Project Gutenberg's Histoire d'un casse-noisette, by Alexandre Dumas #30 in our series by Alexandre Dumas Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. 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Nous remercions la Bibliotheque Nationale de France qui a mis disposition les images dans www://gallica.bnf.fr, et a donn l'autorisation de les utiliser pour preparer ce texte. Alexandre Dumas Histoire d'un casse-noisette TABLE DES MATIERES PREFACE Ou il est explique comment l'auteur fut contraint de raconter l'histoire du Casse-Noisette de Nuremberg. HISTOIRE D'UN CASSE-NOISETTE Le parrain Drosselmayer L'arbre de Noel Le petit homme au manteau de bois Choses merveilleuses. La bataille La maladie Histoire de la noisette Krakatuk et de la princesse Pirlipate Comment naquit la princesse Pirlipate, et quelle grande joie cette naissance donna a ses illustres parents. Comment, malgre toutes les precautions prises par la reine, dame Souriconne accomplit sa menace a l'endroit de la princesse Pirlipate. Comment le mecanicien et l'astrologue parcoururent les quatre parties du monde et en decouvrirent une cinquieme, sans trouver la noisette Krakatuk. Comment, apres avoir trouve la noisette Krakatuk, le mecanicien et l'astrologue trouverent le jeune homme qui devait la casser. L'oncle et le neveu La capitale Le royaume des poupees Le voyage Conclusion L'EGOISTE NICOLAS LE PHILOSOPHE PREFACE Ou il est explique comment l'auteur fut contraint de raconter l'histoire du Casse-Noisette de Nuremberg. Il y avait une grande soiree d'enfants chez mon ami le comte de M..., et j'avais contribue, pour ma part, a grossir la bruyante et joyeuse reunion en y conduisant ma fille. Il est vrai qu'au bout d'une demi-heure, pendant laquelle j'avais paternellement assiste a quatre ou cinq parties successives de colin-maillard, de main chaude et de toilette de madame, la tete tant soit peu brisee du sabbat que faisaient une vingtaine de charmants petits demons de huit a dix ans, lesquels criaient qui mieux mieux, je m'esquivais du salon et me mettais a la recherche de certain boudoir de ma connaissance, bien sourd et bien retire, dans lequel je comptais reprendre tout doucement le fil de mes idees interrompues. J'avais opere ma retraite avec autant d'adresse que de bonheur, me soustrayant non-seulement aux regards des jeunes invites, ce qui n'etait pas bien difficile, vu la grande attention qu'ils donnaient a leurs jeux, mais encore a ceux des parents, ce qui etait une bien autre affaire. J'avais atteint le boudoir tant desire, lorsque je m'apercus, en y entrant, qu'il etait momentanement transforme en refectoire, et que des buffets gigantesques y etaient dresses tout charges de patisseries et de rafraichissements. Or, comme ces preparatifs gastronomiques m'etaient une nouvelle garantie que je ne serais pas derang avant l'heure du souper, puisque le susdit boudoir etait reserv a la collation, j'avisai un enorme fauteuil a la Voltaire, une veritable bergere Louis XV a dossier rembourre et a bras arrondis, une paresseuse comme on dit en Italie, ce pays des veritables paresseux, et je m'y accommodai voluptueusement, tout ravi a cette idee que j'allais passer une heure seul en tete-a-tete avec mes pensees, chose si precieuse au milieu de ce tourbillon dans lequel, nous autres vassaux du public, nous sommes incessamment entraines. Aussi, soit fatigue, soit manque d'habitude, soit resultat d'un bien-etre si rare, au bout de dix minutes de meditation, j'etais profondement endormi. Je ne sais depuis combien de temps j'avais perdu le sentiment de ce qui se passait autour de moi, lorsque tout a coup je fus tir de mon sommeil par de bruyants eclats de rire. J'ouvris de grands yeux hagards qui ne virent au-dessus d'eux qu'un charmant plafond de Boucher, tout seme d'Amours et de colombes, et j'essayai de me lever; mais l'effort fut infructueux, j'etais attache a mon fauteuil avec non moins de solidite que l'etait Gulliver sur le rivage de Lilliput. Je compris a l'instant meme le desavantage de ma position; j'avais ete surpris sur le territoire ennemi, et j'etais prisonnier de guerre. Ce qu'il y avait de mieux a faire dans ma situation, c'etait d'en prendre bravement mon parti et de traiter a l'amiable de ma liberte. Ma premiere proposition fut de conduire le lendemain mes vainqueurs chez Felix, et de mettre toute sa boutique a leur disposition. Malheureusement le moment etait mal choisi, je parlais a un auditoire qui m'ecoutait la bouche bourree de babas et les mains pleines de petit pates. Ma proposition fut donc honteusement repoussee. J'offris de reunir le lendemain toute l'honorable societe dans un jardin au choix, et d'y tirer un feu d'artifice compose d'un nombre de soleils et de chandelles romaines qui serait fixe par les spectateurs eux-memes. Cette offre eut assez de succes pres des petits garcons; mais les petites filles s'y opposerent formellement, declarant qu'elles avaient horriblement peur des feux d'artifice, que leurs nerfs ne pouvaient supporter le bruit des petards, et que l'odeur de la poudre les incommodait. J'allais ouvrir un troisieme avis, lorsque j'entendis une petite voix flutee qui glissait tout bas a l'oreille de ses compagnes ces mots qui me firent fremir: --Dites a papa, qui fait des histoires, de nous raconter un joli conte. Je voulus protester; mais a l'instant meme ma voix fut couverte par ces cris: --Ah! oui, un conte, un joli conte; nous voulons un conte. --Mais, mes enfants, criai-je de toutes mes forces, vous me demandez la chose la plus difficile qu'il y ait au monde! un conte! comme vous y allez. Demandez-moi l'_Iliade_, demandez-moi l'_Eneide_, demandez-moi la _Jerusalem delivree_, et je passerai encore par la; mais un conte! Peste! Perrault est un bien autre homme qu'Homere, que Virgile et que le Tasse, et le _Petit Poucet_ une creation bien autrement originale qu'Achille, Turnus ou Renaud. --Nous ne voulons point de poeme epique, crierent les enfants tout d'une voix, nous voulons un conte! --Mes chers enfants, si... --Il n'y a pas de si; nous voulons un conte! --Mais, mes petits amis... --Il n'y a pas de mais; nous voulons un conte! nous voulons un conte! nous voulons un conte! reprirent en choeur toutes les voix, avec un accent qui n'admettait pas de replique. --Eh bien, donc, repris-je en soupirant, va pour un conte. --Ah! c'est bien heureux! dirent mes persecuteurs. --Mais je vous previens d'une chose, c'est que le conte que je vais vous raconter n'est pas de moi. --Qu'est-ce que cela nous fait, pouvu qu'il nous amuse? J'avoue que je fus un peu humilie du peu d'insistance que mettait mon auditoire a avoir une oeuvre originale. --Et de qui est-il, votre conte, Monsieur! dit une petite voix appartenant sans doute a une organisation plus curieuse que les autres. --Il est d'Hoffmann, Mademoiselle. Connaissez-vous Hoffmann? --Non, Monsieur, je ne le connais pas. --Et comment s'appelle-t-il, ton conte? demanda, du ton d'un gaillard qui sent qu'il a le droit d'interroger, le fils du maitre de la maison. --_Le Casse-Noisette de Nuremberg_, repondis-je en toute humilite. Le titre vous convient-il, mon cher Henri? --Hum! ca ne promet pas grand'chose de beau, ce titre-la. Mais, n'importe, va toujours; si tu nous ennuies, nous t'arreterons et tu nous en diras un autre, et ainsi de