chasse a courre, et que rien n'aurait cette influence de m'en faire manquer une. -- Vous manquerez pourtant celle-ci, Henri, dit le duc apres s'etre retourne et avoir cause un instant avec une personne qui etait demeuree invisible aux yeux de Henri, attendu qu'elle causait avec son interlocuteur du fond de la chambre, car voici Sa Majeste qui me fait dire que la chasse ne peut avoir lieu. -- Bah! dit Henri de l'air le plus desappointe du monde. Pourquoi cela? -- Des lettres fort importantes de M. de Nevers, a ce qu'il parait. Il y a conseil entre le roi, la reine mere et mon frere le duc d'Anjou. -- Ah! ah! fit en lui-meme Henri, serait-il arrive des nouvelles de Pologne? Puis tout haut: -- En ce cas, continua-t-il, il est inutile que je me risque plus longtemps sur ce verglas. Au revoir, mon frere! Puis arretant le cheval en face de de Mouy: -- Mon ami, dit-il, appelle un de tes camarades pour finir ta faction. Aide le palefrenier a dessangler ce cheval, mets la selle sur ta tete et porte-la chez l'orfevre de la sellerie; il y a une broderie a y faire qu'il n'avait pas eu le temps d'achever pour aujourd'hui. Tu reviendras me rendre reponse chez moi. de Mouy se hata d'obeir, car le duc d'Alencon avait disparu de sa fenetre, et il est evident qu'il avait concu quelque soupcon. En effet, a peine avait-il tourne le guichet que le duc d'Alencon parut. Un veritable Suisse etait a la place de de Mouy. D'Alencon regarda avec grande attention le nouveau factionnaire; puis se retournant du cote de Henri: -- Ce n'est point avec cet homme que vous causiez tout a l'heure, n'est-ce pas, mon frere? -- L'autre est un garcon qui est de ma maison et que j'ai fait entrer dans les Suisses: je lui ai donne une commission et il est alle l'executer. -- Ah! fit le duc, comme si cette reponse lui suffisait. Et Marguerite, comment va-t-elle? -- Je vais le lui demander, mon frere. -- Ne l'avez-vous donc point vue depuis hier? -- Non, je me suis presente chez elle cette nuit vers onze heures, mais Gillonne m'a dit qu'elle etait fatiguee et qu'elle dormait. -- Vous ne la trouverez point dans son appartement, elle est sortie. -- Oui, dit Henri, c'est possible; elle devait aller au couvent de l'Annonciade. Il n'y avait pas moyen de pousser la conversation plus loin, Henri paraissant decide seulement a repondre. Les deux beaux-freres se quitterent donc, le duc d'Alencon pour aller aux nouvelles, disait-il, le roi de Navarre pour rentrer chez lui. Henri y etait a peine depuis cinq minutes lorsqu'il entendit frapper. -- Qui est la? demanda-t-il. -- Sire, repondit une voix que Henri reconnut pour celle de de Mouy, c'est la reponse de l'orfevre de la sellerie. Henri, visiblement emu, fit entrer le jeune homme, et referma la porte derriere lui. -- C'est vous, de Mouy! dit-il. J'esperais que vous reflechiriez. -- Sire, repondit de Mouy, il y a trois mois que je reflechis, c'est assez; maintenant il est temps d'agir. Henri fit un mouvement d'inquietude. -- Ne craignez rien, Sire, nous sommes seuls et je me hate, car les moments sont precieux. Votre Majeste peut nous rendre, par un seul mot, tout ce que les evenements de l'annee ont fait perdre a la religion. Soyons clairs, soyons brefs, soyons francs. -- J'ecoute, mon brave de Mouy, repondit Henri voyant qu'il lui etait impossible d'eluder l'explication. -- Est-il vrai que Votre Majeste ait abjure la religion protestante? -- C'est vrai, dit Henri. -- Oui, mais est-ce des levres? est-ce du coeur? -- On est toujours reconnaissant a Dieu quand il nous sauve la vie, repondit Henri tournant la question, comme il avait l'habitude de le faire en pareil cas, et Dieu m'a visiblement epargne dans ce cruel danger. -- Sire, reprit de Mouy, avouons une chose. -- Laquelle? -- C'est que votre abjuration n'est point une affaire de conviction, mais de calcul. Vous avez abjure pour que le roi vous laissat vivre, et non parce que Dieu vous avait conserve la vie. -- Quelle que soit la cause de ma conversion, de Mouy, repondit Henri, je n'en suis pas moins catholique. -- Oui, mais le resterez-vous toujours? a la premiere occasion de reprendre votre liberte d'existence et de conscience, ne la reprendrez-vous pas? Eh bien! cette occasion, elle se presente: La Rochelle est insurgee, le Roussillon et le Bearn n'attendent qu'un mot pour agir; dans la Guyenne, tout crie a la guerre. Dites-moi seulement que vous etes un catholique force et je vous reponds de l'avenir. -- On ne force pas un gentilhomme de ma naissance, mon cher de Mouy. Ce que j'ai fait, je l'ai fait librement. -- Mais, Sire, dit le jeune homme le coeur oppresse de cette resistance a laquelle il ne s'attendait pas, vous ne songez donc pas qu'en agissant ainsi vous nous abandonnez... vous nous trahissez? Henri resta impassible. -- Oui, reprit de Mouy, oui, vous nous trahissez, Sire, car plusieurs d'entre nous sont venus, au peril de leur vie, pour sauver votre honneur et votre liberte. Nous avons tout prepare pour vous donner un trone, Sire, entendez-vous bien? Non seulement la liberte, mais la puissance: un trone a votre choix, car dans deux mois vous pourrez opter entre Navarre et France. -- de Mouy, dit Henri en voilant son regard, qui malgre lui, a cette proposition, avait jete un eclair, de Mouy, je suis sauf, je suis catholique, je suis l'epoux de Marguerite, je suis frere du roi Charles, je suis gendre de ma bonne mere Catherine. de Mouy, en prenant ces diverses positions, j'en ai calcule les chances, mais aussi les obligations. -- Mais, Sire, reprit de Mouy, a quoi faut-il croire? On me dit que votre mariage n'est pas consomme, on me dit que vous etes libre au fond du coeur, on me dit que la haine de Catherine... -- Mensonge, mensonge, interrompit vivement le Bearnais. Oui, l'on vous a trompe impudemment, mon ami. Cette chere Marguerite est bien ma femme; Catherine est bien ma mere; le roi Charles IX enfin est bien le seigneur et le maitre de ma vie et de mon coeur. de Mouy frissonna, un sourire presque meprisant passa sur ses levres. -- Ainsi donc, Sire, dit-il en laissant retomber ses bras avec decouragement et en essayant de sonder du regard cette ame pleine de tenebres, voila la reponse que je rapporterai a mes freres. Je leur dirai que le roi de Navarre tend sa main et donne son coeur a ceux qui nous ont egorges, je leur dirai qu'il est devenu le flatteur de la reine mere et l'ami de Maurevel... -- Mon cher de Mouy, dit Henri, le roi va sortir du conseil, et il faut que j'aille m'informer pres de lui des raisons qui nous ont fait remettre une chose aussi importante qu'une partie de chasse. Adieu, imitez-moi, mon ami, quittez la politique, revenez au roi et prenez la messe. Et Henri reconduisit ou plutot repoussa jusqu'a l'antichambre le jeune homme, dont la stupefaction commencait a faire place a la fureur. A peine eut-il referme la porte que, ne pouvant resister a l'envie de se venger sur quelque chose a defaut de quelqu'un, de Mouy broya son chapeau entre ses mains, le jeta a terre, et le foulant aux pieds comme fait un taureau du manteau du matador: -- Par la mort! s'ecria-t-il, voila un miserable prince, et j'ai bien envie de me faire tuer ici pour le souiller a jamais de mon sang. -- Chut! monsieur de Mouy! dit une voix qui se glissait par l'ouverture d'une porte entrebaillee; chut! car un autre que moi pourrait vous entendre. de Mouy se retourna vivement et apercut le duc d'Alencon enveloppe d'un manteau et avancant sa tete pale dans le corridor pour s'assurer si de Mouy et lui etaient bien seuls. -- M. le duc d'Alencon! s'ecria de Mouy, je suis perdu. -- Au contraire, murmura le prince, peut-etre meme avez-vous trouve ce que vous cherchez, et la preuve, c'est que je ne veux pas que vous vous fassiez tuer ici comme vous en avez le dessein. Croyez-moi, votre sang peut etre mieux employe qu'a rougir le seuil du roi de Navarre. Et a ces mots le duc ouvrit toute grande la porte qu'il tenait entrebaillee. -- Cette chambre est celle de deux de mes gentilshommes, dit le duc; nul ne viendra nous relancer ici; nous pourrons donc y causer en toute liberte. Venez, monsieur. -- Me voici, Monseigneur! dit le conspirateur stupefait. Et il entra dans la chambre, dont le duc d'Alencon referma la porte derriere lui non moins vivement que n'avait fait le roi de Navarre. de Mouy etait entre furieux, exaspere, maudissant; mais peu a peu le regard froid et fixe du jeune duc Francois fit sur le capitaine huguenot l'effet de cette glace enchantee qui dissipe l'ivresse. -- Monseigneur, dit-il, si j'ai bien compris, Votre Altesse veut me parler? -- Oui, monsieur de Mouy, repondit Francois. Malgre votre deguisement, j'avais cru vous reconnaitre, et quand vous avez presente les armes a mon frere Henri, je vous ai reconnu tout a fait. Eh bien, de Mouy, vous n'etes donc pas content du roi de Navarre? -- Monseigneur! -- Allons, voyons! parlez-moi hardiment. Sans que vous vous en doutiez, peut-etre suis-je de vos amis. -- Vous, Monseigneur? -- Oui, moi. Parlez donc. -- Je ne sais que dire a Votre Altesse, Monseigneur. Les choses dont j'avais a entretenir le roi de Navarre touchent a des interets que Votre Altesse ne saurait comprendre. D'ailleurs, ajouta de Mouy d'un air qu'il tacha de rendre indifferent, il s'agissait de bagatelles. -- De bagatelles? fit le duc. -- Oui, Monseigneur. -- De bagatelles pour lesquelles vous avez cru devoir exposer votre vie en revenant au Louvre, ou, vous le savez, votre tete vaut son pesant d'or. Car on n'ignore point que vous etes, avec le roi de Navarre et le prince de Conde, un des principaux chefs des huguenots. -- Si vous croyez cela, Monseigneur, agissez envers moi comme doit le faire le frere du roi Charles et le fils de la reine Catherine. -- Pourquoi voulez-vous que j'agisse ainsi, quand je vous ai dit que j'etais de vos amis? Dites-moi donc la verite. -- Monseigneur, dit de Mouy, je vous jure... -- Ne jurez pas, monsieur; la religion reformee defend de faire des serments, et surtout de faux serments. de Mouy fronca le sourcil. -- Je vous dis que je sais tout, reprit le duc. de Mouy continua de se taire. -- Vous en doutez? reprit le prince avec une affectueuse insistance. Eh bien, mon cher de Mouy, il faut vous convaincre. Voyons, vous allez juger si je me trompe. Avez-vous ou non propose a mon beau-frere Henri, la, tout a l'heure (le duc etendit la main dans la direction de la chambre du Bearnais), votre secours et celui des votres pour le reinstaller dans sa royaute de Navarre? de Mouy regarda le duc d'un air effare. -- Propositions qu'il a refusees avec terreur! de Mouy demeura stupefait. -- Avez-vous alors invoque votre ancienne amitie, le souvenir de la religion commune? Avez-vous meme alors leurre le roi de Navarre d'un espoir bien brillant, si brillant qu'il en a ete ebloui, de l'espoir d'atteindre a la couronne de France? Hein? dites, suis-je bien informe? Est-ce la ce que vous etes venu proposer au Bearnais? -- Monseigneur! s'ecria de Mouy, c'est si bien cela que je me demande en ce moment meme si je ne dois pas dire a Votre Altesse Royale qu'elle en a menti! provoquer dans cette chambre un combat sans merci, et assurer ainsi par la mort de nous deux l'extinction de ce terrible secret! -- Doucement, mon brave de Mouy, doucement, dit le duc d'Alencon sans changer de visage, sans faire le moindre mouvement a cette terrible menace; le secret s'eteindra mieux entre nous si nous vivons tous deux que si l'un de nous meurt. Ecoutez-moi et cessez de tourmenter ainsi la poignee de votre epee. Pour la troisieme fois, je vous dis que vous etes avec un ami; repondez donc comme a un ami. Voyons, le roi de Navarre n'a-t-il pas refuse tout ce que vous lui avez offert? -- Oui, Monseigneur, et je l'avoue, puisque cet aveu ne peut compromettre que moi. -- N'avez-vous pas crie en sortant de sa chambre et en foulant aux pieds votre chapeau, qu'il etait un prince lache et indigne de demeurer votre chef? -- C'est vrai, Monseigneur, j'ai dit cela. -- Ah! c'est vrai! Vous l'avouez, enfin? -- Oui. -- Et c'est toujours votre avis? -- Plus que jamais, Monseigneur! -- Eh bien, moi, moi, monsieur de Mouy, moi, troisieme fils de Henri II, moi, fils de France, suis-je assez bon gentilhomme pour commander a vos soldats, voyons? et jugez-vous que je suis assez loyal pour que vous puissiez compter sur ma parole? -- Vous, Monseigneur! vous, le chef des huguenots? -- Pourquoi pas? C'est l'epoque des conversions, vous le savez. Henri s'est bien fait catholique, je puis bien me faire protestant, moi. -- Oui, sans doute, Monseigneur; mais j'attends que vous m'expliquiez... -- Rien de plus simple, et je vais vous dire en deux mots la politique de tout le monde. " Mon frere Charles tue les huguenots pour regner plus largement. Mon frere d'Anjou les laisse tuer parce qu'il doit succeder a mon frere Charles, et que, comme vous le savez, mon frere Charles est souvent malade. Mais moi... et c'est tout different, moi qui ne regnerai jamais, en France du moins, attendu que j'ai deux aines devant moi; moi que la haine de ma mere et de mes freres, plus encore que la loi de la nature, eloigne du trone; moi qui ne dois pretendre a aucune affection de famille, a aucune gloire, a aucun royaume; moi qui, cependant, porte un coeur aussi noble que mes aines; eh bien! de Mouy! moi, je veux chercher a me tailler avec mon epee un royaume dans cette France qu'ils couvrent de sang. " Or, voila ce que je veux, moi, de Mouy, ecoutez." Je veux etre roi de Navarre, non par la naissance, mais par l'election. Et remarquez bien que vous n'avez aucune objection a faire a cela, car je ne suis pas usurpateur, puisque mon frere refuse vos offres, et, s'ensevelissant dans sa torpeur, reconnait hautement que ce royaume de Navarre n'est qu'une fiction. Avec Henri de Bearn, vous n'avez rien; avec moi, vous avez une epee et un nom. Francois d'Alencon, fils de France, sauvegarde tous ses compagnons ou tous ses complices, comme il vous plaira de les appeler. Eh bien, que dites-vous de cette offre, monsieur de Mouy? -- Je dis qu'elle m'eblouit, Monseigneur. -- de Mouy, de Mouy, nous aurons bien des obstacles a vaincre. Ne vous montrez donc pas des l'abord si exigeant et si difficile envers un fils de roi et un frere de roi qui vient a vous. -- Monseigneur, la chose serait deja faite si j'etais seul a soutenir mes idees; mais nous avons un conseil, et si brillante que soit l'offre, peut-etre meme a cause de cela, les chefs du parti n'y adhereront-ils pas sans condition. -- Ceci est autre chose, et la reponse est d'un coeur honnete et d'un esprit prudent. A la facon dont je viens d'agir, de Mouy, vous avez du reconnaitre ma probite. Traitez-moi donc de votre cote en homme qu'on estime et non en prince qu'on flatte. de Mouy, ai-je des chances? -- Sur ma parole, Monseigneur, et puisque Votre Altesse veut que je lui donne mon avis, Votre Altesse les a toutes depuis que le roi de Navarre a refuse l'offre que j'etais venu lui faire. Mais, je vous le repete, Monseigneur, me concerter avec nos chefs est chose indispensable. -- Faites donc, monsieur, repondit d'Alencon. Seulement, a quand la reponse? de Mouy regarda le prince en silence. Puis, paraissant prendre une resolution: -- Monseigneur, dit-il, donnez-moi votre main; j'ai besoin que cette main d'un fils de France touche la mienne pour etre sur que je ne serai point trahi. Le duc non seulement tendit la main vers de Mouy, mais il saisit la sienne et la serra. -- Maintenant, Monseigneur, je suis tranquille, dit le jeune huguenot. Si nous etions trahis, je dirais que vous n'y etes pour rien. Sans quoi, Monseigneur, et pour si peu que vous fussiez dans cette trahison, vous seriez deshonore. -- Pourquoi me dites-vous cela, de Mouy, avant de me dire quand vous me rapporterez la reponse de vos chefs? -- Parce que, Monseigneur, en me demandant a quand la reponse, vous me demandez en meme temps ou sont les chefs, et que, si je vous dis: A ce soir, vous saurez que les chefs sont a Paris et s'y cachent. Et en disant ces mots, par un geste de defiance, de Mouy attachait son oeil percant sur le regard faux et vacillant du jeune homme. -- Allons, allons, reprit le duc, il vous reste encore des doutes, monsieur de Mouy. Mais je ne puis du premier coup exiger de vous une entiere confiance. Vous me connaitrez mieux plus tard. Nous allons etre lies par une communaute d'interets qui vous delivrera de tout soupcon. Vous dites donc a ce soir, monsieur de Mouy? -- Oui, Monseigneur, car le temps presse. A ce soir. Mais ou cela, s'il vous plait? -- Au Louvre, ici, dans cette chambre, cela vous convient-il? -- Cette chambre est habitee? dit de Mouy en montrant du regard les deux lits qui s'y trouvaient en face l'un de l'autre. -- Par deux de mes gentilshommes, oui. -- Monseigneur, il me semble imprudent, a moi, de revenir au Louvre. -- Pourquoi cela? -- Parce que, si vous m'avez reconnu, d'autres peuvent avoir d'aussi bons yeux que Votre Altesse et me reconnaitre a leur tour. Je reviendrai cependant au Louvre, si vous m'accordez ce que je vais vous demander. -- Quoi? -- Un sauf-conduit. -- de Mouy, repondit le duc, un sauf-conduit de moi saisi sur vous me perd et ne vous sauve pas. Je ne puis pour vous quelque chose qu'a la condition qu'a tous les yeux nous sommes completement etrangers l'un a l'autre. La moindre relation de ma part avec vous, prouvee a ma mere ou a mes freres, me couterait la vie. Vous etes donc sauvegarde par mon propre interet, du moment ou je me serai compromis avec les autres, comme je me compromets avec vous en ce moment. Libre dans ma sphere d'action, fort si je suis inconnu, tant que je reste moi-meme impenetrable je vous garantis tous; ne l'oubliez pas. Faites donc un nouvel appel a votre courage, tentez sur ma parole ce que vous tentiez sans la parole de mon frere. Venez ce soir au Louvre. -- Mais comment