Classici Stranieri

« Self-Portrait As Othello » explore la masculinité afro-américaine et l’identité immigrée

Publié à l’origine sur Global Voices en Français

Lundi 15 janvier, lors de la cérémonie de remise du prix organisée à la Wallace Collection, à Londres, le poèteJason Allen-Paisant, né en Jamaïque, a été désigné lauréat du prix de poésie T.S. Eliot 2023 pour son recueil « Self-Portrait As Othello » (Autoportrait en Othello), qui explore la masculinité afro-américaine et l’identité immigrée. N’ayant jamais peur d’aborder des sujets délicats et citant le défunt poète caribéen Benjamin Zephaniah comme influence, il a profité de sa tribune lors de la cérémonie de remise du prix pour attirer l’attention sur la guerre d’Israël contre la bande de Gaza.

C’est la troisième fois en cinq ans qu’un poète d’origine caribéenne remporte ce prix prestigieux. Le lauréat 2019 est le poète trinidado-britannique Roger Robinson pour son œuvre émouvante « A Portable Paradise » (Un paradis ambulant), et le lauréat 2022, également trinidadien, est Anthony Joseph, qui a remporté la faveur des juges pour son recueil « Sonnets for Albert » (Sonnets pour Albert). Le prédécesseur d’Allen-Paisant a publié une photo d’eux lors de la cérémonie de remise du prix, qualifiant l’événement de « nuit historique pour la poésie caribéenne, teintée d’un magnifique sentiment de déjà-vu ».

Un autre Jamaïcain, Ishion Hutchinson, figurait également sur la liste des candidats pour 2023, pour son livre « School of Instructions » (L’école d’instructions). Au sommet du panthéon des lauréats caribéens du prix T.S. Eliot de poésie se trouve toutefois Derek Walcott, originaire de Sainte Lucie, qui a remporté le prix en 2011 pour son livre « White Egrets » (Les aigrettes blanches).

La bourse de 25 000 GBP (31 693 USD) est attribuée chaque année au meilleur recueil de nouveaux vers en anglais publié pour la première fois au Royaume-Uni ou en République d’Irlande. Allen-Paisant n’en est pas à son premier coup d’essai : son recueil « Thinking with Trees » (Penser avec les arbres) a remporté le prix de poésie OCM Bocas 2022. « Self-Portrait as Othello », qui lui a valu le prix T.S. Eliot, a également reçu le prix de poésie Forward 2023 en octobre dernier.

Sur Facebook, la célèbre auteure britannique d’origine caribéenne Monique Roffey a commenté, « Un double tour de chapeau pour cette étoile montante ! » « Self-Portrait as Othello » figure également sur la liste des candidats au Writer’s Prize 2024.

Le président du jury du prix T.S. Eliot, Paul Muldoon, ainsi que ses collègues, Sasha Dugdale et Denise Saul, ont salué« Self-Portrait as Othello » comme étant « un livre très ambitieux, qui fait preuve d’une grande capacité d’imagination, de fraîcheur et de flair technique […] , présenté avec théâtralité et dans un éventail de voix et de registres, à travers les géographies et les époques. Il faut un certain culot pour réaliser une œuvre comme celle-ci avec autant de style et d’intégrité ». Ils ont ajouté que le recueil présentait toutes les caractéristiques d’un livre auquel les lecteurs reviendraient sans cesse.

Comme le titre l’indique, Allen-Paisant établit des parallèles poétiques entre l’Othello de Shakespeare, le Maure à la peau sombre qui se sent à la périphérie de la société vénitienne, et l’expérience de l’immigrant afro-américain d’aujourd’hui, ses poèmes étant souvent agrémentés d’un soupçon de patois jamaïcain, de français ou d’italien.

Qualifiant son recueil de « livre fort », le poètea déclaré à The Guardian que même si l’obtention du prix n’était pas hors de portée, il pense que la raison pour laquelle le recueil a trouvé un écho auprès des gens est sa capacité à présenter un parfait équilibre entre « plusieurs questions intéressantes », notamment la manière dont la masculinité – en particulier la masculinité afro-américaine- recoupe la question de la vulnérabilité. C’est une question qui, selon lui, n’est pas suffisamment abordée. Son travail examine également l’impact du père absent.

Allen-Paisant approfondit le personnage d’Othello, refusant d’accepter qu’il devienne simplement « dément » comme dans la pièce : « Transporte-t-il un bagage culturel ?  Quelle est son histoire ? » Le poète lui-même a grandi dans la campagne jamaïcaine avec ses grands-parents, qui étaient fermiers. À l’âge de cinq ans, il est allé vivre avec sa mère, devenue enseignante, et se souvient avoir été traumatisé par la révélation que contrairement à ce qu’il croyait, sagrand-mère – qui apparaît sous le nom de « Mama» dans le recueil – n’était pas sa mère.

C’est « Mama » qui l’a encouragé à lire et l’a aidé à se faire une idée de ce que l’éducation pouvait lui apporter. Il a obtenu son premier diplôme à l’Université des Antilles à Mona, en Jamaïque, a terminé la première année de son doctorat en langues médiévales et modernes à Montréal, puis a obtenu une bourse pour terminer son doctorat à Oxford, dont une année passée à l’École normale supérieure à Paris.

Allen-Paisant n’est cependant pas très connu en Jamaïque, probablement parce qu’il vit au Royaume-Uni ; il admet également avoir essayé de « tourner le dos » à la Jamaïque pendant une grande partie de sa vie. Cependant, le fait d’affronter ses traumatismes passés, à la fois dans le cadre de son travail et dans la vie réelle – il prévoit de rencontrer pour la première fois son père dont il est séparé – lui a ouvert de nouveaux horizons.

Le prochain projet d’Allen-Paisant est un livre hybride de mémoires et de nature, «Scanning the Bush » (Ratisser le buisson), qui devrait être publié cette année, alors qu’il continue d’enseigner la théorie critique et l’écriture créative à l’université de Manchester.

Ecrit par Janine Mendes-FrancoTraduit par Christine Ghafoor · Voir l’article d’origine [en]