suite, je t'en previens, jusqu'a ce que tu nous en dises un qui nous amuse. --Un instant, un instant; je ne prends pas cet engagement-la. Si vous etiez de grandes personnes, a la bonne heure. --Voila pourtant nos conditions, sinon, prisonnier a perpetuite. --Mon cher Henri, vous etes un enfant charmant, eleve a ravir, et cela m'etonnera fort si vous ne devenez pas un jour un homme d'Etat tres-distingue; deliez-moi, et je ferai tout ce que vous voudrez. --Parole d'honneur? --Parole d'honneur. Au meme instant, je sentis les mille fils qui me retenaient se detendre; chacun avait mis la main a l'oeuvre de ma delivrance, et, au bout d'une demi-minute, j'etais rendu a liberte. Or, comme il faut tenir sa parole, meme quand elle est donnee des enfants, j'invitai mes auditeurs a s'asseoir commodement, afin qu'ils pussent passer sans douleur de l'audition au sommeil, et, quand chacun eut pris sa place, je commencai ainsi: HISTOIRE D'UN CASSE-NOISETTE Le parrain Drosselmayer Il y avait une fois, dans la ville de Nuremberg, un president fort considere qu'on appelait M. le president Silberhaus, ce qui veut dire _maison d'argent._ Ce president avait un fils et une fille. Le fils, age de neuf ans, s'appelait Fritz. La fille, agee de sept ans et demi, s'appelait Marie. C'etaient deux jolis enfants, mais si differents de caractere et de visage, qu'on n'eut jamais cru que c'etaient le frere et la soeur. Fritz etait un bon gros garcon, joufflu, rodomont, espiegle, frappant du pied a la moindre contrariete, convaincu que toutes les choses de ce monde etaient creees pour servir a son amusement ou subir son caprice, et demeurant dans cette conviction jusqu'au moment ou le docteur, impatiente de ses cris et de ses pleurs, ou de ses trepignements, sortait de son cabinet, et, levant l'index de la main droite a la hauteur de son sourcil fronce, disait ces seules paroles: --Monsieur Fritz!... Alors Fritz se sentait pris d'une enorme envie de rentrer sous terre. Quant a sa mere, il va sans dire qu'a quelque hauteur qu'elle levat le doigt ou meme la main, Fritz n'y faisait aucune attention. Sa soeur Marie, tout au contraire, etait une frele et pale enfant, aux longs cheveux boucles naturellement et tombant sur ses petites epaules blanches, comme une gerbe d'or mobile et rayonnante sur un vase d'albatre. Elle etait modeste, douce, affable, misericordieuse a toutes les douleurs, meme a celles de ses poupees; obeissante au premier signe de madame la presidente, et ne donnant jamais un dementi meme a sa gouvernante, mademoiselle Trudchen; ce qui fait que Marie etait adoree de tout le monde. Or, le 24 decembre de l'annee 17... etait arrive. Vous n'ignorez pas, mes petits amis, que le 24 decembre est la veille de la Noel, c'est-a-dire du jour ou l'enfant Jesus est ne dans une creche, entre un ane et un boeuf. Maintenant, je vais vous expliquer une chose. Les plus ignorants d'entre vous ont entendu dire que chaque pays a ses habitudes, n'est-ce pas? et les plus instruits savent sans doute deja que Nuremberg est une ville d'Allemagne fort renommee pour ses joujoux, ses poupees et ses polichinelles, dont elle envoie de pleines caisses dans tous les autres pays du monde; ce qui fait que les enfants de Nuremberg doivent etre les plus heureux enfants de la terre, a moins qu'ils ne soient comme les habitants d'Ostende, qui n'ont des huitres que pour les regarder passer. Donc, l'Allemagne, etant un autre pays que la France, a d'autres habitudes qu'elle. En France, le premier jour de l'an est le jour des etrennes, ce qui fait que beaucoup de gens desiraient fort que l'annee commencat toujours par le 2 janvier. Mais, en Allemagne, le jour des etrennes est le 24 decembre, c'est-a-dire la veille de la Noel. Il y a plus, les etrennes se donnent, de l'autre cote du Rhin, d'une facon toute particuliere: on plante dans le salon un grand arbre, on le place au milieu d'une table, et a toutes ses branches on suspend les joujoux que l'on veut donner aux enfants; ce qui ne peut pas tenir sur les branches, on le met sur la table; puis on dit aux enfants que c'est le bon petit Jesus qui leur envoie leur part des presents qu'il a recus des trois rois mages, et, en cela, on ne leur fait qu'un demi-mensonge, car, vous le savez, c'est de Jesus que nous viennent tous les biens de ce monde. Je n'ai pas besoin de vous dire que, parmi les enfants favorises de Nuremberg, c'est-a-dire parmi ceux qui a la Noel recevaient le plus de joujoux de toutes facons, etaient les enfants du president Silberhaus; car, outre leur pere et leur mere qui les adoraient, ils avaient encore un parrain qui les adorait aussi et qu'ils appelaient parrain Drosselmayer. Il faut que je vous fasse en deux mots le portrait de cet illustre personnage, qui tenait dans la ville de Nuremberg une place presque aussi distinguee que celle du president Silberhaus. Parrain Drosselmayer conseiller de medecine, n'etait pas un joli garcon le moins du monde, tant s'en faut. C'etait un grand homme sec, de cinq pieds huit pouces, qui se tenait fort voute, ce qui faisait que, malgre ses longues jambes, il pouvait ramasser son mouchoir, s'il tombait a terre, presque sans se baisser. Il avait le visage ride comme une pomme de reinette sur laquelle a passe la gelee d'avril. A la place de son oeil droit etait un grand emplatre noir; il etait parfaitement chauve, inconvenient auquel il parait en portant une perruque gazonnante et frisee, qui etait un fort ingenieux morceau de sa composition fait en verre file; ce qui le forcait, par egard pour ce respectable couvre-chef, de porter sans cesse son chapeau sous le bras. Au reste, l'oeil qui lui restait etait vif et brillant, et semblait faire non seulement sa besogne, mais celle de son camarade absent, tant il roulait rapidement autour d'une chambre dont parrain Drosselmayer desirait d'un seul regard embrasser tous les details, ou s'arretait fixement sur les gens dont il voulait connaitre les plus profondes pensees. Or, le parrain Drosselmayer qui, ainsi que nous l'avons dit, etait conseiller de medecine, au lieu de s'occuper, comme la plupart de ses confreres, a tuer correctement, et selon les regles, les gens vivants, n'etait preoccupe que de rendre, au contraire, la vie aux choses mortes, c'est-a-dire qu'a force d'etudier le corps des hommes et des animaux, il etait arriv connaitre tous les ressorts de la machine, si bien qu'il fabriquait des hommes qui marchaient, qui saluaient, qui faisaient des armes; des dames qui dansaient, qui jouaient du clavecin, de la harpe et de la viole; des chiens qui couraient, qui rapportaient et qui aboyaient; des oiseaux qui volaient, qui sautaient et qui chantaient; des poissons qui nageaient et qui mangeaient. Enfin, il en etait meme venu a faire prononcer aux poupees et aux polichinelles quelques mots peu compliques, il est vrai, comme papa, maman, dada; seulement, c'etait d'une voix monotone et criarde qui attristait, parce qu'on sentait bien que tout cela etait le resultat d'une combinaison automatique, et qu'une combinaison automatique n'est toujours, a tout prendre, qu'une parodie des chefs-d'oeuvre du Seigneur. Cependant, malgre toutes ces tentatives infructueuses, parrain Drosselmayer ne desesperait point et disait fermement qu'il arriverait un jour a faire de vrais hommes, de vraies femmes, de vrais