voulez-vous que j'y vienne? Je ne puis risquer ce costume dans les appartements. Il etait pour les vestibules et les cours. Le mien est encore plus dangereux, puisque tout le monde me connait ici et qu'il ne me deguise aucunement. -- Aussi, je cherche, attendez... Je crois que... oui, le voici. En effet, le duc avait jete les yeux autour de lui, et ses yeux s'etaient arretes sur la garde-robe d'apparat de La Mole, pour le moment etendue sur le lit, c'est-a-dire sur ce magnifique manteau cerise brode d'or dont nous avons deja parle, sur son toquet orne d'une plume blanche, entoure d'un cordon de marguerites d'or et d'argent entremelees, enfin sur un pourpoint de satin gris perle et or. -- Voyez-vous ce manteau, cette plume et ce pourpoint? dit le duc; ils appartiennent a M. de La Mole, un de mes gentilshommes, un muguet du meilleur ton. Cet habit a fait rage a la cour, et on reconnait M. de La Mole a cent pas lorsqu'il le porte. Je vais vous donner l'adresse du tailleur qui le lui a fourni; en le lui payant le double de ce qu'il vaut, vous en aurez un pareil ce soir. Vous retiendrez bien le nom de M. de La Mole, n'est-ce pas? Le duc d'Alencon achevait a peine la recommandation, que l'on entendit un pas qui s'approchait dans le corridor et qu'une clef tourna dans la serrure. -- Eh! qui va la? s'ecria le duc en s'elancant vers la porte et en poussant le verrou. -- Pardieu, repondit une voix du dehors, je trouve la question singuliere. Qui va la vous-meme? Voila qui est plaisant! quand je veux rentrer chez moi, on me demande qui va la! -- Est-ce vous, monsieur de la Mole? -- Eh! sans doute que c'est moi. Mais vous, qui etes-vous? Pendant que La Mole exprimait son etonnement de trouver sa chambre habitee et essayait de decouvrir quel en etait le nouveau commensal, le duc d'Alencon se retournait vivement, une main sur le verrou, l'autre sur la serrure. -- Connaissez-vous M. de La Mole? demanda-t-il a de Mouy. -- Non, Monseigneur. -- Et lui, vous connait-il? -- Je ne le crois pas. -- Alors, tout va bien; d'ailleurs, faites semblant de regarder par la fenetre. de Mouy obeit sans repondre, car La Mole commencait a s'impatienter et frappait a tour de bras. Le duc d'Alencon jeta un dernier regard vers de Mouy, et, voyant qu'il avait le dos tourne, il ouvrit. -- Monseigneur le duc! s'ecria La Mole en reculant de surprise, oh! pardon, pardon, Monseigneur! -- Ce n'est rien, monsieur. J'ai eu besoin de votre chambre pour recevoir quelqu'un. -- Faites, Monseigneur, faites. Mais permettez, je vous en supplie, que je prenne mon manteau et mon chapeau, qui sont sur le lit; car j'ai perdu l'un et l'autre cette nuit sur le quai de la Greve, ou j'ai ete attaque de nuit par des voleurs. -- En effet, monsieur, dit le prince en souriant et en passant lui-meme a La Mole les objets demandes, vous voici assez mal accommode; vous avez eu affaire a des gaillards fort entetes, a ce qu'il parait! Et le duc passa lui-meme a La Mole le manteau et le toquet. Le jeune homme salua et sortit pour changer de vetement dans l'antichambre, ne s'inquietant aucunement de ce que le duc faisait dans sa chambre; car c'etait assez l'usage au Louvre que les logements des gentilshommes fussent, pour les princes auxquels ils etaient attaches, des hotelleries qu'ils employaient a toutes sortes de receptions. de Mouy se rapprocha alors du duc, et tous deux ecouterent pour savoir le moment ou La Mole aurait fini et sortirait; mais lorsqu'il eut change de costume, lui-meme les tira d'embarras, car, s'approchant de la porte: -- Pardon, Monseigneur! dit-il; mais Votre Altesse n'a pas rencontre sur son chemin le comte de Coconnas? -- Non, monsieur le comte! et cependant il etait de service ce matin. -- Alors on me l'aura assassine, dit La Mole en se parlant a lui- meme tout en s'eloignant. Le duc ecouta le bruit des pas qui allaient s'affaiblissant; puis ouvrant la porte et tirant de Mouy apres lui: -- Regardez-le s'eloigner, dit-il, et tachez d'imiter cette tournure inimitable. -- Je ferai de mon mieux, repondit de Mouy. Malheureusement je ne suis pas un damoiseau, mais un soldat. -- En tout cas, je vous attends avant minuit dans ce corridor. Si la chambre de mes gentilshommes est libre, je vous y recevrai; si elle ne l'est pas, nous en trouverons une autre. -- Oui, Monseigneur. -- Ainsi donc, a ce soir, avant minuit. -- A ce soir, avant minuit. -- Ah! a propos, de Mouy, balancez fort le bras droit en marchant, c'est l'allure particuliere de M. de La Mole. XXIV La rue Tizon et la rue Cloche-Percee La Mole sortit du Louvre tout courant, et se mit a fureter dans Paris pour decouvrir le pauvre Coconnas. Son premier soin fut de se rendre a la rue de l'Arbre-Sec et d'entrer chez maitre La Huriere, car La Mole se rappelait avoir souvent cite au Piemontais certaine devise latine qui tendait a prouver que l'Amour, Bacchus et Ceres sont des dieux de premiere necessite, et il avait l'espoir que Coconnas, pour suivre l'aphorisme romain, se serait installe a la Belle-Etoile, apres une nuit qui devait avoir ete pour son ami non moins occupee qu'elle ne l'avait ete pour lui. La Mole ne trouva rien chez La Huriere que le souvenir de l'obligation prise et un dejeuner offert d'assez bonne grace que notre gentilhomme accepta avec grand appetit, malgre son inquietude. L'estomac tranquillise a defaut de l'esprit, La Mole se remit en course, remontant la Seine, comme ce mari qui cherchait sa femme noyee. En arrivant sur le quai de Greve, il reconnut l'endroit ou, ainsi qu'il l'avait dit a M. d'Alencon, il avait, pendant sa course nocturne, ete arrete trois ou quatre heures auparavant, ce qui n'etait pas rare dans un Paris plus vieux de cent ans que celui ou Boileau se reveillait au bruit d'une balle percant son volet. Un petit morceau de la plume de son chapeau etait reste sur le champ de bataille. Le sentiment de possession est inne chez l'homme. La Mole avait dix plumes plus belles les unes que les autres; il ne s'arreta pas moins a ramasser celle-la, ou plutot le seul fragment qui en eut survecu, et le considerait d'un air piteux, lorsque des pas alourdis retentirent, s'approchant de lui, et que des voix brutales lui ordonnerent de se ranger. La Mole releva la tete et apercut une litiere precedee de deux pages et accompagnee d'un ecuyer. La Mole crut reconnaitre la litiere et se rangea vivement. Le jeune gentilhomme ne s'etait pas trompe. -- Monsieur de la Mole! dit une voix pleine de douceur qui sortait de la litiere, tandis qu'une main blanche et douce comme le satin ecartait les rideaux. -- Oui, madame, moi-meme, repondit La Mole en s'inclinant. -- Monsieur de la Mole une plume a la main..., continua la dame a la litiere; etes-vous donc amoureux, mon cher monsieur, et retrouvez-vous des traces perdues? -- Oui, madame, repondit La Mole, je suis amoureux, et tres fort; mais pour le moment, ce sont mes propres traces que je retrouve, quoique ce ne soient pas elles que je cherche. Mais Votre Majeste me permettra-t-elle de lui demander des nouvelles de sa sante. -- Excellente, monsieur; je ne me suis jamais mieux portee, ce me semble; cela vient probablement de ce que j'ai passe la nuit en retraite. -- Ah! en retraite, dit La Mole en regardant Marguerite d'une facon etrange. -- Eh bien, oui! qu'y a-t-il d'etonnant a cela? -- Peut-on, sans indiscretion, vous demander dans quel couvent? -- Certainement, monsieur, je n'en fais pas mystere: au couvent des Annonciades. Mais vous, que faites-vous ici avec cet air effarouche? -- Madame, moi aussi j'ai passe la nuit en retraite et dans les environs du meme couvent; ce matin, je cherche mon ami, qui a disparu, et en le cherchant j'ai retrouve cette plume. -- Qui vient de lui? Mais en verite nous m'effrayez sur son compte, la place est mauvaise. -- Que Votre Majeste se rassure, la plume vient de moi; je l'ai perdue vers cinq heures et demie sur cette place, en me sauvant des mains de quatre bandits qui me voulaient a toute force assassiner, a ce que je crois du moins. Marguerite reprima un vif mouvement d'effroi. -- Oh! contez-moi cela! dit-elle. -- Rien de plus simple, madame. Il etait donc, comme j'avais l'honneur de dire a Votre Majeste, cinq heures du matin a peu pres... -- Et a cinq heures du matin, interrompit Marguerite, vous etiez deja sorti? -- Votre Majeste m'excusera, dit La Mole, je n'etais pas encore rentre. -- Ah! monsieur de la Mole! rentrer a cinq heures du matin! dit Marguerite avec un sourire qui pour tous etait malicieux et que La Mole eut la fatuite de trouver adorable, rentrer si tard! vous aviez merite cette punition. -- Aussi je ne me plains pas, madame, dit La Mole en s'inclinant avec respect, et j'eusse ete eventre que je m'estimerais encore plus heureux cent fois que je ne merite de l'etre. Mais enfin je rentrais tard ou de bonne heure, comme Votre Majeste voudra, de cette bien heureuse maison ou j'avais passe la nuit en retraite, lorsque quatre tire-laine ont debouche de la rue de la Mortellerie et m'ont poursuivi avec des coupe-choux demesurement longs. C'est grotesque, n'est-ce pas, madame? mais enfin c'est comme cela; il m'a fallu fuir, car j'avais oublie mon epee. -- Oh! je comprends, dit Marguerite avec un air d'admirable naivete, et vous retournez chercher votre epee. La Mole regarda Marguerite comme si un doute se glissait dans son esprit. -- Madame, j'y retournerais effectivement et meme tres volontiers, attendu que mon epee est une excellente lame, mais je ne sais pas ou est cette maison. -- Comment, monsieur! reprit Marguerite, vous ne savez pas ou est la maison ou vous avez passe la nuit? -- Non, madame, et que Satan m'extermine si je m'en doute! -- Oh! voila qui est singulier! c'est donc tout un roman que votre histoire? -- Un veritable roman, vous l'avez dit, madame. -- Contez-la-moi. -- C'est un peu long. -- Qu'importe! j'ai le temps. -- Et fort incroyable surtout. -- Allez toujours: je suis on ne peut plus credule. -- Votre Majeste l'ordonne? -- Mais oui, s'il le faut. -- J'obeis. Hier soir, apres avoir quitte deux adorables femmes avec lesquelles nous avions passe la soiree sur le pont Saint- Michel, nous soupions chez maitre La Huriere. -- D'abord, demanda Marguerite avec un naturel parfait, qu'est-ce que maitre La Huriere? -- Maitre La Huriere, madame, dit La Mole en regardant une seconde fois Marguerite avec cet air de doute qu'on avait deja pu remarquer une premiere fois chez lui, maitre La Huriere est le maitre de l'hotellerie de la Belle Etoile, situee rue de l'Arbre- Sec. -- Bien, je vois cela d'ici... Vous soupiez donc chez maitre La Huriere, avec votre ami Coconnas sans doute? -- Oui, madame, avec mon ami Coconnas, quand un homme entra et nous remit a chacun un billet. -- Pareil? demanda Marguerite. -- Exactement pareil. Cette ligne seulement: "Vous etes attendu rue Saint-Antoine, en face de la rue de Jouy." -- Et pas de signature au bas de ce billet? demanda Marguerite. -- Non; mais trois mots, trois mots charmants qui promettaient trois fois la meme chose; c'est-a-dire un triple bonheur. -- Et quels etaient ces trois mots? -- _Eros-Cupido-Amor._ _-- _En effet, ce sont trois doux noms; et ont-ils tenu ce qu'ils promettaient? -- Oh! plus, madame, cent fois plus! s'ecria La Mole avec enthousiasme. -- Continuez; je suis curieuse de savoir ce qui vous attendait rue Saint Antoine, en face la rue de Jouy. -- Deux duegnes avec chacune un mouchoir a la main. Il s'agissait de nous laisser bander les yeux. Votre Majeste devine que nous n'y fimes point de difficulte. Nous tendimes bravement le cou. Mon guide me fit tourner a gauche, le guide de mon ami le fit tourner a droite, et nous nous separames. -- Et alors? continua Marguerite, qui paraissait decidee a pousser l'investigation jusqu'au bout. -- Je ne sais, reprit La Mole, ou son guide conduisit mon ami. En enfer, peut-etre. Mais quant a moi, ce que je sais, c'est que le mien me mena en un lieu que je tiens pour le paradis. -- Et d'ou vous fit sans doute chasser votre trop grande curiosite? -- Justement, madame, et vous avez le don de la divination. J'attendais le jour avec impatience pour voir ou j'etais, quand, a quatre heures et demie, la meme duegne est rentree, m'a bande de nouveau les yeux, m'a fait promettre de ne point chercher a soulever mon bandeau, m'a conduit dehors, m'a accompagne cent pas, m'a fait encore jurer de n'oter mon bandeau que lorsque j'aurais compte jusqu'a cinquante. J'ai compte jusqu'a cinquante, et je me suis trouve rue Saint-Antoine, en face la rue de Jouy. -- Et alors...? -- Alors, madame, je suis revenu tellement joyeux que je n'ai point fait attention aux quatre miserables des mains desquels j'ai eu tant de mal a me tirer. Or, madame, continua La Mole, en retrouvant ici un morceau de ma plume, mon coeur a tressailli de joie, et je l'ai ramasse en me promettant a moi-meme de le garder comme un souvenir de cette heureuse nuit. Mais, au milieu de mon bonheur, une chose me tourmente, c'est ce que peut etre devenu mon compagnon. -- Il n'est pas rentre au Louvre? -- Helas! non, madame! Je l'ai cherche partout ou il pouvait etre, a la Belle-Etoile, au jeu de paume, et en quantite d'autres lieux honorables; mais d'Annibal point et de Coconnas pas davantage... En disant ces paroles et les accompagnant d'un geste lamentable, La Mole ouvrit les bras et ecarta son manteau, sous lequel on vit bailler a divers endroits son pourpoint qui montrait, comme autant d'elegants creves, la doublure par les accrocs. -- Mais vous avez ete crible? dit Marguerite. -- Crible, c'est le mot! dit La Mole, qui n'etait pas fache de se faire un merite du danger qu'il avait couru. Voyez, madame! voyez! -- Comment n'avez-vous pas change de pourpoint au Louvre, puisque vous y etes retourne? demanda la reine. -- Ah! dit La Mole, c'est qu'il y avait quelqu'un dans ma chambre. -- Comment, quelqu'un dans votre chambre? dit Marguerite dont les yeux exprimerent le plus vif etonnement; et qui donc etait dans votre chambre? -- Son Altesse... -- Chut! interrompit Marguerite. Le jeune homme obeit. -- _Qui ad lecticam meam stant? _dit-elle a La Mole. -- _Duo pueri et unus eques._ _-- Optime, barbari! _dit-elle. _Dic, Moles, quem inveneris in cubiculo tuo?_ _-- Franciscum ducem._ _-- Agentem?_ _-- Nescio quid._ _-- Quocum?_ _-- Cum ignoto. _ -- C'est bizarre, dit Marguerite. Ainsi vous n'avez pu retrouver Coconnas? continua-t-elle sans songer evidemment a ce qu'elle disait. -- Aussi, madame, comme j'avais l'honneur de le dire a Votre Majeste, j'en meurs veritablement d'inquietude. -- Eh bien, dit Marguerite en soupirant, je ne veux pas vous distraire plus longtemps de sa recherche, mais je ne sais pourquoi j'ai l'idee qu'il se retrouvera tout seul! N'importe, allez toujours. Et la reine appuya son doigt sur sa bouche. Or, comme la belle Marguerite n'avait confie aucun secret, n'avait fait aucun aveu a La Mole, le jeune homme comprit que ce geste charmant, ne pouvant avoir pour but de lui recommander le silence, devait avoir une autre signification. Le cortege se remit en marche; et La Mole, dans le but de poursuivre son investigation, continua de remonter le quai jusqu'a la rue du Long-Pont, qui le conduisit dans la rue Saint-Antoine. En face la rue de Jouy, il s'arreta. C'etait la que, la veille, les deux duegnes leur avaient bande les yeux, a lui et a Coconnas. Il avait tourne a gauche, puis il avait compte vingt pas; il recommenca le manege et se trouva en face d'une maison ou plutot d'un mur derriere lequel s'elevait une maison; au milieu de ce mur etait une porte a auvent garnie de clous larges et de meurtrieres. La maison etait situee rue Cloche-Percee, petite rue etroite qui commence a la rue Saint-Antoine et aboutit a la rue du Roi-de- Sicile. -- Par la sambleu! dit La Mole, c'est bien la... j'en jurerais... En etendant la main, comme je sortais, j'ai senti les clous de la porte, puis j'ai descendu deux degres. Cet homme qui courait en criant: A l'aide! et qu'on a tue rue du Roi-de-Sicile, passait au moment ou je mettais le pied sur le premier. Voyons. La Mole alla a la porte et frappa. La porte s'ouvrit, et une espece de concierge a moustaches vint ouvrir. -- _Was ist das?_ demanda le concierge. -- Ah! ah! fit La Mole, il me parait que nous sommes Suisse. Mon ami, continua-t-il en prenant son air le plus charmant, je voudrais avoir mon epee, que j'ai laissee dans cette maison ou j'ai passe la nuit. -- _Ich verstehe nicht_, repeta le concierge. -- Mon epee..., reprit La Mole. -- _Ich verstehe nicht_, repeta le concierge. -- ... que j'ai laissee... Mon epee, que j'ai laissee... -- _Ich verstehe nicht..._ _-- _... dans cette maison, ou j'ai passe la nuit. -- _Gehe zum Teufel... _Et il lui referma la porte au nez. -- Mordieu! dit La Mole, si j'avais cette epee que je reclame, je la passerais bien volontiers a travers le corps de ce drole-la. Mais je ne l'ai point, et ce sera pour un autre jour. Sur quoi La Mole continua son chemin jusqu'a la rue du Roi-de- Sicile, prit a droite, fit cinquante pas a peu pres, prit a droite encore et se trouva rue Tizon, petite rue parallele a la rue Cloche-Percee, et en tout point semblable. Il y eut plus: a peine eut-il fait trente pas, qu'il retrouva la petite porte a clous larges, a auvent et a meurtrieres, les deux degres et le mur. On eut dit que la rue Cloche-Percee s'etait retournee pour le voir passer. La Mole reflechit alors qu'il avait bien pu prendre sa droite pour sa gauche, et il alla frapper a cette porte pour y faire la meme reclamation qu'il avait faite a l'autre. Mais cette fois il eut beau frapper, on n'ouvrit meme pas. La Mole fit et refit deux ou trois fois le meme tour qu'il venait de faire, ce qui l'amena a cette idee, toute naturelle, que la maison avait deux entrees, l'une sur la rue ClochePercee et l'autre sur la rue Tizon. Mais ce raisonnement, si logique qu'il fut, ne lui rendait pas son epee, et ne lui apprenait pas ou etait son ami. Il eut un instant l'idee d'acheter une autre epee et d'eventrer le miserable portier qui s'obstinait a ne parler qu'allemand; mais il pensa que si ce portier etait a Marguerite et que si Marguerite l'avait choisi ainsi, c'est qu'elle avait ses raisons pour cela, et qu'il lui serait peut-etre desagreable d'en etre privee. Or, La Mole, pour rien au monde, n'eut voulu faire une chose desagreable a Marguerite. De peur de ceder a la tentation, il reprit donc vers les deux heures de l'apres midi le chemin du Louvre. Comme son appartement n'etait point occupe cette fois, il put rentrer chez lui. La chose etait assez urgente relativement au pourpoint, qui, comme lui avait fait observer la reine, etait considerablement deteriore. Il s'avanca donc incontinent vers son lit pour substituer le beau pourpoint gris perle a celui-la. Mais, a son grand etonnement, la premiere chose qu'il apercut pres du pourpoint gris perle fut cette fameuse epee qu'il avait laissee rue Cloche-Percee. La Mole la prit, la tourna et la retourna: c'etait bien elle. -- Ah! ah! fit-il, est-ce qu'il y aurait quelque magie la-dessous? Puis avec un soupir: Ah! si le pauvre Coconnas se pouvait retrouver comme mon epee! Deux ou trois heures apres que La Mole avait cesse sa ronde circulaire autour de la petite maison double, la porte de la rue Tizon s'ouvrit. Il etait cinq heures du soir a peu pres, et par consequent nuit fermee. Une femme enveloppee dans un long manteau garni de fourrures, accompagnee d'une suivante, sortit par cette porte que lui tenait ouverte une duegne d'une quarantaine d'annees, se glissa rapidement jusqu'a la rue du Roi-de-Sicile, frappa a une petite porte de la rue d'Argenson qui s'ouvrit devant elle, sortit par la grande porte du meme hotel qui donnait Vieille-rue-du-Temple, alla gagner une petite poterne de l'hotel de Guise, l'ouvrit avec une clef qu'elle avait dans sa poche, et disparut. Une demi-heure apres, un jeune homme, les yeux bandes, sortait par la meme porte de la meme petite maison, guide par une femme qui le conduisait au coin de la rue Geoffroy-Lasnier et de la Mortellerie. La, elle l'invita a compter jusqu'a cinquante et a oter son bandeau. Le jeune homme accomplit scrupuleusement la recommandation, et au chiffre convenu ota le mouchoir qui lui couvrait les yeux. -- Mordi! s'ecria-t-il en regardant tout autour de lui; si je sais ou je suis, je veux etre pendu! Six heures! s'ecria-t-il en entendant sonner l'horloge de Notre-Dame. Et ce pauvre La Mole, que peut-il etre devenu? Courons au Louvre, peut-etre la en saura- t-on des nouvelles. Et ce disant, Coconnas descendit tout courant la rue de la Mortellerie et arriva aux portes du Louvre en moins de temps qu'il n'en eut fallu a un cheval ordinaire; il bouscula et demolit sur son passage cette haie mobile de braves bourgeois qui se promenaient paisiblement autour des boutiques de la place Baudoyer, et entra dans le palais. La il interrogea suisse et sentinelle. Le suisse croyait bien avoir vu entrer M. de La Mole le matin, mais il ne l'avait pas vu sortir. La sentinelle n'etait la que depuis une heure et demie et n'avait rien vu. Il monta tout courant a la chambre et en ouvrit la porte precipitamment; mais il ne trouva dans la chambre que le pourpoint de La Mole tout lacere, ce qui redoubla encore ses inquietudes. Alors il songea a La Huriere et courut chez le digne hotelier de la Belle-Etoile. La Huriere avait vu La Mole; La Mole avait dejeune chez La Huriere. Coconnas fut donc entierement rassure, et, comme il avait grand faim, il demanda a souper a son tour. Coconnas etait dans les deux dispositions necessaires pour bien souper: il avait l'esprit rassure et l'estomac vide; il soupa donc si bien que son repas le conduisit jusqu'a huit heures. Alors, reconforte par deux bouteilles d'un petit vin d'Anjou qu'il aimait fort et qu'il venait de sabler avec une sensualite qui se trahissait par des clignements d'yeux et des clappements de langue reiteres, il se remit a la recherche de La Mole, accompagnant cette nouvelle exploration a travers la foule de coups de pied et de coups de poing proportionnes a l'accroissement d'amitie que lui avait inspire le bien-etre qui suit toujours un bon repas. Cela dura une heure; pendant une heure Coconnas parcourut toutes les rues avoisinant le quai de la Greve, le port au charbon, la rue Saint-Antoine et les rues Tizon et Cloche-Percee, ou il pensait que son ami pouvait etre revenu. Enfin, il comprit qu'il y avait un endroit par lequel il fallait qu'il passat, c'etait le guichet du Louvre, et il resolut de l'aller attendre sous ce guichet jusqu'a sa rentree. Il n'etait plus qu'a cent pas du Louvre, et remettait sur ses jambes une femme dont il avait deja renverse le mari, place Saint- Germain-l'Auxerrois, lorsqu'a l'horizon il apercut devant lui a la clarte douteuse d'un grand fanal dresse pres du pont-levis du Louvre, le manteau de velours cerise et la plume blanche de son ami qui, deja pareil a une ombre, disparaissait sous le guichet en rendant le salut a la sentinelle. Le fameux manteau cerise avait fait tant d'effet de par le monde qu'il n'y avait pas a s'y tromper. -- Eh mordi! s'ecria Coconnas; c'est bien lui, cette fois, et le voila qui rentre. Eh! eh! La Mole, eh! notre ami. Peste! j'ai pourtant une bonne voix. Comment se fait-il donc qu'il ne m'ait pas entendu? Mais par bonheur j'ai aussi bonnes jambes que bonne voix, et je vais le rejoindre. Dans cette esperance, Coconnas s'elanca de toute la vigueur de ses jarrets, arriva en un instant au Louvre; mais quelque diligence qu'il eut faite, au moment ou il mettait le pied dans la cour, le manteau rouge, qui paraissait fort presse aussi, disparaissait sous le vestibule. -- Ohe! La Mole! s'ecria Coconnas en reprenant sa course, attends- moi donc, c'est moi, Coconnas! Que diable as-tu donc a courir ainsi? Est-ce que tu te sauves, par hasard? En effet, le manteau rouge, comme s'il eut eu des ailes, escaladait le second etage plutot qu'il ne le montait. -- Ah! tu ne veux pas m'entendre! cria Coconnas. Ah! tu m'en veux! ah! tu es fache! Eh bien, au diable, mordi! quant a moi, je n'en puis plus. C'etait au bas de l'escalier que Coconnas lancait cette apostrophe au fugitif, qu'il renoncait a suivre des jambes, mais qu'il continuait a suivre de l'oeil a travers la vis de l'escalier et qui etait arrive a la hauteur de l'appartement de Marguerite. Tout a coup une femme sortit de cet appartement et prit celui que poursuivait Coconnas par le bras. -- Oh! oh! fit Coconnas, cela m'a tout l'air d'etre la reine Marguerite. Il etait attendu. Alors, c'est autre chose, je comprends qu'il ne m'ait pas repondu. Et il se coucha sur la rampe, plongeant son regard par l'ouverture de l'escalier. Alors, apres quelques paroles a voix basse, il vit le manteau cerise suivre la reine chez elle. -- Bon! bon! dit Coconnas, c'est cela. Je ne me trompais point. Il y a des moments ou la presence de notre meilleur ami nous est importune, et ce cher La Mole est dans un de ces moments-la. Et Coconnas, montant doucement les escaliers, s'assit sur un banc de velours qui garnissait le palier meme, en se disant: -- Soit, au lieu de le rejoindre, j'attendrai... oui; mais, ajouta-t-il, j'y pense, il est chez la reine de Navarre, de sorte que je pourrais bien attendre longtemps... Il fait froid, mordi! Allons, allons! j'attendrai aussi bien dans ma chambre. Il faudra toujours bien qu'il y rentre, quand le diable y serait. Il achevait a peine ces paroles et commencait a mettre a execution la resolution qui en etait le resultat, lorsqu'un pas allegre et leger retentit au-dessus de sa tete, accompagne d'une petite chanson si familiere a son ami que Coconnas tendit aussitot le cou vers le cote d'ou venait le bruit du pas et de la chanson. C'etait La Mole qui descendait de l'etage superieur, celui ou etait situee sa chambre, et qui, apercevant Coconnas, se mit a sauter quatre a quatre les escaliers qui le separaient encore de lui, et, cette operation terminee, se jeta dans ses bras. -- Oh! mordi, c'est toi! dit Coconnas. Et par ou diable es-tu donc sorti? -- Eh! par la rue Cloche-Percee, pardieu! -- Non. Je ne dis pas de la maison la-bas... -- Et d'ou? -- De chez la reine. -- De chez la reine? -- De chez la reine de Navarre. -- Je n'y suis pas entre. -- Allons donc! -- Mon cher Annibal, dit La Mole, tu deraisonnes. Je sors de ma chambre, ou je t'attends depuis deux heures. -- Tu sors de ta chambre? -- Oui. -- Ce n'est pas toi que j'ai poursuivi sur la place du Louvre? -- Quand cela? -- A l'instant meme. -- Non. -- Ce n'est pas toi qui as disparu sous le guichet il y a dix minutes? -- Non. -- Ce n'est pas toi qui viens de monter cet escalier comme si tu etais poursuivi par une legion de diables? -- Non. -- Mordi! s'ecria Coconnas, le vin de la Belle-Etoile n'est point assez mechant pour m'avoir tourne a ce point la tete. Je te dis que je viens d'apercevoir ton manteau cerise et ta plume blanche sous le guichet du Louvre, que j'ai poursuivi l'un et l'autre jusqu'au bas de cet escalier, et que ton manteau, ton plumeau, tout, jusqu'a ton bras qui fait le balancier, etait attendu ici par une dame que je soupconne fort d'etre la reine de Navarre, laquelle a entraine le tout par cette porte qui, si je ne me trompe, est bien celle de la belle Marguerite. -- Mordieu! dit La Mole en palissant, y aurait-il deja trahison? -- A la bonne heure! dit Coconnas. Jure tant que tu voudras, mais ne me dis plus que je me trompe. La Mole hesita un instant, serrant sa tete entre ses mains et retenu entre son respect et sa jalousie; mais sa jalousie l'emporta, et il s'elanca vers la porte, a laquelle il commenca a heurter de toutes ses forces, ce qui produisit un vacarme assez peu convenable, eu egard a la majeste du lieu ou l'on se trouvait. -- Nous allons nous faire arreter, dit Coconnas; mais n'importe, c'est bien drole. Dis donc, La Mole, est-ce qu'il y aurait des revenants au Louvre? -- Je n'en sais rien, dit le jeune homme, aussi pale que la plume qui ombrageait son front; mais j'ai toujours desire en voir, et comme l'occasion s'en presente, je ferai de mon mieux pour me trouver face a face avec celui-la. -- Je ne m'y oppose pas, dit Coconnas, seulement frappe un peu moins fort si tu ne veux pas l'effaroucher. La Mole, si exaspere qu'il fut, comprit la justesse de l'observation et continua de frapper, mais plus doucement. XXV Le manteau cerise Coconnas ne s'etait point trompe. La dame qui avait arrete le cavalier au manteau cerise etait bien la reine de Navarre; quant au cavalier au manteau cerise, notre lecteur a deja devine, je presume, qu'il n'etait autre que le brave de Mouy. En reconnaissant la reine de Navarre, le jeune huguenot comprit qu'il y avait quelque meprise: mais il n'osa rien dire, dans la crainte qu'un cri de Marguerite ne le trahit. Il prefera donc se laisser amener jusque dans les appartements, quitte, une fois arrive la, a dire a sa belle conductrice: -- Silence pour silence, madame. En effet, Marguerite avait serre doucement le bras de celui que, dans la demi-obscurite, elle avait pris pour La Mole, et, se penchant a son oreille, elle lui avait dit en latin: _Sola sum; introito, carissime. _ de Mouy, sans repondre, se laissa guider; mais a peine la porte se fut-elle refermee derriere lui et se trouva-t-il dans l'antichambre, mieux eclairee que l'escalier, que Marguerite reconnut que ce n'etait point La Mole. Ce petit cri qu'avait redoute le prudent huguenot echappa en ce moment a Marguerite; heureusement il n'etait plus a craindre. -- Monsieur de Mouy! dit-elle en reculant d'un pas. -- Moi-meme, madame, et je supplie Votre Majeste de me laisser libre de continuer mon chemin sans rien dire a personne de ma presence au Louvre. -- Oh! monsieur de Mouy, repeta Marguerite, je m'etais trompee! -- Oui, dit de Mouy, je comprends. Votre Majeste m'aura pris pour le roi de Navarre: c'est la meme taille, la meme plume blanche, et beaucoup, qui voudraient me flatter sans doute, m'ont dit la meme tournure. Marguerite regarda fixement de Mouy. -- Savez-vous le latin, monsieur de Mouy? demanda-t-elle. -- Je l'ai su autrefois, repondit le jeune homme; mais je l'ai oublie. Marguerite sourit. -- Monsieur de Mouy, dit-elle, vous pouvez etre sur de ma discretion. Cependant, comme je crois savoir le nom de la personne que vous cherchez au Louvre, je vous offrirai mes services pour vous guider surement vers elle. -- Excusez-moi, madame, dit de Mouy, je crois que vous vous trompez, et qu'au contraire vous ignorez completement... -- Comment! s'ecria Marguerite, ne cherchez-vous pas le roi de Navarre? -- Helas! madame, dit de Mouy, j'ai le regret de vous prier d'avoir surtout a cacher ma presence au Louvre a Sa Majeste le roi votre epoux. -- Ecoutez, monsieur de Mouy, dit Marguerite surprise, je vous ai tenu jusqu'ici pour un des plus fermes chefs du parti huguenot, pour un des plus fideles partisans du roi mon mari; me suis-je donc trompee? -- Non, madame, car ce matin encore j'etais tout ce que vous dites. -- Et pour quelle cause avez-vous change depuis ce matin? -- Madame, dit de Mouy en s'inclinant, veuillez me dispenser de repondre, et faites-moi la grace d'agreer mes hommages. Et de Mouy, dans une attitude respectueuse, mais ferme, fit quelques pas vers la porte par laquelle il etait entre. Marguerite l'arreta. -- Cependant, monsieur, dit-elle, si j'osais vous demander un mot d'explication; ma parole est bonne, ce me semble? -- Madame, repondit de Mouy, je dois me taire, et il faut que ce dernier devoir soit bien reel pour que je n'aie point encore repondu a Votre Majeste. -- Cependant, monsieur... -- Votre Majeste peut me perdre, madame, mais elle ne peut exiger que je trahisse mes nouveaux amis. -- Mais les anciens, monsieur, n'ont-ils pas aussi quelques droits sur vous? -- Ceux qui sont restes fideles, oui; ceux qui non seulement nous ont abandonnes, mais encore se sont abandonnes eux-memes, non. Marguerite, pensive et inquiete, allait sans doute repondre par une nouvelle interrogation, quand soudain Gillonne s'elanca dans l'appartement. -- Le roi de Navarre! cria-t-elle. -- Par ou vient-il? -- Par le corridor secret. -- Faites sortir monsieur par l'autre porte. -- Impossible, madame. Entendez-vous? -- On frappe? -- Oui, a la porte par laquelle vous voulez que je fasse sortir monsieur. -- Et qui frappe? -- Je ne sais. -- Allez voir, et me le revenez dire. -- Madame, dit de Mouy, oserais-je faire observer a Votre Majeste que si le roi de Navarre me voit a cette heure et sous ce costume au Louvre je suis perdu? Marguerite saisit de Mouy, et l'entrainant vers le fameux cabinet: -- Entrez ici, monsieur, dit-elle; vous y etes aussi bien cache et surtout aussi garanti que dans votre maison meme, car vous y etes sur la foi de ma parole. de Mouy s'y elanca precipitamment, et a peine la porte etait-elle refermee derriere lui, que Henri parut. Cette fois, Marguerite n'avait aucun trouble a cacher; elle n'etait que sombre, et l'amour etait a cent lieues de sa pensee. Quant a Henri, il entra avec cette minutieuse defiance qui, dans les moments les moins dangereux, lui faisait remarquer jusqu'aux plus petits details; a plus forte raison Henri etait-il profondement observateur dans les circonstances ou il se trouvait. Aussi vit-il a l'instant meme le nuage qui obscurcissait le front de Marguerite. -- Vous etiez occupee, madame? dit-il. -- Moi, mais, oui, Sire, je revais. -- Et vous avez raison, madame; la reverie vous sied. Moi aussi, je revais; mais tout au contraire de vous, qui recherchez la solitude, je suis descendu expres pour vous faire part de mes reves. Marguerite fit au roi un signe de bienvenue, et, lui montrant un fauteuil, elle s'assit elle-meme sur une chaise d'ebene sculptee, fine et forte comme de l'acier. Il se fit entre les deux epoux un instant de silence; puis, rompant ce silence le premier: -- Je me suis rappele, madame, dit Henri, que mes reves sur l'avenir avaient cela de commun avec les votres, que, separes comme epoux, nous desirions cependant l'un et l'autre unir notre fortune. -- C'est vrai, Sire. -- Je crois avoir compris aussi que, dans tous les plans que je pourrai faire d'elevation commune, vous m'avez dit que je trouverais en vous, non seulement une fidele, mais encore une active alliee. -- Oui, Sire, et je ne demande qu'une chose, c'est qu'en vous mettant le plus vite possible a l'oeuvre, vous me donniez bientot l'occasion de m'y mettre aussi. -- Je suis heureux de vous trouver dans ces dispositions, madame, et je crois que vous n'avez pas doute un instant que je perdisse de vue le plan dont j'ai resolu l'execution, le jour meme ou, grace a votre courageuse intervention, j'ai ete a peu pres sur d'avoir la vie sauve. -- Monsieur, je crois qu'en vous l'insouciance n'est qu'un masque et j'ai foi non seulement dans les predictions des astrologues, mais encore dans votre genie. -- Que diriez-vous donc, madame, si quelqu'un venait se jeter a la traverse de nos plans et nous menacait de nous reduire, vous et moi, a un etat mediocre? -- Je dirais que je suis prete a lutter avec vous, soit dans l'ombre, soit ouvertement, contre ce quelqu'un, quel qu'il fut. -- Madame, continua Henri, il vous est possible d'entrer a toute heure, n'est-ce pas, chez M. d'Alencon, votre frere? vous avez sa confiance et il vous porte une vive amitie. Oserais-je vous prier de vous informer si dans ce moment meme il n'est pas en conference secrete avec quelqu'un? Marguerite tressaillit. -- Avec qui, monsieur? demanda-t-elle. -- Avec de Mouy. -- Pourquoi cela? demanda Marguerite en reprimant son emotion. -- Parce que s'il en est ainsi, madame, adieu tous nos projets, tous les miens du moins. -- Sire, parlez bas, dit Marguerite en faisant a la fois