chiens, de vrais oiseaux et de vrais poissons. Il va sans dire que ses deux filleuls, auxquels il avait promis ses premiers essais en ce genre, attendaient ce moment avec une grande impatience. On doit comprendre qu'arrive a ce degre de science en mecanique, parrain Drosselmayer etait un homme precieux pour ses amis. Aussi une pendule tombait-elle malade dans la maison du president Silberhaus, et, malgre le soin des horlogers ordinaires, ses aiguilles venaient-elles a cesser de marquer l'heure; son tic-tac, a s'interrompre; son mouvement, a s'arreter; on envoyait prevenir le parrain Drosselmayer, lequel arrivait aussitot tout courant, car c'etait un artiste ayant l'amour de son art, celui-la. Il se faisait conduire aupres de la morte qu'il ouvrait a l'instant meme, enlevant le mouvement qu'il placait entre ses deux genoux; puis alors, la langue passant par un coin de ses levres, son oeil unique brillant comme une escarboucle, sa perruque de verre posee a terre, il tirait de sa poche une foule de petits instruments sans nom, qu'il avait fabriques lui-meme et dont lui seul connaissait la propriete, choisissait les plus aigus, qu'il plongeait dans l'interieur de la pendule, acuponcture qui faisait grand mal a la petite Marie, laquelle ne pouvait croire que la pauvre horloge ne souffrit pas de ces operations, mais qui, an contraire, ressuscitait la gentille trepanee, qui, des qu'elle etait replacee dans son coffre, ou entre ses colonnes, ou sur son rocher, se mettait a vivre, battre et a ronronner de plus belle; ce qui rendait aussitot l'existence a l'appartement, qui semblait avoir perdu son ame en perdant sa joyeuse pensionnaire. Il y a plus: sur la priere de la petite Marie, qui voyait avec peine le chien de la cuisine tourner la broche, occupation tres-fatigante pour le pauvre animal, le parrain Drosselmayer avait consenti a descendre des hauteurs de sa science pour fabriquer un chien automate, lequel tournait maintenant la broche sans aucune douleur ni aucune convoitise, tandis que Turc, qui, au metier qu'il avait fait depuis trois ans, etait devenu tres-frileux, se chauffait en veritable rentier le museau et les pattes, sans avoir autre chose a faire que de regarder son successeur, qui, une fois remonte, en avait pour une heure faire sa besogne gastronomique sans qu'on eut a s'occuper seulement de lui. Aussi, apres le president, apres la presidente, apres Fritz et apres Marie, Turc etait bien certainement l'etre de la maison qui aimait et venerait le plus le parrain Drosselmayer, auquel il faisait grande fete toutes les fois qu'il le voyait arriver, annoncant meme quelquefois, par ses aboiements joyeux et par le fretillement de sa queue, que le conseiller de medecine etait en route pour venir, avant meme que le digne parrain eut touche le marteau de la porte. Le soir donc de cette bienheureuse veille de Noel, au moment o le crepuscule commencait a descendre, Fritz et Marie, qui, de toute la journee, n'avaient pu entrer dans le grand salon d'apparat, se tenaient accroupis dans un petit coin de la salle manger. Tandis que mademoiselle Trudchen, leur gouvernante, tricotait pres de la fenetre, dont elle s'etait approchee pour recueillir les derniers rayons du jour, les enfants etaient pris d'une espece de terreur vague, parce que, selon l'habitude de ce jour solennel, on ne leur avait pas apporte de lumiere; de sorte qu'ils parlaient bas comme on parle quand on a un petit peu peur. --Mon frere, disait Marie, bien certainement papa et maman s'occupent de notre arbre de Noel; car, depuis le matin, j'entends un grand remue-menage dans le salon, ou il nous est defendu d'entrer. --Et moi, dit Fritz, il y a dix minutes a peu pres que j'ai reconnu; a la maniere dont Turc aboyait, que le parrain Drosselmayer entrait dans la maison. --O Dieu! s'ecria Marie en frappant ses deux petites mains l'une contre l'autre, que va-t-il nous apporter, ce bon parrain? Je suis sure, moi, que ce sera quelque beau jardin tout plant d'arbres, avec une belle riviere qui coulera sur un gazon brod de fleurs. Sur cette riviere, il y aura des cygnes d'argent avec des colliers d'or, et une jeune fille qui leur apportera des massepains qu'ils viendront manger jusque dans son tablier. --D'abord, dit Fritz, de ce ton doctoral qui lui etait particulier, et que ses parents reprenaient en lui comme un de ses plus graves defauts, vous saurez, mademoiselle Marie, que les cygnes ne mangent pas de massepains. --Je le croyais, dit Marie; mais, comme tu as un an et demi de plus que moi, tu dois en savoir plus que je n'en sais. Fritz se rengorgea. --Puis, reprit-il, je crois pouvoir dire que, si parrain Drosselmayer apporte quelque chose, ce sera une forteresse, avec des soldats pour la garder, des canons pour la defendre, et des ennemis pour l'attaquer; ce qui fera des combats superbes. --Je n'aime pas les batailles, dit Marie. S'il apporte une forteresse, comme tu le dis ce sera donc pour toi; seulement, je reclame les blesses pour en avoir soin. --Quelque chose qu'il apporte, dit Fritz, tu sais bien que ce ne sera ni pour toi ni pour moi, attendu que, sous le pretexte que les cadeaux de parrain Drosselmayer sont de vrais chefs-d'oeuvre, on nous les reprend aussitot qu'il nous les a donnes, et qu'on les enferme tout au haut de la grande armoire vitree ou papa seul peut atteindre, et encore en montant sur une chaise, ce qui fait, continua Fritz, que j'aime autant et meme mieux les joujoux que nous donnent papa et maman, et avec lesquels on nous laisse jouer au moins jusqu'a ce que nous les ayons mis en morceaux, que ceux que nous apporte le parrain Drosselmayer. --Et moi aussi, repondit Marie; seulement, il ne faut pas repeter ce que tu viens de dire au parrain. --Pourquoi? --Parce que cela lui ferait de la peine que nous n'aimassions pas autant ses joujoux que ceux qui nous viennent de papa et de maman; il nous les donne, pensant nous faire grand plaisir, il faut donc lui laisser croire qu'il ne se trompe pas. --Ah bah! dit Fritz. --Mademoiselle Marie a raison, monsieur Fritz, dit mademoiselle Trudchen, qui, d'ordinaire, etait fort silencieuse et ne prenait la parole que dans les grandes circonstances. --Voyons, dit vivement Marie pour empecher Fritz de repondre quelque impertinence a la pauvre gouvernante, voyons, devinons ce que nous donneront nos parents. Moi, j'ai confie a maman, mais la condition qu'elle ne la gronderait pas, que mademoiselle Rose, ma poupee, devenait de plus en plus maladroite, malgre les sermons que je lui fais sans cesse, et n'est occupee qu'a se laisser tomber sur le nez, accident qui ne s'accomplit jamais sans laisser des traces tres desagreables sur son visage; de sorte qu'il n'y a plus a penser a la conduire dans le monde, tant sa figure jure maintenant avec ses robes. --Moi, dit Fritz, je n'ai pas laisse ignorer a papa qu'un vigoureux cheval alezan ferait tres-bien dans mon ecurie; de meme que je l'ai prie d'observer qu'il n'y a pas d'armee bien organisee sans cavalerie legere, et qu'il manque un escadron de hussards pour completer la division que je commande. A ces mots, mademoiselle Trudchen jugea que le moment convenable etait venu de prendre une seconde fois la parole. --Monsieur Fritz et mademoiselle Marie, dit-elle, vous savez bien que c'est l'enfant Jesus qui donne et benit tous ces