un signe des yeux et des levres, et en designant du doigt le cabinet. -- Oh! oh! dit Henri; encore quelqu'un? En verite, ce cabinet est si souvent habite qu'il rend votre chambre inhabitable. Marguerite sourit. -- Au moins est-ce toujours M. de La Mole? demanda Henri. -- Non, Sire, c'est M. de Mouy. -- Lui? s'ecria Henri avec une surprise melee de joie; il n'est donc pas chez le duc d'Alencon, alors? oh! faites-le venir, que je lui parle... Marguerite courut au cabinet, l'ouvrit, et prenant de Mouy par la main l'amena sans preambule devant le roi de Navarre. -- Ah! madame, dit le jeune huguenot avec un accent de reproche plus triste qu'amer, vous me trahissez malgre votre promesse, c'est mal. Que diriez vous si je me vengeais en disant... -- Vous ne vous vengerez pas, de Mouy, interrompit Henri en serrant la main du jeune homme, ou du moins vous m'ecouterez auparavant. Madame, continua Henri en s'adressant a la reine, veillez, je vous prie, a ce que personne ne nous ecoute. Henri achevait a peine ces mots, que Gillonne arriva tout effaree et dit a l'oreille de Marguerite quelques mots qui la firent bondir de son siege. Pendant qu'elle courait vers l'antichambre avec Gillonne, Henri, sans s'inquieter de la cause qui l'appelait hors de l'appartement, visitait le lit, la ruelle, les tapisseries et sondait du doigt les murailles. Quant a M. de Mouy, effarouche de tous ces preambules, il s'assurait prealablement que son epee ne tenait pas au fourreau. Marguerite, en sortant de sa chambre a coucher, s'etait elancee dans l'antichambre et s'etait trouvee en face de La Mole, lequel, malgre toutes les prieres de Gillonne, voulait a toute force entrer chez Marguerite. Coconnas se tenait derriere lui, pret a le pousser en avant ou a soutenir la retraite. -- Ah! c'est vous, monsieur de la Mole, s'ecria la reine; mais qu'avez-vous donc, et pourquoi etes-vous aussi pale et tremblant? -- Madame, dit Gillonne, M. de La Mole a frappe a la porte de telle sorte que, malgre les ordres de Votre Majeste, j'ai ete forcee de lui ouvrir. -- Oh! oh! qu'est-ce donc que cela? dit severement la reine; est- ce vrai ce qu'on me dit la, monsieur de la Mole? -- Madame, c'est que je voulais prevenir Votre Majeste qu'un etranger, un inconnu, un voleur peut-etre, s'etait introduit chez elle avec mon manteau et mon chapeau. -- Vous etes fou, monsieur, dit Marguerite, car je vois votre manteau sur vos epaules, et je crois, Dieu me pardonne, que je vois aussi votre chapeau sur votre tete lorsque vous parlez a une reine. -- Oh! pardon, madame, pardon! s'ecria La Mole en se decouvrant vivement, ce n'est cependant pas, Dieu m'en est temoin, le respect qui me manque. -- Non, c'est la foi, n'est-ce pas? dit la reine. -- Que voulez-vous! s'ecria La Mole; quand un homme est chez Votre Majeste, quand il s'y introduit en prenant mon costume, et peut- etre mon nom, qui sait?... -- Un homme! dit Marguerite en serrant doucement le bras du pauvre amoureux; un homme! ... Vous etes modeste, monsieur de la Mole. Approchez votre tete de l'ouverture de la tapisserie, et vous verrez deux hommes. Et Marguerite entrouvrit en effet la portiere de velours brode d'or, et La Mole reconnut Henri causant avec l'homme au manteau rouge; Coconnas, curieux comme s'il se fut agi de lui-meme, regarda aussi, vit et reconnut de Mouy; tous deux demeurerent stupefaits. -- Maintenant que vous voila rassure, a ce que j'espere du moins, dit Marguerite, placez-vous a la porte de mon appartement, et, sur votre vie, mon cher La Mole, ne laissez entrer personne. S'il approche quelqu'un du palier meme, avertissez. La Mole, faible et obeissant comme un enfant, sortit en regardant Coconnas, qui le regardait aussi, et tous deux se trouverent dehors sans etre bien revenus de leur ebahissement. -- de Mouy! s'ecria Coconnas. -- Henri! murmura La Mole. -- de Mouy avec ton manteau cerise, ta plume blanche et ton bras en balancier. -- Ah ca, mais... reprit La Mole, du moment qu'il ne s'agit pas d'amour il s'agit certainement de complot. -- Ah! mordi! nous voila dans la politique, dit Coconnas en grommelant. Heureusement que je ne vois point dans tout cela madame de Nevers. Marguerite revint s'asseoir pres des deux interlocuteurs; sa disparition n'avait dure qu'une minute, et elle avait bien utilise son temps. Gillonne, en vedette au passage secret, les deux gentilshommes en faction a l'entree principale, lui donnaient toute securite. -- Madame, dit Henri, croyez-vous qu'il soit possible, par un moyen quelconque, de nous ecouter et de nous entendre? -- Monsieur, dit Marguerite, cette chambre est matelassee, et un double lambris me repond de son assourdissement. -- Je m'en rapporte a vous, repondit Henri en souriant. Puis se retournant vers de Mouy: -- Voyons, dit le roi a voix basse et comme si, malgre l'assurance de Marguerite, ses craintes ne s'etaient pas entierement dissipees, que venez-vous faire ici? -- Ici? dit de Mouy. -- Oui, ici, dans cette chambre, repeta Henri. -- Il n'y venait rien faire, dit Marguerite; c'est moi qui l'y ai attire. -- Vous saviez donc?... -- J'ai devine tout. -- Vous voyez bien, de Mouy, qu'on peut deviner. -- Monsieur de Mouy, continua Marguerite, etait ce matin avec le duc Francois dans la chambre de deux de ses gentilshommes. -- Vous voyez bien, de Mouy, repeta Henri, qu'on sait tout. -- C'est vrai, dit de Mouy. -- J'en etais sur, dit Henri, que M. d'Alencon s'etait empare de vous. -- C'est votre faute, Sire. Pourquoi avez-vous refuse si obstinement ce que je venais vous offrir? -- Vous avez refuse! s'ecria Marguerite. Ce refus que je pressentais etait donc reel? -- Madame, dit Henri secouant la tete, et toi, mon brave de Mouy, en verite vous me faites rire avec vos exclamations. Quoi! un homme entre chez moi, me parle de trone, de revolte, de bouleversement, a moi, a moi Henri, prince tolere pourvu que je porte le front humble, huguenot epargne a la condition que je jouerai le catholique, et j'irais accepter quand ces propositions me sont faites dans une chambre non matelassee et sans double lambris! Ventre-saint-gris! vous etes des enfants ou des fous! -- Mais, Sire, Votre Majeste ne pouvait-elle me laisser quelque esperance, sinon par ses paroles, du moins par un geste, par un signe? -- Que vous a dit mon beau-frere, de Mouy? demanda Henri. -- Oh! Sire, ceci n'est point mon secret. -- Eh! mon Dieu, reprit Henri avec une certaine impatience d'avoir affaire a un homme qui comprenait si mal ses paroles, je ne vous demande pas quelles sont les propositions qu'il vous a faites, je vous demande seulement s'il ecoutait, s'il a entendu. -- Il ecoutait, Sire, et il a entendu. -- Il ecoutait, et il a entendu! Vous le dites vous-meme, de Mouy. Pauvre conspirateur que vous etes! si j'avais dit un mot, vous etiez perdu. Car je ne savais point, je me doutais, du moins, qu'il etait la, et, sinon lui, quelque autre, le duc d'Anjou, Charles IX, la reine mere; vous ne connaissez pas les murs du Louvre, de Mouy; c'est pour eux qu'a ete fait le proverbe que les murs ont des oreilles; et connaissant ces murs-la j'eusse parle! Allons, allons, de Mouy, vous faites peu d'honneur au bon sens du roi de Navarre, et je m'etonne que, ne le mettant pas plus haut dans votre esprit, vous soyez venu lui offrir une couronne. -- Mais, Sire, reprit encore de Mouy, ne pouviez-vous, tout en refusant cette couronne, me faire un signe? Je n'aurais pas cru tout desespere, tout perdu. -- Eh ventre-saint-gris! s'ecria Henri, s'il ecoutait, ne pouvait- il pas aussi bien voir, et n'est-on pas perdu par un signe comme par une parole? Tenez, de Mouy, continua le roi en regardant autour de lui, a cette heure, si pres de vous que mes paroles ne franchissent pas le cercle de nos trois chaises, je crains encore d'etre entendu quand je dis: de Mouy, repete-moi tes propositions. -- Mais, Sire, s'ecria de Mouy au desespoir, maintenant je suis engage avec M. d'Alencon. Marguerite frappa l'une contre l'autre et avec depit ses deux belles mains. -- Alors, il est donc trop tard? dit-elle. -- Au contraire, murmura Henri, comprenez donc qu'en cela meme la protection de Dieu est visible. Reste engage, de Mouy, car ce duc Francois c'est notre salut a tous. Crois-tu donc que le roi de Navarre garantirait vos tetes? Au contraire, malheureux! Je vous fais tuer tous jusqu'au dernier, et cela sur le moindre soupcon. Mais un fils de France, c'est autre chose; aie des preuves, de Mouy, demande des garanties; mais, niais que tu es, tu te seras engage de coeur, et une parole t'aura suffi. -- Oh! Sire! c'est le desespoir de votre abandon, croyez-le bien, qui m'a jete dans les bras du duc; c'est aussi la crainte d'etre trahi, car il tenait notre secret. -- Tiens donc le sien a ton tour, de Mouy, cela depend de toi. Que desire-t-il? Etre roi de Navarre? promets-lui la couronne. Que veut-il? Quitter la cour? fournis-lui les moyens de fuir, travaille pour lui, de Mouy, comme si tu travaillais pour moi, dirige le bouclier pour qu'il pare tous les coups qu'on nous portera. Quand il faudra fuir, nous fuirons a deux; quand il faudra combattre et regner, je regnerai seul. -- Defiez-vous du duc, dit Marguerite, c'est un esprit sombre et penetrant, sans haine comme sans amitie, toujours pret a traiter ses amis en ennemis et ses ennemis en amis. -- Et, dit Henri, il vous attend, de Mouy? -- Oui, Sire. -- Ou cela? -- Dans la chambre de ses deux gentilshommes. -- A quelle heure? -- Jusqu'a minuit. -- Pas encore onze heures, dit Henri; il n'y a point de temps perdu, allez, de Mouy. -- Nous avons votre parole, monsieur? dit Marguerite. -- Allons donc! madame, dit Henri avec cette confiance qu'il savait si bien montrer avec certaines personnes et dans certaines occasions, avec M. de Mouy ces choses-la ne se demandent meme point. -- Vous avez raison, Sire, repondit le jeune homme; mais moi j'ai besoin de la votre, car il faut que je dise aux chefs que je l'ai recue. Vous n'etes point catholique, n'est-ce pas? Henri haussa les epaules. -- Vous ne renoncez pas a la royaute de Navarre? -- Je ne renonce a aucune royaute, de Mouy; seulement, je me reserve de choisir la meilleure, c'est-a-dire celle qui sera le plus a ma convenance et a la votre. -- Et si, en attendant, Votre Majeste etait arretee, Votre Majeste promet-elle de ne rien reveler, au cas meme ou l'on violerait par la torture la majeste royale? -- de Mouy, je le jure sur Dieu. -- Un mot, Sire: comment vous reverrai-je? -- Vous aurez, des demain, une clef de ma chambre; vous y entrerez, de Mouy, autant de fois qu'il sera necessaire aux heures que vous voudrez. Ce sera au duc d'Alencon de repondre de votre presence au Louvre. En attendant, remontez par le petit escalier, je vous servirai de guide. Pendant ce temps-la la reine fera entrer ici le manteau rouge, pareil au votre, qui etait tout a l'heure dans l'antichambre. Il ne faut pas qu'on fasse une difference entre les deux et qu'on sache que vous etes double, n'est-ce pas, de Mouy? n'est-ce pas madame? Henri prononca ces derniers mots en riant et en regardant Marguerite. -- Oui, dit-elle sans s'emouvoir; car enfin, ce M. de La Mole est au duc mon frere. -- Eh bien, tachez de nous le gagner, madame, dit Henri avec un serieux parfait. N'epargnez ni l'or ni les promesses. Je mets tous mes tresors a sa disposition. -- Alors, dit Marguerite avec un de ces sourires qui n'appartiennent qu'aux femmes de Boccace, puisque tel est votre desir, je ferai de mon mieux pour le seconder. -- Bien, bien, madame; et vous, de Mouy? retournez vers le duc et enferrez-le. XXVI Margarita Pendant la conversation que nous venons de rapporter, La Mole et Coconnas montaient leur faction; La Mole un peu chagrin, Coconnas un peu inquiet. C'est que La Mole avait eu le temps de reflechir et que Coconnas l'y avait merveilleusement aide. -- Que penses-tu de tout cela, notre ami? avait demande La Mole a Coconnas. -- Je pense, avait repondu le Piemontais, qu'il y a dans tout cela quelque intrigue de cour. -- Et, le cas echeant, es-tu dispose a jouer un role dans cette intrigue? -- Mon cher, repondit Coconnas, ecoute bien ce que je te vais dire et tache d'en faire ton profit. Dans toutes ces menees princieres, dans toutes ces machinations royales, nous ne pouvons et surtout nous ne devons passer que comme des ombres: ou le roi de Navarre laissera un morceau de sa plume et le duc d'Alencon un pan de son manteau, nous laisserons notre vie, nous. La reine a un caprice pour toi, et toi une fantaisie pour elle, rien de mieux. Perds la tete en amour, mon cher, mais ne la perds pas en politique. C'etait un sage conseil. Aussi fut-il ecoute par La Mole avec la tristesse d'un homme qui sent que, place entre la raison et la folie, c'est la folie qu'il va suivre. -- Je n'ai point une fantaisie pour la reine, Annibal, je l'aime; et, malheureusement ou heureusement, je l'aime de toute mon ame. C'est de la folie, me diras-tu, je l'admets, je suis fou. Mais toi qui es un sage, Coconnas, tu ne dois pas souffrir de mes sottises et de mon infortune. Va-t'en retrouver notre maitre et ne te compromets pas. Coconnas reflechit un instant, puis relevant la tete: -- Mon cher, repondit-il, tout ce que tu dis la est parfaitement juste; tu es amoureux, agis en amoureux. Moi je suis ambitieux, et je pense, en cette qualite, que la vie vaut mieux qu'un baiser de femme. Quand je risquerai ma vie, je ferai mes conditions. Toi, de ton cote, pauvre Medor, tache de faire les tiennes. Et sur ce, Coconnas tendit la main a La Mole, et partit apres avoir echange avec son compagnon un dernier regard et un dernier sourire. Il y avait dix minutes a peu pres qu'il avait quitte son poste lorsque la porte s'ouvrit et que Marguerite, paraissant avec precaution, vint prendre La Mole par la main, et, sans dire une seule parole, l'attira du corridor au plus profond de son appartement, fermant elle-meme les portes avec un soin qui indiquait l'importance de la conference qui allait avoir lieu. Arrivee dans la chambre, elle s'arreta, s'assit sur sa chaise d'ebene, et attirant La Mole a elle en enfermant ses deux mains dans les siennes: -- Maintenant que nous sommes seuls, lui dit-elle, causons serieusement, mon grand ami. -- Serieusement, madame? dit La Mole. -- Ou amoureusement, voyons! cela vous va-t-il mieux? il peut y avoir des choses serieuses dans l'amour, et surtout dans l'amour d'une reine. -- Causons... alors de ces choses serieuses, mais a la condition que Votre Majeste ne se fachera pas des choses folles que je vais lui dire. -- Je ne me facherai que d'une chose, La Mole, c'est si vous m'appelez madame ou Majeste. Pour vous, tres cher, je suis seulement Marguerite. -- Oui, Marguerite! oui, Margarita! oui! ma perle! dit le jeune homme en devorant la reine de son regard. -- Bien comme cela, dit Marguerite; ainsi vous etes jaloux, mon beau gentilhomme? -- Oh! a en perdre la raison. -- Encore! ... -- A en devenir fou, Marguerite. -- Et jaloux de qui? voyons. -- De tout le monde. -- Mais enfin? -- Du roi d'abord. -- Je croyais qu'apres ce que vous aviez vu et entendu, vous pouviez etre tranquille de ce cote-la. -- De ce M. de Mouy que j'ai vu ce matin pour la premiere fois, et que je trouve ce soir si avant dans votre intimite. -- De M. de Mouy? -- Oui. -- Et qui vous donne ces soupcons sur M. de Mouy? -- Ecoutez... je l'ai reconnu a sa taille, a la couleur de ses cheveux, a un sentiment naturel de haine; c'est lui qui ce matin etait chez M. d'Alencon. -- Eh bien, quel rapport cela a-t-il avec moi? -- M. d'Alencon est votre frere; on dit que vous l'aimez beaucoup; vous lui aurez conte une vague pensee de votre coeur; et lui, selon l'habitude de la cour, il aura favorise votre desir en introduisant pres de vous M. de Mouy. Maintenant, comment ai-je ete assez heureux pour que le roi se trouvat la en meme temps que lui? c'est ce que je ne puis savoir; mais en tout cas, madame, soyez franche avec moi; a defaut d'un autre sentiment, un amour comme le mien a bien le droit d'exiger la franchise en retour. Voyez, je me prosterne a vos pieds. Si ce que vous avez eprouve pour moi n'est que le caprice d'un moment, je vous rends votre foi, votre promesse, votre amour, je rends a M. d'Alencon ses bonnes graces et ma charge de gentilhomme, et je vais me faire tuer au siege de La Rochelle, si toutefois l'amour ne m'a pas tue avant que je puisse arriver jusque-la. Marguerite ecouta en souriant ces paroles pleines de charme, et suivit des yeux cette action pleine de graces; puis, penchant sa belle tete reveuse sur sa main brulante: -- Vous m'aimez? dit-elle. -- Oh! madame! plus que ma vie, plus que mon salut, plus que tout; mais vous, vous... vous ne m'aimez pas. -- Pauvre fou! murmura-t-elle. -- Eh! oui, madame, s'ecria La Mole toujours a ses pieds, je vous ai dit que je l'etais. -- La premiere affaire de votre vie est donc votre amour, cher La Mole! -- C'est la seule, madame, c'est l'unique. -- Eh bien, soit; je ne ferai de tout le reste qu'un accessoire de cet amour. Vous m'aimez, vous voulez demeurer pres de moi? -- Ma seule priere a Dieu est qu'il ne m'eloigne jamais de vous. -- Eh bien, vous ne me quitterez pas; j'ai besoin de vous, La Mole. -- Vous avez besoin de moi? le soleil a besoin du ver luisant? -- Si je vous dis que je vous aime, me serez-vous entierement devoue? -- Eh! ne le suis-je point deja, madame, et tout entier? -- Oui; mais vous doutez encore, Dieu me pardonne! -- Oh! j'ai tort, je suis ingrat, ou plutot, comme je vous l'ai dit et comme vous l'avez repete, je suis un fou. Mais pourquoi M. de Mouy etait-il chez vous ce soir? pourquoi l'ai-je vu ce matin chez M. le duc d'Alencon? pourquoi ce manteau cerise, cette plume blanche, cette affectation d'imiter ma tournure?... Ah! madame, ce n'est pas vous que je soupconne, c'est votre frere. -- Malheureux! dit Marguerite, malheureux qui croit que le duc Francois pousse la complaisance jusqu'a introduire un soupirant chez sa soeur! Insense qui se dit jaloux et qui n'a pas devine! Savez-vous, La Mole, que le duc d'Alencon demain vous tuerait de sa propre epee s'il savait que vous etes la, ce soir, a mes genoux, et qu'au lieu de vous chasser de cette place, je vous dis: Restez la comme vous etes, La Mole; car je vous aime, mon beau gentilhomme, entendez-vous? je vous aime! Eh bien, oui, je vous le repete, il vous tuerait! -- Grand Dieu! s'ecria La Mole en se renversant en arriere et en regardant Marguerite avec effroi, serait-il possible? -- Tout est possible, ami, en notre temps et dans cette cour. Maintenant, un seul mot: ce n'etait pas pour moi que M. de Mouy, revetu de votre manteau, le visage cache sous votre feutre, venait au Louvre. C'etait pour M. d'Alencon. Mais moi, je l'ai amene ici, croyant que c'etait vous. Il tient notre secret, La Mole, il faut donc le menager. -- J'aime mieux le tuer, dit La Mole, c'est plus court et c'est plus sur. -- Et moi, mon brave gentilhomme, dit la reine, j'aime mieux qu'il vive et que vous sachiez tout, car sa vie nous est non seulement utile, mais necessaire. Ecoutez et pesez bien vos paroles avant de me repondre: m'aimez-vous assez, La Mole, pour vous rejouir si je devenais veritablement reine, c'est-a-dire maitresse d'un veritable royaume? -- Helas! madame, je vous aime assez pour desirer ce que vous desirez, ce desir dut-il faire le malheur de toute ma vie! -- Eh bien, voulez-vous m'aider a realiser ce desir, qui vous rendra plus heureux encore? -- Oh! je vous perdrai, madame! s'ecria La Mole en cachant sa tete dans ses mains. -- Non pas, au contraire; au lieu d'etre le premier de mes serviteurs, vous deviendrez le premier de mes sujets. Voila tout. -- Oh! pas d'interet... pas d'ambition, madame... Ne souillez pas vous-meme le sentiment que j'ai pour vous... du devouement, rien que du devouement! -- Noble nature! dit Marguerite. Eh bien, oui, je l'accepte, ton devouement, et je saurai le reconnaitre. Et elle lui tendit ses deux mains que La Mole couvrit de baisers. -- Eh bien? dit-elle. -- Eh bien, oui! repondit La Mole. Oui, Marguerite, je commence a comprendre ce vague projet dont on parlait deja chez nous autres huguenots avant la Saint-Barthelemy; ce projet pour l'execution duquel, comme tant d'autres plus dignes que moi, j'avais ete mande a Paris. Cette royaute reelle de Navarre qui devait remplacer une royaute fictive, vous la convoitez; le roi Henri vous y pousse. de Mouy conspire avec vous, n'est-ce pas? Mais le duc d'Alencon, que fait-il dans toute cette affaire? ou y a-t-il un trone pour lui dans tout cela? Je n'en vois point. Or, le duc d'Alencon est-il assez votre... ami pour vous aider dans tout cela, et sans rien exiger en echange du danger qu'il court? -- Le duc, ami, conspire pour son compte. Laissons-le s'egarer: sa vie nous repond de la notre. -- Mais moi, moi qui suis a lui, puis-je le trahir? -- Le trahir! et en quoi le trahirez-vous? Que vous a-t-il confie? N'est-ce pas lui qui vous a trahi en donnant a de Mouy votre manteau et votre chapeau comme un moyen de penetrer jusqu'a lui? Vous etes a lui, dites-vous! N'etiez-vous pas a moi, mon gentilhomme, avant d'etre a lui? Vous a-t-il donne une plus grande preuve d'amitie que la preuve d'amour que vous tenez de moi? La Mole se releva pale et comme foudroye. -- Oh! murmura-t-il, Coconnas me le disait bien. L'intrigue m'enveloppe dans ses replis. Elle m'etouffera. -- Eh bien? demanda Marguerite. -- Eh bien, dit La Mole, voici ma reponse: on pretend, et je l'ai entendu dire a l'autre extremite de la France, ou votre nom si illustre, votre reputation de beaute si universelle m'etaient venus, comme un vague desir de l'inconnu, effleurer le coeur; on pretend que vous avez aime quelquefois, et que votre amour a toujours ete fatal aux objets de votre amour, si bien que la mort, jalouse sans doute, vous a presque toujours enleve vos amants. -- La Mole! ... -- Ne m'interrompez pas, o ma Margarita cherie, car on ajoute aussi que vous conservez dans des boites d'or les coeurs de ces fideles amis, et que parfois vous donnez a ces tristes restes un souvenir melancolique, un regard pieux. Vous soupirez, ma reine, vos yeux se voilent; c'est vrai. Eh bien, faites de moi le plus aime et le plus heureux de vos favoris. Des autres vous avez perce le coeur, et vous gardez ce coeur; de moi, vous faites plus, vous exposez ma tete... Eh bien, Marguerite, jurez-moi devant l'image de ce Dieu qui m'a sauve la vie ici meme, jurez-moi que si je meurs pour vous, comme un sombre pressentiment me l'annonce, jurez-moi que vous garderez, pour y appuyer quelquefois vos levres, cette tete que le bourreau aura separee de mon corps; jurez, Marguerite, et la promesse d'une telle recompense, faite par ma reine, me rendra muet, traitre et lache au besoin, c'est-a- dire tout devoue, comme doit l'etre votre amant et votre complice. -- O lugubre folie, ma chere ame! dit Marguerite; o fatale pensee, mon doux amour! -- Jurez... -- Que je jure? -- Oui, sur ce coffret d'argent que surmonte une croix. Jurez. -- Eh bien, dit Marguerite, si, ce qu'a Dieu ne plaise! tes sombres pressentiments se realisaient, mon beau gentilhomme, sur cette croix, je te le jure, tu seras pres de moi, vivant ou mort, tant que je vivrai moi-meme; et si je ne puis te sauver dans le peril ou tu te jettes pour moi, pour moi seule, je le sais, je donnerai du moins a ta pauvre ame la consolation que tu demandes et que tu auras si bien meritee. -- Un mot encore, Marguerite. Je puis mourir maintenant, me voila rassure sur ma mort; mais aussi je puis vivre, nous pouvons reussir: le roi de Navarre peut etre roi, vous pouvez etre reine, alors le roi vous emmenera; ce voeu de separation fait entre vous se rompra un jour et amenera la notre. Allons, Marguerite, chere Marguerite bien-aimee, d'un mot vous m'avez rassure sur ma mort, d'un mot maintenant rassurez-moi sur ma vie. -- Oh! ne crains rien, je suis a toi corps et ame, s'ecria Marguerite en etendant de nouveau la main sur la croix du petit coffre: si je pars, tu me suivras; et si le roi refuse de t'emmener, c'est moi alors qui ne partirai pas. -- Mais vous n'oserez resister! -- Mon Hyacinthe bien-aime, dit Marguerite, tu ne connais pas Henri; Henri ne songe en ce moment qu'a une chose, c'est a etre roi; et a ce desir il sacrifierait en ce moment tout ce qu'il possede, et a plus forte raison ce qu'il ne possede pas. Adieu. -- Madame, dit en souriant La Mole, vous me renvoyez? -- Il est tard, dit Marguerite. -- Sans doute; mais ou voulez-vous que j'aille? M. de Mouy est dans ma chambre avec M. le duc d'Alencon. -- Ah! c'est juste, dit Marguerite avec un admirable sourire. D'ailleurs, j'ai encore beaucoup de choses a vous dire a propos de cette conspiration. A dater de cette nuit, La Mole ne fut plus un favori vulgaire, et il put porter haut la tete a laquelle, vivante ou morte, etait reserve un si doux avenir. Cependant, parfois, son front pesant s'inclinait vers la terre, sa joue palissait, et l'austere meditation creusait son sillon entre les sourcils du jeune homme, si gai autrefois, si heureux maintenant! XXVII La main de Dieu Henri avait dit a madame de Sauve en la quittant: -- Mettez-vous au lit, Charlotte. Feignez d'etre gravement malade, et sous aucun pretexte demain de toute la journee ne recevez personne. Charlotte obeit sans se rendre compte du motif qu'avait le roi de lui faire cette recommandation. Mais elle commencait a s'habituer a ses excentricites, comme on dirait de nos jours, et a ses fantaisies, comme on disait alors. D'ailleurs elle savait que Henri renfermait dans son coeur des secrets qu'il ne disait a personne, dans sa pensee des projets qu'il craignait de reveler meme dans ses reves; de sorte qu'elle se faisait obeissante a toutes ses volontes, certaine que ses idees les plus etranges avaient un but. Le soir meme elle se plaignit donc a Dariole d'une grande lourdeur de tete accompagnee d'eblouissements. C'etaient les symptomes que Henri lui avait recommande d'accuser. Le lendemain elle feignit de se vouloir lever, mais a peine eut- elle pose un pied sur le parquet qu'elle se plaignit d'une faiblesse generale et qu'elle se recoucha. Cette indisposition, que Henri avait deja annoncee au duc d'Alencon, fut la premiere nouvelle que l'on apprit a Catherine lorsqu'elle demanda d'un air tranquille pourquoi la Sauve ne paraissait pas comme d'habitude a son lever. -- Malade! repondit madame de Lorraine qui se trouvait la. -- Malade! repeta Catherine sans qu'un muscle de son visage denoncat l'interet qu'elle prenait a sa reponse. Quelque fatigue de paresseuse. -- Non pas, madame, reprit la princesse. Elle se plaint d'un violent mal de tete et d'une faiblesse qui l'empeche de marcher. Catherine ne repondit rien; mais pour cacher sa joie, sans doute, elle se retourna vers la fenetre, et voyant Henri qui traversait la cour a la suite de son entretien avec de Mouy, elle se leva pour mieux le regarder, et, poussee par cette conscience qui bouillonne toujours, quoique invisiblement, au fond des coeurs les plus endurcis au crime: -- Ne semblerait-il pas, demanda-t-elle a son capitaine des gardes, que mon fils Henri est plus pale ce matin que d'habitude? Il n'en etait rien; Henri etait fort inquiet d'esprit, mais fort sain de corps. Peu a peu les personnes qui assistaient d'habitude au lever de la reine se retirerent; trois ou quatre restaient, plus familieres que les autres; Catherine impatiente les congedia en disant qu'elle voulait rester seule. Lorsque le dernier courtisan fut sorti, Catherine ferma la porte derriere lui, et allant a une armoire secrete cachee dans l'un des panneaux de sa chambre, elle en fit glisser la porte dans une rainure de la boiserie et en tira un livre dont les feuillets froisses annoncaient les frequents services. Elle posa le livre sur une table, l'ouvrit a l'aide d'un signet, appuya son coude sur la table et la tete sur sa main. -- C'est bien cela, murmura-t-elle tout en lisant; mal de tete, faiblesse generale, douleurs d'yeux, enflure du palais. On n'a encore parle que des maux de tete et de la faiblesse... les autres symptomes ne se feront pas attendre. Elle continua: -- Puis l'inflammation gagne la gorge, s'etend a l'estomac, enveloppe le coeur comme d'un cercle de feu et fait eclater le cerveau comme un coup de foudre. Elle relut tout bas; puis elle continua encore, mais a demi-voix: -- Pour la fievre six heures, pour l'inflammation generale douze heures, pour la gangrene douze heures, pour l'agonie six heures; en tout trente-six heures. " Maintenant, supposons que l'absorption soit plus lente que l'inglutition, et au lieu de trente-six heures nous en aurons quarante, quarante-huit meme; oui, quarante-huit heures doivent suffire. Mais lui, lui Henri, comment est-il encore debout? Parce qu'il est homme, parce qu'il est d'un temperament robuste, parce que peut-etre il aura bu apres l'avoir embrassee, et se sera essuye les levres apres avoir bu. Catherine attendit l'heure du diner avec impatience. Henri dinait tous les jours a la table du roi. Il vint, il se plaignit a son tour d'elancements au cerveau, ne mangea point, et se retira aussitot apres le repas, en disant qu'ayant veille une partie de la nuit passee, il eprouvait un pressant besoin de dormir. Catherine ecouta s'eloigner le pas chancelant de Henri et le fit suivre. On lui rapporta que le roi de Navarre avait pris le chemin de la chambre de madame de Sauve. -- Henri, se dit-elle, va achever aupres d'elle ce soir l'oeuvre d'une mort qu'un hasard malheureux a peut-etre laissee incomplete. Le roi de Navarre etait en effet alle chez madame de Sauve, mais c'etait pour lui dire de continuer a jouer son role. Le lendemain, Henri ne sortit point de sa chambre pendant toute la matinee, et il ne parut point au diner du roi. Madame de Sauve, disait-on, allait de plus mal en plus mal, et le bruit de la maladie de Henri, repandu par Catherine elle-meme, courait comme un de ces pressentiments dont personne n'explique la cause, mais qui passent dans l'air. Catherine s'applaudissait: des la veille au matin elle avait eloigne Ambroise Pare pour aller porter des secours a un de ses valets de chambre favoris, malade a Saint-Germain. Il fallait alors que ce fut un homme a elle que l'on appelat chez madame de Sauve et chez Henri; et cet homme ne dirait que ce qu'elle voudrait qu'il dit. Si, contre toute attente, quelque autre docteur se trouvait mele la-dedans, et si quelque declaration de poison venait epouvanter cette cour ou avaient deja retenti tant de declarations pareilles, elle comptait fort sur le bruit que faisait la jalousie de Marguerite a l'endroit des amours de son mari. On se rappelle qu'a tout hasard elle avait fort parle de cette jalousie qui avait eclate en plusieurs circonstances, et entre autres a la promenade de l'aubepine, ou elle avait dit a sa fille en presence de plusieurs personnes: -- Vous etes donc bien jalouse, Marguerite? Elle attendait donc avec un visage compose le moment ou la porte s'ouvrirait, et ou quelque serviteur tout pale et tout effare entrerait en criant: -- Majeste, le roi de Navarre se meurt et madame de Sauve est morte! Quatre heures du soir sonnerent. Catherine achevait son gouter dans la voliere ou elle emiettait des biscuits a quelques oiseaux rares qu'elle nourrissait de sa propre main. Quoique son visage, comme toujours, fut calme et meme morne, son coeur battait violemment au moindre bruit. La porte s'ouvrit tout a coup. -- Madame, dit le capitaine des gardes, le roi de Navarre est... -- Malade? interrompit vivement Catherine. -- Non, madame, Dieu merci! et Sa Majeste semble se porter a merveille. -- Que dites-vous donc alors? -- Que le roi de Navarre est la. -- Que me veut-il? -- Il apporte a Votre Majeste un petit singe de l'espece la plus rare. En ce moment Henri entra tenant une corbeille a la main et caressant un ouistiti couche dans cette corbeille. Henri souriait en entrant et paraissait tout entier au charmant petit animal qu'il apportait; mais, si preoccupe qu'il parut, il n'en perdit point cependant ce premier coup d'oeil qui lui suffisait dans les circonstances difficiles. Quant a Catherine, elle etait fort pale, d'une paleur qui croissait au fur et a mesure qu'elle voyait sur les joues du jeune homme qui s'approchait d'elle circuler le vermillon de la sante. La reine mere fut etourdie a ce coup. Elle accepta machinalement le present de Henri, se troubla, lui fit compliment sur sa bonne mine, et ajouta: -- Je suis d'autant plus aise de vous voir si bien portant, mon fils, que j'avais entendu dire que vous etiez malade et que, si je me le rappelle bien, vous vous etes plaint en ma presence d'une indisposition; mais je comprends maintenant, ajouta-t-elle en essayant de sourire, c'etait quelque pretexte pour vous rendre libre. -- J'ai ete fort malade, en effet, madame, repondit Henri; mais un specifique usite dans nos montagnes, et qui me vient de ma mere, a gueri cette indisposition. -- Ah! vous m'apprendrez la recette, n'est-ce pas, Henri? dit Catherine en souriant cette fois veritablement, mais avec une ironie qu'elle ne put deguiser. "Quelque contrepoison, murmura-t-elle; nous aviserons a cela, ou plutot non. Voyant madame de Sauve malade, il se sera defie. En verite, c'est a croire que la main de Dieu est etendue sur cet homme." Catherine attendit impatiemment la nuit, madame de Sauve ne parut point. Au jeu, elle en demanda des nouvelles; on lui repondit qu'elle etait de plus en plus souffrante. Toute la soiree elle fut inquiete, et l'on se demandait avec anxiete quelles etaient les pensees qui pouvaient agiter ce visage d'ordinaire si immobile. Tout le monde se retira. Catherine se fit coucher et deshabiller par ses femmes; puis, quand tout le monde fut couche dans le Louvre, elle se releva, passa une longue robe de chambre noire, prit une lampe, choisit parmi toutes ses clefs celle qui ouvrait la porte de madame de Sauve, et monta chez sa dame d'honneur. Henri avait-il prevu cette visite, etait-il occupe chez lui, etait-il cache quelque part? toujours est-il que la jeune femme etait seule. Catherine ouvrit la porte avec precaution, traversa l'antichambre, entra dans le salon, deposa sa lampe sur un meuble, car une veilleuse brulait pres de la malade, et, comme une ombre, elle se glissa dans la chambre a coucher. Dariole, etendue dans un grand fauteuil, dormait pres du lit de sa maitresse. Ce lit etait entierement ferme par les rideaux. La respiration de la jeune femme etait si legere, qu'un instant Catherine crut qu'elle ne respirait plus. Enfin elle entendit un leger souffle, et, avec une joie maligne, elle vint lever le rideau, afin de constater par elle-meme l'effet du terrible poison, tressaillant d'avance a l'aspect de cette livide paleur ou de cette devorante pourpre d'une fievre mortelle qu'elle esperait; mais, au lieu de tout cela, calme, les yeux doucement clos par leurs blanches paupieres, la bouche rose et entrouverte, sa joue moite doucement appuyee sur un de ses bras gracieusement arrondi, tandis que l'autre, frais et nacre, s'allongeait sur le damas cramoisi qui lui servait de couverture, la belle jeune femme dormait presque rieuse encore; car sans doute quelque songe charmant faisait eclore sur ses levres le sourire, et sur sa joue ce coloris d'un bien-etre que rien ne trouble. Catherine ne put s'empecher de pousser un cri de surprise qui reveilla pour un instant Dariole. La reine mere se jeta derriere les rideaux du lit. Dariole ouvrit les yeux; mais, accablee de sommeil, sans meme chercher dans son esprit engourdi la cause de son reveil, la jeune fille laissa retomber sa lourde paupiere et se rendormit. Catherine alors sortit de dessous son rideau, et, tournant son