beaux joujoux qu'on vous apporte. Ne designez donc pas d'avance ceux que vous desirez, car il sait mieux que vous-memes ceux qui peuvent vous etre agreables. --Ah! oui, dit Fritz, avec cela que, l'annee passee, il ne m'a donne que de l'infanterie quand, ainsi que je viens de le dire, il m'eut ete tres agreable d'avoir un escadron de hussards. --Moi, dit Marie, je n'ai qu'a le remercier, car je ne demandais qu'une seule poupee, et j'ai encore eu une jolie colombe blanche avec des pattes et un bec roses. Sur ces entrefaites, la nuit etant arrivee tout a fait, de sorte que les enfants parlaient de plus bas en plus bas, et qu'ils se tenaient toujours plus rapproches l'un de l'autre, il leur semblait autour d'eux sentir les battements d'ailes de leurs anges gardiens tout joyeux, et entendre dans le lointain une musique douce et melodieuse comme celle d'un orgue qui eut chante, sous les sombres arceaux d'une cathedrale, la nativite de Notre-Seigneur. Au meme instant, une vive lueur passa sur la muraille, et Fritz et Marie comprirent que c'etait l'enfant Jesus qui, apres avoir depose leurs joujoux dans le salon, s'envolait sur un nuage d'or vers d'autres enfants qui l'attendaient avec la meme impatience qu'eux. Aussitot une sonnette retentit, la porte s'ouvrit avec fracas, et une telle lumiere jaillit de l'appartement, que les enfants demeurerent eblouis, n'ayant que la force de crier: --Ah! ah! ah! Alors le president et la presidente vinrent sur le seuil de la porte, prirent Fritz et Marie par la main. --Venez voir, mes petits amis, dirent-ils, ce que l'enfant Jesus vient de vous apporter. Les enfants entrerent aussitot dans le salon, et mademoiselle Trudchen, ayant pose son tricot sur la chaise qui etait devant elle, les suivit. L'arbre de Noel Mes chers enfants, il n'est pas que vous ne connaissiez Susse et Giroux, ces grands entrepreneurs du bonheur de la jeunesse; on vous a conduits dans leurs splendides magasins, et l'on vous a dit, en vous ouvrant un credit illimite: <> Alors vous vous etes arretes haletants, les yeux ouverts, la bouche beante, et vous avez eu un de ces moments d'extase que vous ne retrouverez jamais dans votre vie, meme le jour ou vous serez nommes academiciens, deputes ou pairs de France. Eh bien, il en fut ainsi que de vous de Fritz et de Marie, quand ils entrerent dans le salon et qu'ils virent l'arbre de Noel qui semblait sortir de la grande table couverte d'une nappe blanche, et tout charge, outre ses pommes d'or, de fleurs en sucre au lieu de fleurs naturelles, et de dragees et de pralines au lieu de fruits; le tout etincelant au feu de cent bougies cachees dans son feuillage, et qui le rendaient aussi eclatant que ces grands ifs d'illuminations que vous voyez les jours de fetes publiques. A cet aspect, Fritz tenta plusieurs entrechats qu'il accomplit de maniere a faire honneur M. Pochette, son maitre de danse, tandis que Marie n'essayait pas meme de retenir deux grosses larmes de joie, qui, pareilles a des perles liquides, roulaient sur son visage epanoui comme sur une rose de mai. Mais ce fut bien pis encore quand on passa de l'ensemble aux details, que les deux enfants virent la table couverte de joujoux de toute espece, que Marie trouva une poupee double de grandeur de mademoiselle Rose, et une petite robe charmante de soie suspendue a une patere, de maniere qu'elle en put faire le tour, et que Fritz decouvrit, range sur la table, un escadron de hussards vetus de pelisses rouges avec des ganses d'or, et montes sur des chevaux blancs, tandis qu'au pied de la meme table etait attache le fameux alezan qui faisait un si grand vide dans ses ecuries; aussi, nouvel Alexandre, enfourcha-t-il aussitot le brillant Bucephale qui lui etait offert tout selle et tout bride, et, apres lui avoir fait faire au grand galop trois ou quatre fois le tour de l'arbre de Noel, declara-t-il, en remettant pied a terre, que, quoique ce fut un animal tres sauvage et on ne peut plus retif, il se faisait fort de le dompter de telle facon qu'avant un mois il serait doux comme un agneau. Mais, au moment ou il mettait pied a terre, et ou Marie venait de baptiser sa nouvelle poupee du nom de mademoiselle Clarchen, qui correspond en francais au nom de Claire, comme celui de Roschen correspond en allemand a celui de Rose, on entendit pour la seconde fois le bruit argentin de la sonnette; les enfants se retournerent du cote ou venait ce bruit, c'est-a-dire vers un angle du salon. Alors ils virent une chose a laquelle ils n'avaient pas fait attention d'abord, attires qu'ils avaient ete par le brillant arbre de Noel qui tenait le beau milieu de la chambre: c'est que cet angle du salon etait coupe par un paravent chinois, derriere lequel il se faisait un certain bruit et une certaine musique qui prouvaient qu'il se passait en cet endroit de l'appartement quelque chose de nouveau et d'inaccoutume. Les enfants se souvinrent alors en meme temps qu'ils n'avaient pas encore apercu le conseiller de medecine, et d'une meme voix ils s'ecrierent: --Ah! parrain Drosselmayer! A ces mots, et comme si, en effet, il n'eut attendu que cette exclamation pour faire ce mouvement, le paravent se replia sur lui-meme et laissa voir non seulement parrain Drosselmayer, mais encore! ... Au milieu d'une prairie verte et emaillee de fleurs, un magnifique chateau avec une quantite de fenetres en glaces sur sa facade et deux belles tours dorees sur ses ailes. Au meme moment, une sonnerie interieure se fit entendre, les portes et les fenetres s'ouvrirent, et l'on vit, dans les appartements eclaires de bougies hautes d'un demi-pouce, se promener de petits messieurs et de petites dames: les messieurs, magnifiquement vetus d'habits brodes, de vestes et de culottes de soie, ayant l'epee au cote et le chapeau sous le bras; les dames splendidement habillees de robes de brocart avec de grands paniers, coiffees en racine droite et tenant a la main des eventails, avec lesquels elles se rafraichissaient le visage comme si elles etaient accablees de chaleur. Dans le salon du milieu, qui semblait tout en feu a cause d'un lustre de cristal charge de bougies, dansaient au bruit de cette sonnerie une foule d'enfants: les garcons, en veste ronde; les filles, en robe courte. En meme temps, a la fenetre d'un cabinet attenant, un monsieur, enveloppe d'un manteau de fourrure, et qui bien certainement ne pouvait etre qu'un personnage ayant droit an moins au titre de sa transparence, se montrait, faisait des signes et disparaissait, et cela tandis que le parrain Drosselmayer lui-meme, vetu de sa redingote jaune, avec son emplatre sur l'oeil et sa perruque de verre, ressemblant a s'y meprendre, mais haut de trois pouces a peine, sortait et rentrait comme pour inviter les promeneurs a entrer chez lui. Le premier moment fut pour les deux enfants tout a la surprise et a la joie; mais, apres quelques minutes de contemplation, Fritz, qui se tenait les coudes appuyes sur la table, se leva, et, s'approchant impatiemment: --Mais, parrain Drosselmayer, lui dit-il, pourquoi entres-tu et sors-tu toujours par la meme porte? Tu dois etre fatigu d'entrer et de sortir toujours par le meme endroit. Tiens, va-t'en par celle qui est la-bas, et tu rentreras par celle-ci. Et Fritz lui montrait de la main les portes des deux tours. --Mais cela ne se peut pas, repondit le parrain Drosselmayer. --Alors, reprit Fritz, fais-moi le plaisir de monter l'escalier, de te mettre a la fenetre a la place de ce monsieur, et de dire ce monsieur d'aller a la porte a ta place. --Impossible, mon cher petit Fritz, dit encore le conseiller de medecine. --Alors les enfants ont danse assez; il faut qu'ils se promenent tandis que les promeneurs danseront a leur tour. --Mais tu n'es pas raisonnable, eternel demandeur! s'ecria le parrain qui commencait a se facher; comme la mecanique est faite, il faut qu'elle marche. --Alors, dit Fritz, je veux entrer dans le chateau. --Ah! pour cette fois, dit le president, tu es fou, mon cher enfant; tu vois bien qu'il est impossible que tu entres dans ce chateau, puisque les girouettes qui surmontent les plus hautes tours vont a peine a ton epaule. Frite se rendit a cette raison et se tut; mais, au bout d'un instant, voyant que les messieurs et les dames se promenaient sans cesse, que les enfants dansaient toujours, que le monsieur au manteau de fourrures se montrait et disparaissait intervalles egaux, et que le parrain Drosselmayer ne quittait pas sa porte, il dit d'un ton fort desillusionne: --Parrain Drosselmayer, si toutes tes petites figures ne savent pas faire autre chose que ce qu'elles font et recommencent toujours a faire la meme chose, demain tu peux les reprendre, car je ne m'en soucie guere, et j'aime bien mieux mon cheval, qui court a ma volonte, mes hussards, qui manoeuvrent a mon commandement, qui vont a droite et a gauche, en avant, en arriere, et qui ne sont enfermes dans aucune maison, que tous tes pauvres petits bonshommes qui sont obliges de marcher comme la mecanique veut qu'ils marchent. Et, a ces mots, il tourna le dos a parrain Drosselmayer et a son chateau, s'elanca vers la table, et rangea en bataille son escadron de hussards. Quant a Marie, elle s'etait eloignee aussi tout doucement; car le mouvement regulier de toutes les petites poupees lui avait paru fort monotone. Seulement, comme c'etait une charmante enfant, ayant tous les instincts du coeur, elle n'avait rien dit, de peur d'affliger le parrain Drosselmayer. En effet, a peine Fritz eut-il le dos tourne, que, d'un air pique, le parrain Drosselmayer dit an president et a la presidente: --Allons, allons, un pareil chef-d'oeuvre n'est pas fait pour des enfants, et je m'en vais remettre mon chateau dans sa boite et le remporter. Mais la presidente s'approcha de lui, et, reparant l'impolitesse de Fritz, elle se fit montrer dans de si grands details le chef-d'oeuvre du parrain, se fit expliquer si categoriquement la mecanique, loua si ingenieusement ses ressorts compliques, que non-seulement elle arriva a effacer dans l'esprit du conseiller de medecine la mauvaise impression produite, mais encore que celui-ci tira des poches de sa redingote jaune une multitude de petits hommes et de petites femmes a peau brune, avec des yeux blancs et des pieds et des mains dores. Outre leur merite particulier, ces petits hommes et ces petites femmes avaient une excellente odeur, attendu qu'ils etaient en bois de cannelle. En ce moment, mademoiselle Trudchen appela Marie pour lui offrir de lui passer cette jolie petite robe de soie qui l'avait si fort emerveillee en entrant, qu'elle avait demande s'il lui serait permis de la mettre; mais Marie, malgre sa politesse ordinaire, ne repondit pas a mademoiselle Trudchen, tant elle etait preoccupee d'un nouveau personnage qu'elle venait de decouvrir parmi ses joujoux, et sur lequel, mes chers enfants, je vous prie de concentrer toute votre attention, attendu que c'est le heros principal de cette tres-veridique histoire, dont mademoiselle Trudchen, Marie, Fritz, le president, la presidente et meme le parrain Drosselmayer ne sont que les personnages accessoires. Le petit homme au manteau de bois Marie, disons-nous, ne repondait pas a l'invitation de mademoiselle Trudchen, parce qu'elle venait de decouvrir l'instant meme un nouveau joujou qu'elle n'avait pas encore apercu. En effet, en faisant tourner, virer, volter ses escadrons, Fritz avait demasque, appuye melancoliquement au tronc de l'arbre de Noel, un charmant petit bonhomme qui, silencieux et plein de convenance, attendait que son tour vint d'etre vu. Il y aurait bien eu quelque chose a dire sur la taille de ce petit bonhomme, auquel nous sommes peut-etre trop presse de donner l'epithete de charmant; car, outre que son buste, trop long et trop developpe, ne se trouvait plus en harmonie parfaite avec ses petites jambes greles, il avait la tete d'une grosseur si demesuree, qu'elle sortait de toutes les proportions indiquees non seulement par la nature, mais encore par les maitres de dessin, qui en savent la-dessus bien plus que la nature. Mais, s'il y avait quelque defectuosite dans sa personne, cette defectuosite etait rachetee par l'excellence de sa toilette, qui indiquait a la fois un homme d'education et de gout: il portait une polonaise en velours violet avec une quantite de brandebourgs et de boutons d'or, des culottes pareilles, et les plus charmantes petites bottes qui se soient jamais vues aux pieds d'un etudiant, et meme d'un officier, car elles etaient tellement collantes, qu'elles semblaient peintes. Mais deux choses etranges pour un homme qui paraissait avoir en fashion des gouts si superieurs, c'etait d'avoir un laid et etroit manteau de bois, pareil a une queue qu'il s'etait attachee au bas de la nuque et qui retombait au milieu de son dos, et un mauvais petit bonnet de montagnard qu'il s'etait ajuste sur la tete. Mais Marie, en voyant ces deux objets, qui formaient avec le reste du costume une si grande disparate, avait reflechi que le parrain Drosselmayer portait lui-meme, par-dessus sa redingote jaune, un petit collet qui n'avait guere meilleure facon que le manteau de bois du bonhomme a la polonaise, et qu'il couvrait parfois son chef d'un affreux et fatal bonnet, pres duquel tous les bonnets de la terre ne pouvaient souffrir aucune comparaison, ce qui n'empechait pas le parrain Drosselmayer de faire un excellent parrain. Elle se dit meme a part soi que, le parrain Drosselmayer modelat-il entierement sa toilette sur celle du petit homme au manteau de bois, il serait encore bien loin d'etre aussi gentil et aussi gracieux que lui. On concoit que toutes ces reflexions de Marie ne s'etaient pas faites sans un examen approfondi du petit bonhomme qu'elle avait pris en amitie des la premiere vue; or, plus elle l'examinait, plus Marie sentait combien il y avait de douceur et de bonte dans sa physionomie. Ses yeux vert clair, auxquels on ne pouvait faire d'autre reproche que d'etre un peu trop a fleur de tete, n'exprimaient que la serenite et la bienveillance. La barbe de coton blanc frise, qui s'etendait sur tout son menton, lui allait particulierement bien, en ce qu'elle faisait valoir le charmant sourire de sa bouche, un peu trop fendue peut-etre, mais rouge et brillante. Aussi, apres l'avoir considere avec une affection croissante, pendant plus de dix minutes, sans oser le toucher: --Oh! s'ecria la jeune fille, dis-moi donc, bon pere, a qui appartient ce cher petit bonhomme qui est adosse la, contre l'arbre de Noel. --A personne en particulier; a vous tous ensemble, repondit le president. --Comment cela, bon pere? Je ne te comprends pas. --C'est le