regard vers les autres points de l'appartement, elle vit sur une petite table un flacon de vin d'Espagne, des fruits, des pates sucrees et deux verres. Henri avait du venir souper chez la baronne, qui visiblement se portait aussi bien que lui. Aussitot Catherine, marchant a sa toilette, y prit la petite boite d'argent au tiers vide. C'etait exactement la meme ou tout au moins la pareille de celle qu'elle avait fait remettre a Charlotte. Elle en enleva une parcelle de la grosseur d'une perle sur le bout d'une aiguille d'or, rentra chez elle, la presenta au petit singe que lui avait donne Henri le soir meme. L'animal, affriande par l'odeur aromatique, la devora avidement, et, s'arrondissant dans sa corbeille, se rendormit. Catherine attendit un quart d'heure. -- Avec la moitie de ce qu'il vient de manger la, dit Catherine, mon chien Brutus est mort enfle en une minute. On m'a jouee. Est- ce Rene? Rene! c'est impossible. Alors c'est donc Henri! o fatalite! C'est clair: puisqu'il doit regner, il ne peut pas mourir. " Mais peut-etre n'y a-t-il que le poison qui soit impuissant, nous verrons bien en essayant du fer. Et Catherine se coucha en tordant dans son esprit une nouvelle pensee qui se trouva sans doute complete le lendemain; car, le lendemain, elle appela son capitaine des gardes, lui remit une lettre, lui ordonna de la porter a son adresse, et de ne la soumettre qu'aux propres mains de celui a qui elle etait adressee. Elle etait adressee au sire de Louviers de Maurevel, capitaine des petardiers du roi, rue de la Cerisaie, pres de l'Arsenal. XXVIII La lettre de Rome Quelques jours s'etaient ecoules depuis les evenements que nous venons de raconter, lorsqu'un matin une litiere escortee de plusieurs gentilshommes aux couleurs de M. de Guise entra au Louvre, et que l'on vint annoncer a la reine de Navarre que madame la Duchesse de Nevers sollicitait l'honneur de lui faire sa cour. Marguerite recevait la visite de madame de Sauve. C'etait la premiere fois que la belle baronne sortait depuis sa pretendue maladie. Elle avait su que la reine avait manifeste a son mari une grande inquietude de cette indisposition, qui avait ete pendant pres d'une semaine le bruit de la cour, et elle venait la remercier. Marguerite la felicitait sur sa convalescence et sur le bonheur qu'elle avait eu d'echapper a l'acces subit de ce mal etrange dont, en sa qualite de fille de France, elle ne pouvait manquer d'apprecier toute la gravite. -- Vous viendrez, j'espere, a cette grande chasse deja remise une fois, demanda Marguerite, et qui doit avoir lieu definitivement demain. Le temps est doux pour un temps d'hiver. Le soleil a rendu la terre plus molle, et tous nos chasseurs pretendent que ce sera un jour des plus favorables. -- Mais, madame, dit la baronne, je ne sais si je serai assez bien remise. -- Bah! reprit Marguerite, vous ferez un effort; puis, comme je suis une guerriere, moi, j'ai autorise le roi a disposer d'un petit cheval de Bearn que je devais monter et qui vous portera a merveille. N'en avez-vous point encore entendu parler? -- Si fait, madame, mais j'ignorais que ce petit cheval eut ete destine a l'honneur d'etre offert a Votre Majeste: sans cela je ne l'eusse point accepte. -- Par orgueil, baronne? -- Non, madame, tout au contraire, par humilite. -- Donc, vous viendrez? -- Votre Majeste me comble d'honneur. Je viendrai puisqu'elle l'ordonne. Ce fut en ce moment qu'on annonca madame la duchesse de Nevers. A ce nom Marguerite laissa echapper un tel mouvement de joie, que la baronne comprit que les deux femmes avaient a causer ensemble, et elle se leva pour se retirer. -- A demain donc, dit Marguerite. -- A demain, madame. -- A propos! vous savez, baronne, continua Marguerite en la congediant de la main, qu'en public je vous deteste, attendu que je suis horriblement jalouse. -- Mais en particulier? demanda madame de Sauve. -- Oh! en particulier, non seulement je vous pardonne, mais encore je vous remercie. -- Alors, Votre Majeste permettra... Marguerite lui tendit la main, la baronne la baisa avec respect, fit une reverence profonde et sortit. Tandis que madame de Sauve remontait son escalier, bondissant comme un chevreau dont on a rompu l'attache, madame de Nevers echangeait avec la reine quelques saluts ceremonieux qui donnerent le temps aux gentilshommes qui l'avaient accompagnee jusque-la de se retirer. -- Gillonne, cria Marguerite lorsque la porte se fut refermee sur le dernier, Gillonne, fais que personne ne nous interrompe. -- Oui, dit la duchesse, car nous avons a parler d'affaires tout a fait graves. Et, prenant un siege, elle s'assit sans facon, certaine que personne ne viendrait deranger cette intimite convenue entre elle et la reine de Navarre, prenant sa meilleure place du feu et du soleil. -- Eh bien, dit Marguerite avec un sourire, notre fameux massacreur, qu'en faisons-nous? -- Ma chere reine, dit la duchesse, c'est sur mon ame un etre mythologique. Il est incomparable en esprit et ne tarit jamais. Il a des saillies qui feraient pamer de rire un saint dans sa chasse. Au demeurant, c'est le plus furieux paien qui ait jamais ete cousu dans la peau d'un catholique! j'en raffole. Et toi, que fais-tu de ton Apollo? -- Helas! fit Marguerite avec un soupir. -- Oh! oh! que cet helas m'effraie, chere reine! est-il donc trop respectueux ou trop sentimental, ce gentil La Mole? Ce serait, je suis forcee de l'avouer, tout le contraire de son ami Coconnas. -- Mais non, il a ses moments, dit Marguerite, et cet helas ne se rapporte qu'a moi. -- Que veut-il dire alors? -- Il veut dire, chere duchesse, que j'ai une peur affreuse de l'aimer tout de bon. -- Vraiment? -- Foi de Marguerite! -- Oh! tant mieux! la joyeuse vie que nous allons mener alors! s'ecria Henriette; aimer un peu, c'etait mon reve; aimer beaucoup c'etait le tien. C'est si doux, chere et docte reine, de se reposer l'esprit par le coeur, n'est-ce pas? et d'avoir apres le delire le sourire. Ah! Marguerite, j'ai le pressentiment que nous allons passer une bonne annee. -- Crois-tu? dit la reine; moi, tout au contraire, je ne sais pas comment cela se fait, je vois les choses a travers un crepe. Toute cette politique me preoccupe affreusement. A propos, sache donc si ton Annibal est aussi devoue a mon frere qu'il parait l'etre. Informe-toi de cela, c'est important. -- Lui, devoue a quelqu'un ou a quelque chose! on voit bien que tu ne le connais pas comme moi. S'il se devoue jamais a quelque chose, ce sera a son ambition et voila tout. Ton frere est-il homme a lui faire de grandes promesses, oh! alors, tres bien: il sera devoue a ton frere; mais que ton frere, tout fils de France qu'il est, prenne garde de manquer aux promesses qu'il lui aura faites, ou sans cela, ma foi, gare a ton frere! -- Vraiment? -- C'est comme je te le dis. En verite, Marguerite, il y a des moments ou ce tigre que j'ai apprivoise me fait peur a moi-meme. L'autre jour, je lui disais: Annibal, prenez-y garde, ne me trompez pas, car si vous me trompiez! ... Je lui disais cependant cela avec mes yeux d'emeraude qui ont fait dire a Ronsard: _La duchesse de Nevers_ _Aux yeux verts_ _Qui, sous leur paupiere blonde,_ _Lancent sur nous plus d'eclairs_ _Que ne font vingt Jupiters_ _Dans les airs,_ _Lorsque la tempete gronde._ -- Eh bien? -- Eh bien! je crus qu'il allait me repondre: Moi, vous tromper! moi, jamais! etc., etc. Sais-tu ce qu'il m'a repondu? -- Non. -- Eh bien, juge l'homme: Et vous, a-t-il repondu, si vous me trompiez, prenez garde aussi; car, toute princesse que vous etes... Et, en disant ces mots, il me menacait, non seulement des yeux, mais de son doigt sec et pointu, muni d'un ongle taille en fer de lance, et qu'il me mit presque sous le nez. En ce moment, ma pauvre reine, je te l'avoue, il avait une physionomie si peu rassurante que j'en tressaillis, et, tu le sais, cependant je ne suis pas trembleuse. -- Te menacer, toi, Henriette! il a ose? -- Eh! mordi! je le menacais bien, moi! Au bout du compte, il a eu raison. Ainsi, tu le vois, devoue jusqu'a un certain point, ou plutot jusqu'a un point tres incertain. -- Alors, nous verrons, dit Marguerite reveuse, je parlerai a La Mole. Tu n'avais pas autre chose a me dire? -- Si fait: une chose des plus interessantes et pour laquelle je suis venue. Mais, que veux-tu! tu as ete me parler de choses plus interessantes encore. J'ai recu des nouvelles. -- De Rome? -- Oui, un courrier de mon mari. -- Eh bien, l'affaire de Pologne? -- Va a merveille, et tu vas probablement sous peu de jours etre debarrassee de ton frere d'Anjou. -- Le pape a donc ratifie son election? -- Oui, ma chere. -- Et tu ne me disais pas cela! s'ecria Marguerite. Eh! vite, vite, des details. -- Oh! ma foi, je n'en ai pas d'autres que ceux que je te transmets. D'ailleurs attends, je vais te donner la lettre de M. de Nevers. Tiens, la voila. Eh! non, non; ce sont des vers d'Annibal, des vers atroces, ma pauvre Marguerite. Il n'en fait pas d'autres. Tiens, cette fois, la voici. Non, pas encore ceci: c'est un billet de moi que j'ai apporte pour que tu le lui fasses passer par La Mole. Ah! enfin, cette fois, c'est la lettre en question. Et madame de Nevers remit la lettre a la reine. Marguerite l'ouvrit vivement et la parcourut; mais effectivement elle ne disait rien autre chose que ce qu'elle avait deja appris de la bouche de son amie. -- Et comment as-tu recu cette lettre? continua la reine. -- Par un courrier de mon mari qui avait ordre de toucher a l'hotel de Guise avant d'aller au Louvre et de me remettre cette lettre avant celle du roi. Je savais l'importance que ma reine attachait a cette nouvelle, et j'avais ecrit a M. de Nevers d'en agir ainsi. Tu vois, il a obei, lui. Ce n'est pas comme ce monstre de Coconnas. Maintenant il n'y a donc dans tout Paris que le roi, toi et moi qui sachions cette nouvelle; a moins que l'homme qui suivait notre courrier... -- Quel homme? -- Oh! l'horrible metier! Imagine-toi que ce malheureux messager est arrive las, defait, poudreux; il a couru sept jours, jour et nuit, sans s'arreter un instant. -- Mais cet homme dont tu parlais tout a l'heure? -- Attends donc. Constamment suivi par un homme de mine farouche qui avait des relais comme lui et courait aussi vite que lui pendant ces quatre cents lieues, ce pauvre courrier a toujours attendu quelque balle de pistolet dans les reins. Tous deux sont arrives a la barriere Saint-Marcel en meme temps, tous deux ont descendu la rue Mouffetard au grand galop, tous deux ont traverse la Cite. Mais, au bout du pont Notre-Dame, notre courrier a pris a droite, tandis que l'autre tournait a gauche par la place du Chatelet, et filait par les quais du cote du Louvre comme un trait d'arbalete. -- Merci, ma bonne Henriette, merci, s'ecria Marguerite. Tu avais raison, et voici de bien interessantes nouvelles. Pour qui cet autre courrier? Je le saurai. Mais laisse-moi. A ce soir, rue Tizon, n'est-ce pas? et a demain la chasse; et surtout prends un cheval bien mechant pour qu'il s'emporte et que nous soyons seules. Je te dirai ce soir ce qu'il faut que tu taches de savoir de ton Coconnas. -- Tu n'oublieras donc pas ma lettre? dit la duchesse de Nevers en riant. -- Non, non, sois tranquille, il l'aura et a temps. Madame de Nevers sortit, et aussitot Marguerite envoya chercher Henri, qui accourut et auquel elle remit la lettre du duc de Nevers. -- Oh! oh! fit-il. Puis Marguerite lui raconta l'histoire du double courrier. -- Au fait, dit Henri, je l'ai vu entrer au Louvre. -- Peut-etre etait-il pour la reine mere? -- Non pas; j'en suis sur, car j'ai ete a tout hasard me placer dans le corridor, et je n'ai vu passer personne. -- Alors, dit Marguerite en regardant son mari, il faut que ce soit... -- Pour votre frere d'Alencon, n'est-ce pas? dit Henri. -- Oui; mais comment le savoir? -- Ne pourrait-on, demanda Henri negligemment, envoyer chercher un de ces deux gentilshommes et savoir par lui... -- Vous avez raison, Sire! dit Marguerite mise a son aise par la proposition de son mari; je vais envoyer chercher M. de La Mole... Gillonne! Gillonne! La jeune fille parut. -- Il faut que je parle a l'instant meme a M. de La Mole, lui dit la reine. Tachez de le trouver et amenez-le. Gillonne partit. Henri s'assit devant une table sur laquelle etait un livre allemand avec des gravures d'Albert Duerer, qu'il se mit a regarder avec une si grande attention que lorsque La Mole vint, il ne parut pas l'entendre et ne leva meme pas la tete. De son cote, le jeune homme voyant le roi chez Marguerite demeura debout sur le seuil de la chambre, muet de surprise et palissant d'inquietude. Marguerite alla a lui. -- Monsieur de la Mole, demanda-t-elle, pourriez-vous me dire qui est aujourd'hui de garde chez M. d'Alencon? -- Coconnas, madame..., dit La Mole. -- Tachez de me savoir de lui s'il a introduit chez son maitre un homme couvert de boue et paraissant avoir fait une longue route a franc etrier. -- Ah! madame, je crains bien qu'il ne me le dise pas; depuis quelques jours il devient tres taciturne. -- Vraiment! Mais en lui donnant ce billet, il me semble qu'il vous devra quelque chose en echange. -- De la duchesse! ... Oh! avec ce billet, j'essaierai. -- Ajoutez dit Marguerite en baissant la voix, que ce billet lui servira de sauf-conduit pour entrer ce soir dans la maison que vous savez. -- Et moi, madame, dit tout bas La Mole, quel sera le mien? -- Vous vous nommerez, et cela suffira. -- Donnez, madame, donnez, dit La Mole tout palpitant d'amour; je vous reponds de tout. Et il partit. -- Nous saurons demain si le duc d'Alencon est instruit de l'affaire de Pologne, dit tranquillement Marguerite en se retournant vers son mari. -- Ce M. de La Mole est veritablement un gentil serviteur, dit le Bearnais avec ce sourire qui n'appartenait qu'a lui; et... par la messe! je ferai sa fortune. XXIX Le depart Lorsque le lendemain un beau soleil rouge, mais sans rayons, comme c'est l'habitude dans les jours privilegies de l'hiver, se leva derriere les collines de Paris, tout depuis deux heures etait deja en mouvement dans la cour du Louvre. Un magnifique barbe, nerveux quoique elance, aux jambes de cerf sur lesquelles les veines se croisaient comme un reseau, frappant du pied, dressant l'oreille et soufflant le feu par ses narines, attendait Charles IX dans la cour; mais il etait moins impatient encore que son maitre, retenu par Catherine, qui l'avait arrete au passage pour lui parler, disait-elle, d'une affaire importante. Tous deux etaient dans la galerie vitree, Catherine froide, pale et impassible comme toujours, Charles IX fremissant, rongeant ses ongles et fouettant ses deux chiens favoris, revetus de cuirasses de mailles pour que le boutoir du sanglier n'eut pas de prise sur eux et qu'ils pussent impunement affronter le terrible animal. Un petit ecusson aux armes de France etait cousu sur leur poitrine a peu pres comme sur la poitrine des pages, qui plus d'une fois avaient envie les privileges de ces bienheureux favoris. -- Faites-y bien attention, Charles, disait Catherine, nul que vous et moi ne sait encore l'arrivee prochaine des Polonais; cependant le roi de Navarre agit, Dieu me pardonne! comme s'il le savait. Malgre son abjuration, dont je me suis toujours defiee, il a des intelligences avec les huguenots. Avez-vous remarque comme il sort souvent depuis quelques jours? Il a de l'argent, lui qui n'en a jamais eu; il achete des chevaux, des armes, et, les jours de pluie, du matin au soir il s'exerce a l'escrime. -- Eh! mon Dieu, ma mere, fit Charles IX impatiente, croyez-vous point qu'il ait l'intention de me tuer, moi, ou mon frere d'Anjou? En ce cas il lui faudra encore quelques lecons, car hier je lui ai compte avec mon fleuret onze boutonnieres sur son pourpoint qui n'en a cependant que six. Et quant a mon frere d'Anjou, vous savez qu'il tire encore mieux que moi ou tout aussi bien, a ce qu'il dit du moins. -- Ecoutez donc, Charles, reprit Catherine, et ne traitez pas legerement les choses que vous dit votre mere. Les ambassadeurs vont arriver; eh bien, vous verrez! Une fois qu'ils seront a Paris, Henri fera tout ce qu'il pourra pour captiver leur attention. Il est insinuant, il est sournois; sans compter que sa femme, qui le seconde je ne sais pourquoi, va caqueter avec eux, leur parler latin, grec, hongrois, que sais-je! oh! je vous dis, Charles, et vous savez que je ne me trompe jamais! je vous dis, moi, qu'il y a quelque chose sous jeu. En ce moment l'heure sonna, et Charles IX cessa d'ecouter sa mere pour ecouter l'heure. -- Mort de ma vie! sept heures! s'ecria-t-il. Une heure pour aller, cela fera huit; une heure pour arriver au rendez-vous et lancer, nous ne pourrons nous mettre en chasse qu'a neuf heures. En verite, ma mere, vous me faites perdre bien du temps! A bas, Risquetout! ... mort de ma vie! a bas donc, brigand! Et un vigoureux coup de fouet sangle sur les reins du molosse arracha au pauvre animal, tout etonne de recevoir un chatiment en echange d'une caresse, un cri de vive douleur. -- Charles, reprit Catherine, ecoutez-moi donc, au nom de Dieu! et ne jetez pas ainsi au hasard votre fortune et celle de la France. La chasse, la chasse, la chasse, dites-vous... Eh! vous aurez tout le temps de chasser lorsque votre besogne de roi sera faite. -- Allons, allons, ma mere! dit Charles pale d'impatience, expliquons-nous vite, car vous me faites bouillir. En verite, il y a des jours ou je ne vous comprends pas. Et il s'arreta battant sa botte du manche de son fouet. Catherine jugea que le bon moment etait venu, et qu'il ne fallait pas le laisser passer. -- Mon fils, dit-elle, nous avons la preuve que de Mouy est revenu a Paris. M. de Maurevel, que vous connaissez bien, l'y a vu. Ce ne peut etre que pour le roi de Navarre. Cela nous suffit, je l'espere, pour qu'il nous soit plus suspect