travailleur commun, reprit le president; c'est celui qui est charge a l'avenir de casser pour vous toutes les noisettes que vous mangerez; et il appartient aussi bien a Fritz qu'a toi, et a toi qu'a Fritz. Et, en disant cela, le president l'enleva avec precaution de la place ou il etait pose, et, soulevant son etroit manteau de bois, il lui fit, par un jeu de bascule des plus simples, ouvrir sa bouche, qui, en s'ouvrant, decouvrit deux rangs de dents blanches et pointues. Alors Marie, sur l'invitation de son pere, y fourra une noisette; et, knac! knac! le petit bonhomme cassa la noisette avec tant d'adresse, que la coquille brisee tomba en mille morceaux, et que l'amande intacte resta dans la main de Marie. La petite fille alors comprit que le coquet petit bonhomme etait un descendant de cette race antique et veneree des casse-noisettes dont l'origine, aussi ancienne que celle de la ville de Nuremberg, se perd avec elle dans la nuit des temps, et qu'il continuait a exercer l'honorable et philanthropique profession de ses ancetres: et Marie, enchantee d'avoir fait cette decouverte, se prit a sauter de joie. Sur quoi, le president lui dit: --Eh bien, ma bonne petite Marie, puisque le casse-noisette te plait tant, quoiqu'il appartienne egalement a Fritz et a toi, c'est toi qui seras particulierement chargee d'en avoir soin. Je le place donc sous ta protection. Et, a ces mots, le president remit le petit bonhomme a Marie, qui le prit dans ses bras et se mit aussitot a lui faire exercer son metier, tout en choisissant cependant, tant c'etait un bon coeur que celui de cette charmante enfant, les plus petites noisettes, afin que son protege n'eut pas besoin d'ouvrir demesurement la bouche, ce qui ne lui seyait pas bien, et donnait une expression ridicule a sa physionomie. Alors mademoiselle Trudchen s'approcha pour jouir a son tour de la vue du petit bonhomme, et il fallut que, pour elle aussi, le casse-noisette remplit son office, ce qu'il fit gracieusement et sans rechigner le moins du monde, quoique mademoiselle Trudchen, comme on le sait, ne fut qu'une suivante. Mais, tout en continuant de dresser son alezan et de faire manoeuvrer ses hussards, Fritz avait entendu le _knac! knac! knac!_ et, a ce bruit vingt fois repete, il avait compris qu'il se passait quelque chose de nouveau. Il avait donc leve la tete, et avait tourne ses grands yeux interrogateurs vers le groupe compose du president, de Marie et de mademoiselle Trudchen, et, dans les bras de sa soeur, il avait apercu le petit bonhomme an manteau de bois; alors il etait descendu de cheval, et, sans se donner le temps de reconduire l'alezan a l'ecurie, il etait accouru aupres de Marie, et avait revele sa presence par un joyeux eclat de rire que lui avait inspire la grotesque figure que faisait le petit bonhomme en ouvrant sa grande bouche. Alors Fritz reclama sa part des noisettes que cassait le petit bonhomme, ce qui lui fut accorde; puis le droit de les lui faire casser lui-meme, ce qui lui fut accorde encore, comme proprietaire par moitie. Seulement, tout au contraire de sa soeur, et malgre ses observations, Fritz choisit aussitot, pour les lui fourrer dans la bouche, les noisettes les plus grosses et les plus dures, ce qui fit qu'a la cinquieme ou sixieme noisette fourree ainsi par Fritz dans la bouche du petit bonhomme, on entendit tout a coup: Carrac! et que trois petites dents tomberent des gencives du casse-noisette, dont le menton, demantibule, devint a l'instant meme debile et tremblotant comme celui d'un vieillard. --Ah! mon pauvre cher casse-noisette! s'ecria Marie en arrachant le petit bonhomme des mains de Fritz. --En voila un stupide imbecile! s'ecria celui-ci; ca veut etre casse-noisette, et cela a une machoire de verre: c'est un faux casse-noisette, et qui n'entend pas son metier. Passe-le-moi, Marie; il faut qu'il continue de m'en casser, dut-il y perdre le reste de ses dents, et dut son menton se disloquer tout a fait. Voyons, quel interet prends-tu a ce paresseux? --Non, non, non! s'ecria Marie en serrant le petit bonhomme entre ses bras; non, tu n'auras plus mon pauvre casse-noisette, Vois donc comme il me regarde d'un air malheureux en me montrant sa pauvre machoire blessee. Fi! tu es un mauvais coeur, tu bats tes chevaux, et, l'autre jour encore, tu as fait fusiller un de tes soldats. --Je bats mes chevaux quand ils sont retifs, repondit Fritz de son air le plus fanfaron; et, quant au soldat que j'ai fait fusiller l'autre jour, c'etait un miserable vagabond dont je n'avais pu rien faire depuis un an qu'il etait a mon service, et qui avait fini un beau matin par deserter avec armes et bagages, ce qui, dans tous les pays du monde, entraine la peine de mort. D'ailleurs, toutes ces choses sont affaires de discipline qui ne regardent pas les femmes. Je ne t'empeche pas de fouetter tes poupees, ne m'empeche donc pas de battre mes chevaux et de faire fusiller mes militaires. Maintenant je veux le casse-noisette. --O bon pere! a mon secours! dit Marie enveloppant le petit bonhomme dans son mouchoir de poche, a mon secours! Fritz veut me prendre le casse-noisette. Aux cris de Marie, non-seulement le president se rapprocha du groupe des enfants dont il s'etait eloigne, mais encore la presidente et le parrain Drosselmayer accoururent. Les deux enfants expliquerent chacun leurs raisons: Marie, pour garder le casse-noisette, et Fritz, pour le reprendre; et, au grand etonnement de Marie, le parrain Drosselmayer, avec un sourire qui parut feroce a la petite fille, donna raison a Fritz. Heureusement pour le pauvre casse-noisette que le president et la presidente se rangerent a l'avis de Marie. --Mon cher Fritz, dit le president, j'ai mis le casse-noisette sous la protection de votre soeur, et, autant que mon peu de connaissance en medecine me permet d'en juger en ce moment, je vois que le pauvre malheureux est fort endommage et a grand besoin de soins; j'accorde donc, jusqu'a sa parfaite convalescence, plein pouvoir a Marie, et cela, sans que personne ait rien a y redire. D'ailleurs, toi qui es fort sur la discipline militaire, ou as-tu jamais vu qu'un general fasse retourner au feu un soldat blesse a son service? Les blesses vont a l'hopital jusqu'a ce qu'ils soient gueris, et, s'ils restent estropies de leurs blessures, ils ont droit aux Invalides. Fritz voulut insister; mais le president leva son index a la hauteur de l'oeil droit, et laissa echapper ces deux mots: --Monsieur Fritz! Nous avons deja dit quelle influence ces deux mots avaient sur le petit garcon; aussi, tout honteux de s'etre attire cette mercuriale, se glissa-t-il, doucement et sans souffler le mot; du cote de ta table ou etaient les hussards, qui, apres avoir pos leurs sentinelles perdues et etabli leurs avant-postes, se retirerent silencieusement dans leurs quartiers de nuit. Pendant ce temps, Marie ramassait les petites dents du casse-noisette, qu'elle continuait de tenir enveloppe dans son mouchoir, et dont elle avait soutenu le menton avec un joli ruban blanc detache de sa robe de soie. De son cote, le petit bonhomme, tres-pale et tres-effraye d'abord, paraissait confiant dans la bonte de sa protectrice, et se rassurait peu a peu, en se sentant tout doucement berce par elle. Alors Marie s'apercut que le parrain Drosselmayer regardait d'un air moqueur les soins maternels qu'elle donnait au manteau de bois, et il lui sembla meme que l'oeil unique du conseiller de medecine avait pris une expression de malice et de mechancete qu'elle n'avait pas l'habitude de lui voir. Cela fit qu'elle voulut s'eloigner de lui. Alors le parrain Drosselmayer se mit a rire aux eclats en disant: --Pardieu! ma chere filleule, je ne comprends pas comment une jolie petite fille comme toi peut etre aussi aimable pour cet affreux petit bonhomme. Alors Marie se retourna; et, comme, dans son amour du prochain, le compliment que lui faisait son parrain n'etablissait pas une compensation suffisante avec l'injuste attaque adressee a son casse-noisette, elle se sentit, contre son naturel; prise d'une grande colere, et cette vague comparaison qu'elle avait dej faite de son parrain avec le petit homme au manteau de bois lui revenant a l'esprit: --Parrain Drosselmayer, dit-elle, vous etes injuste envers mon pauvre petit casse-noisette, que vous appelez un affreux petit bonhomme; qui sait meme si vous aviez sa jolie petite polonaise, sa jolie petite culotte et ses jolies petites bottes, qui sait si vous auriez aussi bon air que lui? A ces mots, les parents de Marie se mirent a rire, et le nez du conseiller de medecine s'allongea prodigieusement. Pourquoi le nez du conseiller de medecine s'etait-il allong ainsi, et pourquoi le president et la presidente avaient-ils eclate de rire? C'est ce dont Marie, etonnee de l'effet que sa reponse avait produit, essaya vainement de se rendre compte. Or, comme il n'y a pas d'effet sans cause, cet effet se rattachait sans doute a quelque cause mysterieuse et inconnue qui nous sera expliquee par la suite. Choses merveilleuses. Je ne sais, mes chers petits amis, si vous vous rappelez que je vous ai dit un mot de certaine grande armoire vitree dans laquelle les enfants enfermaient leurs joujoux. Cette armoire se trouvait a droite en entrant dans le salon du president. Marie etait encore au berceau, et Fritz marchait a peine seul quand le president avait fait faire cette armoire par un ebeniste fort habile, qui l'orna de carreaux si brillants, que les joujoux paraissaient dix fois plus beaux, ranges sur les tablettes, que lorsqu'on les tenait dans les mains. Sur le rayon d'en haut, que ni Marie ni meme Fritz ne pouvaient atteindre, on mettait les chefs-d'oeuvre du parrain Drosselmayer. Immediatement au-dessous etait le rayon des livres d'images; enfin, les deux derniers rayons etaient abandonnes a Fritz et a Marie, qui les remplissaient comme ils l'entendaient. Cependant il arrivait presque toujours, par une convention tacite, que Fritz s'emparait du rayon superieur pour en faire le cantonnement de ses troupes, et que Marie se reservait le rayon d'en bas pour ses poupees, leurs menages et leurs lits. C'est ce qui etait encore arrive le jour de la Noel; Fritz rangea ses nouveaux venus sur la tablette superieure, et Marie, apres avoir relegue mademoiselle Rose dans un coin, avait donne sa chambre a coucher et son lit mademoiselle Claire, c'etait le nom de la nouvelle poupee, et s'etait invitee a passer chez elle une soiree de sucreries. Au reste, Mademoiselle Claire, en jetant les yeux autour d'elle, en voyant son menage bien range sur les tablettes, sa table chargee de bonbons et de pralines, et surtout son petit lit blanc avec son couvre-pieds de satin rose si frais et si joli, avait paru fort satisfaite de son nouvel appartement. Pendant tous ces arrangements, la soiree s'etait fort avancee; il allait etre minuit, et le parrain Drosselmayer etait deja parti depuis longtemps; qu'on n'avait pas encore pu arracher les enfants devant leur armoire. Contre l'habitude, ce fut Fritz qui rendit le premier aux raisonnements de ses parents, qui lui faisaient observer qu'il etait temps de se coucher. --Au fait, dit-il, apres l'exercice qu'ils ont fait toute l soiree, mes pauvres diables de hussards doivent etre fatigues; or, je les connais, ce sont de braves soldats qui connaissent leur devoir envers moi; et comme, tant que je serai la; il n'y en aurait pas un qui se permettrait de fermer l'oeil, je vais me retirer. Et, a ces mots; apres leur avoir donne le mot d'ordre pour qu'ils ne fussent pas surpris par quelque patrouille ennemie, Fritz se retira effectivement. Mais il n'en fut pas ainsi de Marie; et comme la presidente, qui avait hate de rejoindre son mari qui etait deja passe dans sa chambre, l'invitait a se separer de sa chere armoire: --Encore un instant, un tout petit instant; chere maman, dit-elle, laisse-moi finir mes affaires; j'ai encore une foule de choses importantes a terminer; et, des que j'aurai fini, je te promets que j'irai me coucher. Marie demandait cette grace d'une voix si suppliante, d'ailleurs c'etait une enfant a la fois si obeissante et si sage, que sa mere ne vit aucun inconvenient a lui accorder ce qu'elle desirait; cependant, comme mademoiselle Trudchen etait dej remontee pour preparer le coucher de la petite fille, de peur que celle-ci, dans la preoccupation que lui inspirait la vue de ses nouveaux joujoux, n'oubliat de souffler les bougies, la presidente s'acquitta elle-meme de ce soin, ne laissant bruler que la lampe du plafond, laquelle repandait dans la chambre une douce et pale lumiere, et se retira a son tour en disant: --Rentre bientot, chere petite Marie, car, si tu restais trop tard, tu serais fatiguee, et peut-etre ne pourrais-tu plus te lever demain. Et, a ces mots, la presidente sortit du salon et ferma la porte derriere elle. Des que Marie se trouva seule, elle en revint a la pensee qui la preoccupait avant toutes les autres, c'est-a-dire a son pauvre petit casse-noisette, qu'elle avait toujours continue de porter sur son bras, enveloppe dans son mouchoir de poche. Elle le deposa doucement sur la table, le demaillotta et visita ses blessures. Le casse-noisette avait l'air de beaucoup souffrir, et paraissait fort mecontent. --Ah! cher petit bonhomme, dit-elle bien bas, ne sois pas en colere, je t'en prie, de ce que mon frere Fritz t'a fait tant de mal; il n'avait pas mauvaise intention, sois-en bien sur; seulement, ses manieres sont devenues un peu rudes, et son coeur s'est tant soit peu endurci dans sa vie de soldat. C'est, du reste, un fort bon garcon, je puis te l'assurer, et je suis convaincue que, lorsque tu le connaitras davantage, tu lui pardonneras. D'ailleurs, par compensation du mal que mon frere t'a fait, moi, je vais te soigner si bien et si attentivement, que, d'ici a quelques jours, tu seras redevenu joyeux et bien portant. Quant a te replacer les dents et a te rattacher le menton, c'est l'affaire du parrain Drosselmayer, qui s'entend tres bien a ces sortes de choses. Mais Marie ne put achever son petit discours. Au moment ou elle prononcait le nom du parrain Drosselmayer, le casse-noisette, auquel ce discours s'adressait, fit une si atroce grimace, et il sortit de ses deux yeux verts un double eclair si brillant, que la petite fille, tout effrayee, s'arreta et fit un pas en arriere. Mais, comme aussitot la casse-noisette reprit sa bienveillante physionomie et son melancolique sourire, elle pensa qu'elle avait ete le jouet d'une illusion, et que la flamme de la lampe, agitee par quelque courant d'air, avait defigure ainsi le petit bonhomme. Elle en vint meme a se moquer d'elle-meme