que jamais. -- Allons, vous voila encore apres mon pauvre Henriot! vous voulez me le faire tuer, n'est-ce pas? -- Oh! non. -- Exiler? Mais comment ne comprenez-vous pas qu'exile il devient beaucoup plus a craindre qu'il ne le sera jamais ici, sous nos yeux, dans le Louvre, ou il ne peut rien faire que nous ne le sachions a l'instant meme? -- Aussi ne veux-je pas l'exiler. -- Mais que voulez-vous donc? dites vite! -- Je veux qu'on le tienne en surete, tandis que les Polonais seront ici; a la Bastille, par exemple. -- Ah! ma foi non, s'ecria Charles IX. Nous chassons le sanglier ce matin, Henriot est un de mes meilleurs suivants. Sans lui la chasse est manquee. Mordieu, ma mere! vous ne songez vraiment qu'a me contrarier. -- Eh! mon cher fils, je ne dis pas ce matin. Les envoyes n'arrivent que demain ou apres-demain. Arretons-le apres la chasse seulement, ce soir... cette nuit... -- C'est different, alors. Eh bien, nous reparlerons de cela, nous verrons; apres la chasse, je ne dis pas. Adieu! Allons! ici, Risquetout! ne vas-tu pas bouder a ton tour? -- Charles, dit Catherine en l'arretant par le bras au risque de l'explosion qui pouvait resulter de ce nouveau retard, je crois que le mieux serait, tout en ne l'executant que ce soir ou cette nuit, de signer l'acte d'arrestation de suite. -- Signer, ecrire un ordre, aller chercher le scel des parchemins quand on m'attend pour la chasse, moi qui ne me fais jamais attendre! Au diable, par exemple! -- Mais, non, je vous aime trop pour vous retarder; j'ai tout prevu, entrez la, chez moi, tenez! Et Catherine, agile comme si elle n'eut eu que vingt ans, poussa une porte qui communiquait a son cabinet, montra au roi un encrier, une plume, un parchemin, le sceau et une bougie allumee. Le roi prit le parchemin et le parcourut rapidement. "Ordre, etc. de faire arreter et conduire a la Bastille notre frere Henri de Navarre." -- Bon, c'est fait! dit-il en signant d'un trait. Adieu ma mere. Et il s'elanca hors du cabinet suivi de ses chiens, tout allegre de s'etre si facilement debarrasse de Catherine. Charles IX etait attendu avec impatience, et, comme on connaissait son exactitude en matiere de chasse, chacun s'etonnait de ce retard. Aussi, lorsqu'il parut, les chasseurs le saluerent-ils par leurs vivats, les piqueurs par leurs fanfares, les chevaux par leurs hennissements, les chiens par leurs cris. Tout ce bruit, tout ce fracas fit monter une rougeur a ses joues pales, son coeur se gonfla, Charles fut jeune et heureux pendant une seconde. A peine le roi prit-il le temps de saluer la brillante societe reunie dans la cour; il fit un signe de tete au duc d'Alencon, un signe de main a sa soeur Marguerite, passa devant Henri sans faire semblant de le voir, et s'elanca sur ce cheval barbe qui, impatient, bondit sous lui. Mais apres trois ou quatre courbettes, il comprit a quel ecuyer il avait affaire et se calma. Aussitot les fanfares retentirent de nouveau, et le roi sortit du Louvre suivi du duc d'Alencon, du roi de Navarre, de Marguerite, de madame de Nevers, de madame de Sauve, de Tavannes et des principaux seigneurs de la cour. Il va sans dire que La Mole et Coconnas etaient de la partie. Quant au duc d'Anjou, il etait depuis trois mois au siege de La Rochelle. Pendant qu'on attendait le roi, Henri etait venu saluer sa femme, qui, tout en repondant a son compliment, lui avait glisse a l'oreille: -- Le courrier venu de Rome a ete introduit par M. de Coconnas lui-meme chez le duc d'Alencon, un quart d'heure avant que l'envoye du duc de Nevers fut introduit chez le roi. -- Alors il sait tout, dit Henri. -- Il doit tout savoir, repondit Marguerite; d'ailleurs jetez les yeux sur lui, et voyez comme, malgre sa dissimulation habituelle, son oeil rayonne. -- Ventre-saint-gris! murmura le Bearnais, je le crois bien! il chasse aujourd'hui trois proies: France, Pologne et Navarre, sans compter le sanglier. Il salua sa femme, revint a son rang, et appelant un de ses gens, Bearnais d'origine, dont les aieux etaient serviteurs des siens depuis plus d'un siecle et qu'il employait comme messager ordinaire de ses affaires de galanterie: -- Orthon, lui dit-il, prends cette clef et va la porter chez ce cousin de madame de Sauve que tu sais, qui demeure chez sa maitresse, au coin de la rue des Quatre-Fils, tu lui diras que sa cousine desire lui parler ce soir; qu'il entre dans ma chambre, et, si je n'y suis pas, qu'il m'attende; si je tarde, qu'il se jette sur mon lit en attendant. -- Il n'y a pas de reponse, Sire? -- Aucune, que de me dire si tu l'as trouve. La clef est pour lui seul, tu comprends? -- Oui, Sire. -- Attends donc, et ne me quitte pas ici, peste! Avant de sortir de Paris, je t'appellerai comme pour ressangler mon cheval, tu demeureras ainsi en arriere tout naturellement, tu feras ta commission et tu nous rejoindras a Bondy. Le valet fit un signe d'obeissance et s'eloigna. On se mit en marche par la rue Saint-Honore, on gagna la rue Saint-Denis, puis le faubourg; arrive a la rue Saint-Laurent, le cheval du roi de Navarre se dessangla, Orthon accourut, et tout se passa comme il avait ete convenu entre lui et son maitre, qui continua de suivre avec le cortege royal la rue des Recollets, tandis que son fidele serviteur gagnait la rue du Temple. Lorsque Henri rejoignit le roi, Charles etait engage avec le duc d'Alencon dans une conversation si interessante sur le temps, sur l'age du sanglier detourne qui etait un solitaire, enfin sur l'endroit ou il avait etabli sa bauge, qu'il ne s'apercut pas ou feignit ne pas s'apercevoir que Henri etait reste un instant en arriere. Pendant ce temps Marguerite observait de loin la contenance de chacun, et croyait reconnaitre dans les yeux de son frere un certain embarras toutes les fois que ses yeux se reposaient sur Henri. Madame de Nevers se laissait aller a une gaiete folle, car Coconnas, eminemment joyeux ce jour la, faisait autour d'elle cent lazzis pour faire rire les dames. Quant a La Mole, il avait deja trouve deux fois l'occasion de baiser l'echarpe blanche a frange d'or de Marguerite sans que cette action, faite avec l'adresse ordinaire aux amants, eut ete vue de plus de trois ou quatre personnes. On arriva vers huit heures et un quart a Bondy. Le premier soin de Charles IX fut de s'informer si le sanglier avait tenu. Le sanglier etait a sa bauge, et le piqueur qui l'avait detourne repondait de lui. Une collation etait prete. Le roi but un verre de vin de Hongrie. Charles IX invita les dames a se mettre a table, et, tout a son impatience, s'en alla, pour occuper son temps, visiter les chenils et les perchoirs, recommandant qu'on ne dessellat pas son cheval, attendu, dit-il, qu'il n'en avait jamais monte de meilleur et de plus fort. Pendant que le roi faisait sa tournee, le duc de Guise arriva. Il etait arme en guerre plutot qu'en chasse, et vingt ou trente gentilshommes, equipes comme lui, l'accompagnaient. Il s'informa aussitot du lieu ou etait le roi, l'alla rejoindre et revint en causant avec lui. A neuf heures precises, le roi donna lui-meme le signal en sonnant le _lancer_, et chacun, montant a cheval, s'achemina vers le rendez-vous. Pendant la route, Henri trouva moyen de se rapprocher encore une fois de sa femme. -- Eh bien, lui demanda-t-il, savez-vous quelque chose de nouveau? -- Non, repondit Marguerite, si ce n'est que mon frere Charles vous regarde d'une etrange facon. -- Je m'en suis apercu, dit Henri. -- Avez-vous pris vos precautions? -- J'ai sur ma poitrine ma cotte de mailles et a mon cote un excellent couteau de chasse espagnol, affile comme un rasoir, pointu comme une aiguille, et avec lequel je perce des doublons. -- Alors, dit Marguerite, a la garde de Dieu! Le piqueur qui dirigeait le cortege fit un signe: on etait arrive a la bauge. XXX Maurevel Pendant que toute cette jeunesse joyeuse et insouciante, en apparence du moins, se repandait comme un tourbillon dore sur la route de Bondy, Catherine, roulant le parchemin precieux sur lequel le roi Charles venait d'apposer sa signature, faisait introduire dans son cabinet l'homme a qui son capitaine des gardes avait apporte, quelques jours auparavant, une lettre rue de la Cerisaie, quartier de l'Arsenal. Une large bande de taffetas, pareil a un sceau mortuaire, cachait un des yeux de cet homme, decouvrant seulement l'autre oeil, et laissant voir entre deux pommettes saillantes la courbure d'un nez de vautour, tandis qu'une barbe grisonnante lui couvrait le bas du visage. Il etait vetu d'un manteau long et epais sous lequel on devinait tout un arsenal. En outre il portait au cote, quoique ce ne fut pas l'habitude des gens appeles a la cour, une epee de campagne longue, large et a double coquille. Une de ses mains etait cachee et ne quittait point sous son manteau le manche d'un long poignard. -- Ah! vous voici, monsieur, dit la reine en s'asseyant; vous savez que je vous ai promis apres la Saint-Barthelemy, ou vous nous avez rendu de si signales services, de ne pas vous laisser dans l'inaction. L'occasion se presente, ou plutot non, je l'ai fait naitre. Remerciez-moi donc. -- Madame, je remercie humblement Votre Majeste, repondit l'homme au bandeau noir avec une reserve basse et insolente a la fois. -- Une belle occasion, monsieur, comme vous n'en trouverez pas deux dans votre vie, profitez-en donc. -- J'attends, madame; seulement, je crains, d'apres le preambule... -- Que la commission ne soit violente? N'est-ce pas de ces commissions-la que sont friands ceux qui veulent s'avancer? Celle dont je vous parle serait enviee par les Tavannes et par les Guise meme. -- Ah! madame, reprit l'homme, croyez bien, quelle qu'elle soit, je suis aux ordres de Votre Majeste. -- En ce cas, lisez, dit Catherine. Et elle lui presenta le parchemin. L'homme le parcourut et palit. -- Quoi! s'ecria-t-il, l'ordre d'arreter le roi de Navarre! -- Eh bien, qu'y a-t-il d'extraordinaire a cela? -- Mais un roi, madame! En verite, je doute, je crains de n'etre pas assez bon gentilhomme. -- Ma confiance vous fait le premier gentilhomme de ma cour, monsieur de Maurevel, dit Catherine. -- Graces soient rendues a Votre Majeste, dit l'assassin si emu qu'il paraissait hesiter. -- Vous obeirez donc? -- Si Votre Majeste le commande, n'est-ce pas mon devoir? -- Oui, je le commande. -- Alors, j'obeirai. -- Comment vous y prendrez-vous? -- Mais je ne sais pas trop, madame, et je desirerais fort etre guide par Votre Majeste. -- Vous redoutez le bruit? -- Je l'avoue. -- Prenez douze hommes surs, plus s'il le faut. -- Sans doute, je le comprends, Votre Majeste me permet de prendre mes avantages, et je lui en suis reconnaissant; mais ou saisirai- je le roi de Navarre? -- Ou vous plairait-il mieux de le saisir? -- Dans un lieu qui, par sa majeste meme, me garantit, s'il etait possible. -- Oui, je comprends, dans quelque palais royal; que diriez-vous du Louvre, par exemple? -- Oh! Si Votre Majeste me le permettait, ce serait une grande faveur. -- Vous l'arreterez donc dans le Louvre. -- Et dans quelle partie du Louvre? -- Dans sa chambre meme. Maurevel s'inclina. -- Et quand cela, madame? -- Ce soir, ou plutot cette nuit. -- Bien, madame. Maintenant, que Votre Majeste daigne me renseigner sur une chose. -- Sur laquelle? -- Sur les egards dus a sa qualite. -- Egards! ... qualite! ..., dit Catherine. Mais vous ignorez donc, monsieur, que le roi de France ne doit les egards a qui que ce soit dans son royaume, ne reconnaissant personne dont la qualite soit egale a la sienne? Maurevel fit une seconde reverence. -- J'insisterai sur ce point cependant, madame, dit-il, si Votre Majeste le permet. -- Je le permets, monsieur. -- Si le roi contestait l'authenticite de l'ordre, ce n'est pas probable, mais enfin... -- Au contraire, monsieur, c'est sur. -- Il contestera? -- Sans aucun doute. -- Et par consequent il refusera d'y obeir? -- Je le crains. -- Et il resistera? -- C'est probable. -- Ah! diable, dit Maurevel; et dans ce cas... -- Dans quel cas? dit Catherine avec son regard fixe. -- Mais dans le cas ou il resisterait, que faut-il faire? -- Que faites-vous quand vous etes charge d'un ordre du roi, c'est-a-dire quand vous representez le roi, et qu'on vous resiste, monsieur de Maurevel? -- Mais, madame, dit le sbire, quand je suis honore d'un pareil ordre, et que cet ordre concerne un simple gentilhomme, je le tue. -- Je vous ai dit, monsieur, reprit Catherine, et je ne croyais pas qu'il y eut assez longtemps pour que vous l'eussiez deja oublie, que le roi de France ne reconnaissait aucune qualite dans son royaume; c'est vous dire que le roi de France seul est roi, et qu'aupres de lui les plus grands sont de simples gentilshommes. Maurevel palit, car il commencait a comprendre. -- Oh! oh! dit-il, tuer le roi de Navarre?... -- Mais qui vous parle donc de le tuer? ou est l'ordre de le tuer? Le roi veut qu'on le mene a la Bastille, et l'ordre ne porte que cela. Qu'il se laisse arreter, tres bien; mais comme il ne se laissera pas arreter, comme il resistera, comme il essaiera de vous tuer... Maurevel palit. -- Vous vous defendrez, continua Catherine. On ne peut pas demander a un vaillant comme vous de se laisser tuer sans se defendre; et en vous defendant, que voulez-vous, arrive qu'arrive. Vous me comprenez, n'est-ce pas? -- Oui, madame; mais cependant... -- Allons, vous voulez qu'apres ces mots: _Ordre d'arreter_, j'ecrive de ma main: _mort ou vif?_ -- J'avoue, madame, que cela leverait mes scrupules. -- Voyons, il le faut bien, puisque vous ne croyez pas la commission executable sans cela. Et Catherine, en haussant les epaules, deroula le parchemin d'une main, et de l'autre ecrivit:_ mort ou vif._ _-- _Tenez, dit-elle, trouvez-vous l'ordre suffisamment en regle, maintenant? -- Oui, madame, repondit Maurevel; mais je prie Votre Majeste de me laisser l'entiere disposition de l'entreprise. -- En quoi ce que j'ai dit nuit-il donc a son execution? -- Votre Majeste m'a dit de prendre douze hommes? -- Oui; pour etre plus sur... -- Eh bien! je demanderai la permission de n'en prendre que six. -- Pourquoi cela? -- Parce que, madame, s'il arrivait malheur au prince, comme la chose est probable, on excuserait facilement six hommes d'avoir eu peur de manquer un prisonnier, tandis que personne n'excuserait douze gardes de n'avoir pas laisse tuer la moitie de leurs camarades avant de porter la main sur une Majeste. -- Belle Majeste, ma foi! qui n'a pas de royaume. -- Madame, dit Maurevel, ce n'est pas le royaume qui fait le roi, c'est la naissance. -- Eh bien donc, dit Catherine, faites comme il vous plaira. Seulement, je dois vous prevenir que je desire que vous ne quittiez point le Louvre. -- Mais, madame, pour reunir mes hommes? -- Vous avez bien une espece de sergent que vous puissiez charger de ce soin? -- J'ai mon laquais, qui non seulement est un garcon fidele, mais qui meme m'a quelquefois aide dans ces sortes d'entreprises. -- Envoyez-le chercher, et concertez-vous avec lui. Vous connaissez le cabinet des Armes du roi, n'est-ce pas? eh bien, on va vous servir la a dejeuner; la vous donnerez vos ordres. Le lieu raffermira vos sens s'ils etaient ebranles. Puis, quand mon fils reviendra de la chasse, vous passerez dans mon oratoire, ou vous attendrez l'heure. -- Mais comment entrerons-nous dans la chambre? Le roi a sans doute quelque soupcon, et il s'enfermera en dedans. -- J'ai une double clef de toutes les portes, dit Catherine, et on a enleve les verrous de celle de Henri. Adieu, monsieur de Maurevel; a tantot. Je vais vous faire conduire dans le cabinet des Armes du roi. Ah! a propos! rappelez-vous que ce qu'un roi ordonne doit, avant toute chose, etre execute; qu'aucune excuse n'est admise; qu'une defaite, meme un insucces compromettraient l'honneur du roi. C'est grave. Et Catherine, sans laisser a Maurevel le temps de lui repondre, appela M. de Nancey, capitaine des gardes, et lui ordonna de conduire Maurevel dans le cabinet des Armes du roi. -- Mordieu! disait Maurevel en suivant son guide, je m'eleve dans la hierarchie de l'assassinat: d'un simple gentilhomme a un capitaine, d'un capitaine a un amiral, d'un amiral a un roi sans couronne. Et qui sait si je n'arriverai pas un jour a un roi couronne?... XXXI La chasse a courre Le piqueur qui avait detourne le sanglier et qui avait affirme au roi que l'animal n'avait pas quitte l'enceinte ne s'etait pas trompe. A peine le limier fut-il mis sur la trace, qu'il s'enfonca dans le taillis et que d'un massif d'epines il fit sortir le sanglier qui, ainsi que le piqueur l'avait reconnu a ses voies, etait un solitaire, c'est-a-dire une bete de la plus forte taille. L'animal piqua droit devant lui et traversa la route a cinquante pas du roi, suivi seulement du limier qui l'avait detourne. On decoupla aussitot un premier relais, et une vingtaine de chiens s'enfoncerent a sa poursuite. La chasse etait la passion de Charles. A peine l'animal eut-il traverse la route qu'il s'elanca derriere lui, sonnant la vue, suivi du duc d'Alencon et de Henri, a qui un signe de Marguerite avait indique qu'il ne devait point quitter Charles. Tous les autres chasseurs suivirent le roi. Les forets royales etaient loin, a l'epoque ou se passe l'histoire que nous racontons, d'etre, comme elles le sont aujourd'hui, de grands parcs coupes par des allees carrossables. Alors, l'exploitation etait a peu pres nulle. Les rois n'avaient pas encore eu l'idee de se faire commercants et de diviser leurs bois en coupes, en taillis et en futaies. Les arbres, semes non point par de savants forestiers, mais par la main de Dieu, qui jetait la graine au caprice du vent, n'etaient pas disposes en quinconces, mais poussaient a leur loisir et comme ils font encore aujourd'hui dans une foret vierge de l'Amerique. Bref, une foret, a cette epoque, etait un repaire ou il y avait a foison du