et a se dire: --En verite, je suis bien sotte d'avoir pu croire un instant que cette figure de bois etait capable de me faire des grimaces. Allons, rapprochons-nous de lui et soignons-le comme son etat l'exige. Et, a la suite de ce monologue interieur, Marie reprit son protege entre ses bras, set rapprocha de l'armoire vitree, frappa a la porte qu'avait fermee Fritz, et dit a la poupee neuve: --Je t'en prie, mademoiselle Claire, abandonne ton lit a mon casse-noisette qui est malade, et, pour une nuit, accommode-toi du sofa; songe que tu te portes a merveille et que tu es pleine de sante, comme le prouvent tes joues rouges et rebondies. D'ailleurs, une nuit est bientot passee; le sofa est bon, et il n'y aura pas encore a Nuremberg beaucoup de poupees aussi bien couchees que toi. Mademoiselle Claire, comme on le pense bien, ne souffla pas le mot; mais il sembla a Marie qu'elle prenait un air fort pince et fort maussade. Mais Marie, qui trouvait, dans sa conscience, qu'elle avait pris avec mademoiselle Claire tous les menagements convenables, ne fit pas davantage de facons avec elle, et, tirant le lit a elle, elle y coucha avec beaucoup de soin le casse-noisette malade, lui ramenant les draps jusqu'au menton. Alors elle reflechit qu'elle ne connaissait pas encore le fond du caractere de mademoiselle Claire, puisqu'elle l'avait depuis quelques heures seulement; qu'elle avait paru de fort mauvaise humeur quand elle lui avait emprunte son lit, et qu'il pourrait arriver malheur au blesse, si elle le laissait a la portee de cette impertinente personne. En consequence, elle placa le lit et le casse-noisette sur le rayon superieur, tout contre le beau village ou la cavalerie de Fritz etait cantonnee; puis, ayant pose mademoiselle Claire sur son sofa, elle ferma l'armoire, et s'appretait a aller rejoindre mademoiselle Trudchen dans sa chambre a coucher, lorsque, dans toute la chambre, autour de la pauvre enfant, commencerent a se faire entendre une foule de petits bruits sourds derriere les fauteuils, derriere le poele, derriere les armoires. La grande horloge attachee au mur, et que surmontait, au lieu du coucou traditionnel, une grosse chouette doree, ronronnait au milieu de tout cela de plus fort en plus fort, sans cependant se decider a sonner. Marie alors jeta les yeux sur elle, et vit que la grosse chouette doree avait abattu ses ailes de maniere a couvrir entierement l'horloge, et qu'elle avancait tant qu'elle pouvait sa hideuse tete de chat aux yeux ronds et au bec recourbe; et alors le ronronnement, devenant plus fort encore, se changea en un murmure qui ressemblait a une voix, et l'on put distinguer ces mots qui semblaient sortir du bec de la chouette: --Horloges, horloges, ronronnez toutes bien bas: le roi des souris a l'oreille fine. Boum, boum, boum, chantez seulement, chantez-lui sa vieille chanson. Boum, boum, boum, sonnez, clochettes, sonnez sa derniere heure, car bientot ce sera fait de lui. Et, boum, boum, boum, on entendit retentir douze coups sourds et enroues. Marie avait tres peur. Elle commencait a frissonner des pieds la tete, et elle allait s'enfuir, quand elle apercut le parrain Drosselmayer assis sur la pendule a la place de la chouette, et dont les deux pans de la redingote jaune avaient pris la place des deux ailes pendantes de l'oiseau de nuit. A cette vue, elle s'arreta clouee a sa place par l'etonnement, et elle se mit crier en pleurant: --Parrain Drosselmayer, que fais-tu la-haut? Descends pres de moi, et ne m'epouvante pas ainsi, mechant parrain Drosselmayer. Mais, a ces paroles, commencerent a la ronde un sifflement aigu et un ricanement enrage; puis bientot on entendit des milliers de petits pieds trotter derriere les murs, puis on vit des milliers de petites lumieres qui scintillaient a travers les fentes des cloisons; quand je dis des milliers de petites lumieres, je me trompe, c'etaient des milliers de petits yeux brillants. Et Marie s'apercut que de tous cotes il y avait une population de souris qui s'appretait a entrer. En effet, au bout de cinq minutes, par les jointures des portes, par les fentes du plancher, des milliers de souris penetrerent dans la chambre, et trott, trott, trott, hopp, hopp, hopp, commencerent a galoper deca, dela, et bientot se mirent en rang de la meme facon que Fritz avait l'habitude de disposer ses soldats pour la bataille. Ceci parut fort plaisant a Marie; et, comme elle ne ressentait pas pour les souris cette terreur naturelle et puerile qu'eprouvent les autres enfants, elle allait s'amuser sans doute infiniment a ce spectacle, lorsque tout a coup elle entendit un sifflement si terrible, si aigu et si prolonge, qu'un froid glacial lui passa sur le dos. Au meme instant, a ses pieds, le plancher se souleva, et, pousse par une puissance souterraine, le roi des souris, avec ses sept tetes couronnees, apparut a ses pieds, au milieu du sable, du platre et de la terre broyee, et chacune de ces sept tetes commenca a siffloter et a grignoter hideusement, pendant que le corps auquel appartenaient ces sept tetes sortait a son tour. Aussitot toute l'armee s'elanca au-devant de son roi, en couicant trois fois en choeur; puis aussitot, tout en gardant leurs rangs, les regiments de souris se mirent a courir par la chambre, se dirigeant vers l'armoire vitree, contre laquelle Marie, enveloppee de tous cotes, commenca a battre en retraite. Nous l'avons dit, ce n'etait cependant pas une enfant peureuse; mais, quand elle se vit entouree de cette foule innombrable de souris, commandee par ce monstre a sept tetes, la frayeur s'empara d'elle, et son coeur commenca de battre si fort, qu'il lui sembla qu'il voulait sortir de sa poitrine. Puis toute coup son sang parut s'arreter, la respiration lui manqua; a demi evanouie, elle recula en chancelant; enfin, kling, kling, prrrr! et la glace de l'armoire vitree, enfoncee par son coude, tomba sur le parquet, brisee en mille morceaux. Elle ressentit bien au moment meme une vive douleur au bras gauche; mais, en meme temps, son coeur se retrouva plus leger, car elle n'entendit plus ces horribles couics, couics, qui l'avaient si fort effrayee; en effet, tout etait redevenu tranquille autour d'elle, les souris avaient disparu, et elle crut que, effrayees du bruit qu'avait fait la glace en se brisant, elles s'etaient refugiees dans leurs trous. Mais voila que, presque aussitot, succedant a ce bruit, commenca dans l'armoire une rumeur etrange, et que de toutes petites voix aigues criaient de toutes leurs faibles forces: <> Et, en meme temps, la sonnerie du chateau se mit a sonner, et l'on entendait murmurer de tous cotes: <> Quand ta voudras aller vite, tu lacheras la bride en disant: < Prof. Hart will answer or forward your message. We would prefer to send you information by email. **The Legal Small Print** (Three Pages) ***START**THE SMALL PRINT!**FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS**START*** Why is this "Small Print!" statement here? You know: lawyers. They tell us you might sue us if there is something wrong with your copy of this eBook, even if you got it for free from someone other than us, and even if what's wrong is not our fault. So, among other things, this "Small Print!" statement disclaims most of our liability to you. 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