sanglier, du cerf, du loup et des voleurs; et une douzaine de sentiers seulement, partant d'un point, etoilaient celle de Bondy, qu'une route circulaire enveloppait comme le cercle de la roue enveloppe les jantes. En poussant la comparaison plus loin, le moyeu ne representerait pas mal l'unique carrefour situe au centre du bois, et ou les chasseurs egares se ralliaient pour s'elancer de la vers le point ou la chasse perdue reparaissait. Au bout d'un quart d'heure, il arriva ce qui arrivait toujours en pareil cas: c'est que des obstacles presque insurmontables s'etant opposes a la course des chasseurs, les voix des chiens s'etaient eteintes dans le lointain, et le roi lui-meme etait revenu au carrefour, jurant et sacrant, comme c'etait son habitude. -- Eh bien! d'Alencon, eh bien! Henriot, dit-il, vous voila, mordieu, calmes et tranquilles comme des religieuses qui suivent leur abbesse. Voyez-vous, ca ne s'appelle point chasser, cela. Vous, d'Alencon, vous avez l'air de sortir d'une boite, et vous etes tellement parfume que si vous passez entre la bete et mes chiens, vous etes capable de leur faire perdre la voie. Et vous, Henriot, ou est votre epieu, ou est votre arquebuse? voyons. -- Sire, dit Henri, a quoi bon une arquebuse? Je sais que Votre Majeste aime a tirer l'animal quand il tient aux chiens. Quant a un epieu, je manie assez maladroitement cette arme, qui n'est point d'usage dans nos montagnes, ou nous chassons l'ours avec le simple poignard. -- Par la mordieu, Henri, quand vous serez retourne dans vos Pyrenees, il faudra que vous m'envoyiez une pleine charretee d'ours, car ce doit etre une belle chasse que celle qui se fait ainsi corps a corps avec un animal qui peut nous etouffer. Ecoutez donc, je crois que j'entends les chiens. Non, je me trompais. Le roi prit son cor et sonna une fanfare. Plusieurs fanfares lui repondirent. Tout a coup un piqueur parut qui fit entendre un autre air. -- La vue! la vue! cria le roi. Et il s'elanca au galop, suivi de tous les chasseurs qui s'etaient rallies a lui. Le piqueur ne s'etait pas trompe. A mesure que le roi s'avancait, on commencait d'entendre les aboiements de la meute, composee alors de plus de soixante chiens, car on avait successivement lache tous les relais places dans les endroits que le sanglier avait deja parcourus. Le roi le vit passer pour la seconde fois, et, profitant d'une haute futaie, se jeta sous bois apres lui, donnant du cor de toutes ses forces. Les princes le suivirent quelque temps. Mais le roi avait un cheval si vigoureux, emporte par son ardeur il passait par des chemins tellement escarpes, par des taillis si epais, que d'abord les femmes, puis le duc de Guise et ses gentilshommes, puis les deux princes, furent forces de l'abandonner. Tavannes tint encore quelque temps; mais enfin il y renonca a son tour. Tout le monde, excepte Charles et quelques piqueurs qui, excites par une recompense promise, ne voulaient pas quitter le roi, se retrouva donc dans les environs du carrefour. Les deux princes etaient l'un pres de l'autre dans une longue allee. A cent pas d'eux, le duc de Guise et ses gentilshommes avaient fait halte. Au carrefour se tenaient les femmes. -- Ne semblerait-il pas, en verite, dit le duc d'Alencon a Henri en lui montrant du coin de l'oeil le duc de Guise, que cet homme, avec son escorte bardee de fer, est le veritable roi? Pauvres princes que nous sommes, il ne nous honore pas meme d'un regard. -- Pourquoi nous traiterait-il mieux que ne nous traitent nos propres parents? repondit Henri. Eh! mon frere! ne sommes-nous pas, vous et moi, des prisonniers a la cour de France, des otages de notre parti? Le duc Francois tressaillit a ces mots, et regarda Henri comme pour provoquer une plus large explication; mais Henri s'etait plus avance qu'il n'avait coutume de le faire, et il garda le silence. -- Que voulez-vous dire, Henri? demanda le duc Francois, visiblement contrarie que son beau-frere, en ne continuant pas, le laissat entamer ces eclaircissements. -- Je dis, mon frere, reprit Henri, que ces hommes si bien armes, qui semblent avoir recu pour tache de ne point nous perdre de vue, ont tout l'aspect de gardes qui pretendraient empecher deux personnes de s'echapper. -- S'echapper, pourquoi? comment? demanda d'Alencon en jouant admirablement la surprise et la naivete. -- Vous avez la un magnifique genet, Francois, dit Henri poursuivant sa pensee tout en ayant l'air de changer de conversation; je suis sur qu'il ferait sept lieues en une heure, et vingt lieues d'ici a midi. Il fait beau; cela invite, sur ma parole, a baisser la main. Voyez donc le joli chemin de traverse. Est ce qu'il ne vous tente pas, Francois? Quant a moi, l'eperon me brule. Francois ne repondit rien. Seulement il rougit et palit successivement; puis il tendit l'oreille comme s'il ecoutait la chasse. -- La nouvelle de Pologne fait son effet, dit Henri, et mon cher beau-frere a son plan. Il voudrait bien que je me sauvasse, mais je ne me sauverai pas seul. Il achevait a peine cette reflexion, quand plusieurs nouveaux convertis, revenus a la cour depuis deux ou trois mois, arriverent au petit galop et saluerent les deux princes avec un sourire des plus engageants. Le duc d'Alencon, provoque par les ouvertures de Henri, n'avait qu'un mot a dire, qu'un geste a faire, et il etait evident que trente ou quarante cavaliers, reunis en ce moment autour d'eux comme pour faire opposition a la troupe de M. de Guise, favoriseraient la fuite; mais il detourna la tete, et portant son cor a sa bouche, il sonna le ralliement. Cependant les nouveaux venus, comme s'ils eussent cru que l'hesitation du duc d'Alencon venait du voisinage et de la presence des Guisards, s'etaient peu a peu glisses entre eux et les deux princes, et s'etaient echelonnes avec une habilete strategique qui annoncait l'habitude des dispositions militaires. En effet, pour arriver au duc d'Alencon et au roi de Navarre, il eut fallu leur passer sur le corps, tandis qu'a perte de vue s'etendait devant les deux beaux freres une route parfaitement libre. Tout a coup, entre les arbres, a dix pas du roi de Navarre, apparut un autre gentilhomme que les deux princes n'avaient pas encore vu. Henri cherchait a deviner qui il etait, quand ce gentilhomme, soulevant son chapeau, se fit reconnaitre a Henri pour le vicomte de Turenne, un des chefs du parti protestant que l'on croyait en Poitou. Le vicomte hasarda meme un signe qui voulait clairement dire: -- Venez-vous? Mais Henri, apres avoir bien consulte le visage impassible et l'oeil terne du duc d'Alencon, tourna deux ou trois fois la tete sur son epaule comme si quelque chose le genait dans le col de son pourpoint. C'etait une reponse negative. Le vicomte la comprit, piqua des deux et disparut dans le fourre. Au meme instant on entendit la meute se rapprocher, puis, a l'extremite de l'allee ou l'on se trouvait, on vit passer le sanglier, puis au meme instant les chiens, puis, pareil au chasseur infernal, Charles IX sans chapeau, le cor a la bouche, sonnant a se briser les poumons; trois ou quatre piqueurs le suivaient. Tavannes avait disparu. -- Le roi! s'ecria le duc d'Alencon. Et il s'elanca sur la trace. Henri, rassure par la presence de ses bons amis, leur fit signe de ne pas s'eloigner et s'avanca vers les dames. -- Eh bien? dit Marguerite en faisant quelques pas au-devant de lui. -- Eh bien, madame, dit Henri, nous chassons le sanglier. -- Voila tout? -- Oui, le vent a tourne depuis hier matin; mais je crois vous avoir predit que cela serait ainsi. -- Ces changements de vent sont mauvais pour la chasse, n'est-ce pas, monsieur? demanda Marguerite. -- Oui, dit Henri, cela bouleverse quelquefois toutes les dispositions arretees, et c'est un plan a refaire. En ce moment les aboiements de la meute commencerent a se faire entendre, se rapprochant rapidement, et une sorte de vapeur tumultueuse avertit les chasseurs de se tenir sur leurs gardes. Chacun leva la tete et tendit l'oreille. Presque aussitot le sanglier deboucha, et au lieu de se rejeter dans le bois, il suivit la route venant droit sur le carrefour ou se trouvaient les dames, les gentilshommes qui leur faisaient la cour, et les chasseurs qui avaient perdu la chasse. Derriere lui, et lui soufflant au poil, venaient trente ou quarante chiens des plus robustes; puis, derriere les chiens, a vingt pas a peine, le roi Charles sans toquet, sans manteau, avec ses habits tout dechires par les epines, le visage et les mains en sang. Un ou deux piqueurs restaient seuls avec lui. Le roi ne quittait son cor que pour exciter ses chiens, ne cessait d'exciter ses chiens que pour reprendre son cor. Le monde tout entier avait disparu a ses yeux. Si son cheval eut manque, il eut crie comme Richard III: Ma couronne pour un cheval! Mais le cheval paraissait aussi ardent que le maitre, ses pieds ne touchaient pas la terre et ses naseaux soufflaient le feu. Le sanglier, les chiens, le roi passerent comme une vision. -- Hallali, hallali! cria le roi en passant. Et il ramena son cor a ses levres sanglantes. A quelques pas de lui venaient le duc d'Alencon et deux piqueurs; seulement les chevaux des autres avaient renonce ou ils s'etaient perdus. Tout le monde partit sur la trace, car il etait evident que le sanglier ne tarderait pas a tenir. En effet, au bout de dix minutes a peine, le sanglier quitta le sentier qu'il suivait et se jeta dans le bois; mais, arrive a une clairiere, il s'accula a une roche et fit tete aux chiens. Aux cris de Charles, qui l'avait suivi, tout le monde accourut. On etait arrive au moment interessant de la chasse. L'animal paraissait resolu a une defense desesperee. Les chiens, animes par une course de plus de trois heures, se ruaient sur lui avec un acharnement que redoublaient les cris et les jurons du roi. Tous les chasseurs se rangerent en cercle, le roi un peu en avant, ayant derriere lui le duc d'Alencon arme d'une arquebuse, et Henri qui n'avait que son simple couteau de chasse. Le duc d'Alencon detacha son arquebuse du crochet et en alluma la meche. Henri fit jouer son couteau de chasse dans le fourreau. Quant au duc de Guise, assez dedaigneux de tous ces exercices de venerie, il se tenait un peu a l'ecart avec tous ses gentilshommes. Les femmes reunies en groupe formaient une petite troupe qui faisait le pendant a celle du duc de Guise. Tout ce qui etait chasseur demeurait les yeux fixes sur l'animal, dans une attente pleine d'anxiete. A l'ecart se tenait un piqueur se raidissant pour resister aux deux molosses du roi, qui, couverts de leurs jaques de mailles, attendaient, en hurlant et en s'elancant de maniere a faire croire a chaque instant qu'ils allaient briser leurs chaines, le moment de coiffer le sanglier. L'animal faisait merveille: attaque a la fois par une quarantaine de chiens qui l'enveloppaient comme une maree hurlante, qui le recouvraient de leur tapis bigarre, qui de tous cotes essayaient d'entamer sa peau rugueuse aux poils herisses, a chaque coup de boutoir, il lancait a dix pieds de haut un chien, qui retombait eventre, et qui, les entrailles trainantes, se rejetait aussitot dans la melee tandis que Charles, les cheveux raidis, les yeux enflammes, les narines ouvertes, courbe sur le cou de son cheval ruisselant, sonnait un hallali furieux. En moins de dix minutes, vingt chiens furent hors de combat. -- Les dogues! cria Charles, les dogues! ... A ce cri, le piqueur ouvrit les porte-mousquetons des laisses, et les deux molosses se ruerent au milieu du carnage, renversant tout, ecartant tout, se frayant avec leurs cottes de fer un chemin jusqu'a l'animal, qu'ils saisirent chacun par une oreille. Le sanglier, se sentant coiffe, fit claquer ses dents a la fois de rage et de douleur. -- Bravo! Duredent! bravo! Risquetout! cria Charles. Courage, les chiens! Un epieu! un epieu! -- Vous ne voulez pas mon arquebuse? dit le duc d'Alencon. -- Non, cria le roi, non, on ne sent pas entrer la balle; il n'y a pas de plaisir; tandis qu'on sent entrer l'epieu. Un epieu! un epieu! On presenta au roi un epieu de chasse durci au feu et arme d'une pointe de fer. -- Mon frere, prenez garde! cria Marguerite. -- Sus! sus! cria la duchesse de Nevers. Ne le manquez pas, Sire! Un bon coup a ce parpaillot! -- Soyez tranquille, duchesse! dit Charles. Et, mettant son epieu en arret, il fondit sur le sanglier, qui, tenu par les deux chiens, ne put eviter le coup. Cependant, a la vue de l'epieu luisant, il fit un mouvement de cote, et l'arme, au lieu de penetrer dans la poitrine, glissa sur l'epaule et alla s'emousser sur la roche contre laquelle l'animal etait accule. -- Mille noms d'un diable! cria le roi, je l'ai manque... Un epieu! un epieu! Et, se reculant comme faisaient les chevaliers lorsqu'ils prenaient du champ, il jeta a dix pas de lui son epieu hors de service. Un piqueur s'avanca pour lui en offrir un autre. Mais au meme moment, comme s'il eut prevu le sort qui l'attendait et qu'il eut voulu s'y soustraire, le sanglier, par un violent effort, arracha aux dents des molosses ses deux oreilles dechirees, et, les yeux sanglants, herisse, hideux, l'haleine bruyante comme un soufflet de forge, faisant claquer ses dents l'une contre l'autre, il s'elanca la tete basse, vers le cheval du roi. Charles etait trop bon chasseur pour ne pas avoir prevu cette attaque. Il enleva son cheval, qui se cabra; mais il avait mal mesure la pression, le cheval, trop serre par le mors ou peut-etre meme cedant a son epouvante, se renversa en arriere. Tous les spectateurs jeterent un cri terrible: le cheval etait tombe, et le roi avait la cuisse engagee sous lui. -- La main, Sire, rendez la main, dit Henri. Le roi lacha la bride de son cheval, saisit la selle de la main gauche, essayant de tirer de la droite son couteau de chasse; mais le couteau, presse par le poids de son corps, ne voulut pas sortir de sa gaine. -- Le sanglier! le sanglier! cria Charles. A moi, d'Alencon! a moi! Cependant le cheval, rendu a lui-meme, comme s'il eut compris le danger que courait son maitre, tendit ses muscles et etait parvenu deja a se relever sur trois jambes, lorsqu'a l'appel de son frere, Henri vit le duc Francois palir affreusement et approcher l'arquebuse de son epaule; mais la balle, au lieu d'aller frapper le sanglier, qui n'etait plus qu'a deux pas du roi, brisa le genou du cheval, qui retomba le nez contre terre. Au meme instant le sanglier dechira de son boutoir la botte de Charles. -- Oh! murmura d'Alencon de ses levres blemissantes, je crois que le duc d'Anjou est roi de France, et que moi je suis roi de Pologne. En effet le sanglier labourait la cuisse de Charles, lorsque celui-ci sentit quelqu'un qui lui levait le bras; puis il vit briller une lame aigue et tranchante qui s'enfoncait et disparaissait jusqu'a la garde au defaut de l'epaule de l'animal, tandis qu'une main gantee de fer ecartait la hure deja fumante sous ses habits. Charles, qui dans le mouvement qu'avait fait le cheval etait parvenu a degager sa jambe, se releva lourdement, et, se voyant tout ruisselant de sang, devint pale comme un cadavre. -- Sire, dit Henri, qui toujours a genoux maintenait le sanglier atteint au coeur, Sire, ce n'est rien, j'ai ecarte la dent, et Votre Majeste n'est pas blessee. Puis il se releva, lachant le couteau, et le sanglier tomba, rendant plus de sang encore par sa gueule que par sa plaie. Charles, entoure de tout un monde haletant, assailli par des cris de terreur qui eussent etourdi le plus calme courage, fut un moment sur le point de tomber pres de l'animal agonisant. Mais il se remit; et se retournant vers le roi de Navarre, il lui serra la main avec un regard ou brillait le premier elan de sensibilite qui eut fait battre son coeur depuis vingt-quatre ans. -- Merci, Henriot! lui dit-il. -- Mon pauvre frere! s'ecria d'Alencon en s'approchant de Charles. -- Ah! c'est toi, d'Alencon! dit le roi. Eh bien, fameux tireur, qu'est donc devenue ta balle? -- Elle se sera aplatie sur le sanglier, dit le duc. -- Eh! mon Dieu! s'ecria Henri avec une surprise admirablement jouee, voyez donc, Francois, votre balle a casse la jambe du cheval de Sa Majeste. C'est etrange! -- Hein! dit le roi. Est-ce vrai, cela? -- C'est possible, dit le duc consterne; la main me tremblait si fort! -- Le fait est que, pour un tireur habile, vous avez fait la un singulier coup, Francois! dit Charles en froncant le sourcil. Une seconde fois, merci, Henriot! Messieurs, continua le roi, retournons a Paris, j'en ai assez comme cela. Marguerite s'approcha pour feliciter Henri. -- Ah! ma foi, oui, Margot, dit Charles, fais-lui ton compliment, et bien sincere meme, car sans lui le roi de France s'appelait Henri III. -- Helas! madame, dit le Bearnais, M. le duc d'Anjou, qui est deja mon ennemi, va m'en vouloir bien davantage. Mais que voulez-vous! on fait ce qu'on peut; demandez a M. d'Alencon. Et, se baissant, il retira du corps du sanglier son couteau de chasse, qu'il plongea deux ou trois fois dans la terre, afin d'en essuyer le sang. FIN DE LA PREMIERE PARTIE. -- Qui est a ma portiere? -- Deux pages et un ecuyer. -- Bon! ce sont des barbares! Dites-moi, La Mole, qui avez-vous trouve dans votre chambre? -- Le duc Francois. -- Faisant? -- Je ne sais quoi. -- Avec? -- Avec un inconnu. Je suis seule; entrez, mon cher. - 42 - End of Project Gutenberg's La reine Margot - Tome I, by Alexandre Dumas, Pere *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA REINE MARGOT - TOME I *** ***** This file should be named 13856.txt or 13856.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.net/1/3/8/5/13856/ This Etext was prepared by Ebooks libres et gratuits and is available at http://www.ebooksgratuits.com in Word format, Mobipocket Reader format, eReader format and Acrobat Reader format. 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